Jazz live
Publié le 12 Oct 2015

Festival Jazz et Garonne: la musique créative et ses exigences

Il s’accroche à la contrebasse et ne veut en rien la céder. Visage grave, concentré, le musicien du Simon Bolivar Big Band impeccable dans son costume sombre aux parements multicolores tient le manche fermement. Sylvain Romano qui voulait récupérer son instrument pour entamer le dernier morceau finit, sourire contraint, par céder à l’envie autoritaire du jeune bassiste vénézuélien. Au total le contrebassiste titulaire n’aura pas joué sur plus de trois morceaux du concert.

 Dans cette formule du quartet Boléro Jean Pierre Como se régale. Tel le no 10 d’une équipe offensive il joue autant qu’il fait jouer. S’en suivent d’intenses épisodes de soutien harmonique et rythmique sur les séquences d’un jazz imprégné d’un lyrisme « latin », coloré qu’il est de marques italo argentines. Le pianiste à la longue chevelure dessine aussi  de longs développements, mille notes jouées en mode de solo mieux disant avec airs et gestes de jubilation : « Au travers de cet orchestre j’ai voulu célébrer la rencontre du méditerranéen que je suis, comme mon complice bassiste Jean Marc Jaffet, avec des italo-argentins qui ont la même culture, les mêmes inspirations en matière de jazz » Javier Girotto, saxophoniste  très précis dans ces articulations, taille des phrases avec un parfait self control dans tout les registres, grave au baryton, très aigu au soprano. Et voilà que Minino Garay, l’autre argentin de l’équipe habituellement si volubile- il ne le fut vraiment qu’au moment d’entrer en scène, fustigeant de sa voix grave depuis les coulisses les longs discours introductifs très protocolaires des élus et officiels- le suit dans cette veine avec une sorte de retenue. Il faudra juste une chacarera (musique de danse du nord de l’Argentine) pour que le percussionniste batteur de Córdoba se lâche enfin sous les assauts d’une mélodie magique.

L’histoire du Simon Bolivar Big Band est une belle histoire. Ou le miracle de la musique comme contrefeu à des enfants en danger dans les rues de Caracas, l’une des villes les plus violentes du monde. Ce collectif de jeunes musiciens est issu de « El Sistema » un programme culturel gratuit mis en place par les autorités du pays pour venir en aide aux enfants en difficulté. Objectif: offrir aux gamins des rues une alternative à l’échec, la désespérance et la délinquance par une formation musicale ciblée et intensive. La rencontre de l’orchestre  avec le groupe de Samy Thiébault a eu lieu l’année passée à l’initiative de l’Alliance Française de la capitale vénézuélienne. Et toujours avec le même appui, un concert commun exceptionnel a pu se tenir dans le cadre de Jazz et Garonne. Vingt musiciens dont certains très jeunes (une pianiste de 12 ans, un batteur de 14 !) réunis sur scène aux côtés du quartet s’expriment en live sur des arrangements de thèmes du saxophoniste (CD A feast of friends, Gaya/Abeille Musique) Jonction des pratiques et expériences scéniques obligent, le rendu s’avère inégal, le niveau des solistes également même si certains (trompette, sax) affichent de belles promesses. Reste la qualité du collectif musical, la solidité de l’ensemble question swing et mise en place. L’esprit d’aventure et d’ouverture surtout préside à une telle expérience qui tient à coeur à Samy Thiébault comme au festival lot et garonnais. Avec en point d’orgue un morceau terminal sous la baguette du leader du Simon Bolivar Big Band, Andres Briceño, soit les vingt musiciens livrant les vraies couleurs jazz de leur propre répertoire, sonorité et feeling latino garantis. 

