Jazz live
Publié le 22 Déc 2013

Bigre! Ravel et Scott Tixier

Le numéro de janvier bouclé, avant d’aborder une trêve des confiseurs cruciale qui s’annonce chargée en travaux d’écriture pour les prochains numéros, quelques souvenirs de mes dernières sorties parisiennes: le big band lyonnais Bigre! au New Morning, le spectacle Ravel  d’Anne-Marie Lazarini d’après Jean Echenoz sur une musique d’Andy Emler aux Artistic Athévains et le quartette du violoniste Scott Tixier au Petit Journal Montparnasse.

 

New Morning, Paris (75) le 18 décembre 2013.

 

Bigre (personnel inexact relevé sur le site du groupe) : Vincent Labarre, Hervé Salamone, Thierry Seneau (trompette), Félicien Bouchot (trompette, arrangements), Loïc Bachevillier, Sébastien Chetail, Sylvain Thomas*, Jean Crozat (trombone), Pierre Desassis, Fred Gardette, Thibaut Fontana, Mathieu Guerret (saxes), Romain Dugelay (saxes, arrangement), Alice Perret (claviers), Nicolas Mondon (guitare), Nicolas Frache (basse électrique), Jean Joly (batterie).

 

Bigre ! d’abord. Un big band lyonnais que nous avons souvent signalé dans nos pages rendez-vous et les encadrés de notre agenda, mais que je n’ai jamais vu en concert, sinon en formation réduite lors d’un bal de l’arrière-pays ardéchois… Et pour ce qui est d’animer un bal, ce qu’ils font régulièrement sur leur base arrière lyonnaise, le Périscope. Et d’emblée, au pied de cette scène envahie de peluches de grands fauves, on se dit que l’orchestre n’est pas là pour s’ennuyer. Parti à l’entracte alors que de derniers travaux d’écriture m’attendent à 48 heures du bouclage, je n’ai pas pris le temps de noter le personnel et reporte ci-dessus celui qu’indique le site du Grolektif / où je note d’emblée que les claviers ne sont pas tenus par Alice Perret (sœur du saxophoniste Guillaume Perret, également connue pour sa participation au trio Lunatic Toys). On notera qu’une partie de l’Amazing Keystone Big Band est sur scène… et qu’une autre est dans la salle, venue soutenir les copains (et oui, ces sons aussi sont de Lyon) les deux formations s’étant partagé la scène de l’Olympia, comme orchestre de cérémonie, deux jours plus tôt lors de la soirée annuelle de TSF jazz You & the Night & the Music  (écoutez en podcast l’ouverture de la soirée qui offre un bon panorama sur la musique de Bigre… et le final de l’Amazing Kesytone avec Gregory Porter et Kelylee Evans). On notera encore, que cet orchestre lyonnais a un public parisien pour lequel l’espace du New Morning est nullement disproportionné.

 

Sitôt passé le morceau d’ouverture, le plus ambitieux de ce premier set sur le plan rythmique, une grande tombola est lancée pour distribuer les peluches dispersées sur la scène… et le ton est donné que confirme le parterre du New Morning débarrassé de ses chaises et que les danseurs commenceront à envahir peu avant mon départ de la scène. Des big bands et des fanfares fun, on a en entendus ces derniers tas, suffisamment pour ne pas faire grand cas d’une nouvelle occurrence. Pas de folle originalité du côté des solistes, tous excellents, en tout cas rien qui ne saute aux oreilles de l’auditeur d’un seul set, mais des sections d’une formidable efficacité (notamment du côté des trombones, colonne vertébrale du groupe et de la rythmique qui, pour poursuivre l’analogie anatomique serait son bassin) servies par un bonheur de jouer résultant d’une écriture jamais paresseuse, toujours sur le qui-vive. Puisant largement dans le patrimoine, aujourd’hui à disposition de tous, des musiques du monde, compositions et arrangements échappent néanmoins à l’échantillonnage habituel des genres. Si l’on croise ici des accents de salsa, si l’on croit reconnaître là les paysages de l’Éthiopie et si une rythmique reggae nous y a transposé, on est jamais dans le cliché, mais dans une science de la saveur transposée sur le terrain du son, du rythme, de la couleur orchestrale ou harmonique.

 

Artistic Athévains, Paris (75), le 19 décembre 2013.

Yvan Robilliard (p), Coco Felgeirolles, Michel Ouimet, Marc Schapira (comédiens), François Cabanat (décors et lumière), Dominique Bourde (costumes), Anne-Marie Lazarini (mise en scène, assistée de Bruno Andrieux) d’après Jean Echenoz.

 

Le lendemain, je suis retourné voir le Ravel de Jean Echenoz adapté pour la scène par Anne-Marie Lazarini et mis en musique par Andy Emler. J’en avais déjà rendu compte en mars dernier  et Ludovic Florin, de manière beaucoup plus éclairée, le 7 décembre dernier . À ceci près que c’est Yvan Robilliard qui tenait le piano (les deux pianistes jouent en alternance sur ce spectacle) et que désormais c’est un vrai bon piano qui est joué, j’ai aimé réentendre ce texte à la musicalité déliée, au rythme sûr et léger, au propos tendre et sans indulgence, dans cette mise en scène si juste, ces acteurs si accordés à leur sujet, cette musique dont je ne sais toujours pas départager les ingrédients : Ravel, Emler et, maintenant, Robilliard. Je vous laisse faire. Le spectacle est à l’affiche en continu jusqu’au 1er : appelez tout de même les Athévains pour réserver et pour vous assurer de l’horaire car, confronté à des horaires contradictoires (peut-être dû à une lecture trop rapide leur site), j’ai bien failli arriver avec une heure de retard.

