Jazz live
Publié le 30 Nov 2018

Guimarães Jazz 2018 : Dave Douglas Uplift

Pendant une dizaine de jours, Guimarães Jazz propose une affiche attrayante, comptant plusieurs projets inédits, une mise en valeur des artistes du cru, et des jam sessions locales et internationales. Jazz Magazine y a fait une courte escale.

Dave Douglas Uplift

Centro Cultural Vila Flor

Guimarães, 15 novembre 2018

Dave Douglas (tp), Jon Irabagon (ts, bcl), Mary Halvorson (elg), Rafiq Bhatia (elg), Bill Laswell (elb), Ches Smith (dm).

La ville est l’un des centres historiques du pays. Musées, châteaux et églises forment un riche patrimoine, et les expositions y occupent une bonne place, le Centre International des Arts José de Guimarães abritant par exemple une impressionnante collection de masques africains. Les manifestations culturelles se succèdent au fil des saisons. En novembre, Guimarães est une destination affectionnée des jazzfans venus des quatre coins du Portugal ou de l’Espagne voisine. Cette année, le festival animé par Ivo Martins, auteur d’un très beau texte dans l’édition papier du programme, accueillait Aziza de Dave Holland, le Millenial Orchestra de Steven Bernstein, le saxophoniste Greg Osby, le trompettiste Avishai Cohen, le Mingus big band et un super-groupe de Dave Douglas.

Uplift, c’est le projet de Dave Douglas pour sauver la planète. Au départ, un enregistrement en studio avec Joe Lovano, Julian Lage et Ian Chang en lieu et place d’Irabagon (déjà du groupe Brazen Heart avec Douglas), Bhatia et Smith. Des morceaux disponibles en exclusivité sur la plateforme de Greenleaf, label du trompettiste, au compte-gouttes au fil des mois. Douglas a apporté dans ses valises un CD de l’enregistrement, tout juste sorti de la manufacture, dont il vend et signe des exemplaires à la sortie de la salle. La thématique abordée est celle, déjà en exergue sur les albums « High Risk » et « Dark Territory » (2015 et 2016), de l’urgence écologique et sociale, des périls connus et inconnus qui attendent l’humanité, le tout en forme d’invitation à la prise de conscience, à l’innovation individuelle et collective. D’où des titres tels que The power of the vote, Lift all boats, Truly the sun, A tree planted by the rivers of water, Trail of dreams, Sharing a small planet, The garden, Shine like the dawn… A une paire d’exceptions près, un répertoire aux tonalités sombres, des pièces relevant de la rêverie plutôt que du clairon de cavalerie apte à galvaniser les troupes. Outre que l’on découvre ces compositions, l’autre aspect inédit tient à la nouveauté du groupe, dont les membres se sont fréquentés séparément mais n’avaient jamais joué tous ensemble jusqu’à ce soir. Après une apparition commune dans un groupe éphémère initié par John Zorn (« The Stone issue 1 », Tzadik, 2006), Douglas et Laswell ont formé le quartette « Blue Buddah » (un album studio sur le même label, suivi de concerts à New York), ainsi qu’un trio avec le batteur Hideo Yamaki paru en catimini au Japon.

Deux guitares en fusion, deux soufflants épastrouillants et une rythmique superlative, pour un jazz-rock souple, efflorescent, ouvert à toutes les influences, à la façon d’un Miles Davis du milieu des années 70, sans qu’il s’agisse d’imitation. Sax et trompette déroulent des unissons annonçant de brefs solos. Si le public jazz-jazz fait la moue, les autres se régalent, intrigués et finalement impliqués par une musique ne manquant pourtant pas d’astringence, lorsque Jon Irabagon y va de phrases anguleuses ou lorsque Halvorson projette des épines sonores à la ronde – ses curieux gratouillis s’incrustent dans les tympans avec une étonnante sensation de proximité. Ses attaques toniques, associées à des effets non moins tranchés, font merveille, l’autre guitariste privilégiant pour sa part une approche plus atmosphérique quoique non moins chargée d’électricité. Fait rare, Laswell est ici sideman, et n’intervient pas sur toutes les pistes. A d’autres moments, ses roulements souverains sont au cœur du dispositif, mais il veille à ne pas aspirer les débats dans son propre vortex. Possible que le trompettiste ait fait appel à lui précisément en raison de son imperméabilité aux codes du jazz, afin de créer une tension créative avec des solistes pur jus comme Irabagon. La connexion Halvorson/Laswell fonctionne grâce à leur goût partagé pour les sonorités de l’extrême, et sur les pièces les plus musclées, le bassiste forme avec Ches Smith un tandem inédit et redoutable. Douglas est attentif à chacun, circule, donne des indications, opine aux interventions de ses associés et les encourage à entretenir certaines tournures. Son jeu, entre espièglerie et tendresse, se révèle moins fourni qu’en d’autres occasions, le trompettiste endossant ici le rôle de catalyseur, parfois spectateur de son propre groupe : priorité au collectif.

Tout n’est pas parfait, le groupe cherche parfois ses marques mais l’attention du public ne faiblit pas. A des titres accessibles par leur simplicité formelle succèdent des errances aux contours moins repérables. Une mélodie douce-amère est énoncée par les deux guitares, rejointes par Irabagon à la clarinette (encore une nouveauté). En invité-surprise le temps d’un morceau, le saxophoniste alto Greg Ward. Par coïncidence, cet artiste de l’écurie Greenleaf se produit toute la semaine dans le groupe du bassiste Matt Ulery pour un concert et des jam sessions au bar du Centro Vila Flor (photo ci-dessous, Ward à droite).

Uplift a poursuivi sa route avec des concerts à Londres, Bielsko-Biala, Saint-Sébastien et Gand.

Orquestra Guimarães com Léa Freire Quarteto « Cartas Brasilheiras »

La veille, on a découvert la flûtiste Léa Freire, invitée avec son quartette de l’orchestre symphonique de la ville, dirigé par Felipe Senna, pour une suite de sambas pastorales et de compositions et improvisations basées sur des rythmes traditionnels du Brésil. L’entité piano/basse/batterie/flûte est mariée aux violons, violoncelles, hautbois, cors, saxophones, vibraphones de l’ensemble. La flûte réjouie de la musicienne de São Paulo se situe à la croisée de la musique classique, du jazz et de la chanson, tissant avec beaucoup de naturel et sans coutures apparentes des liens entre ces domaines. Avec pour fil conducteur un sentiment de plénitude sans nuage, semblant émaner de l’artiste elle-même et se communiquer à l’orchestre comme à l’assistance. Dans ses meilleurs moments, la musique évoque la luxuriance agreste d’un Hermeto Pascoal.

David Cristol

Photos © Paulo Pacheco, Guimarães Jazz 2018