Jazz live
Publié le 8 Mai 2015

Mais qui est Maria-Laura Baccarini ?

Il y a deux jours, alors que notre guide des festivals de l’été qui accompagnera notre numéro de juin me retenait aux établis de Jazz Magazine, j’ai cédé à ma curiosité et me suis échappé vers le Carreau du Temple pour écouter la chanteuse Maria-Laura Baccarini accompagnée par le violoniste Régis Huby.

Carreau du Temple, Paris (75), le 6 mai 2015. 

“Gaber, Io e le Cose” : Maria-Laura Baccarini (voix), Régis Huby (violon ténor, violon, électronique, arrangements).

Voici quelques années déjà que je croise Maria-Laura Baccarini , intrigué, perplexe, avec l’impression de quelqu’un cherchant sa voie, lorsque c’était peut-être moi, le jazz critic, qui lui cherchait un emploi correspondant à ma fonction. Quel usage faire d’objets musicaux aussi atypiques que “Furrow, A Cole Porter” et d’“All Around” arrangés par Régis Huby ? Jeanne Added lui avait laissé sa place au côté de Claudia Solal dans le sextette “Poètes vos papiers” d’Yves Rousseau, et je l’avais vu y faire ses premiers pas, sur le répertoire de Léo Ferré. J’avais fini par reconnaître en elle l’une des deux chanteuses (l’autre étant Stephy Haïk) qui partageaient la scène avec Lambert Wilson dans son spectacle  La Nuit américaine sur les standards de la comédie musicale, arrangé par Régis Huby, moins sous l’angle de la 52ème rue que celui de Broadway. Ce qui constituait une première clé. Car Maria-Laura Baccarini n’est pas une chanteuse de jazz (j’allais ajouter : une de plus). Elle vient du music-hall italien, du théâtre musical, de la comédie musicale, précédé d’une image de star en son pays (qu’illustre l’iconographie et la vidéographie la concernant sur internet) qui colle assez mal avec l’univers sans concession où elle s’est fait connaître chez nous.

Voici deux jours, elle présentait dans le cadre du programme Jazz Fabric au Carreau du Temple, un spectacle sur le répertoire de Giorgio Gaber, arrangé par Régis Huby et créé en Italie en 2011. Et c’est à ce spectacle que j’ai su recoller les morceaux de cette identité morcelée (sans bien pouvoir dire, si ce morcellement tient à mon regard, ou si c’est dans ce spectacle que l’on voit Maria-Laura se réaliser pleinement). Il faut d’abord saluer l’intelligence et la sensibilité avec laquelle, dans un préambule en français de quelques minutes, elle a su nous donner les clés de ce spectacle tout en italien et nous présenter l’œuvre de Giorgio Gaber, chanteur et compositeur (associé au parolier Sandro Luporini), né en 1939, formé au jazz, passé au rock, fasciné par Jacques Brel, avec une dimension satirique plus directement ancrée dans le terreau socio-politique, qui sut “filmer” cette sensibilité des trente glorieuses issues de la Victoire de 1945 sur le fascisme, que l’on célèbre alors que j’écris ces lignes (même si son œuvre phonographique s’étend jusqu’à sa mort en 2003).

La lumière change, le spectacle commence, Maria Laura Baccarini change de peau, d’un simple battement de paupière prend la distance d’avec son public, quitte la convivialité de cette efficace présentation et devient une bête de scène que plus rien ne peut distraire de son texte, tantôt parlé, tantôt chanté, de ces morceaux d’humanité comiques, bouleversants, colériques, attendris, grotesques, inquiets… À l’arrière-plan, de coups d’archet en pizzicati, tenant le plus souvent son violon comme une mandoline dont il tire soudain des sonorités de guitare électrique, Régis Huby “allume un projecteur”, puis un autre, éteint le premier, fait descendre un voile de tulle, redessine le fond de scène, envoie un peu de fumigène, réajustant constamment la profondeur de champ de la voix, metteur en scène plus encore qu’arrangeur, ce qu’il est finalement toujours plus ou moins dans chaque formation où il est impliqué, le tout avec ses seuls violons, mais aussi une multitude de pédales grâce auxquelles il pilote les différents strates de sa dramaturgie polyphonique.