Daniel Zimmermann, outre son savoir faire de musicien, est un sacré entertainer. Ses présentations de morceaux passent par un art consommé de la dérision et de l’humour à froid, prenant même le risque de rallumer au passage la guerre des sexes, le pouvoir de l’homme sur la femme et vice versa…Question musique pure Bone Machine (CD Gaya/Abeille Musique) son quartet « réuni sur scène à Marmande pour la dernière fois avant de passer à autre chose’ » (sic), offre un produit jazz très tonique, nerveux. S’appuyant sur une rythmique ferme, carrée même ses entrées de thème comme les digressions solos taillent dans le vif y compris à l’occasion d’une ballade. Avec en contrepoint une guitare oeuvrant dans le lien harmonique, le tromboniste varie les teintes musicales du dur jusqu’au soft: glissando, groove, effets de percussion. Son plus instrumental, sa différence Zimmermann la cultive au besoin surtout  dans un mode de trombone tranchant. Chirurgical.

Lobi, projet né de la volonté du batteur belge Stéphane Galland (ex Aka Moon) combine des musiciens venus de terres différentes et d’horizons musicaux divers. Catalogne, Bulgarie, Brésil, Turquie: les sonorités se mélangent au long de brassages mélodiques dans des structures multiformes. Au fur et à mesure des morceaux on a l’impression d’emprunter de nouveaux chemins sinon des lignes de parcours innovantes. Chacun dans sa pratique instrumentale (témoin la basse électrique de Carles Benavent plus frottée que slappée ou la flute tout aussi chantée que soufflée sous les lèvres de Magic Malik) apporte une touche personnelle, une sorte de travail à façon in fine plus musique du (des) monde(s) que typiquement répertoriée jazz. L’appréhension d’un travail polymorphe passe surtout par un effet de séduction. L’étonnement vient de la la diversité. L’oreille peut évidemment s’y égarer parfois faute de code de reconnaissance immédiate. Lobi requiert un certain niveau d’écoute, de concentration. Le jeu -au sens littéral du terme- l’action démonstrative singulière des musiciens aussi ( Malcolm Braff, Petar Ralchef) sur leurs instruments respectifs (clavier et ventre du piano, accordéon, darbouka) représentent déjà une bonne accroche. Certaines musiques gagnent à être de ses yeux, vues. Pour un effet garanti sans fracture.

En guise d’introduction à la cinquième édition du festival sis à Marmande Eric Seva, outre sa participation scénique sax en main à l’invitation de nombreux musiciens « amis et collègues » a tenu à préciser un point d’ancrage du festival en tant que Directeur Artistique de la manifestation : « Nous souhaitons proposer une programmation artistique créative, innovante, en recherche d’excellence. Cette année nous avons parié sur des musiques célébrant la liberté, l’émotion, l’expression à base de métissage, d’alliages d’influences culturelles insolites» Quelles que soient les difficultés rencontrées comme tout jeune festival, dans le contexte particulier d’un paysage politique régional en recomposition, son pari  demeure de maintenir le cap de l’exigence en matière de contenu artistique. Sans recourir à l’artifice de trop grands noms mis à l’affiche ? Une sacrée performance.

 

 

Robert Latxague

 

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Il s’accroche à la contrebasse et ne veut en rien la céder. Visage grave, concentré, le musicien du Simon Bolivar Big Band impeccable dans son costume sombre aux parements multicolores tient le manche fermement. Sylvain Romano qui voulait récupérer son instrument pour entamer le dernier morceau finit, sourire contraint, par céder à l’envie autoritaire du jeune bassiste vénézuélien. Au total le contrebassiste titulaire n’aura pas joué sur plus de trois morceaux du concert.

