Jazz live
Publié le 21 Déc 2014

Contrastes au Triton: l’Akasha Quartet d’Yves Rousseau et le trio Vaillant / Chevillon / Monniot

D’une salle à l’autre du Triton (Les Lilas), on pouvait assister, ce soir 20 décembre, à la création du nouveau programme de l’Akasha Quartet d’Yves Rousseau, une formation patinée par 15 ans d’existence, et à “l’anti-création” du trio Vaillant / Chevillon / Monniot né d’une accident et qui perpétue depuis l’accidentel dans un joyeux état d’urgence.

 

Ce contraste se doublant d’un autre pour qui était déjà là la veille : au bar du Triton, Régis Huby se réjouit de cette double situation d’avoir été hier à la tête d’un projet inédit dont chaque instant se présentait comme un pari partagé par quatre musiciens se découvrant mutuellement, et aujourd’hui au service d’un leader dont l’orchestre s’est soudé autour d’une complicité de quinze ans, soit :

 

Régis Huby (violons et électroniques), Jean-Marc Larcher (saxes soprano et alto), Yves Rousseau (contrebasse et compositions), Christophe Marguet (batterie).


Très reconnaissable, l’écriture d’Yves Rousseau, est très française, tant dans son écriture mélodique que dans ses développements orchestraux et formels, en ce qu’elle renvoie à un patrimoine que, faute de mieux, je réduirai à deux noms : Louis Sclavis et Henri Texier (Michel Portal peut-être derrière en embuscade), et qui pourrait aussi évoquer une espèce de Moyen-âge imaginaire, entre les raffinements de l’amour courtois et la bravoure de l’esprit chevaleresque (une association d’idée que les cheminements de l’inconscient ont peut-être tiré de mon lointain souvenir du Duguesclin de Louis Sclavis… je lève les mains du clavier pour réécouter ceci mais… c’est fou comme ce tube de Sclavis a mal vieilli… revenons vite à Akasha). Si est elle reconnaissable, c’est aussi qu’elle est portée par un groupe, par un son collectif irréductible à aucun autre, mais aussi par quatre individualités fortes, dont Yves Rousseau n’est pas la moindre, et ici je me réfère non plus à sa plume qu’à sa contrebasse qui prolonge l’héritage Jenny-Clark / Celea en y transposant ce qui motive sa plume, entre sens de l’intime et goût de l’épopée, et se manifeste dans la traversée des cinq Eléments que propose ce programme, de ce qu’ils ont de nourricier à ce qu’ils ont de menaçant, voir destructeur.

 

Réunis autour de ce son de contrebasse qui grossit du délicat goutte à goutte de la pédale pizzicato introductive aux grondements grandioses portant la furia de violon qui s’ensuit dans L’Eau, ses trois comparses jouent tout à la fois de la cohésion collective et de l’individualisation des voix que met en valeur tour à tour chaque mouvement de cette suite. On ne peut guère faire plus singulier que la netteté chirurgicale et flûtée de Jean-Marc Larcher jusque dans les moments d’exacerbation et d’apparent lâcher-prise. Christophe Marguet se porte garant de la dynamique de l’orchestre de l’infime au gigantesque, le souvenir du “brouillonnement” live de sa batterie me paraissant plus exaltant que le mix plus propre du disque (comme si l’on en avait nettoyé les “excès” de cymbales) que je réécoute en rédigeant ce compte rendu (de manière générale, je trouve que les emportements du “live” contribue à la grandeur de cette musique). Quant à Régis Huby, il est sinon le symphonique, du moins le quatuor, de cette orchestre qu’il habite de ses violons multiples se réfléchissant en nappes, boucles et polyphonies dans ses miroirs électroniques dont il jouent de la pointe du pied sur les pédales disposées autour de lui avec la même précision et la même musicalité que s’il disposait d’un clavier. Toute cette technologie sensible s’appuyant sur une intelligence de scénographe et une culture des cordes qui se manifeste évidemment plus particulièrement en solo, de celui furieux signalé plus haut au prélude a capella de La Terre.

 

Christophe Monniot (saxes sopranino et alto, piano, électronique), Bruno Chevillon (contrebasse), Franck Vaillant (batterie).