L’auditeur italien rit, soupire, s’exclame. L’auditeur français se laisse porter par la musicalité de la langue italienne qu’enchante la diction de Maria-Laura, la palette de son expression scénique, parlée, lyrique, saisit quelques mots qui, le préambule ayant fait son effet, guident, éclairent, ouvrent, des fenêtres sur ce texte dont on peine à imaginer qu’il pourrait faire l’objet de sous-titre tant son débit est intense. Peut-être fatigue-t-on soudain ? Peut-être est-ce un peu long pour qui n’a pas la compréhension de l’italien, mais on imagine mal que l’on puisse couper dans la cohérence ce programme tel qu’il nous a été présenté en préambule sans amputer la belle incarnation de cette humanité de quelque membre.

Je rentrai dans ma banlieue habité, peut-être à contresens, par ce rêve d’humanité de l’après 1945 que, tandis que tout semblait se passer entre Londres, New York et Los Angeles, l’Italie sut incarner notamment par son cinéma, de son éclosion (De Sicca, Rosselini) à son zénith (Fellini, Pasolini) au terrifiant constat de son interminable déclin (Moretti), et me revenait à l’esprit le titre d’Ettore Scola, Nous nous sommes tant aimés, alors que je croisais le cerisier de l’angle de l’avenue Victor Hugo et de l’avenue de Colmar. Il n’était plus en fleurs, mais peignant ses branches dans l’obscurité, je constatais que le temps des cerises était encore loin. Franck Bergerot

Prochain rendez-vous de la Jazz Fabric au Carreau du Temple: soirée Tricollectif le 21 mai avec La Scala (Roberto Negro, les frères Ceccaldi, Adrien Chennebault) invitant Louis Sclavis, et l’hommage à Lucienne Boyer de l’orchestre du Trico. Ce soir à Coutances, lancement du 34ème Jazz sous les pommiers, à Paris le public du Duc des Lombards découvrira le nouveau porgramme du quintette de Leïla Olivesi tandis qu’au Sunset le Trio Viret rendra hommage à Keith Jarrett… Au Mans, Philippe Méziat est dans les starting blocks pour vous raconter les Dédales de Dominique Pifarély et les dialogues de Barre Phillips et Paul Rogers, d’Airelle Besson et Nelson Veras à l’Europa Jazz.

 

 

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Il y a deux jours, alors que notre guide des festivals de l’été qui accompagnera notre numéro de juin me retenait aux établis de Jazz Magazine, j’ai cédé à ma curiosité et me suis échappé vers le Carreau du Temple pour écouter la chanteuse Maria Laura Baccarini accompagnée par le violoniste Régis Huby.

 

Carreau du Temple, Paris (75), le 6 mai 2015.

 

“Gaber, Io e le Cose” : Maria Laura Baccarini (voix), Régis Huby (violon ténor, violon, électronique, arrangements).

 

Voici quelques années déjà que je croise Maria Laura Baccarini dans le sillage de Régis Huby (à moins que ce ne soit le contraire), intrigué, perplexe, avec l’impression de quelqu’un cherchant sa voie, lorsque c’était peut-être moi, le jazz critic, qui lui cherchait un emploi correspondant à ma fonction. Quel usage faire d’objets musicaux aussi atypiques que “Furrow, A Cole Porter” et d’“All Around” arrangés par Régis Huby ? Jeanne Added lui avait laissé sa place au côté de Claudia Solal dans le sextette “Poètes vos papiers” d’Yves Rousseau (avec Régis Huby), et je l’avais vu y faire ses premiers pas, sur le répertoire de Léo Ferré. J’avais fini par reconnaître en elle l’une des deux chanteuses (l’autre étant Stephy Haïk) qui partageaient la scène avec Lambert Wilson dans son spectacle  La Nuit américaine sur les standards de la comédie musicale, arrangé par Régis Huby, moins sous l’angle de la 52ème rue que celui de Broadway. Ce qui constituait une première clé. Car Maria Laura Baccarini n’est pas une chanteuse de jazz (j’allais ajouter : une de plus). Elle vient du music-hall italien, du théâtre musical, de la comédie musicale, précédé d’une image de star en son pays (qu’illustre l’iconographie et la vidéographie la concernant sur internet) qui colle assez mal avec l’univers sans concession que défend Régis Huby depuis qu’on le connaît.