 Dans cette formule du quartet Boléro Jean Pierre Como se régale. Tel le no 10 d’une équipe offensive il joue autant qu’il fait jouer. S’en suivent d’intenses épisodes de soutien harmonique et rythmique sur les séquences d’un jazz imprégné d’un lyrisme « latin », coloré qu’il est de marques italo argentines. Le pianiste à la longue chevelure dessine aussi  de longs développements, mille notes jouées en mode de solo mieux disant avec airs et gestes de jubilation : « Au travers de cet orchestre j’ai voulu célébrer la rencontre du méditerranéen que je suis, comme mon complice bassiste Jean Marc Jaffet, avec des italo-argentins qui ont la même culture, les mêmes inspirations en matière de jazz » Javier Girotto, saxophoniste  très précis dans ces articulations, taille des phrases avec un parfait self control dans tout les registres, grave au baryton, très aigu au soprano. Et voilà que Minino Garay, l’autre argentin de l’équipe habituellement si volubile- il ne le fut vraiment qu’au moment d’entrer en scène, fustigeant de sa voix grave depuis les coulisses les longs discours introductifs très protocolaires des élus et officiels- le suit dans cette veine avec une sorte de retenue. Il faudra juste une chacarera (musique de danse du nord de l’Argentine) pour que le percussionniste batteur de Córdoba se lâche enfin sous les assauts d’une mélodie magique.

L’histoire du Simon Bolivar Big Band est une belle histoire. Ou le miracle de la musique comme contrefeu à des enfants en danger dans les rues de Caracas, l’une des villes les plus violentes du monde. Ce collectif de jeunes musiciens est issu de « El Sistema » un programme culturel gratuit mis en place par les autorités du pays pour venir en aide aux enfants en difficulté. Objectif: offrir aux gamins des rues une alternative à l’échec, la désespérance et la délinquance par une formation musicale ciblée et intensive. La rencontre de l’orchestre  avec le groupe de Samy Thiébault a eu lieu l’année passée à l’initiative de l’Alliance Française de la capitale vénézuélienne. Et toujours avec le même appui, un concert commun exceptionnel a pu se tenir dans le cadre de Jazz et Garonne. Vingt musiciens dont certains très jeunes (une pianiste de 12 ans, un batteur de 14 !) réunis sur scène aux côtés du quartet s’expriment en live sur des arrangements de thèmes du saxophoniste (CD A feast of friends, Gaya/Abeille Musique) Jonction des pratiques et expériences scéniques obligent, le rendu s’avère inégal, le niveau des solistes également même si certains (trompette, sax) affichent de belles promesses. Reste la qualité du collectif musical, la solidité de l’ensemble question swing et mise en place. L’esprit d’aventure et d’ouverture surtout préside à une telle expérience qui tient à coeur à Samy Thiébault comme au festival lot et garonnais. Avec en point d’orgue un morceau terminal sous la baguette du leader du Simon Bolivar Big Band, Andres Briceño, soit les vingt musiciens livrant les vraies couleurs jazz de leur propre répertoire, sonorité et feeling latino garantis. 

Daniel Zimmermann, outre son savoir faire de musicien, est un sacré entertainer. Ses présentations de morceaux passent par un art consommé de la dérision et de l’humour à froid, prenant même le risque de rallumer au passage la guerre des sexes, le pouvoir de l’homme sur la femme et vice versa…Question musique pure Bone Machine (CD Gaya/Abeille Musique) son quartet « réuni sur scène à Marmande pour la dernière fois avant de passer à autre chose’ » (sic), offre un produit jazz très tonique, nerveux. S’appuyant sur une rythmique ferme, carrée même ses entrées de thème comme les digressions solos taillent dans le vif y compris à l’occasion d’une ballade. Avec en contrepoint une guitare oeuvrant dans le lien harmonique, le tromboniste varie les teintes musicales du dur jusqu’au soft: glissando, groove, effets de percussion. Son plus instrumental, sa différence Zimmermann la cultive au besoin surtout  dans un mode de trombone tranchant. Chirurgical.