 

Sitôt la dernière note de l’Akasha Quartet éteinte, je franchis la porte de l’autre salle du Triton, où je suis accueilli par un gigantesque vacarme de piano dont Christophe Monniot martyrise de ses mains ou carrément du pavillon de son sopranino qu’il fait traîner à leur surface. Ce trio est né d’un accident survenu au trio Michel Portal / Bruno Chevillon / Daniel Humair. Ce dernier ayant été victime d’une fracture de l’humérus, Bruno Chevillon appelle Franck Vaillant pour le remplacer au Triton. Ce dernier se pointe ravi de cette occasion de jouer avec Michel Portal et tombe sur Christophe Monniot venu remplacer Michel Portal qui lui aussi a fait défection. Le trio est visiblement resté fidèle à cet esprit d’impromptu et de “première fois” qui a présidé à leur réunion.

 

Improvisation sans leader, ni voix soliste principale, avec toutefois un Monniot qui semble mener une course contre la montre, voire contre la mort, multipliant les instruments (quoi de plus logique lorsque l’on remplace Portal), les effets électroniques, les propositions thématiques où se présentent pêle-mêle Lonely Woman d’Ornette Coleman, la hiératique interjection de Wayne Shorter sur Scarlet Woman (“Mysterious Traveller” de Weather Report), une mélodie à laquelle je ne parviens pas à mettre de titre mais que j’associe tout à la fois au théâtre de Bertold Brecht et à l’âge d’or Saint-Germain-des-Près (La Complainte de Mackie ? me souffle ma défaillante mémoire…), Doxy de Sonny Rollins. Autant de traits mélodiques presque allusifs en guise de relance, d’élans, de stimuli à un geste improvisé qui délaisse de temps à autre l’instrument pour signaler dans un sémaphore bustkeatonien adressé à la cabine de régie un changement de micro ou d’effet électronique, pas toujours opérationnel, tandis Franck Vaillant glisse d’un groove à l’autre en jouant de l’équivalence et de la polyrythmie, que Bruno Chevillon multiplie les détournements électroniques et acoustiques sur son instrument qu’il transforme soudain en une gigantesque baleine échouée respirant à grand peine alors que s’élève du saxophone a cappela quelque chose que j’interprète comme une sorte de requiem in pace. Je profite d’un nouvel orage sonore pour quitter prématurément la salle. Voici près de trois heures que j’écoute de la musique sans discontinuer (après deux heures d’une conférence donnée dans l’après-midi : l’oreille est saturée, le gosier est sec et le petit Côtes du Rhône du bar du Triton se rappelle à mon bon souvenir) mais je me promets de réentendre nos trois trublions. Franck Bergerot

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D’une salle à l’autre du Triton (Les Lilas), on pouvait assister, ce soir 20 décembre, à la création du nouveau programme de l’Akasha Quartet d’Yves Rousseau, une formation patinée par 15 ans d’existence, et à “l’anti-création” du trio Vaillant / Chevillon / Monniot né d’une accident et qui perpétue depuis l’accidentel dans un joyeux état d’urgence.

 

Ce contraste se doublant d’un autre pour qui était déjà là la veille : au bar du Triton, Régis Huby se réjouit de cette double situation d’avoir été hier à la tête d’un projet inédit dont chaque instant se présentait comme un pari partagé par quatre musiciens se découvrant mutuellement, et aujourd’hui au service d’un leader dont l’orchestre s’est soudé autour d’une complicité de quinze ans, soit :

 

Régis Huby (violons et électroniques), Jean-Marc Larcher (saxes soprano et alto), Yves Rousseau (contrebasse et compositions), Christophe Marguet (batterie).


Très reconnaissable, l’écriture d’Yves Rousseau, est très française, tant dans son écriture mélodique que dans ses développements orchestraux et formels, en ce qu’elle renvoie à un patrimoine que, faute de mieux, je réduirai à deux noms : Louis Sclavis et Henri Texier (Michel Portal peut-être derrière en embuscade), et qui pourrait aussi évoquer une espèce de Moyen-âge imaginaire, entre les raffinements de l’amour courtois et la bravoure de l’esprit chevaleresque (une association d’idée que les cheminements de l’inconscient ont peut-être tiré de mon lointain souvenir du Duguesclin de Louis Sclavis… je lève les mains du clavier pour réécouter ceci mais… c’est fou comme ce tube de Sclavis a mal vieilli… revenons vite à Akasha). Si est elle reconnaissable, c’est aussi qu’elle est portée par un groupe, par un son collectif irréductible à aucun autre, mais aussi par quatre individualités fortes, dont Yves Rousseau n’est pas la moindre, et ici je me réfère non plus à sa plume qu’à sa contrebasse qui prolonge l’héritage Jenny-Clark / Celea en y transposant ce qui motive sa plume, entre sens de l’intime et goût de l’épopée, et se manifeste dans la traversée des cinq Eléments que propose ce programme, de ce qu’ils ont de nourricier à ce qu’ils ont de menaçant, voir destructeur.

