Jazz live
Publié le 23 Août 2014

Malguénac 2014/2 : Laura Perrudin, Thomas de Pourquery et Oko

Hier 22 août, deuxième soirée du festival Arts des villes et Arts des Champs à Malguénac. Confirmation, découverte et perplexité.

 

Laura Perrudin Quartet : Laura Perrudin (harpe, chant), Edouard Ravelomanantsoa (clavier Nord), Sylvain Hannoun (basse électrique), Paul Morvan (batterie).

 

À l’occasion de son passage au Bab Ilo de Paris, j’ai déjà parlé sur ce site (à la date du 8 février 2012) de Laura Perrudin que j’avais d’abord remarquée en naviguant sur le mot harpe, animé par la perplexité qu’inspire l’instrument, et pas seulement auprès des amateurs de jazz. J’avais découvert un rapport pianistique à l’instrument (sur des pièces comme The Peacocks) avec à l’arrière-plan, plusieurs données : Laura Perrudin est nourrie de jazz depuis toujours et cite Wayne Shorter parmi ses premiers émois musicaux ; elle n’est pas entré dans le jazz par effraction, mais l’a étudié sous tous ses angles au département jazz de Saint-Brieuc où est né son quartette ; elle a réinventé la technique de la harpe en la débarrassant de ses pédales, avec une disposition chromatique des cordes sur un seul et même plan. Néanmoins, prenant conscience des limites persistantes de son instrument (sur lequel je l’ai entendue interpréter Hot House sans chercher à faire l’impossible), elle a ajouté d’autres cordes à son arc, ses cordes vocales. Une façon bien à elle de répondre à la frustration qu’elle rencontre lorsque – notamment lors d’un voyage new-yorkais – elle se trouve privée de son instrument (de facture unique). À quoi s’ajoute une culture littéraire qui la conduit à mettre en musique James Joyce, Oscar Wilde et Yeats, et une passion pour la musique de la harpiste Kristen Noguès.


C’est donc, plus qu’une pratique instrumentale, tout un monde intérieur que depuis quelques années elle s’est forgé avec la complicité des membres de son quartette dont j’avais déjà remarqué à différentes étapes de son épanouissement, à l’occasion de passages en Bretagne, le pianiste Edouard Ravelomanantsoa. Depuis ce que j’avais entendu sur différentes démos, puis au concours de la Défense l’an passé, il est vrai dans d’assez mauvaises conditions, un constat s’impose. Sur un répertoire quasiment inchangé, le jouage du groupe est en pleine maturation, un jouage très collectif, organique, qui n’est pas sans poser des problèmes de sonorisation, les fréquences de la basse, du piano et de la harpe ayant tendance à déborder l’une sur l’autre. Le problème n’est pas résolu à Malguénac où j’apprendrai en coulisse que le sonorisateur du groupe ne pouvait être présent. Car la solution, c’est un sonorisateur attaché au groupe, non pas seulement pour comprendre sa texture très particulière, mais, comme me le précise Laura Perrudin, pour en suivre les textures qui se recomposent constamment.


Malgré tout, il apparaît que ces textures se sont équilibrées et assouplies, concernant la place de la basse, la fluidité de la batterie, le rôle du piano qui grommelle dans ces textures plus qu’il ne chorusse et interragit avec la harpe dans de sidérantes mixtures de notes aigus. Car si elle ne recherche pas les guirlandes de cristal attachées à la harpe classique, Laura Perrudin ne néglige aucun registre, de l’extrême grave qu’elle fait groover avec un sens de l’espace idéal à l’extrême aigu qu’elle fait hurler, parfois à l’unisson de sa voix. Abandonnant sa harpe pour des moments d’interprétation purement vocale, elle chante les textes qu’elle s’est choisis et improvise, sur les mélodies qu’elle leur a confectionnées, passant de saisissantes vocalises mélismatiques à des improvisations plus articulées, phrasées à l’unisson de la harpe, ou s’accompagnant avec une science du voicing et une indépendance polyrythmique d’un naturel confondant qui relève tantôt du pianistique, tantôt du guitaristique (il m’est arrivé de penser à Leo Kottke), la netteté de son jeu et de sa pensée tant rythmique qu’harmonique confrontée à la spécificité de la harpe lui imposant un impressionnant travail d’étouffé sur les cordes.