Lobi, projet né de la volonté du batteur belge Stéphane Galland (ex Aka Moon) combine des musiciens venus de terres différentes et d’horizons musicaux divers. Catalogne, Bulgarie, Brésil, Turquie: les sonorités se mélangent au long de brassages mélodiques dans des structures multiformes. Au fur et à mesure des morceaux on a l’impression d’emprunter de nouveaux chemins sinon des lignes de parcours innovantes. Chacun dans sa pratique instrumentale (témoin la basse électrique de Carles Benavent plus frottée que slappée ou la flute tout aussi chantée que soufflée sous les lèvres de Magic Malik) apporte une touche personnelle, une sorte de travail à façon in fine plus musique du (des) monde(s) que typiquement répertoriée jazz. L’appréhension d’un travail polymorphe passe surtout par un effet de séduction. L’étonnement vient de la la diversité. L’oreille peut évidemment s’y égarer parfois faute de code de reconnaissance immédiate. Lobi requiert un certain niveau d’écoute, de concentration. Le jeu -au sens littéral du terme- l’action démonstrative singulière des musiciens aussi ( Malcolm Braff, Petar Ralchef) sur leurs instruments respectifs (clavier et ventre du piano, accordéon, darbouka) représentent déjà une bonne accroche. Certaines musiques gagnent à être de ses yeux, vues. Pour un effet garanti sans fracture.

En guise d’introduction à la cinquième édition du festival sis à Marmande Eric Seva, outre sa participation scénique sax en main à l’invitation de nombreux musiciens « amis et collègues » a tenu à préciser un point d’ancrage du festival en tant que Directeur Artistique de la manifestation : « Nous souhaitons proposer une programmation artistique créative, innovante, en recherche d’excellence. Cette année nous avons parié sur des musiques célébrant la liberté, l’émotion, l’expression à base de métissage, d’alliages d’influences culturelles insolites» Quelles que soient les difficultés rencontrées comme tout jeune festival, dans le contexte particulier d’un paysage politique régional en recomposition, son pari  demeure de maintenir le cap de l’exigence en matière de contenu artistique. Sans recourir à l’artifice de trop grands noms mis à l’affiche ? Une sacrée performance.

 

 

Robert Latxague

 

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Il s’accroche à la contrebasse et ne veut en rien la céder. Visage grave, concentré, le musicien du Simon Bolivar Big Band impeccable dans son costume sombre aux parements multicolores tient le manche fermement. Sylvain Romano qui voulait récupérer son instrument pour entamer le dernier morceau finit, sourire contraint, par céder à l’envie autoritaire du jeune bassiste vénézuélien. Au total le contrebassiste titulaire n’aura pas joué sur plus de trois morceaux du concert.

 Dans cette formule du quartet Boléro Jean Pierre Como se régale. Tel le no 10 d’une équipe offensive il joue autant qu’il fait jouer. S’en suivent d’intenses épisodes de soutien harmonique et rythmique sur les séquences d’un jazz imprégné d’un lyrisme « latin », coloré qu’il est de marques italo argentines. Le pianiste à la longue chevelure dessine aussi  de longs développements, mille notes jouées en mode de solo mieux disant avec airs et gestes de jubilation : « Au travers de cet orchestre j’ai voulu célébrer la rencontre du méditerranéen que je suis, comme mon complice bassiste Jean Marc Jaffet, avec des italo-argentins qui ont la même culture, les mêmes inspirations en matière de jazz » Javier Girotto, saxophoniste  très précis dans ces articulations, taille des phrases avec un parfait self control dans tout les registres, grave au baryton, très aigu au soprano. Et voilà que Minino Garay, l’autre argentin de l’équipe habituellement si volubile- il ne le fut vraiment qu’au moment d’entrer en scène, fustigeant de sa voix grave depuis les coulisses les longs discours introductifs très protocolaires des élus et officiels- le suit dans cette veine avec une sorte de retenue. Il faudra juste une chacarera (musique de danse du nord de l’Argentine) pour que le percussionniste batteur de Córdoba se lâche enfin sous les assauts d’une mélodie magique.