 

Petit Journal Montparnasse, Paris (75), le 21 décembre 2013.

Scott Tixier (violon), Tony Tixier (piano), Joachim Govin (contrebasse), Gautier Garrigue (batterie)

 

Au Petit Journal Montparnasse, n’ayant pas consulté les horaires, je me suis pointé avec une heure d’avance, c’est-à-dire à 21h, découvrant sur place que le concert était à 21h30, ce qui signifie en clair 22h. Ayant pris la précaution d’emporter un peu de lecture, je me suis plongé dans la lecture de The Uncrowned King of Swing, Fletcher Henderson and Big Band Jazz de Jeffrey Magee dont on a, ces temps-ci beaucoup de mal à m’arracher. Et ce sans réaliser, et sans prendre la peine de m’enquérir du nom de l’intéressée, que ma lecture était be
rcée par une pianiste bar de bon aloi, dont j’avais aperçu le piano droit à l’entrée du club, qui, chaque fois qu’elle donnait de la voix, faillit bien avoir le dessus sur le vieux Fletcher et son biographe-analyste.

 

Mais voici enfin l’orchestre à l’affiche… je range prudemment mon livre et m’attaque à ma Pelforth, observant, pendant que les musiciens s’installent, ce Petit Journal dont j’ai connu les premières programmations jazz. Je revois encore André Damon, son propriétaire auvergnat qui n’a jamais rougi d’être considéré comme un marchand de bière et de faire fonctionner la caisse enregistreuse pendant les solos de contrebasse, foncer sur moi en rugissant : « c’est toi qui a conseillé à Alain [Guerrini, qui organisa des concerts hebdomadaires le lundi pour les élèves du Cim] cette musique de merde ?! Mais tu veux me faire perdre ma clientèle ! » Il s’agissait de l’orchestre de Julien Lourau avec Noël Akchoté et peut-être bien Bojan Zulfikarpasic, François Merville et je ne sais plus quel bassiste !

 

Depuis, le Petit-Journal n’a guère changé. À proximité de la gare Montparnasse et de ses grands hôtels, on y dîne et, accessoirement, on y écoute de la musique. Ce soir, par bonheur, pas de banquet d’anciens élèves de l’école de commerce Martin Dupois, pas de dîner de fin d’année de l’amicale des pharmaciens du Haut-Parmontois, mais beaucoup de couples qui, n’ayant rien à se dire, s’apprête à écouter docilement. Ça n’en reste pas moins bruyant.

 

La musique démarre sur les chapeaux de roue. Je suis venu pour elle, pour le pianiste Tony Tixier, plus exactement pour Scott son frère jumeau (« c’est Tony » prendra soin de prévenir, en m’abordant à l’entracte, le dit Tony qui partage son élocution et lui ressemble comme deux gouttes d’eau, à ceci près que ce soir, Tony, est coiffé d’une capuche de Père Noël). Résident à New York où il s’apprête à repartir, Scott est violoniste et peut s’enorgueillir de citations, flatteuses à son endroit, de Jean-Luc Ponty, Pat Metheny et quelques autres. C’est la complicité des deux frangins qui m’avait attiré à Paris un samedi, jour où je ne mets jamais les pieds dans la capitale ! Violoniste brillant, il s’impose dès l’ouverture par un discours brillamment articulé sur des phrases dont les contours m’évoquent une certaine continuité depuis Ponty. Si j’y résiste, c’est du fait d’un appui sur le découpage séquentiel harmonique du morceau qui fait pléonasme à mon oreille  et en alourdit le poids, ainsi qu’un défaut de respiration et de diversité, en dépit de la précision des idées. Après quoi, il s’égare pour sortir de ce jeu très uniforme par quelque chose de plus ouvert que j’ai tendance à identifier à ce que dans les années 20 on aurait appelé des “novelties”, des petits emprunts, des petits effets, des petites citations textuelles ou stylistiques, des amabilités, des curiosités, des bigarrures. Si la référence à Ponty se fait plus rare dans le reste du programme, celui-ci s’apparente à cette variété tous azimuts où j’ai le tort de ne pas me représenter quelle est la personnalité de Scott Tixier qu’il me tarde de découvrir tant son violon nous y invite.


On pourrait lui trouver des excuses d’un soir et s’interroger sur ce qui se peut bien se passer dans la tête d’un improvisateur face à un un parterre de dîneurs le regardant jouant comme s’ils dînaient devant la TV. Il n’est hélas pas le premier et, à New York, il a dû en voir d’autres. De Joachim Govin, je ne dirai rien, la son tel que je le perçois où je suis placé dans un relatif brouhaha ne rendant pas grâce à sa contrebasse, mais il semblait le partenaire idéal d’un Gautier Garrigue hyperactif, inventif et néanmoins d’une discrétion en parfait accord avec la répartie toujours inventive de Tony Tixier.