 

Voici deux jours, elle présentait dans le cadre du programme Jazz Fabric au Carreau du Temple, un spectacle sur le répertoire de Giorgio Gaber, arrangé une fois de plus par Régis Huby et créé en Italie en 2011. Et c’est à ce spectacle que j’ai su recoller les morceaux de cette identité morcelée (sans bien pouvoir dire, si ce morcellement tient à mon regard, ou si c’est dans ce spectacle que l’on voit Maria Laura se réaliser pleinement). Il faut d’abord saluer l’intelligence et la sensibilité avec laquelle, dans un préambule en français de quelques minutes, elle a su nous donner les clés de ce spectacle tout en italien et nous présenter l’œuvre de Giorgio Gaber, chanteur et compositeur (associé au parolier Sandro Luporini), né en 1939, formé au jazz, passé au rock, fasciné par Jacques Brel, avec une dimension satirique plus directement ancrée dans le terreau socio-politique, qui sut “filmer” cette sensibilité des trente glorieuses issues de la Victoire de 1945 sur le fascisme, que l’on célèbre alors que j’écris ces lignes (même si son œuvre phonographique s’étend jusqu’à sa mort en 2003).

 

La lumière change, le spectacle commence, Maria Laura Baccarini change de peau, d’un simple battement de paupière prend la distance d’avec son public, quitte la convivialité de cette efficace présentation et devient une bête de scène que plus rien ne peut distraire de son texte, tantôt parlé, tantôt chanté, de ces morceaux d’humanité comiques, bouleversants, colériques, attendris, grotesques, inquiets… À l’arrière-plan, de coups d’archet en pizzicati, tenant le plus souvent son violon comme une mandoline dont il tire soudain des sonorités de guitare électrique, Régis Huby “allume un projecteur”, puis un autre, éteint le premier, fait descendre un voile de tulle, redessine le fond de scène, envoie un peu de fumigène, réajustant constamment la profondeur de champ de la voix, metteur en scène plus encore qu’arrangeur, ce qu’il est finalement toujours plus ou moins dans chaque formation où il est impliqué, le tout avec ses seuls violons, mais aussi une multitude de pédales grâce auxquelles il pilote les différents strates de sa dramaturgie polyphonique.

 

L’auditeur italien rit, soupire, s’exclame. L’auditeur français se laisse porter par la musicalité de la langue italienne qu’enchante la diction de Maria Laura, la palette de son expression scénique, parlée, lyrique, saisit quelques mots qui, le préambule ayant fait son effet, guident, éclairent, ouvrent, des fenêtres sur ce texte dont on peine à imaginer qu’il pourrait faire l’objet de sous-titre tant son débit est intense. Peut-être fatigue-t-on soudain ? Peut-être est-ce un peu long pour qui n’a pas la compréhension de l’italien, mais on imagine mal que l’on puisse couper dans la cohérence ce programme tel qu’il nous a été présenté en préambule sans amputer la belle incarnation de cette humanité de quelque membre.

 

Je rentrai dans ma banlieue habité, peut-être à contresens, par ce rêve d’humanité de l’après 1945 que, tandis que tout semblait se passer entre Londres, New York et Los Angeles, l’Italie sut incarner notamment par son cinéma, de son éclosion (De Sicca, Rosselini) à son zénith (Fellini, Pasolini) au terrifiant constat de son interminable déclin (Moretti), et me revenait à l’esprit le titre d’Ettore Scola, Nous nous sommes tant aimés, alors que je croisais le cerisier de l’angle de l’avenue Victor Hugo et de l’avenue de Colmar. Il n’était plus en fleurs, mais peignant ses branches dans l’obscurité, je constatais que le temps des cerises était encore loin. Franck Bergerot

 

Prochain rendez-vous de la Jazz Fabric au Carreau du Temple: soirée Tricollectif le 21 mai avec La Scala (Roberto Negro, les frères Ceccaldi, Adrien Chennebault) invitant Louis Sclavis, et l’hommage à Lucienne Boyer de l’orchestre du Trico. Ce soir à Coutances, lancement du 34ème Jazz sous les pommiers, à Paris le public du Duc des Lombards découvrira le nouveau porgramme du quintette de Leïla Olivesi tandis qu’au Sunset le Trio Viret rendra hommage à Keith Jarrett… Au Mans, Philippe Méziat est dans les starting blocks pour vous raconter les Dédales de Dominique Pifarély et les dialogues de Barre Phillips et Paul Rogers, d’Airelle Besson et Nelson Veras à l’Europa Jazz.