 

Réunis autour de ce son de contrebasse qui grossit du délicat goutte à goutte de la pédale pizzicato introductive aux grondements grandioses portant la furia de violon qui s’ensuit dans L’Eau, ses trois comparses jouent tout à la fois de la cohésion collective et de l’individualisation des voix que met en valeur tour à tour chaque mouvement de cette suite. On ne peut guère faire plus singulier que la netteté chirurgicale et flûtée de Jean-Marc Larcher jusque dans les moments d’exacerbation et d’apparent lâcher-prise. Christophe Marguet se porte garant de la dynamique de l’orchestre de l’infime au gigantesque, le souvenir du “brouillonnement” live de sa batterie me paraissant plus exaltant que le mix plus propre du disque (comme si l’on en avait nettoyé les “excès” de cymbales) que je réécoute en rédigeant ce compte rendu (de manière générale, je trouve que les emportements du “live” contribue à la grandeur de cette musique). Quant à Régis Huby, il est sinon le symphonique, du moins le quatuor, de cette orchestre qu’il habite de ses violons multiples se réfléchissant en nappes, boucles et polyphonies dans ses miroirs électroniques dont il jouent de la pointe du pied sur les pédales disposées autour de lui avec la même précision et la même musicalité que s’il disposait d’un clavier. Toute cette technologie sensible s’appuyant sur une intelligence de scénographe et une culture des cordes qui se manifeste évidemment plus particulièrement en solo, de celui furieux signalé plus haut au prélude a capella de La Terre.

 

Christophe Monniot (saxes sopranino et alto, piano, électronique), Bruno Chevillon (contrebasse), Franck Vaillant (batterie).

 

Sitôt la dernière note de l’Akasha Quartet éteinte, je franchis la porte de l’autre salle du Triton, où je suis accueilli par un gigantesque vacarme de piano dont Christophe Monniot martyrise de ses mains ou carrément du pavillon de son sopranino qu’il fait traîner à leur surface. Ce trio est né d’un accident survenu au trio Michel Portal / Bruno Chevillon / Daniel Humair. Ce dernier ayant été victime d’une fracture de l’humérus, Bruno Chevillon appelle Franck Vaillant pour le remplacer au Triton. Ce dernier se pointe ravi de cette occasion de jouer avec Michel Portal et tombe sur Christophe Monniot venu remplacer Michel Portal qui lui aussi a fait défection. Le trio est visiblement resté fidèle à cet esprit d’impromptu et de “première fois” qui a présidé à leur réunion.

 

Improvisation sans leader, ni voix soliste principale, avec toutefois un Monniot qui semble mener une course contre la montre, voire contre la mort, multipliant les instruments (quoi de plus logique lorsque l’on remplace Portal), les effets électroniques, les propositions thématiques où se présentent pêle-mêle Lonely Woman d’Ornette Coleman, la hiératique interjection de Wayne Shorter sur Scarlet Woman (“Mysterious Traveller” de Weather Report), une mélodie à laquelle je ne parviens pas à mettre de titre mais que j’associe tout à la fois au théâtre de Bertold Brecht et à l’âge d’or Saint-Germain-des-Près (La Complainte de Mackie ? me souffle ma défaillante mémoire…), Doxy de Sonny Rollins. Autant de traits mélodiques presque allusifs en guise de relance, d’élans, de stimuli à un geste improvisé qui délaisse de temps à autre l’instrument pour signaler dans un sémaphore bustkeatonien adressé à la cabine de régie un changement de micro ou d’effet électronique, pas toujours opérationnel, tandis Franck Vaillant glisse d’un groove à l’autre en jouant de l’équivalence et de la polyrythmie, que Bruno Chevillon multiplie les détournements électroniques et acoustiques sur son instrument qu’il transforme soudain en une gigantesque baleine échouée respirant à grand peine alors que s’élève du saxophone a cappela quelque chose que j’interprète comme une sorte de requiem in pace. Je profite d’un nouvel orage sonore pour quitter prématurément la salle. Voici près de trois heures que j’écoute de la musique sans discontinuer (après deux heures d’une conférence donnée dans l’après-midi : l’oreille est saturée, le gosier est sec et le petit Côtes du Rhône du bar du Triton se rappelle à mon bon souvenir) mais je me promets de réentendre nos trois trublions. Franck Bergerot

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D’une salle à l’autre du Triton (Les Lilas), on pouvait assister, ce soir 20 décembre, à la création du nouveau programme de l’Akasha Quartet d’Yves Rousseau, une formation patinée par 15 ans d’existence, et à “l’anti-création” du trio Vaillant / Chevillon / Monniot né d’une accident et qui perpétue depuis l’accidentel dans un joyeux état d’urgence.