Franck Bergerot

 

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Le numéro de janvier bouclé, avant d’aborder une trêve des confiseurs cruciale qui s’annonce chargée en travaux d’écriture pour les prochains numéros, quelques souvenirs de mes dernières sorties parisiennes: le big band lyonnais Bigre! au New Morning, le spectacle Ravel  d’Anne-Marie Lazarini d’après Jean Echenoz sur une musique d’Andy Emler aux Artistic Athévains et le quartette du violoniste Scott Tixier au Petit Journal Montparnasse.

 

New Morning, Paris (75) le 18 décembre 2013.

 

Bigre (personnel inexact relevé sur le site du groupe) : Vincent Labarre, Hervé Salamone, Thierry Seneau (trompette), Félicien Bouchot (trompette, arrangements), Loïc Bachevillier, Sébastien Chetail, Sylvain Thomas*, Jean Crozat (trombone), Pierre Desassis, Fred Gardette, Thibaut Fontana, Mathieu Guerret (saxes), Romain Dugelay (saxes, arrangement), Alice Perret (claviers), Nicolas Mondon (guitare), Nicolas Frache (basse électrique), Jean Joly (batterie).

 

Bigre ! d’abord. Un big band lyonnais que nous avons souvent signalé dans nos pages rendez-vous et les encadrés de notre agenda, mais que je n’ai jamais vu en concert, sinon en formation réduite lors d’un bal de l’arrière-pays ardéchois… Et pour ce qui est d’animer un bal, ce qu’ils font régulièrement sur leur base arrière lyonnaise, le Périscope. Et d’emblée, au pied de cette scène envahie de peluches de grands fauves, on se dit que l’orchestre n’est pas là pour s’ennuyer. Parti à l’entracte alors que de derniers travaux d’écriture m’attendent à 48 heures du bouclage, je n’ai pas pris le temps de noter le personnel et reporte ci-dessus celui qu’indique le site du Grolektif / où je note d’emblée que les claviers ne sont pas tenus par Alice Perret (sœur du saxophoniste Guillaume Perret, également connue pour sa participation au trio Lunatic Toys). On notera qu’une partie de l’Amazing Keystone Big Band est sur scène… et qu’une autre est dans la salle, venue soutenir les copains (et oui, ces sons aussi sont de Lyon) les deux formations s’étant partagé la scène de l’Olympia, comme orchestre de cérémonie, deux jours plus tôt lors de la soirée annuelle de TSF jazz You & the Night & the Music  (écoutez en podcast l’ouverture de la soirée qui offre un bon panorama sur la musique de Bigre… et le final de l’Amazing Kesytone avec Gregory Porter et Kelylee Evans). On notera encore, que cet orchestre lyonnais a un public parisien pour lequel l’espace du New Morning est nullement disproportionné.

 

Sitôt passé le morceau d’ouverture, le plus ambitieux de ce premier set sur le plan rythmique, une grande tombola est lancée pour distribuer les peluches dispersées sur la scène… et le ton est donné que confirme le parterre du New Morning débarrassé de ses chaises et que les danseurs commenceront à envahir peu avant mon départ de la scène. Des big bands et des fanfares fun, on a en entendus ces derniers tas, suffisamment pour ne pas faire grand cas d’une nouvelle occurrence. Pas de folle originalité du côté des solistes, tous excellents, en tout cas rien qui ne saute aux oreilles de l’auditeur d’un seul set, mais des sections d’une formidable efficacité (notamment du côté des trombones, colonne vertébrale du groupe et de la rythmique qui, pour poursuivre l’analogie anatomique serait son bassin) servies par un bonheur de jouer résultant d’une écriture jamais paresseuse, toujours sur le qui-vive. Puisant largement dans le patrimoine, aujourd’hui à disposition de tous, des musiques du monde, compositions et arrangements échappent néanmoins à l’échantillonnage habituel des genres. Si l’on croise ici des accents de salsa, si l’on croit reconnaître là les paysages de l’Éthiopie et si une rythmique reggae nous y a transposé, on est jamais dans le cliché, mais dans une science de la saveur transposée sur le terrain du son, du rythme, de la couleur orchestrale ou harmonique.

 

Artistic Athévains, Paris (75), le 19 décembre 2013.

Yvan Robilliard (p), Coco Felgeirolles, Michel Ouimet, Marc Schapira (comédiens), François Cabanat (décors et lumière), Dominique Bourde (costumes), Anne-Marie Lazarini (mise en scène, assistée de Bruno Andrieux) d’après Jean Echenoz.

 

Le lendemain, je suis retourné voir le Ravel de Jean Echenoz adapté pour la scène par Anne-Marie Lazarini et mis en musique par Andy Emler. J’en avais déjà rendu compte en mars dernier  et Ludovic Florin, de manière beaucoup plus éclairée, le 7 décembre dernier . À ceci près que c’est Yvan Robilliard qui tenait le piano (les deux pianistes jouent en alternance sur ce spectacle) et que désormais c’est un vrai bon piano qui est joué, j’ai aimé réentendre ce texte à la musicalité déliée, au rythme sûr et léger, au propos tendre et sans indulgence, dans cette mise en scène si juste, ces acteurs si accordés à leur sujet, cette musique dont je ne sais toujours pas départager les ingrédients : Ravel, Emler et, maintenant, Robilliard. Je vous laisse faire. Le spectacle est à l’affiche en continu jusqu’au 1er : appelez tout de même les Athévains pour réserver et pour vous assurer de l’horaire car, confronté à des horaires contradictoires (peut-être dû à une lecture trop rapide leur site), j’ai bien failli arriver avec une heure de retard.