En coulisse, elle raconte l’importance pour elle et son groupe de jouer à Malguénac dont les concerts des années passées ont façonné son art et celui de ses comparses et nous partageons les souvenirs de ceux qui l’on particulièrement marquée : Brian Blade, le répertoire de Jacques Pellen autour du répertoire Kristen Noguès, le duo Chris Potter-Ari Hoenig, Wayne Krantz… 


Thomas de Pourquery Supersonic : Fabrice Martinez (trompette), Thomas de Pourguery (sax alto), Laurent Bardainne (saxes ténor et baryton), Arnaud Roulin (piano, claviers), Fred Gallay (basse électrique), Edward Perraud (batterie).

 

J’arrivais perplexe, je suis sorti perplexe de cette – comment faut-il dire ? – relecture de l’œuvre de Sun Ra. J’ai vu l’orchestre de Sun Ra pour la première fois au théâtre des Amandiers à Nanterre en octobre 1970. Ce fut un choc, définitif… Après quoi, chaque disque entendu, chaque nouveau concert ne m’a jamais paru être qu’une sinistre carricature de la première fois. Peut-être parce que j’avais entendu l’orchestre à son apogée, à l’apogée de cette espèce de brocante dont les “articles” glanés au fil de son œuvre m’ont toujours paru assez médiocres. Ou peut-être simplement parce qu’avec Sun Ra, il n’y a pas de deuxième fois possible. Ce qui n’est qu’un point de vue au regard de l’aura qui accompagne sa mémoire jusqu’auprès des jeunes générations et du succès remporté par le projet Supersonic de Thomas de Pourquery. Un peu boudeur, parmi quelques compagnons auditeurs d’emblée gagnés par l’enthousiasme, je me suis laissé un peu contaminer, mes résistances tombant aussi parce que le talent individuel de chacun de ces musiciens (la rythmique Roulin, Perraud et Gallay, mais aussi la présence de Bardainne, l’exigence de Martinez) se combine à ce qu’il y a d’inqualifiable et totalement désarmant chez Thomas de Pourquery, sauf à terminer la nuit en cherchant mes mots. J’en ressors d’une certaine façon enchanté et néanmoins perplexe, sans trop savoir si je viens d’assister à une parodie ou à une déclaration d’amour. Mais c’est peut-être à cette indécision qu’il fallait savoir s’abandonner.


Oko : Nicolas Péoc’h (sax alto), Lionel Mauguen (guitare), Benoît Lugué (basse électrique), Nicolas Pointard (batterie).

 

C’est généralement passé minuit et, souvent, devant un public clairsemé qu’a lieu le dernier concert de la soirée à Malguénac. J’hésite à rependre la route, mais le nom de Nicolas Pointard déjà remarqué dans les projets de Christophe Rocher, et quelques conseils autorisés, me retiennent, avec une heure limite en tête, 2heures du matin. Et je ne le regretterai pas (de rester). Pas de surprise réelle : on est ici dans le sillage de Steve Coleman (dont le parrainage du Nimbus Orchestra il y a quelques années a laissé de vives traces en Bretagne, comme s’en souvenait Laura Perrudin en coulisses tout à l’heure) et la branche secondaire ouverte en Europe par Pierre van Dormael et Aka Moon dont le souvenir laissé l’an passé reste vivace à Malguénac. Impossible de ne pas repenser au trio en entendant tourner les premiers grooves, même s’y ajoute une guitare qui éveille un autre souvenir dans la même salle, celui du concert de Wayne Krantz. Moins virtuose, pas moins rock, avec un jeu moins phrasé, plus en accords, plus riche qu’il ne le laisse supposer un geste économe, Lionel Mauguen s’inscrit dans un jeu très collectif qui renvoie directement à Aka Moon, avec quelque chose de plus humain, de plus « garage » (pour reprendre le qualificatif que le groupe s’est choisi sur son site) dans le drumming de Pointard. Lyrisme très stevecolemanien chez Nicolas Péoc’h, avec quelque chose de moins “informatisé” et un sens de l’espace qui fait que je quitte, à 2 heures sonnées, sans attendre la fin, mais à regret, enchanté et sans perplexité aucune.