 

Ce contraste se doublant d’un autre pour qui était déjà là la veille : au bar du Triton, Régis Huby se réjouit de cette double situation d’avoir été hier à la tête d’un projet inédit dont chaque instant se présentait comme un pari partagé par quatre musiciens se découvrant mutuellement, et aujourd’hui au service d’un leader dont l’orchestre s’est soudé autour d’une complicité de quinze ans, soit :

 

Régis Huby (violons et électroniques), Jean-Marc Larcher (saxes soprano et alto), Yves Rousseau (contrebasse et compositions), Christophe Marguet (batterie).


Très reconnaissable, l’écriture d’Yves Rousseau, est très française, tant dans son écriture mélodique que dans ses développements orchestraux et formels, en ce qu’elle renvoie à un patrimoine que, faute de mieux, je réduirai à deux noms : Louis Sclavis et Henri Texier (Michel Portal peut-être derrière en embuscade), et qui pourrait aussi évoquer une espèce de Moyen-âge imaginaire, entre les raffinements de l’amour courtois et la bravoure de l’esprit chevaleresque (une association d’idée que les cheminements de l’inconscient ont peut-être tiré de mon lointain souvenir du Duguesclin de Louis Sclavis… je lève les mains du clavier pour réécouter ceci mais… c’est fou comme ce tube de Sclavis a mal vieilli… revenons vite à Akasha). Si est elle reconnaissable, c’est aussi qu’elle est portée par un groupe, par un son collectif irréductible à aucun autre, mais aussi par quatre individualités fortes, dont Yves Rousseau n’est pas la moindre, et ici je me réfère non plus à sa plume qu’à sa contrebasse qui prolonge l’héritage Jenny-Clark / Celea en y transposant ce qui motive sa plume, entre sens de l’intime et goût de l’épopée, et se manifeste dans la traversée des cinq Eléments que propose ce programme, de ce qu’ils ont de nourricier à ce qu’ils ont de menaçant, voir destructeur.

 

Réunis autour de ce son de contrebasse qui grossit du délicat goutte à goutte de la pédale pizzicato introductive aux grondements grandioses portant la furia de violon qui s’ensuit dans L’Eau, ses trois comparses jouent tout à la fois de la cohésion collective et de l’individualisation des voix que met en valeur tour à tour chaque mouvement de cette suite. On ne peut guère faire plus singulier que la netteté chirurgicale et flûtée de Jean-Marc Larcher jusque dans les moments d’exacerbation et d’apparent lâcher-prise. Christophe Marguet se porte garant de la dynamique de l’orchestre de l’infime au gigantesque, le souvenir du “brouillonnement” live de sa batterie me paraissant plus exaltant que le mix plus propre du disque (comme si l’on en avait nettoyé les “excès” de cymbales) que je réécoute en rédigeant ce compte rendu (de manière générale, je trouve que les emportements du “live” contribue à la grandeur de cette musique). Quant à Régis Huby, il est sinon le symphonique, du moins le quatuor, de cette orchestre qu’il habite de ses violons multiples se réfléchissant en nappes, boucles et polyphonies dans ses miroirs électroniques dont il jouent de la pointe du pied sur les pédales disposées autour de lui avec la même précision et la même musicalité que s’il disposait d’un clavier. Toute cette technologie sensible s’appuyant sur une intelligence de scénographe et une culture des cordes qui se manifeste évidemment plus particulièrement en solo, de celui furieux signalé plus haut au prélude a capella de La Terre.

 

Christophe Monniot (saxes sopranino et alto, piano, électronique), Bruno Chevillon (contrebasse), Franck Vaillant (batterie).