 

Petit Journal Montparnasse, Paris (75), le 21 décembre 2013.

Scott Tixier (violon), Tony Tixier (piano), Joachim Govin (contrebasse), Gautier Garrigue (batterie)

 

Au Petit Journal Montparnasse, n’ayant pas consulté les horaires, je me suis pointé avec une heure d’avance, c’est-à-dire à 21h, découvrant sur place que le concert était à 21h30, ce qui signifie en clair 22h. Ayant pris la précaution d’emporter un peu de lecture, je me suis plongé dans la lecture de The Uncrowned King of Swing, Fletcher Henderson and Big Band Jazz de Jeffrey Magee dont on a, ces temps-ci beaucoup de mal à m’arracher. Et ce sans réaliser, et sans prendre la peine de m’enquérir du nom de l’intéressée, que ma lecture était be
rcée par une pianiste bar de bon aloi, dont j’avais aperçu le piano droit à l’entrée du club, qui, chaque fois qu’elle donnait de la voix, faillit bien avoir le dessus sur le vieux Fletcher et son biographe-analyste.

 

Mais voici enfin l’orchestre à l’affiche… je range prudemment mon livre et m’attaque à ma Pelforth, observant, pendant que les musiciens s’installent, ce Petit Journal dont j’ai connu les premières programmations jazz. Je revois encore André Damon, son propriétaire auvergnat qui n’a jamais rougi d’être considéré comme un marchand de bière et de faire fonctionner la caisse enregistreuse pendant les solos de contrebasse, foncer sur moi en rugissant : « c’est toi qui a conseillé à Alain [Guerrini, qui organisa des concerts hebdomadaires le lundi pour les élèves du Cim] cette musique de merde ?! Mais tu veux me faire perdre ma clientèle ! » Il s’agissait de l’orchestre de Julien Lourau avec Noël Akchoté et peut-être bien Bojan Zulfikarpasic, François Merville et je ne sais plus quel bassiste !

 

Depuis, le Petit-Journal n’a guère changé. À proximité de la gare Montparnasse et de ses grands hôtels, on y dîne et, accessoirement, on y écoute de la musique. Ce soir, par bonheur, pas de banquet d’anciens élèves de l’école de commerce Martin Dupois, pas de dîner de fin d’année de l’amicale des pharmaciens du Haut-Parmontois, mais beaucoup de couples qui, n’ayant rien à se dire, s’apprête à écouter docilement. Ça n’en reste pas moins bruyant.

 

La musique démarre sur les chapeaux de roue. Je suis venu pour elle, pour le pianiste Tony Tixier, plus exactement pour Scott son frère jumeau (« c’est Tony » prendra soin de prévenir, en m’abordant à l’entracte, le dit Tony qui partage son élocution et lui ressemble comme deux gouttes d’eau, à ceci près que ce soir, Tony, est coiffé d’une capuche de Père Noël). Résident à New York où il s’apprête à repartir, Scott est violoniste et peut s’enorgueillir de citations, flatteuses à son endroit, de Jean-Luc Ponty, Pat Metheny et quelques autres. C’est la complicité des deux frangins qui m’avait attiré à Paris un samedi, jour où je ne mets jamais les pieds dans la capitale ! Violoniste brillant, il s’impose dès l’ouverture par un discours brillamment articulé sur des phrases dont les contours m’évoquent une certaine continuité depuis Ponty. Si j’y résiste, c’est du fait d’un appui sur le découpage séquentiel harmonique du morceau qui fait pléonasme à mon oreille  et en alourdit le poids, ainsi qu’un défaut de respiration et de diversité, en dépit de la précision des idées. Après quoi, il s’égare pour sortir de ce jeu très uniforme par quelque chose de plus ouvert que j’ai tendance à identifier à ce que dans les années 20 on aurait appelé des “novelties”, des petits emprunts, des petits effets, des petites citations textuelles ou stylistiques, des amabilités, des curiosités, des bigarrures. Si la référence à Ponty se fait plus rare dans le reste du programme, celui-ci s’apparente à cette variété tous azimuts où j’ai le tort de ne pas me représenter quelle est la personnalité de Scott Tixier qu’il me tarde de découvrir tant son violon nous y invite.


On pourrait lui trouver des excuses d’un soir et s’interroger sur ce qui se peut bien se passer dans la tête d’un improvisateur face à un un parterre de dîneurs le regardant jouant comme s’ils dînaient devant la TV. Il n’est hélas pas le premier et, à New York, il a dû en voir d’autres. De Joachim Govin, je ne dirai rien, la son tel que je le perçois où je suis placé dans un relatif brouhaha ne rendant pas grâce à sa contrebasse, mais il semblait le partenaire idéal d’un Gautier Garrigue hyperactif, inventif et néanmoins d’une discrétion en parfait accord avec la répartie toujours inventive de Tony Tixier.