Nuit sans lune, plus lumineuse qu’hier, les nuages bas reflétant les lueurs de Lorient comme une veilleuse d’opaline m’indiquent la direction à suivre pour rejoindre ma maisonnette à l’ombre de laquelle veille un ver luisant pour m’accueillir.


Demain, je ne manquerai sous aucun prétexte le groupe Charka, puis je quitterai Malguénac avant que l’affiche ne s’en soit totalement repliée, jusqu’à la prochaine édition. Entre temps, j’espère bien revenir dans la région pour assister à quelque concert au café-concert Anges de Quelven qui prend le relai tout au long de l’année. Franck Bergerot

 

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Hier 22 août, deuxième soirée du festival Arts des villes et Arts des Champs à Malguénac. Confirmation, découverte et perplexité.

 

Laura Perrudin Quartet : Laura Perrudin (harpe, chant), Edouard Ravelomanantsoa (clavier Nord), Sylvain Hannoun (basse électrique), Paul Morvan (batterie).

 

À l’occasion de son passage au Bab Ilo de Paris, j’ai déjà parlé sur ce site (à la date du 8 février 2012) de Laura Perrudin que j’avais d’abord remarquée en naviguant sur le mot harpe, animé par la perplexité qu’inspire l’instrument, et pas seulement auprès des amateurs de jazz. J’avais découvert un rapport pianistique à l’instrument (sur des pièces comme The Peacocks) avec à l’arrière-plan, plusieurs données : Laura Perrudin est nourrie de jazz depuis toujours et cite Wayne Shorter parmi ses premiers émois musicaux ; elle n’est pas entré dans le jazz par effraction, mais l’a étudié sous tous ses angles au département jazz de Saint-Brieuc où est né son quartette ; elle a réinventé la technique de la harpe en la débarrassant de ses pédales, avec une disposition chromatique des cordes sur un seul et même plan. Néanmoins, prenant conscience des limites persistantes de son instrument (sur lequel je l’ai entendue interpréter Hot House sans chercher à faire l’impossible), elle a ajouté d’autres cordes à son arc, ses cordes vocales. Une façon bien à elle de répondre à la frustration qu’elle rencontre lorsque – notamment lors d’un voyage new-yorkais – elle se trouve privée de son instrument (de facture unique). À quoi s’ajoute une culture littéraire qui la conduit à mettre en musique James Joyce, Oscar Wilde et Yeats, et une passion pour la musique de la harpiste Kristen Noguès.


C’est donc, plus qu’une pratique instrumentale, tout un monde intérieur que depuis quelques années elle s’est forgé avec la complicité des membres de son quartette dont j’avais déjà remarqué à différentes étapes de son épanouissement, à l’occasion de passages en Bretagne, le pianiste Edouard Ravelomanantsoa. Depuis ce que j’avais entendu sur différentes démos, puis au concours de la Défense l’an passé, il est vrai dans d’assez mauvaises conditions, un constat s’impose. Sur un répertoire quasiment inchangé, le jouage du groupe est en pleine maturation, un jouage très collectif, organique, qui n’est pas sans poser des problèmes de sonorisation, les fréquences de la basse, du piano et de la harpe ayant tendance à déborder l’une sur l’autre. Le problème n’est pas résolu à Malguénac où j’apprendrai en coulisse que le sonorisateur du groupe ne pouvait être présent. Car la solution, c’est un sonorisateur attaché au groupe, non pas seulement pour comprendre sa texture très particulière, mais, comme me le précise Laura Perrudin, pour en suivre les textures qui se recomposent constamment.