 

Sitôt la dernière note de l’Akasha Quartet éteinte, je franchis la porte de l’autre salle du Triton, où je suis accueilli par un gigantesque vacarme de piano dont Christophe Monniot martyrise de ses mains ou carrément du pavillon de son sopranino qu’il fait traîner à leur surface. Ce trio est né d’un accident survenu au trio Michel Portal / Bruno Chevillon / Daniel Humair. Ce dernier ayant été victime d’une fracture de l’humérus, Bruno Chevillon appelle Franck Vaillant pour le remplacer au Triton. Ce dernier se pointe ravi de cette occasion de jouer avec Michel Portal et tombe sur Christophe Monniot venu remplacer Michel Portal qui lui aussi a fait défection. Le trio est visiblement resté fidèle à cet esprit d’impromptu et de “première fois” qui a présidé à leur réunion.

 

Improvisation sans leader, ni voix soliste principale, avec toutefois un Monniot qui semble mener une course contre la montre, voire contre la mort, multipliant les instruments (quoi de plus logique lorsque l’on remplace Portal), les effets électroniques, les propositions thématiques où se présentent pêle-mêle Lonely Woman d’Ornette Coleman, la hiératique interjection de Wayne Shorter sur Scarlet Woman (“Mysterious Traveller” de Weather Report), une mélodie à laquelle je ne parviens pas à mettre de titre mais que j’associe tout à la fois au théâtre de Bertold Brecht et à l’âge d’or Saint-Germain-des-Près (La Complainte de Mackie ? me souffle ma défaillante mémoire…), Doxy de Sonny Rollins. Autant de traits mélodiques presque allusifs en guise de relance, d’élans, de stimuli à un geste improvisé qui délaisse de temps à autre l’instrument pour signaler dans un sémaphore bustkeatonien adressé à la cabine de régie un changement de micro ou d’effet électronique, pas toujours opérationnel, tandis Franck Vaillant glisse d’un groove à l’autre en jouant de l’équivalence et de la polyrythmie, que Bruno Chevillon multiplie les détournements électroniques et acoustiques sur son instrument qu’il transforme soudain en une gigantesque baleine échouée respirant à grand peine alors que s’élève du saxophone a cappela quelque chose que j’interprète comme une sorte de requiem in pace. Je profite d’un nouvel orage sonore pour quitter prématurément la salle. Voici près de trois heures que j’écoute de la musique sans discontinuer (après deux heures d’une conférence donnée dans l’après-midi : l’oreille est saturée, le gosier est sec et le petit Côtes du Rhône du bar du Triton se rappelle à mon bon souvenir) mais je me promets de réentendre nos trois trublions. Franck Bergerot

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D’une salle à l’autre du Triton (Les Lilas), on pouvait assister, ce soir 20 décembre, à la création du nouveau programme de l’Akasha Quartet d’Yves Rousseau, une formation patinée par 15 ans d’existence, et à “l’anti-création” du trio Vaillant / Chevillon / Monniot né d’une accident et qui perpétue depuis l’accidentel dans un joyeux état d’urgence.

 

Ce contraste se doublant d’un autre pour qui était déjà là la veille : au bar du Triton, Régis Huby se réjouit de cette double situation d’avoir été hier à la tête d’un projet inédit dont chaque instant se présentait comme un pari partagé par quatre musiciens se découvrant mutuellement, et aujourd’hui au service d’un leader dont l’orchestre s’est soudé autour d’une complicité de quinze ans, soit :

 

Régis Huby (violons et électroniques), Jean-Marc Larcher (saxes soprano et alto), Yves Rousseau (contrebasse et compositions), Christophe Marguet (batterie).


Très reconnaissable, l’écriture d’Yves Rousseau, est très française, tant dans son écriture mélodique que dans ses développements orchestraux et formels, en ce qu’elle renvoie à un patrimoine que, faute de mieux, je réduirai à deux noms : Louis Sclavis et Henri Texier (Michel Portal peut-être derrière en embuscade), et qui pourrait aussi évoquer une espèce de Moyen-âge imaginaire, entre les raffinements de l’amour courtois et la bravoure de l’esprit chevaleresque (une association d’idée que les cheminements de l’inconscient ont peut-être tiré de mon lointain souvenir du Duguesclin de Louis Sclavis… je lève les mains du clavier pour réécouter ceci mais… c’est fou comme ce tube de Sclavis a mal vieilli… revenons vite à Akasha). Si est elle reconnaissable, c’est aussi qu’elle est portée par un groupe, par un son collectif irréductible à aucun autre, mais aussi par quatre individualités fortes, dont Yves Rousseau n’est pas la moindre, et ici je me réfère non plus à sa plume qu’à sa contrebasse qui prolonge l’héritage Jenny-Clark / Celea en y transposant ce qui motive sa plume, entre sens de l’intime et goût de l’épopée, et se manifeste dans la traversée des cinq Eléments que propose ce programme, de ce qu’ils ont de nourricier à ce qu’ils ont de menaçant, voir destructeur.

