Jazz live
Publié le 30 Nov 2018

Le Raw Trio : du doux à l’état brut

Le vieux château d’Eymet (XIIIème siècle, rebâti au XIXème) retentit parfois des derniers élans du jazz. Avec le Raw Trio de Rodolphe Lauretta, c’était justement une histoire de passé, de présent et de futur, de conjugaison et de démarcation.

Rodolphe Lauretta (as)

Gaël Pétrina (b)

Thibault Perriard (dm)

 

Eymet, le Château, 24 novembre 2018

 

Raw. Traduction : brut, cru, à vif. Pour Rodolphe Lauretta, qui cumule des origines amiéno-guyano-martiniquaises pour ce qui est de sa naissance et des origines hip-hop-funk-rock-reggae-jazz pour ce qui est de la musique, il faudrait inventer l’expression « brut de douceur ». Non qu’à l’écouter on se sente envahi par une espèce de vapeur éthérée, bien au contraire : on est sans arrêt sur le qui-vive tant son jazz est multiple. Mais plantons le décor. Trio acoustique sans instrument harmonique, l’ingratitude même, le risque. Deux partenaires inhabituels avec qui il n’a fallu que deux séances et une balance pour se familiariser avec un répertoire à la mise en place exigeante et qui ne consent aux standards (Softly as in a Morning Sunrise, Equinox, Humpty Dumpty de Chick Correa) que dans une forme totalement refondue. A vrai dire, la complicité avec le surprenant Thibault Perriard, polyrythmicien accompli et manieur de roulements de toute sorte, date d’une quinzaine d’années, du temps du conservatoire. Quant à Gaël Pétrina, son soutien pulsateur s’harmonise avec une sonorité ample et profonde, une vérité instrumentale qui caractérise d’ailleurs le trio dans son ensemble. Soit dit en passant, Gaël et Thibault font partie de la scène du théâtre musical. Rodolphe Lauretta (à qui il est arrivé d’écrire dans Jazzman !) a obtenu en septembre 2017 le label “Révélation !” dans Jazz Magazine et devrait assez vite devenir un musicien incontournable. Primo, son plaisir de jouer confine au plaisir de vivre, et il n’y a rien de plus communicatif. Sur scène, il est aussi varié que sa musique, soit concentré sur (ou peut-être dans) son saxophone alto soit se faufilant entre les hampes des micro et distillant une explication ou annonçant un titre avec une joyeuseté non feinte et un humour débonnaire. C’est ainsi qu’en ces temps de gilets jaunes, il s’est présenté comme devant faire un concert solo car privé de ses acolytes pour cause de circulation routière entravée. C’était en fait une manière de les présenter ! Deuzio, et c’est là l’essentiel, il incarne tout à fait l’esprit du jazz, qui consiste justement à en multiplier les lettres.

Avec sa sonorité incisive qui fait penser à un saxophoniste de rue, comme s’il reprenait l’instrument à son état natif, Rodolphe Lauretta multiplie les registres, néglige les triturations et les effets, oublie les abus, passe sans prévenir des mots aux phrases, du continu au discontinu, du pur groove shuffle ultrarapide au funk martelé, le tout réciproquement comme il se doit. Tout en répandant les accents mélodiques les plus contemporains où l’inattendu et l’inentendu se confondent, tout en pratiquant ce qu’il nomme “la démarcation”, à savoir la construction de thèmes nouveaux sur des harmonies déjà existantes, le Raw Trio de Lauretta redonne au swing, ce mot tombé en désuétude et qu’on n’ose plus prononcer que du bout de sa trompette, son sens mémorable : jazz d’hier et de demain, d’ici et de partout, rassembleur de tous les plaisirs. Merci à Laurent Pasquon et à son équipe de Maquiz’art, à son programmation toujours recherchée, de nous avoir fait profiter de cette “Révélation !”.

Texte François-René Simon. Photos © Joël Delayre.