Franck Bergerot

 

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Le numéro de janvier bouclé, avant d’aborder une trêve des confiseurs cruciale qui s’annonce chargée en travaux d’écriture pour les prochains numéros, quelques souvenirs de mes dernières sorties parisiennes: le big band lyonnais Bigre! au New Morning, le spectacle Ravel  d’Anne-Marie Lazarini d’après Jean Echenoz sur une musique d’Andy Emler aux Artistic Athévains et le quartette du violoniste Scott Tixier au Petit Journal Montparnasse.

 

New Morning, Paris (75) le 18 décembre 2013.

 

Bigre (personnel inexact relevé sur le site du groupe) : Vincent Labarre, Hervé Salamone, Thierry Seneau (trompette), Félicien Bouchot (trompette, arrangements), Loïc Bachevillier, Sébastien Chetail, Sylvain Thomas*, Jean Crozat (trombone), Pierre Desassis, Fred Gardette, Thibaut Fontana, Mathieu Guerret (saxes), Romain Dugelay (saxes, arrangement), Alice Perret (claviers), Nicolas Mondon (guitare), Nicolas Frache (basse électrique), Jean Joly (batterie).

 

Bigre ! d’abord. Un big band lyonnais que nous avons souvent signalé dans nos pages rendez-vous et les encadrés de notre agenda, mais que je n’ai jamais vu en concert, sinon en formation réduite lors d’un bal de l’arrière-pays ardéchois… Et pour ce qui est d’animer un bal, ce qu’ils font régulièrement sur leur base arrière lyonnaise, le Périscope. Et d’emblée, au pied de cette scène envahie de peluches de grands fauves, on se dit que l’orchestre n’est pas là pour s’ennuyer. Parti à l’entracte alors que de derniers travaux d’écriture m’attendent à 48 heures du bouclage, je n’ai pas pris le temps de noter le personnel et reporte ci-dessus celui qu’indique le site du Grolektif / où je note d’emblée que les claviers ne sont pas tenus par Alice Perret (sœur du saxophoniste Guillaume Perret, également connue pour sa participation au trio Lunatic Toys). On notera qu’une partie de l’Amazing Keystone Big Band est sur scène… et qu’une autre est dans la salle, venue soutenir les copains (et oui, ces sons aussi sont de Lyon) les deux formations s’étant partagé la scène de l’Olympia, comme orchestre de cérémonie, deux jours plus tôt lors de la soirée annuelle de TSF jazz You & the Night & the Music  (écoutez en podcast l’ouverture de la soirée qui offre un bon panorama sur la musique de Bigre… et le final de l’Amazing Kesytone avec Gregory Porter et Kelylee Evans). On notera encore, que cet orchestre lyonnais a un public parisien pour lequel l’espace du New Morning est nullement disproportionné.

 

Sitôt passé le morceau d’ouverture, le plus ambitieux de ce premier set sur le plan rythmique, une grande tombola est lancée pour distribuer les peluches dispersées sur la scène… et le ton est donné que confirme le parterre du New Morning débarrassé de ses chaises et que les danseurs commenceront à envahir peu avant mon départ de la scène. Des big bands et des fanfares fun, on a en entendus ces derniers tas, suffisamment pour ne pas faire grand cas d’une nouvelle occurrence. Pas de folle originalité du côté des solistes, tous excellents, en tout cas rien qui ne saute aux oreilles de l’auditeur d’un seul set, mais des sections d’une formidable efficacité (notamment du côté des trombones, colonne vertébrale du groupe et de la rythmique qui, pour poursuivre l’analogie anatomique serait son bassin) servies par un bonheur de jouer résultant d’une écriture jamais paresseuse, toujours sur le qui-vive. Puisant largement dans le patrimoine, aujourd’hui à disposition de tous, des musiques du monde, compositions et arrangements échappent néanmoins à l’échantillonnage habituel des genres. Si l’on croise ici des accents de salsa, si l’on croit reconnaître là les paysages de l’Éthiopie et si une rythmique reggae nous y a transposé, on est jamais dans le cliché, mais dans une science de la saveur transposée sur le terrain du son, du rythme, de la couleur orchestrale ou harmonique.

 

Artistic Athévains, Paris (75), le 19 décembre 2013.

Yvan Robilliard (p), Coco Felgeirolles, Michel Ouimet, Marc Schapira (comédiens), François Cabanat (décors et lumière), Dominique Bourde (costumes), Anne-Marie Lazarini (mise en scène, assistée de Bruno Andrieux) d’après Jean Echenoz.

 

Le lendemain, je suis retourné voir le Ravel de Jean Echenoz adapté pour la scène par Anne-Marie Lazarini et mis en musique par Andy Emler. J’en avais déjà rendu compte en mars dernier  et Ludovic Florin, de manière beaucoup plus éclairée, le 7 décembre dernier . À ceci près que c’est Yvan Robilliard qui tenait le piano (les deux pianistes jouent en alternance sur ce spectacle) et que désormais c’est un vrai bon piano qui est joué, j’ai aimé réentendre ce texte à la musicalité déliée, au rythme sûr et léger, au propos tendre et sans indulgence, dans cette mise en scène si juste, ces acteurs si accordés à leur sujet, cette musique dont je ne sais toujours pas départager les ingrédients : Ravel, Emler et, maintenant, Robilliard. Je vous laisse faire. Le spectacle est à l’affiche en continu jusqu’au 1er : appelez tout de même les Athévains pour réserver et pour vous assurer de l’horaire car, confronté à des horaires contradictoires (peut-être dû à une lecture trop rapide leur site), j’ai bien failli arriver avec une heure de retard.