Malgré tout, il apparaît que ces textures se sont équilibrées et assouplies, concernant la place de la basse, la fluidité de la batterie, le rôle du piano qui grommelle dans ces textures plus qu’il ne chorusse et interragit avec la harpe dans de sidérantes mixtures de notes aigus. Car si elle ne recherche pas les guirlandes de cristal attachées à la harpe classique, Laura Perrudin ne néglige aucun registre, de l’extrême grave qu’elle fait groover avec un sens de l’espace idéal à l’extrême aigu qu’elle fait hurler, parfois à l’unisson de sa voix. Abandonnant sa harpe pour des moments d’interprétation purement vocale, elle chante les textes qu’elle s’est choisis et improvise, sur les mélodies qu’elle leur a confectionnées, passant de saisissantes vocalises mélismatiques à des improvisations plus articulées, phrasées à l’unisson de la harpe, ou s’accompagnant avec une science du voicing et une indépendance polyrythmique d’un naturel confondant qui relève tantôt du pianistique, tantôt du guitaristique (il m’est arrivé de penser à Leo Kottke), la netteté de son jeu et de sa pensée tant rythmique qu’harmonique confrontée à la spécificité de la harpe lui imposant un impressionnant travail d’étouffé sur les cordes.

En coulisse, elle raconte l’importance pour elle et son groupe de jouer à Malguénac dont les concerts des années passées ont façonné son art et celui de ses comparses et nous partageons les souvenirs de ceux qui l’on particulièrement marquée : Brian Blade, le répertoire de Jacques Pellen autour du répertoire Kristen Noguès, le duo Chris Potter-Ari Hoenig, Wayne Krantz… 


Thomas de Pourquery Supersonic : Fabrice Martinez (trompette), Thomas de Pourguery (sax alto), Laurent Bardainne (saxes ténor et baryton), Arnaud Roulin (piano, claviers), Fred Gallay (basse électrique), Edward Perraud (batterie).

 

J’arrivais perplexe, je suis sorti perplexe de cette – comment faut-il dire ? – relecture de l’œuvre de Sun Ra. J’ai vu l’orchestre de Sun Ra pour la première fois au théâtre des Amandiers à Nanterre en octobre 1970. Ce fut un choc, définitif… Après quoi, chaque disque entendu, chaque nouveau concert ne m’a jamais paru être qu’une sinistre carricature de la première fois. Peut-être parce que j’avais entendu l’orchestre à son apogée, à l’apogée de cette espèce de brocante dont les “articles” glanés au fil de son œuvre m’ont toujours paru assez médiocres. Ou peut-être simplement parce qu’avec Sun Ra, il n’y a pas de deuxième fois possible. Ce qui n’est qu’un point de vue au regard de l’aura qui accompagne sa mémoire jusqu’auprès des jeunes générations et du succès remporté par le projet Supersonic de Thomas de Pourquery. Un peu boudeur, parmi quelques compagnons auditeurs d’emblée gagnés par l’enthousiasme, je me suis laissé un peu contaminer, mes résistances tombant aussi parce que le talent individuel de chacun de ces musiciens (la rythmique Roulin, Perraud et Gallay, mais aussi la présence de Bardainne, l’exigence de Martinez) se combine à ce qu’il y a d’inqualifiable et totalement désarmant chez Thomas de Pourquery, sauf à terminer la nuit en cherchant mes mots. J’en ressors d’une certaine façon enchanté et néanmoins perplexe, sans trop savoir si je viens d’assister à une parodie ou à une déclaration d’amour. Mais c’est peut-être à cette indécision qu’il fallait savoir s’abandonner.


Oko : Nicolas Péoc’h (sax alto), Lionel Mauguen (guitare), Benoît Lugué (basse électrique), Nicolas Pointard (batterie).

