Jazz live
Publié le 14 Juil 2018

Festival International de Jazz de Montréal : Vinicius Cantuária

Au pays des trappeurs, du « Déclin de l’Empire Américain » (et de sa séquelle actuellement en salles, « La Chute de l’Empire Américain »), d’Oliver Jones et Oscar Peterson, la ville francophone bordée par le Saint-Laurent abrite un festival de jazz d’une ampleur et d'une popularité peu communes, depuis presque quarante ans. Pour donner une idée du mastodonte, quelques chiffres : pendant une dizaine de jours se tiennent 500 concerts dans 13 salles auxquelles s’ajoutent 7 scènes extérieures, dans un quartier rendu aux piétons pour l’occasion, et où il est aisé de circuler, s’asseoir, boire un verre... 2000 employés sont mis à contribution. La manifestation créée par André Ménard est soutenue par le gouvernement du Canada, celui du Québec, l’office du Tourisme et la Mairie de la ville. Les nombreux spectacles de plein air sont gratuits et la diversité des musiques proposées est étourdissante. Fréquenté par des centaines de milliers de visiteurs, l’événement génère des retombées économiques aptes à combler le trou de la sécu. Le tout mené avec décontraction et professionnalisme. Bien accueillis, les artistes aiment à s’y produire, et y donnent le meilleur d’eux-mêmes. Le correspondant de Jazz Mag a couru de salle en salle, de ruelles en avenues et de clubs en théâtres aux dimensions de stade pour vous rapporter quelques aperçus de cette 39e édition.

C’est le Canada day, la fête nationale, trois jours avant celle d’un pays situé légèrement plus au Sud. Les commentaires anti-Trump de la part des artistes américains émailleront la semaine, entre humour et gravité.

L’Astral – série “Le Club”

Vinicius Cantuária

Vinicius Cantuária (g, voc), Helio Ferreira Alves (p), Paul Socolow (elb), Adriano Dos Santos (dm), William Dobrow (perc)

1er juillet

Quasi-désertes en ce dimanche à 40°, les rues du Quartier des Spectacles se rempliront vers le soir, de même que la salle de l’Astral, à l’acoustique idéale et ramenée par la climatisation à des températures polaires – gare au choc thermique. L’an passé s’y produisait déjà une formation brésilienne par son inspiration et une partie du personnel, celle de Kurt Rosenwinkel. Au tour de Vinicius Cantuária, orfèvre et héritier légitime des grands noms de la bossa et de la samba, qui se teintent chez lui de couleurs funky, rock ou reggae, sans perdre de vue le feeling et la douceur des originaux, qu’il s’agisse de classiques du genre (son dernier album est un hommage à Antonio Carlos Jobim) ou de titres de sa plume, d’enchanter les auditeurs. On ne sait ce qui nous plaît le plus, de sa voix caressante ou de son jeu de guitare, le plus souvent discret mais embarquant l’ensemble vers de délicieuses plages instrumentales, dont on voudrait qu’elles ne s’arrêtent jamais. Rythmes et mélodies connaissent ici une véritable idylle, et des suites d’accords de toute beauté procurent le grand frisson. Après des années 80 électro-pop puis des albums « sérieux » lui ayant conféré une plus grande visibilité à la fin des années 90 (et sur lesquels jouaient Joey Baron, Bill Frisell ou Laurie Anderson), le Brésilien a peu à peu remisé ses appétences modernistes pour revenir aux racines du genre, les invités de prestige finissant par disparaître de l’équation pour laisser place à des formules intimistes, plus proches de la source. Le visage caché derrière le micro, le guitariste et chanteur est initialement timide, mais sort peu à peu de sa réserve. La projection d’un sentiment de douceur de vivre restera au cœur du set. On repère une citation d’A love supreme au détour d’un solo. Pour l’essentiel, Cantuária et son groupe ne jouent que le strict nécessaire, écartant tout développement compliqué ou enjolivement superflu. Yo vivo isolado del mundo, So danco samba, How insensitive… Autant de titres vibrants d’émotion, incarnés par un songwriter charismatique et inspiré : difficile d’imaginer meilleure façon de débuter cette édition.

Austin B. Coe

Photo : Frédérique Ménard-Aubin