L’histoire du Simon Bolivar Big Band est une belle histoire. Ou le miracle de la musique comme contrefeu à des enfants en danger dans les rues de Caracas, l’une des villes les plus violentes du monde. Ce collectif de jeunes musiciens est issu de « El Sistema » un programme culturel gratuit mis en place par les autorités du pays pour venir en aide aux enfants en difficulté. Objectif: offrir aux gamins des rues une alternative à l’échec, la désespérance et la délinquance par une formation musicale ciblée et intensive. La rencontre de l’orchestre  avec le groupe de Samy Thiébault a eu lieu l’année passée à l’initiative de l’Alliance Française de la capitale vénézuélienne. Et toujours avec le même appui, un concert commun exceptionnel a pu se tenir dans le cadre de Jazz et Garonne. Vingt musiciens dont certains très jeunes (une pianiste de 12 ans, un batteur de 14 !) réunis sur scène aux côtés du quartet s’expriment en live sur des arrangements de thèmes du saxophoniste (CD A feast of friends, Gaya/Abeille Musique) Jonction des pratiques et expériences scéniques obligent, le rendu s’avère inégal, le niveau des solistes également même si certains (trompette, sax) affichent de belles promesses. Reste la qualité du collectif musical, la solidité de l’ensemble question swing et mise en place. L’esprit d’aventure et d’ouverture surtout préside à une telle expérience qui tient à coeur à Samy Thiébault comme au festival lot et garonnais. Avec en point d’orgue un morceau terminal sous la baguette du leader du Simon Bolivar Big Band, Andres Briceño, soit les vingt musiciens livrant les vraies couleurs jazz de leur propre répertoire, sonorité et feeling latino garantis. 

Daniel Zimmermann, outre son savoir faire de musicien, est un sacré entertainer. Ses présentations de morceaux passent par un art consommé de la dérision et de l’humour à froid, prenant même le risque de rallumer au passage la guerre des sexes, le pouvoir de l’homme sur la femme et vice versa…Question musique pure Bone Machine (CD Gaya/Abeille Musique) son quartet « réuni sur scène à Marmande pour la dernière fois avant de passer à autre chose’ » (sic), offre un produit jazz très tonique, nerveux. S’appuyant sur une rythmique ferme, carrée même ses entrées de thème comme les digressions solos taillent dans le vif y compris à l’occasion d’une ballade. Avec en contrepoint une guitare oeuvrant dans le lien harmonique, le tromboniste varie les teintes musicales du dur jusqu’au soft: glissando, groove, effets de percussion. Son plus instrumental, sa différence Zimmermann la cultive au besoin surtout  dans un mode de trombone tranchant. Chirurgical.

Lobi, projet né de la volonté du batteur belge Stéphane Galland (ex Aka Moon) combine des musiciens venus de terres différentes et d’horizons musicaux divers. Catalogne, Bulgarie, Brésil, Turquie: les sonorités se mélangent au long de brassages mélodiques dans des structures multiformes. Au fur et à mesure des morceaux on a l’impression d’emprunter de nouveaux chemins sinon des lignes de parcours innovantes. Chacun dans sa pratique instrumentale (témoin la basse électrique de Carles Benavent plus frottée que slappée ou la flute tout aussi chantée que soufflée sous les lèvres de Magic Malik) apporte une touche personnelle, une sorte de travail à façon in fine plus musique du (des) monde(s) que typiquement répertoriée jazz. L’appréhension d’un travail polymorphe passe surtout par un effet de séduction. L’étonnement vient de la la diversité. L’oreille peut évidemment s’y égarer parfois faute de code de reconnaissance immédiate. Lobi requiert un certain niveau d’écoute, de concentration. Le jeu -au sens littéral du terme- l’action démonstrative singulière des musiciens aussi ( Malcolm Braff, Petar Ralchef) sur leurs instruments respectifs (clavier et ventre du piano, accordéon, darbouka) représentent déjà une bonne accroche. Certaines musiques gagnent à être de ses yeux, vues. Pour un effet garanti sans fracture.

