Jazz live
Publié le 29 Juin 2018

Jazz Ascona. De Marina & The Kats à Paolo Jannacci

A Ascona, chaque jour réserve son lot de découvertes. L’accent semble mis, cette année, sur les trios et les petits ensembles, et sans doute des considérations économiques ne sont-elles pas tout à fait étrangères à ces choix. On ne s’en plaindra pas : mieux vaut un combo allègre qu’un triste big band. Ce sera l’adage du jour.

Mercredi 27 juin. Parmi les trios, difficile de ne pas placer dans le peloton de tête Marina & The Kats. Littéralement inclassable, cet ensemble viennois composé de Marina Ezttl (voc, perc), Thomas Mauerhofer (g, voc) et Peter Schoenbawer (g, perc) me fait penser, je ne sais pourquoi, à « Jules et Jim ».  Mercredi 27 juin. En matière de trio, on placera sans hésitation dans le peloton Non que Marina Ezttl rappelle, par quelque détail, Jeanne Moreau. Peut-être, tout simplement, parce que, dans le film de François Truffaut, Jules est, lui aussi, Autrichien… Qu’importe. Tels sont les méandres de la mémoire. Plus sûrement, en revanche, ce groupe, qui emporte l’adhésion par son enthousiasme et son énergie, pourrait évoquer celui de la chanteuse canadienne Susie Arioli, qui s’est produite ici même il y a quelques années : même conjugaison de la voix avec l’usage de la caisse claire et de la cymbale, même usage de la guitare dans un rôle tant rythmique que mélodique. Quant à la musique, délicieusement kitch, elle emprunte, pour l’essentiel, au jazz des années 30. Une période à laquelle fait aussi référence la tenue vestimentaire des trois interprètes qui ne ménagent pas leur peine. Comment les danseurs pourraient-ils résister à un In The Mood arrangé pour trois voix et qui symbolise à lui seul toute la période swing ?

 

Fin de soirée avec le JazzAscona Social Club. Propulsés avec le brio que l’on devine par La Section Rythmique, déjà à l’œuvre la veille, Patrick Artéro (tp), Ole « Fessor » Lundgren (tb) et Thomas L’Etienne (cl, ts), tous spécialistes du jazz traditionnel et aussi, à l’occasion, des rythmes créoles et brésiliens, tous solistes émérites, proposent leur version des grands classiques. Ils ont fait leurs preuves ici, à maintes reprises, et ils se connaissent si bien que leur complicité éclate dès les premières mesures. De Louis Armstrong (I Surrender Dear) à  Duke Ellington (The Mooche), de Fats Waller (Keepin’Out Of Mischief Now) à Jacob Do Bandolim, un des compositeurs favoris du clarinettiste,  en passant par Panama ou Someday You’ll Be Sorry, une promenade à travers les classiques permettant à chacun de se mettre en valeur tour à tour. Est-il besoin d’ajouter que leur prestation, qui renoue avec la vocation première de ce festival, restera un grand moment de la présente édition.

 

Jeudi 28 juin. Une soirée marathon. D’abord, Paolo Tomelleri se produit, pour un unique concert, avec son sextette. Un monument. Une véritable légende. A quatre-vingts ans, dont soixante de carrière, le clarinettiste et compositeur milanais est un des acteurs majeurs de la scène jazz italienne, et bien au-delà. Disciple de Benny Goodman, il reste un des meilleurs connaisseurs de la période swing et, d’une façon plus générale, de ce qu’il est convenu d’appeler  middle jazz. Entouré d’Emilio Soana (tp), Sofia Tomelleri (as), Fabrizio Bernasconi (p), Marco Mistrangelo (b), Tony Arco (dm) et Irene Natale (voc), il donne à son tour, de quelques classiques, une relecture passionnante en ce qu’elle les dépoussière avec un tel naturel qu’ils retrouvent une nouvelle jeunesse. Ainsi de Alexander’s Ragtime Band, enlevé avec brio par la vocaliste. Au répertoire d’un groupe cohérent, composé de bons solistes et auquel le batteur fournit un swing constant, nombre de morceaux du répertoire proprement italien, comme Nel Cielo Dei Bars, de Fred Buscaglione .  Il est des ravalements moins réussis. Du reste, même si les têtes chenues constituent une bonne part de l’assistance, les réactions des plus jeunes sont assez éloquentes pour témoigner de l’audience dont peut encore bénéficier dans les générations actuelles une musique toujours aussi vivante et dynamique.

 

Un détour par le stage Elvezia, juste le temps de se convaincre que Luiz Meira est assurément un virtuose de la guitare et que son Acustico  Trio est digne de sa réputation. Pour faire aussi l’amer constat que n’est pas Antonio Carlos Jobim qui veut, et que la bossa nova n’est séduisante que si elle reste elle-même. En l’occurrence, les compositions de Meira n’ont pas l’élégance de celles de son aîné. Quant à la fusion avec le jazz, elle n’est pas des plus heureuses. Qu’est-ce qui lui fait défaut ? Sans doute la légèreté. Stan Getz, lui, l’avait compris.

 

Sur la scène New Orleans, le pianiste, chanteur et compositeur milanais Paolo Jannacci rend hommage à son père en compagnie de Stefano Bagnoli  (dm), Marco Ricci (b) et Daniele Moretto (tp, bugle). Disparu en 2013, Enzo Janacci, lui-même musicien et chanteur, fut en son temps une grande figure de la scène  italienne, singulièrement du rock’n’roll. Ses compatriotes gardent le souvenir de son association avec Giorgio Gaber, à l’enseigne des I Duo Corsari, et sa popularité reste intacte. Rien de surprenant, donc, si ce « In Concerto Con Enzo » draine la grande foule. La musique distillée par le quartette n’est évidemment en rien la copie conforme du rock paternel. Des influences nettement plus modernes s’y manifestent – celle de Miles, notamment, dans les soli de Moretto – mais nous ne sortons guère du milieu de la grande variété, celle où s’est illustré, par exemple, un Paolo Conte et qui présentait, elle aussi, des affinités avec le jazz. Sans doute les longs discours de présentation des morceaux, les récits autobiographiques, les anecdotes  distillées par le pianiste apportaient-elles un piment supplémentaire. Notre méconnaissance des subtilités de la langue de Dante ne nous permettant pas d’en juger, nous n’aurons pas l’outrecuidance de trancher.

 

Jacques Aboucaya