Jazz live
Publié le 22 Avr 2018

JEAN-MICHEL PILC / ANDRÉ CECCARELLI TRIO au SUNSIDE

De passage à Paris le pianiste, New Yorkais depuis 1995, et désormais établi à Montréal, nous gratifie d'un trio avec son compère batteur : cadeau !

Jean-Michel Pilc (piano), Clément Daldosso (contrebasse), André Ceccarelli (batterie)

Paris, Sunside, 21 avril 2018, 21h30

L’origine de ce trio, c’est une ancienne connivence de Jean-Michel Pilc avec André Ceccarelli, plusieurs fois scellée par le disque, et récemment («Twenty», 2014) en trio avec Thomas Bramerie. Cette fois les deux musiciens, guidés par les conseils d’amis fiables et clairvoyants, ont choisi de faire appel à Clément Daldosso, jeune bassiste dont le parcours va du Collège de Marciac au Conservatoire National Supérieur de Paris : le bassiste mérite manifestement cette confiance. Le premier set commence par un gag : le Monsieur Loyal de ce soir, qui n’est pas le Maître de céans (Stéphane Portet), mais très loyal cependant, demande au public, du fond de la salle, d’accueillir…. Jean-Marie. Avec son humour coutumier, le pianiste saisit la belle au rebond, précise qu’il aurait pu s’appeler Jean-Marie, mais que le prénom était déjà pris, et qu’il se prénomme Jean-Michel ; Pilc précise-t-il, avant de présenter ses partenaires, terminant par  »à la batterie, l’immense André Ceccarelli… que l’on peut aussi appeler Dédé »….  »mais pas tout de suite précise l’intéressé », mettant à distance, avec humour, tout excès de familiarité. Et Jean-Michel Pilc annonce le titre du premier morceau  »qui s’intitule : nous n’avons aucune idée de ce que nous allons jouer ». Le piano commence, avec des traits rapides qui ouvrent l’espace, puis une ligne de basse qui va donner l’indication rythmique, et conduire vers le thème : ce sera Footprints, de Wayne Shorter. L’émulation se fait vive, on bifurque (par la rue du dauphin vert ?), les échanges se font vifs avec le batteur, et le jeune bassiste tient sa place. Après une ballade aux accents japonisants, un peu comme un thème de Mal Waldron, nouvelle bifurcation, du côté de All blues, dans lequel viennent s’enchâsser certains des mélodies déjà abordées, et un Vol du bourdon qui chez le pianiste est un marqueur d’effervescence. On double le tempo, et on gravit progressivement l’échelle des tonalités jusqu’à une conclusion abrupte, au bord du gouffre où conduisent les prises de risque : un régal. Après une ballade du pianiste (Homecoming, qui sera sur le disque «Parallel», à paraître en juin chez Challenge Records), c’est reparti pour le tronçonnage allègre d’un standard, avant retour au calme pour une autre composition du disque à venir, JPJ. Et le set se termine par un Straight No Chaser où Mozart, Rimsky Korsakov et Charlie Parker vont se télescoper joyeusement. André Ceccarelli nous embarque dans une polyrythmie d’enfer, les musiciens sont immergés dans le plaisir du jeu : Grand jeu, Grand Art !

Après la pause le trio reprend avec une ballade (qui figurait sur le disque «Twenty») à l’issue de laquelle le pianiste, très légitimement, prie les bavards qui sont juste derrière lui de bien vouloir faire silence : c’est un concert , l’auraient-ils oublié ? Le barman vient le leur rappeler avec courtoisie, et fermeté. La saine réaction du pianiste me rappelle celle d’Eric Watson, voici quelques lustres, dans le défunt club de l’hôtel Latitudes : un congrès de dentistes états-uniens en goguette avait investi la salle, privant les mélomanes des conditions d’écoute espérées. L’apostrophe vigoureuse du pianiste (soutenu pas ses partenaires du trio, et par le public venu pour la musique plus que pour le bar) avait eu raison de ces grossières interférences. Merci Jean-Michel Pilc d’avoir su rappeler ainsi à l’ordre les partisans de ce bon gros sans-gêne qui fleurit parfois dans les clubs. Le concert se poursuit avec une version de Chim Chim Cheree (Mary Poppins… mais également immortalisé par Coltrane), et là encore la liberté se joue des limites, et la dynamique large va conduire pianissimo vers Body and Soul. C’est à ce moment que le chroniqueur, rappelé à la dure réalité des grèves en cours qui transforment les joies du forfait Navigo, passée une certaine heure, en incontournable et exorbitant taxi, va filer ‘à l’anglaise’ vers le RER qui le conduira vers son domicile banlieusard : merci au trio pour cette belle soirée.

Xavier Prévost