 

Petit Journal Montparnasse, Paris (75), le 21 décembre 2013.

Scott Tixier (violon), Tony Tixier (piano), Joachim Govin (contrebasse), Gautier Garrigue (batterie)

 

Au Petit Journal Montparnasse, n’ayant pas consulté les horaires, je me suis pointé avec une heure d’avance, c’est-à-dire à 21h, découvrant sur place que le concert était à 21h30, ce qui signifie en clair 22h. Ayant pris la précaution d’emporter un peu de lecture, je me suis plongé dans la lecture de The Uncrowned King of Swing, Fletcher Henderson and Big Band Jazz de Jeffrey Magee dont on a, ces temps-ci beaucoup de mal à m’arracher. Et ce sans réaliser, et sans prendre la peine de m’enquérir du nom de l’intéressée, que ma lecture était be
rcée par une pianiste bar de bon aloi, dont j’avais aperçu le piano droit à l’entrée du club, qui, chaque fois qu’elle donnait de la voix, faillit bien avoir le dessus sur le vieux Fletcher et son biographe-analyste.

 

Mais voici enfin l’orchestre à l’affiche… je range prudemment mon livre et m’attaque à ma Pelforth, observant, pendant que les musiciens s’installent, ce Petit Journal dont j’ai connu les premières programmations jazz. Je revois encore André Damon, son propriétaire auvergnat qui n’a jamais rougi d’être considéré comme un marchand de bière et de faire fonctionner la caisse enregistreuse pendant les solos de contrebasse, foncer sur moi en rugissant : « c’est toi qui a conseillé à Alain [Guerrini, qui organisa des concerts hebdomadaires le lundi pour les élèves du Cim] cette musique de merde ?! Mais tu veux me faire perdre ma clientèle ! » Il s’agissait de l’orchestre de Julien Lourau avec Noël Akchoté et peut-être bien Bojan Zulfikarpasic, François Merville et je ne sais plus quel bassiste !

 

Depuis, le Petit-Journal n’a guère changé. À proximité de la gare Montparnasse et de ses grands hôtels, on y dîne et, accessoirement, on y écoute de la musique. Ce soir, par bonheur, pas de banquet d’anciens élèves de l’école de commerce Martin Dupois, pas de dîner de fin d’année de l’amicale des pharmaciens du Haut-Parmontois, mais beaucoup de couples qui, n’ayant rien à se dire, s’apprête à écouter docilement. Ça n’en reste pas moins bruyant.

 

La musique démarre sur les chapeaux de roue. Je suis venu pour elle, pour le pianiste Tony Tixier, plus exactement pour Scott son frère jumeau (« c’est Tony » prendra soin de prévenir, en m’abordant à l’entracte, le dit Tony qui partage son élocution et lui ressemble comme deux gouttes d’eau, à ceci près que ce soir, Tony, est coiffé d’une capuche de Père Noël). Résident à New York où il s’apprête à repartir, Scott est violoniste et peut s’enorgueillir de citations, flatteuses à son endroit, de Jean-Luc Ponty, Pat Metheny et quelques autres. C’est la complicité des deux frangins qui m’avait attiré à Paris un samedi, jour où je ne mets jamais les pieds dans la capitale ! Violoniste brillant, il s’impose dès l’ouverture par un discours brillamment articulé sur des phrases dont les contours m’évoquent une certaine continuité depuis Ponty. Si j’y résiste, c’est du fait d’un appui sur le découpage séquentiel harmonique du morceau qui fait pléonasme à mon oreille  et en alourdit le poids, ainsi qu’un défaut de respiration et de diversité, en dépit de la précision des idées. Après quoi, il s’égare pour sortir de ce jeu très uniforme par quelque chose de plus ouvert que j’ai tendance à identifier à ce que dans les années 20 on aurait appelé des “novelties”, des petits emprunts, des petits effets, des petites citations textuelles ou stylistiques, des amabilités, des curiosités, des bigarrures. Si la référence à Ponty se fait plus rare dans le reste du programme, celui-ci s’apparente à cette variété tous azimuts où j’ai le tort de ne pas me représenter quelle est la personnalité de Scott Tixier qu’il me tarde de découvrir tant son violon nous y invite.


On pourrait lui trouver des excuses d’un soir et s’interroger sur ce qui se peut bien se passer dans la tête d’un improvisateur face à un un parterre de dîneurs le regardant jouant comme s’ils dînaient devant la TV. Il n’est hélas pas le premier et, à New York, il a dû en voir d’autres. De Joachim Govin, je ne dirai rien, la son tel que je le perçois où je suis placé dans un relatif brouhaha ne rendant pas grâce à sa contrebasse, mais il semblait le partenaire idéal d’un Gautier Garrigue hyperactif, inventif et néanmoins d’une discrétion en parfait accord avec la répartie toujours inventive de Tony Tixier.