En guise d’introduction à la cinquième édition du festival sis à Marmande Eric Seva, outre sa participation scénique sax en main à l’invitation de nombreux musiciens « amis et collègues » a tenu à préciser un point d’ancrage du festival en tant que Directeur Artistique de la manifestation : « Nous souhaitons proposer une programmation artistique créative, innovante, en recherche d’excellence. Cette année nous avons parié sur des musiques célébrant la liberté, l’émotion, l’expression à base de métissage, d’alliages d’influences culturelles insolites» Quelles que soient les difficultés rencontrées comme tout jeune festival, dans le contexte particulier d’un paysage politique régional en recomposition, son pari  demeure de maintenir le cap de l’exigence en matière de contenu artistique. Sans recourir à l’artifice de trop grands noms mis à l’affiche ? Une sacrée performance.

 

 

Robert Latxague

 

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Il s’accroche à la contrebasse et ne veut en rien la céder. Visage grave, concentré, le musicien du Simon Bolivar Big Band impeccable dans son costume sombre aux parements multicolores tient le manche fermement. Sylvain Romano qui voulait récupérer son instrument pour entamer le dernier morceau finit, sourire contraint, par céder à l’envie autoritaire du jeune bassiste vénézuélien. Au total le contrebassiste titulaire n’aura pas joué sur plus de trois morceaux du concert.

 Dans cette formule du quartet Boléro Jean Pierre Como se régale. Tel le no 10 d’une équipe offensive il joue autant qu’il fait jouer. S’en suivent d’intenses épisodes de soutien harmonique et rythmique sur les séquences d’un jazz imprégné d’un lyrisme « latin », coloré qu’il est de marques italo argentines. Le pianiste à la longue chevelure dessine aussi  de longs développements, mille notes jouées en mode de solo mieux disant avec airs et gestes de jubilation : « Au travers de cet orchestre j’ai voulu célébrer la rencontre du méditerranéen que je suis, comme mon complice bassiste Jean Marc Jaffet, avec des italo-argentins qui ont la même culture, les mêmes inspirations en matière de jazz » Javier Girotto, saxophoniste  très précis dans ces articulations, taille des phrases avec un parfait self control dans tout les registres, grave au baryton, très aigu au soprano. Et voilà que Minino Garay, l’autre argentin de l’équipe habituellement si volubile- il ne le fut vraiment qu’au moment d’entrer en scène, fustigeant de sa voix grave depuis les coulisses les longs discours introductifs très protocolaires des élus et officiels- le suit dans cette veine avec une sorte de retenue. Il faudra juste une chacarera (musique de danse du nord de l’Argentine) pour que le percussionniste batteur de Córdoba se lâche enfin sous les assauts d’une mélodie magique.

L’histoire du Simon Bolivar Big Band est une belle histoire. Ou le miracle de la musique comme contrefeu à des enfants en danger dans les rues de Caracas, l’une des villes les plus violentes du monde. Ce collectif de jeunes musiciens est issu de « El Sistema » un programme culturel gratuit mis en place par les autorités du pays pour venir en aide aux enfants en difficulté. Objectif: offrir aux gamins des rues une alternative à l’échec, la désespérance et la délinquance par une formation musicale ciblée et intensive. La rencontre de l’orchestre  avec le groupe de Samy Thiébault a eu lieu l’année passée à l’initiative de l’Alliance Française de la capitale vénézuélienne. Et toujours avec le même appui, un concert commun exceptionnel a pu se tenir dans le cadre de Jazz et Garonne. Vingt musiciens dont certains très jeunes (une pianiste de 12 ans, un batteur de 14 !) réunis sur scène aux côtés du quartet s’expriment en live sur des arrangements de thèmes du saxophoniste (CD A feast of friends, Gaya/Abeille Musique) Jonction des pratiques et expériences scéniques obligent, le rendu s’avère inégal, le niveau des solistes également même si certains (trompette, sax) affichent de belles promesses. Reste la qualité du collectif musical, la solidité de l’ensemble question swing et mise en place. L’esprit d’aventure et d’ouverture surtout préside à une telle expérience qui tient à coeur à Samy Thiébault comme au festival lot et garonnais. Avec en point d’orgue un morceau terminal sous la baguette du leader du Simon Bolivar Big Band, Andres Briceño, soit les vingt musiciens livrant les vraies couleurs jazz de leur propre répertoire, sonorité et feeling latino garantis. 

