Jazz live
Publié le 14 Août 2018

Jazz em Agosto : The Stone Improv Night

A Lisbonne, le festival Jazz em Agosto a consacré sa 35e édition à un seul artiste, à la carrière il est vrai protéiforme. C’est peut-être l’événement le plus important jamais organisé autour de la musique de John Zorn : 22 concerts et autant de formations, dont 17 jouent exclusivement les compositions du new-yorkais, lequel garde intacte sa capacité à s’enthousiasmer et à exhausser les qualités de ses interprètes. Dans le cadre verdoyant du labyrinthique jardin de la Fondation Gulbenkian, avec un amphithéâtre de plein air, des salles de cinéma et auditoriums adaptés aux différents projets, le pari est gagné pour une édition exceptionnelle, d’un niveau musical étourdissant. Sans barguigner sur l’exigence artistique, la manifestation a connu un record de fréquentation, et le public fait un triomphe à l’artiste.

Milford Graves absent, tandis qu’un documentaire sur le batteur, « Full Mantis », fait la tournée des festivals américains, le trio prévu avec John Zorn et Thurston Moore est remplacé par une soirée d’improvisation dans la tradition du club de l’East Village The Stone (8000 concerts donnés depuis son ouverture jusqu’à sa récente relocalisation à la New School).

27 juillet

The Stone Improv Night

John Zorn (as), Thurston Moore (elg), Mary Halvorson (elg), Matt Hollenberg (elg), Drew Gress (b), Greg Cohen (b), Tomas Fujiwara (dm)

Une formule rarement exportée à l’étranger. Sept musiciens se combinent en un turnover de duos, trios et quartettes, jusqu’au septette final, pour des improvisations concises aux directions tranchées. Le trio initial de Moore, Zorn et Fujiwara vient rappeler le format prévu à l’origine, avec une introduction rentre-dans-le-lard qui donne le ton. Zorn cultive les zébrures dans les aigus, dans le style qui le caractérise. Quand ils ne jouent pas, les musiciens attendent leur tour sur un banc, face aux spectateurs, écoutant leurs collègues.

Les groupes s’enchaînent : Halvorson/Gress/Cohen (guitare et deux contrebasses pour une pièce piquante), Moore/Hollenberg (deux guitares pour un ambient-noise chauffé à blanc, dans l’esprit de « Metal Machine Music » de Lou Reed), Zorn/Cohen/Fujiwara pour une pièce évocatrice d’Ornette Coleman. La tiédeur est interdite, une fois le cap fixé les musiciens ne font pas de quartier. L’alto se fend d’ostinatos lancinants sur une rythmique en furie, en un climax permanent. Puis les trois guitaristes et Drew Gress défendent une pièce toute en textures ; le trio Halvorson/Gress/Fujiwara y va d’un délicieux jazz out. Et voilà le duo Moore/Zorn, cinq ans après leur album en commun. Moore est assis, guitare sur les genoux, et Zorn dans son uniforme, un pied sur une chaise, retire parfois son embouchure pour en jouer, éternel dénicheur de sons. Une excellente entrée en matière, même si certains préfèrent le versant plus mélodique de l’alto, celui de Masada. La soirée se présente comme une suite de groupes ad hoc, éphémères, dont la plupart fonctionnent à merveille, résultat de sessions régulières à New York permettant rencontres, collaborations et émulation.

Pour finir, on a droit au septette au complet, qui s’organise sans délai : nappes de guitares, Zorn dans les graves pour changer, et chacun s’insère sans rien perdre de sa personnalité. A l’initiative de Drew Gress, les débats s’agrègent en un groove lent, profond, à la Miles Davis dans son versant ésotérique des 70s. Une standing ovation rappelle les sept mercenaires, qui livrent, par contraste avec le morceau précédent, une courte improvisation pleine d’échardes. David Cristol

Photo : Gulbenkian Música / Petra Cvelbar