Franck Bergerot

 

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Le numéro de janvier bouclé, avant d’aborder une trêve des confiseurs cruciale qui s’annonce chargée en travaux d’écriture pour les prochains numéros, quelques souvenirs de mes dernières sorties parisiennes: le big band lyonnais Bigre! au New Morning, le spectacle Ravel  d’Anne-Marie Lazarini d’après Jean Echenoz sur une musique d’Andy Emler aux Artistic Athévains et le quartette du violoniste Scott Tixier au Petit Journal Montparnasse.

 

New Morning, Paris (75) le 18 décembre 2013.

 

Bigre (personnel inexact relevé sur le site du groupe) : Vincent Labarre, Hervé Salamone, Thierry Seneau (trompette), Félicien Bouchot (trompette, arrangements), Loïc Bachevillier, Sébastien Chetail, Sylvain Thomas*, Jean Crozat (trombone), Pierre Desassis, Fred Gardette, Thibaut Fontana, Mathieu Guerret (saxes), Romain Dugelay (saxes, arrangement), Alice Perret (claviers), Nicolas Mondon (guitare), Nicolas Frache (basse électrique), Jean Joly (batterie).

 

Bigre ! d’abord. Un big band lyonnais que nous avons souvent signalé dans nos pages rendez-vous et les encadrés de notre agenda, mais que je n’ai jamais vu en concert, sinon en formation réduite lors d’un bal de l’arrière-pays ardéchois… Et pour ce qui est d’animer un bal, ce qu’ils font régulièrement sur leur base arrière lyonnaise, le Périscope. Et d’emblée, au pied de cette scène envahie de peluches de grands fauves, on se dit que l’orchestre n’est pas là pour s’ennuyer. Parti à l’entracte alors que de derniers travaux d’écriture m’attendent à 48 heures du bouclage, je n’ai pas pris le temps de noter le personnel et reporte ci-dessus celui qu’indique le site du Grolektif / où je note d’emblée que les claviers ne sont pas tenus par Alice Perret (sœur du saxophoniste Guillaume Perret, également connue pour sa participation au trio Lunatic Toys). On notera qu’une partie de l’Amazing Keystone Big Band est sur scène… et qu’une autre est dans la salle, venue soutenir les copains (et oui, ces sons aussi sont de Lyon) les deux formations s’étant partagé la scène de l’Olympia, comme orchestre de cérémonie, deux jours plus tôt lors de la soirée annuelle de TSF jazz You & the Night & the Music  (écoutez en podcast l’ouverture de la soirée qui offre un bon panorama sur la musique de Bigre… et le final de l’Amazing Kesytone avec Gregory Porter et Kelylee Evans). On notera encore, que cet orchestre lyonnais a un public parisien pour lequel l’espace du New Morning est nullement disproportionné.

 

Sitôt passé le morceau d’ouverture, le plus ambitieux de ce premier set sur le plan rythmique, une grande tombola est lancée pour distribuer les peluches dispersées sur la scène… et le ton est donné que confirme le parterre du New Morning débarrassé de ses chaises et que les danseurs commenceront à envahir peu avant mon départ de la scène. Des big bands et des fanfares fun, on a en entendus ces derniers tas, suffisamment pour ne pas faire grand cas d’une nouvelle occurrence. Pas de folle originalité du côté des solistes, tous excellents, en tout cas rien qui ne saute aux oreilles de l’auditeur d’un seul set, mais des sections d’une formidable efficacité (notamment du côté des trombones, colonne vertébrale du groupe et de la rythmique qui, pour poursuivre l’analogie anatomique serait son bassin) servies par un bonheur de jouer résultant d’une écriture jamais paresseuse, toujours sur le qui-vive. Puisant largement dans le patrimoine, aujourd’hui à disposition de tous, des musiques du monde, compositions et arrangements échappent néanmoins à l’échantillonnage habituel des genres. Si l’on croise ici des accents de salsa, si l’on croit reconnaître là les paysages de l’Éthiopie et si une rythmique reggae nous y a transposé, on est jamais dans le cliché, mais dans une science de la saveur transposée sur le terrain du son, du rythme, de la couleur orchestrale ou harmonique.

 

Artistic Athévains, Paris (75), le 19 décembre 2013.

Yvan Robilliard (p), Coco Felgeirolles, Michel Ouimet, Marc Schapira (comédiens), François Cabanat (décors et lumière), Dominique Bourde (costumes), Anne-Marie Lazarini (mise en scène, assistée de Bruno Andrieux) d’après Jean Echenoz.

 

Le lendemain, je suis retourné voir le Ravel de Jean Echenoz adapté pour la scène par Anne-Marie Lazarini et mis en musique par Andy Emler. J’en avais déjà rendu compte en mars dernier  et Ludovic Florin, de manière beaucoup plus éclairée, le 7 décembre dernier . À ceci près que c’est Yvan Robilliard qui tenait le piano (les deux pianistes jouent en alternance sur ce spectacle) et que désormais c’est un vrai bon piano qui est joué, j’ai aimé réentendre ce texte à la musicalité déliée, au rythme sûr et léger, au propos tendre et sans indulgence, dans cette mise en scène si juste, ces acteurs si accordés à leur sujet, cette musique dont je ne sais toujours pas départager les ingrédients : Ravel, Emler et, maintenant, Robilliard. Je vous laisse faire. Le spectacle est à l’affiche en continu jusqu’au 1er : appelez tout de même les Athévains pour réserver et pour vous assurer de l’horaire car, confronté à des horaires contradictoires (peut-être dû à une lecture trop rapide leur site), j’ai bien failli arriver avec une heure de retard.