 

 

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Il y a deux jours, alors que notre guide des festivals de l’été qui accompagnera notre numéro de juin me retenait aux établis de Jazz Magazine, j’ai cédé à ma curiosité et me suis échappé vers le Carreau du Temple pour écouter la chanteuse Maria Laura Baccarini accompagnée par le violoniste Régis Huby.

 

Carreau du Temple, Paris (75), le 6 mai 2015.

 

“Gaber, Io e le Cose” : Maria Laura Baccarini (voix), Régis Huby (violon ténor, violon, électronique, arrangements).

 

Voici quelques années déjà que je croise Maria Laura Baccarini dans le sillage de Régis Huby (à moins que ce ne soit le contraire), intrigué, perplexe, avec l’impression de quelqu’un cherchant sa voie, lorsque c’était peut-être moi, le jazz critic, qui lui cherchait un emploi correspondant à ma fonction. Quel usage faire d’objets musicaux aussi atypiques que “Furrow, A Cole Porter” et d’“All Around” arrangés par Régis Huby ? Jeanne Added lui avait laissé sa place au côté de Claudia Solal dans le sextette “Poètes vos papiers” d’Yves Rousseau (avec Régis Huby), et je l’avais vu y faire ses premiers pas, sur le répertoire de Léo Ferré. J’avais fini par reconnaître en elle l’une des deux chanteuses (l’autre étant Stephy Haïk) qui partageaient la scène avec Lambert Wilson dans son spectacle  La Nuit américaine sur les standards de la comédie musicale, arrangé par Régis Huby, moins sous l’angle de la 52ème rue que celui de Broadway. Ce qui constituait une première clé. Car Maria Laura Baccarini n’est pas une chanteuse de jazz (j’allais ajouter : une de plus). Elle vient du music-hall italien, du théâtre musical, de la comédie musicale, précédé d’une image de star en son pays (qu’illustre l’iconographie et la vidéographie la concernant sur internet) qui colle assez mal avec l’univers sans concession que défend Régis Huby depuis qu’on le connaît.

 

Voici deux jours, elle présentait dans le cadre du programme Jazz Fabric au Carreau du Temple, un spectacle sur le répertoire de Giorgio Gaber, arrangé une fois de plus par Régis Huby et créé en Italie en 2011. Et c’est à ce spectacle que j’ai su recoller les morceaux de cette identité morcelée (sans bien pouvoir dire, si ce morcellement tient à mon regard, ou si c’est dans ce spectacle que l’on voit Maria Laura se réaliser pleinement). Il faut d’abord saluer l’intelligence et la sensibilité avec laquelle, dans un préambule en français de quelques minutes, elle a su nous donner les clés de ce spectacle tout en italien et nous présenter l’œuvre de Giorgio Gaber, chanteur et compositeur (associé au parolier Sandro Luporini), né en 1939, formé au jazz, passé au rock, fasciné par Jacques Brel, avec une dimension satirique plus directement ancrée dans le terreau socio-politique, qui sut “filmer” cette sensibilité des trente glorieuses issues de la Victoire de 1945 sur le fascisme, que l’on célèbre alors que j’écris ces lignes (même si son œuvre phonographique s’étend jusqu’à sa mort en 2003).

 

La lumière change, le spectacle commence, Maria Laura Baccarini change de peau, d’un simple battement de paupière prend la distance d’avec son public, quitte la convivialité de cette efficace présentation et devient une bête de scène que plus rien ne peut distraire de son texte, tantôt parlé, tantôt chanté, de ces morceaux d’humanité comiques, bouleversants, colériques, attendris, grotesques, inquiets… À l’arrière-plan, de coups d’archet en pizzicati, tenant le plus souvent son violon comme une mandoline dont il tire soudain des sonorités de guitare électrique, Régis Huby “allume un projecteur”, puis un autre, éteint le premier, fait descendre un voile de tulle, redessine le fond de scène, envoie un peu de fumigène, réajustant constamment la profondeur de champ de la voix, metteur en scène plus encore qu’arrangeur, ce qu’il est finalement toujours plus ou moins dans chaque formation où il est impliqué, le tout avec ses seuls violons, mais aussi une multitude de pédales grâce auxquelles il pilote les différents strates de sa dramaturgie polyphonique.