 

C’est généralement passé minuit et, souvent, devant un public clairsemé qu’a lieu le dernier concert de la soirée à Malguénac. J’hésite à rependre la route, mais le nom de Nicolas Pointard déjà remarqué dans les projets de Christophe Rocher, et quelques conseils autorisés, me retiennent, avec une heure limite en tête, 2heures du matin. Et je ne le regretterai pas (de rester). Pas de surprise réelle : on est ici dans le sillage de Steve Coleman (dont le parrainage du Nimbus Orchestra il y a quelques années a laissé de vives traces en Bretagne, comme s’en souvenait Laura Perrudin en coulisses tout à l’heure) et la branche secondaire ouverte en Europe par Pierre van Dormael et Aka Moon dont le souvenir laissé l’an passé reste vivace à Malguénac. Impossible de ne pas repenser au trio en entendant tourner les premiers grooves, même s’y ajoute une guitare qui éveille un autre souvenir dans la même salle, celui du concert de Wayne Krantz. Moins virtuose, pas moins rock, avec un jeu moins phrasé, plus en accords, plus riche qu’il ne le laisse supposer un geste économe, Lionel Mauguen s’inscrit dans un jeu très collectif qui renvoie directement à Aka Moon, avec quelque chose de plus humain, de plus « garage » (pour reprendre le qualificatif que le groupe s’est choisi sur son site) dans le drumming de Pointard. Lyrisme très stevecolemanien chez Nicolas Péoc’h, avec quelque chose de moins “informatisé” et un sens de l’espace qui fait que je quitte, à 2 heures sonnées, sans attendre la fin, mais à regret, enchanté et sans perplexité aucune.

Nuit sans lune, plus lumineuse qu’hier, les nuages bas reflétant les lueurs de Lorient comme une veilleuse d’opaline m’indiquent la direction à suivre pour rejoindre ma maisonnette à l’ombre de laquelle veille un ver luisant pour m’accueillir.


Demain, je ne manquerai sous aucun prétexte le groupe Charka, puis je quitterai Malguénac avant que l’affiche ne s’en soit totalement repliée, jusqu’à la prochaine édition. Entre temps, j’espère bien revenir dans la région pour assister à quelque concert au café-concert Anges de Quelven qui prend le relai tout au long de l’année. Franck Bergerot

 

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Hier 22 août, deuxième soirée du festival Arts des villes et Arts des Champs à Malguénac. Confirmation, découverte et perplexité.

 

Laura Perrudin Quartet : Laura Perrudin (harpe, chant), Edouard Ravelomanantsoa (clavier Nord), Sylvain Hannoun (basse électrique), Paul Morvan (batterie).

 

À l’occasion de son passage au Bab Ilo de Paris, j’ai déjà parlé sur ce site (à la date du 8 février 2012) de Laura Perrudin que j’avais d’abord remarquée en naviguant sur le mot harpe, animé par la perplexité qu’inspire l’instrument, et pas seulement auprès des amateurs de jazz. J’avais découvert un rapport pianistique à l’instrument (sur des pièces comme The Peacocks) avec à l’arrière-plan, plusieurs données : Laura Perrudin est nourrie de jazz depuis toujours et cite Wayne Shorter parmi ses premiers émois musicaux ; elle n’est pas entré dans le jazz par effraction, mais l’a étudié sous tous ses angles au département jazz de Saint-Brieuc où est né son quartette ; elle a réinventé la technique de la harpe en la débarrassant de ses pédales, avec une disposition chromatique des cordes sur un seul et même plan. Néanmoins, prenant conscience des limites persistantes de son instrument (sur lequel je l’ai entendue interpréter Hot House sans chercher à faire l’impossible), elle a ajouté d’autres cordes à son arc, ses cordes vocales. Une façon bien à elle de répondre à la frustration qu’elle rencontre lorsque – notamment lors d’un voyage new-yorkais – elle se trouve privée de son instrument (de facture unique). À quoi s’ajoute une culture littéraire qui la conduit à mettre en musique James Joyce, Oscar Wilde et Yeats, et une passion pour la musique de la harpiste Kristen Noguès.