 

Petit Journal Montparnasse, Paris (75), le 21 décembre 2013.

Scott Tixier (violon), Tony Tixier (piano), Joachim Govin (contrebasse), Gautier Garrigue (batterie)

 

Au Petit Journal Montparnasse, n’ayant pas consulté les horaires, je me suis pointé avec une heure d’avance, c’est-à-dire à 21h, découvrant sur place que le concert était à 21h30, ce qui signifie en clair 22h. Ayant pris la précaution d’emporter un peu de lecture, je me suis plongé dans la lecture de The Uncrowned King of Swing, Fletcher Henderson and Big Band Jazz de Jeffrey Magee dont on a, ces temps-ci beaucoup de mal à m’arracher. Et ce sans réaliser, et sans prendre la peine de m’enquérir du nom de l’intéressée, que ma lecture était be
rcée par une pianiste bar de bon aloi, dont j’avais aperçu le piano droit à l’entrée du club, qui, chaque fois qu’elle donnait de la voix, faillit bien avoir le dessus sur le vieux Fletcher et son biographe-analyste.

 

Mais voici enfin l’orchestre à l’affiche… je range prudemment mon livre et m’attaque à ma Pelforth, observant, pendant que les musiciens s’installent, ce Petit Journal dont j’ai connu les premières programmations jazz. Je revois encore André Damon, son propriétaire auvergnat qui n’a jamais rougi d’être considéré comme un marchand de bière et de faire fonctionner la caisse enregistreuse pendant les solos de contrebasse, foncer sur moi en rugissant : « c’est toi qui a conseillé à Alain [Guerrini, qui organisa des concerts hebdomadaires le lundi pour les élèves du Cim] cette musique de merde ?! Mais tu veux me faire perdre ma clientèle ! » Il s’agissait de l’orchestre de Julien Lourau avec Noël Akchoté et peut-être bien Bojan Zulfikarpasic, François Merville et je ne sais plus quel bassiste !

 

Depuis, le Petit-Journal n’a guère changé. À proximité de la gare Montparnasse et de ses grands hôtels, on y dîne et, accessoirement, on y écoute de la musique. Ce soir, par bonheur, pas de banquet d’anciens élèves de l’école de commerce Martin Dupois, pas de dîner de fin d’année de l’amicale des pharmaciens du Haut-Parmontois, mais beaucoup de couples qui, n’ayant rien à se dire, s’apprête à écouter docilement. Ça n’en reste pas moins bruyant.

 

La musique démarre sur les chapeaux de roue. Je suis venu pour elle, pour le pianiste Tony Tixier, plus exactement pour Scott son frère jumeau (« c’est Tony » prendra soin de prévenir, en m’abordant à l’entracte, le dit Tony qui partage son élocution et lui ressemble comme deux gouttes d’eau, à ceci près que ce soir, Tony, est coiffé d’une capuche de Père Noël). Résident à New York où il s’apprête à repartir, Scott est violoniste et peut s’enorgueillir de citations, flatteuses à son endroit, de Jean-Luc Ponty, Pat Metheny et quelques autres. C’est la complicité des deux frangins qui m’avait attiré à Paris un samedi, jour où je ne mets jamais les pieds dans la capitale ! Violoniste brillant, il s’impose dès l’ouverture par un discours brillamment articulé sur des phrases dont les contours m’évoquent une certaine continuité depuis Ponty. Si j’y résiste, c’est du fait d’un appui sur le découpage séquentiel harmonique du morceau qui fait pléonasme à mon oreille  et en alourdit le poids, ainsi qu’un défaut de respiration et de diversité, en dépit de la précision des idées. Après quoi, il s’égare pour sortir de ce jeu très uniforme par quelque chose de plus ouvert que j’ai tendance à identifier à ce que dans les années 20 on aurait appelé des “novelties”, des petits emprunts, des petits effets, des petites citations textuelles ou stylistiques, des amabilités, des curiosités, des bigarrures. Si la référence à Ponty se fait plus rare dans le reste du programme, celui-ci s’apparente à cette variété tous azimuts où j’ai le tort de ne pas me représenter quelle est la personnalité de Scott Tixier qu’il me tarde de découvrir tant son violon nous y invite.


On pourrait lui trouver des excuses d’un soir et s’interroger sur ce qui se peut bien se passer dans la tête d’un improvisateur face à un un parterre de dîneurs le regardant jouant comme s’ils dînaient devant la TV. Il n’est hélas pas le premier et, à New York, il a dû en voir d’autres. De Joachim Govin, je ne dirai rien, la son tel que je le perçois où je suis placé dans un relatif brouhaha ne rendant pas grâce à sa contrebasse, mais il semblait le partenaire idéal d’un Gautier Garrigue hyperactif, inventif et néanmoins d’une discrétion en parfait accord avec la répartie toujours inventive de Tony Tixier.


Franck Bergerot