 

L’auditeur italien rit, soupire, s’exclame. L’auditeur français se laisse porter par la musicalité de la langue italienne qu’enchante la diction de Maria Laura, la palette de son expression scénique, parlée, lyrique, saisit quelques mots qui, le préambule ayant fait son effet, guident, éclairent, ouvrent, des fenêtres sur ce texte dont on peine à imaginer qu’il pourrait faire l’objet de sous-titre tant son débit est intense. Peut-être fatigue-t-on soudain ? Peut-être est-ce un peu long pour qui n’a pas la compréhension de l’italien, mais on imagine mal que l’on puisse couper dans la cohérence ce programme tel qu’il nous a été présenté en préambule sans amputer la belle incarnation de cette humanité de quelque membre.

 

Je rentrai dans ma banlieue habité, peut-être à contresens, par ce rêve d’humanité de l’après 1945 que, tandis que tout semblait se passer entre Londres, New York et Los Angeles, l’Italie sut incarner notamment par son cinéma, de son éclosion (De Sicca, Rosselini) à son zénith (Fellini, Pasolini) au terrifiant constat de son interminable déclin (Moretti), et me revenait à l’esprit le titre d’Ettore Scola, Nous nous sommes tant aimés, alors que je croisais le cerisier de l’angle de l’avenue Victor Hugo et de l’avenue de Colmar. Il n’était plus en fleurs, mais peignant ses branches dans l’obscurité, je constatais que le temps des cerises était encore loin. Franck Bergerot

 

Prochain rendez-vous de la Jazz Fabric au Carreau du Temple: soirée Tricollectif le 21 mai avec La Scala (Roberto Negro, les frères Ceccaldi, Adrien Chennebault) invitant Louis Sclavis, et l’hommage à Lucienne Boyer de l’orchestre du Trico. Ce soir à Coutances, lancement du 34ème Jazz sous les pommiers, à Paris le public du Duc des Lombards découvrira le nouveau porgramme du quintette de Leïla Olivesi tandis qu’au Sunset le Trio Viret rendra hommage à Keith Jarrett… Au Mans, Philippe Méziat est dans les starting blocks pour vous raconter les Dédales de Dominique Pifarély et les dialogues de Barre Phillips et Paul Rogers, d’Airelle Besson et Nelson Veras à l’Europa Jazz.

 

 

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Il y a deux jours, alors que notre guide des festivals de l’été qui accompagnera notre numéro de juin me retenait aux établis de Jazz Magazine, j’ai cédé à ma curiosité et me suis échappé vers le Carreau du Temple pour écouter la chanteuse Maria Laura Baccarini accompagnée par le violoniste Régis Huby.

 

Carreau du Temple, Paris (75), le 6 mai 2015.

 

“Gaber, Io e le Cose” : Maria Laura Baccarini (voix), Régis Huby (violon ténor, violon, électronique, arrangements).

 

Voici quelques années déjà que je croise Maria Laura Baccarini dans le sillage de Régis Huby (à moins que ce ne soit le contraire), intrigué, perplexe, avec l’impression de quelqu’un cherchant sa voie, lorsque c’était peut-être moi, le jazz critic, qui lui cherchait un emploi correspondant à ma fonction. Quel usage faire d’objets musicaux aussi atypiques que “Furrow, A Cole Porter” et d’“All Around” arrangés par Régis Huby ? Jeanne Added lui avait laissé sa place au côté de Claudia Solal dans le sextette “Poètes vos papiers” d’Yves Rousseau (avec Régis Huby), et je l’avais vu y faire ses premiers pas, sur le répertoire de Léo Ferré. J’avais fini par reconnaître en elle l’une des deux chanteuses (l’autre étant Stephy Haïk) qui partageaient la scène avec Lambert Wilson dans son spectacle  La Nuit américaine sur les standards de la comédie musicale, arrangé par Régis Huby, moins sous l’angle de la 52ème rue que celui de Broadway. Ce qui constituait une première clé. Car Maria Laura Baccarini n’est pas une chanteuse de jazz (j’allais ajouter : une de plus). Elle vient du music-hall italien, du théâtre musical, de la comédie musicale, précédé d’une image de star en son pays (qu’illustre l’iconographie et la vidéographie la concernant sur internet) qui colle assez mal avec l’univers sans concession que défend Régis Huby depuis qu’on le connaît.