 

Réunis autour de ce son de contrebasse qui grossit du délicat goutte à goutte de la pédale pizzicato introductive aux grondements grandioses portant la furia de violon qui s’ensuit dans L’Eau, ses trois comparses jouent tout à la fois de la cohésion collective et de l’individualisation des voix que met en valeur tour à tour chaque mouvement de cette suite. On ne peut guère faire plus singulier que la netteté chirurgicale et flûtée de Jean-Marc Larcher jusque dans les moments d’exacerbation et d’apparent lâcher-prise. Christophe Marguet se porte garant de la dynamique de l’orchestre de l’infime au gigantesque, le souvenir du “brouillonnement” live de sa batterie me paraissant plus exaltant que le mix plus propre du disque (comme si l’on en avait nettoyé les “excès” de cymbales) que je réécoute en rédigeant ce compte rendu (de manière générale, je trouve que les emportements du “live” contribue à la grandeur de cette musique). Quant à Régis Huby, il est sinon le symphonique, du moins le quatuor, de cette orchestre qu’il habite de ses violons multiples se réfléchissant en nappes, boucles et polyphonies dans ses miroirs électroniques dont il jouent de la pointe du pied sur les pédales disposées autour de lui avec la même précision et la même musicalité que s’il disposait d’un clavier. Toute cette technologie sensible s’appuyant sur une intelligence de scénographe et une culture des cordes qui se manifeste évidemment plus particulièrement en solo, de celui furieux signalé plus haut au prélude a capella de La Terre.

 

Christophe Monniot (saxes sopranino et alto, piano, électronique), Bruno Chevillon (contrebasse), Franck Vaillant (batterie).

 

Sitôt la dernière note de l’Akasha Quartet éteinte, je franchis la porte de l’autre salle du Triton, où je suis accueilli par un gigantesque vacarme de piano dont Christophe Monniot martyrise de ses mains ou carrément du pavillon de son sopranino qu’il fait traîner à leur surface. Ce trio est né d’un accident survenu au trio Michel Portal / Bruno Chevillon / Daniel Humair. Ce dernier ayant été victime d’une fracture de l’humérus, Bruno Chevillon appelle Franck Vaillant pour le remplacer au Triton. Ce dernier se pointe ravi de cette occasion de jouer avec Michel Portal et tombe sur Christophe Monniot venu remplacer Michel Portal qui lui aussi a fait défection. Le trio est visiblement resté fidèle à cet esprit d’impromptu et de “première fois” qui a présidé à leur réunion.

 

Improvisation sans leader, ni voix soliste principale, avec toutefois un Monniot qui semble mener une course contre la montre, voire contre la mort, multipliant les instruments (quoi de plus logique lorsque l’on remplace Portal), les effets électroniques, les propositions thématiques où se présentent pêle-mêle Lonely Woman d’Ornette Coleman, la hiératique interjection de Wayne Shorter sur Scarlet Woman (“Mysterious Traveller” de Weather Report), une mélodie à laquelle je ne parviens pas à mettre de titre mais que j’associe tout à la fois au théâtre de Bertold Brecht et à l’âge d’or Saint-Germain-des-Près (La Complainte de Mackie ? me souffle ma défaillante mémoire…), Doxy de Sonny Rollins. Autant de traits mélodiques presque allusifs en guise de relance, d’élans, de stimuli à un geste improvisé qui délaisse de temps à autre l’instrument pour signaler dans un sémaphore bustkeatonien adressé à la cabine de régie un changement de micro ou d’effet électronique, pas toujours opérationnel, tandis Franck Vaillant glisse d’un groove à l’autre en jouant de l’équivalence et de la polyrythmie, que Bruno Chevillon multiplie les détournements électroniques et acoustiques sur son instrument qu’il transforme soudain en une gigantesque baleine échouée respirant à grand peine alors que s’élève du saxophone a cappela quelque chose que j’interprète comme une sorte de requiem in pace. Je profite d’un nouvel orage sonore pour quitter prématurément la salle. Voici près de trois heures que j’écoute de la musique sans discontinuer (après deux heures d’une conférence donnée dans l’après-midi : l’oreille est saturée, le gosier est sec et le petit Côtes du Rhône du bar du Triton se rappelle à mon bon souvenir) mais je me promets de réentendre nos trois trublions. Franck Bergerot