Daniel Zimmermann, outre son savoir faire de musicien, est un sacré entertainer. Ses présentations de morceaux passent par un art consommé de la dérision et de l’humour à froid, prenant même le risque de rallumer au passage la guerre des sexes, le pouvoir de l’homme sur la femme et vice versa…Question musique pure Bone Machine (CD Gaya/Abeille Musique) son quartet « réuni sur scène à Marmande pour la dernière fois avant de passer à autre chose’ » (sic), offre un produit jazz très tonique, nerveux. S’appuyant sur une rythmique ferme, carrée même ses entrées de thème comme les digressions solos taillent dans le vif y compris à l’occasion d’une ballade. Avec en contrepoint une guitare oeuvrant dans le lien harmonique, le tromboniste varie les teintes musicales du dur jusqu’au soft: glissando, groove, effets de percussion. Son plus instrumental, sa différence Zimmermann la cultive au besoin surtout  dans un mode de trombone tranchant. Chirurgical.

Lobi, projet né de la volonté du batteur belge Stéphane Galland (ex Aka Moon) combine des musiciens venus de terres différentes et d’horizons musicaux divers. Catalogne, Bulgarie, Brésil, Turquie: les sonorités se mélangent au long de brassages mélodiques dans des structures multiformes. Au fur et à mesure des morceaux on a l’impression d’emprunter de nouveaux chemins sinon des lignes de parcours innovantes. Chacun dans sa pratique instrumentale (témoin la basse électrique de Carles Benavent plus frottée que slappée ou la flute tout aussi chantée que soufflée sous les lèvres de Magic Malik) apporte une touche personnelle, une sorte de travail à façon in fine plus musique du (des) monde(s) que typiquement répertoriée jazz. L’appréhension d’un travail polymorphe passe surtout par un effet de séduction. L’étonnement vient de la la diversité. L’oreille peut évidemment s’y égarer parfois faute de code de reconnaissance immédiate. Lobi requiert un certain niveau d’écoute, de concentration. Le jeu -au sens littéral du terme- l’action démonstrative singulière des musiciens aussi ( Malcolm Braff, Petar Ralchef) sur leurs instruments respectifs (clavier et ventre du piano, accordéon, darbouka) représentent déjà une bonne accroche. Certaines musiques gagnent à être de ses yeux, vues. Pour un effet garanti sans fracture.

En guise d’introduction à la cinquième édition du festival sis à Marmande Eric Seva, outre sa participation scénique sax en main à l’invitation de nombreux musiciens « amis et collègues » a tenu à préciser un point d’ancrage du festival en tant que Directeur Artistique de la manifestation : « Nous souhaitons proposer une programmation artistique créative, innovante, en recherche d’excellence. Cette année nous avons parié sur des musiques célébrant la liberté, l’émotion, l’expression à base de métissage, d’alliages d’influences culturelles insolites» Quelles que soient les difficultés rencontrées comme tout jeune festival, dans le contexte particulier d’un paysage politique régional en recomposition, son pari  demeure de maintenir le cap de l’exigence en matière de contenu artistique. Sans recourir à l’artifice de trop grands noms mis à l’affiche ? Une sacrée performance.

 

 

Robert Latxague