 

Voici deux jours, elle présentait dans le cadre du programme Jazz Fabric au Carreau du Temple, un spectacle sur le répertoire de Giorgio Gaber, arrangé une fois de plus par Régis Huby et créé en Italie en 2011. Et c’est à ce spectacle que j’ai su recoller les morceaux de cette identité morcelée (sans bien pouvoir dire, si ce morcellement tient à mon regard, ou si c’est dans ce spectacle que l’on voit Maria Laura se réaliser pleinement). Il faut d’abord saluer l’intelligence et la sensibilité avec laquelle, dans un préambule en français de quelques minutes, elle a su nous donner les clés de ce spectacle tout en italien et nous présenter l’œuvre de Giorgio Gaber, chanteur et compositeur (associé au parolier Sandro Luporini), né en 1939, formé au jazz, passé au rock, fasciné par Jacques Brel, avec une dimension satirique plus directement ancrée dans le terreau socio-politique, qui sut “filmer” cette sensibilité des trente glorieuses issues de la Victoire de 1945 sur le fascisme, que l’on célèbre alors que j’écris ces lignes (même si son œuvre phonographique s’étend jusqu’à sa mort en 2003).

 

La lumière change, le spectacle commence, Maria Laura Baccarini change de peau, d’un simple battement de paupière prend la distance d’avec son public, quitte la convivialité de cette efficace présentation et devient une bête de scène que plus rien ne peut distraire de son texte, tantôt parlé, tantôt chanté, de ces morceaux d’humanité comiques, bouleversants, colériques, attendris, grotesques, inquiets… À l’arrière-plan, de coups d’archet en pizzicati, tenant le plus souvent son violon comme une mandoline dont il tire soudain des sonorités de guitare électrique, Régis Huby “allume un projecteur”, puis un autre, éteint le premier, fait descendre un voile de tulle, redessine le fond de scène, envoie un peu de fumigène, réajustant constamment la profondeur de champ de la voix, metteur en scène plus encore qu’arrangeur, ce qu’il est finalement toujours plus ou moins dans chaque formation où il est impliqué, le tout avec ses seuls violons, mais aussi une multitude de pédales grâce auxquelles il pilote les différents strates de sa dramaturgie polyphonique.

 

L’auditeur italien rit, soupire, s’exclame. L’auditeur français se laisse porter par la musicalité de la langue italienne qu’enchante la diction de Maria Laura, la palette de son expression scénique, parlée, lyrique, saisit quelques mots qui, le préambule ayant fait son effet, guident, éclairent, ouvrent, des fenêtres sur ce texte dont on peine à imaginer qu’il pourrait faire l’objet de sous-titre tant son débit est intense. Peut-être fatigue-t-on soudain ? Peut-être est-ce un peu long pour qui n’a pas la compréhension de l’italien, mais on imagine mal que l’on puisse couper dans la cohérence ce programme tel qu’il nous a été présenté en préambule sans amputer la belle incarnation de cette humanité de quelque membre.

 

Je rentrai dans ma banlieue habité, peut-être à contresens, par ce rêve d’humanité de l’après 1945 que, tandis que tout semblait se passer entre Londres, New York et Los Angeles, l’Italie sut incarner notamment par son cinéma, de son éclosion (De Sicca, Rosselini) à son zénith (Fellini, Pasolini) au terrifiant constat de son interminable déclin (Moretti), et me revenait à l’esprit le titre d’Ettore Scola, Nous nous sommes tant aimés, alors que je croisais le cerisier de l’angle de l’avenue Victor Hugo et de l’avenue de Colmar. Il n’était plus en fleurs, mais peignant ses branches dans l’obscurité, je constatais que le temps des cerises était encore loin. Franck Bergerot

 

Prochain rendez-vous de la Jazz Fabric au Carreau du Temple: soirée Tricollectif le 21 mai avec La Scala (Roberto Negro, les frères Ceccaldi, Adrien Chennebault) invitant Louis Sclavis, et l’hommage à Lucienne Boyer de l’orchestre du Trico. Ce soir à Coutances, lancement du 34ème Jazz sous les pommiers, à Paris le public du Duc des Lombards découvrira le nouveau porgramme du quintette de Leïla Olivesi tandis qu’au Sunset le Trio Viret rendra hommage à Keith Jarrett… Au Mans, Philippe Méziat est dans les starting blocks pour vous raconter les Dédales de Dominique Pifarély et les dialogues de Barre Phillips et Paul Rogers, d’Airelle Besson et Nelson Veras à l’Europa Jazz.