C’est donc, plus qu’une pratique instrumentale, tout un monde intérieur que depuis quelques années elle s’est forgé avec la complicité des membres de son quartette dont j’avais déjà remarqué à différentes étapes de son épanouissement, à l’occasion de passages en Bretagne, le pianiste Edouard Ravelomanantsoa. Depuis ce que j’avais entendu sur différentes démos, puis au concours de la Défense l’an passé, il est vrai dans d’assez mauvaises conditions, un constat s’impose. Sur un répertoire quasiment inchangé, le jouage du groupe est en pleine maturation, un jouage très collectif, organique, qui n’est pas sans poser des problèmes de sonorisation, les fréquences de la basse, du piano et de la harpe ayant tendance à déborder l’une sur l’autre. Le problème n’est pas résolu à Malguénac où j’apprendrai en coulisse que le sonorisateur du groupe ne pouvait être présent. Car la solution, c’est un sonorisateur attaché au groupe, non pas seulement pour comprendre sa texture très particulière, mais, comme me le précise Laura Perrudin, pour en suivre les textures qui se recomposent constamment.


Malgré tout, il apparaît que ces textures se sont équilibrées et assouplies, concernant la place de la basse, la fluidité de la batterie, le rôle du piano qui grommelle dans ces textures plus qu’il ne chorusse et interragit avec la harpe dans de sidérantes mixtures de notes aigus. Car si elle ne recherche pas les guirlandes de cristal attachées à la harpe classique, Laura Perrudin ne néglige aucun registre, de l’extrême grave qu’elle fait groover avec un sens de l’espace idéal à l’extrême aigu qu’elle fait hurler, parfois à l’unisson de sa voix. Abandonnant sa harpe pour des moments d’interprétation purement vocale, elle chante les textes qu’elle s’est choisis et improvise, sur les mélodies qu’elle leur a confectionnées, passant de saisissantes vocalises mélismatiques à des improvisations plus articulées, phrasées à l’unisson de la harpe, ou s’accompagnant avec une science du voicing et une indépendance polyrythmique d’un naturel confondant qui relève tantôt du pianistique, tantôt du guitaristique (il m’est arrivé de penser à Leo Kottke), la netteté de son jeu et de sa pensée tant rythmique qu’harmonique confrontée à la spécificité de la harpe lui imposant un impressionnant travail d’étouffé sur les cordes.

En coulisse, elle raconte l’importance pour elle et son groupe de jouer à Malguénac dont les concerts des années passées ont façonné son art et celui de ses comparses et nous partageons les souvenirs de ceux qui l’on particulièrement marquée : Brian Blade, le répertoire de Jacques Pellen autour du répertoire Kristen Noguès, le duo Chris Potter-Ari Hoenig, Wayne Krantz… 


Thomas de Pourquery Supersonic : Fabrice Martinez (trompette), Thomas de Pourguery (sax alto), Laurent Bardainne (saxes ténor et baryton), Arnaud Roulin (piano, claviers), Fred Gallay (basse électrique), Edward Perraud (batterie).

 

J’arrivais perplexe, je suis sorti perplexe de cette – comment faut-il dire ? – relecture de l’œuvre de Sun Ra. J’ai vu l’orchestre de Sun Ra pour la première fois au théâtre des Amandiers à Nanterre en octobre 1970. Ce fut un choc, définitif… Après quoi, chaque disque entendu, chaque nouveau concert ne m’a jamais paru être qu’une sinistre carricature de la première fois. Peut-être parce que j’avais entendu l’orchestre à son apogée, à l’apogée de cette espèce de brocante dont les “articles” glanés au fil de son œuvre m’ont toujours paru assez médiocres. Ou peut-être simplement parce qu’avec Sun Ra, il n’y a pas de deuxième fois possible. Ce qui n’est qu’un point de vue au regard de l’aura qui accompagne sa mémoire jusqu’auprès des jeunes générations et du succès remporté par le projet Supersonic de Thomas de Pourquery. Un peu boudeur, parmi quelques compagnons auditeurs d’emblée gagnés par l’enthousiasme, je me suis laissé un peu contaminer, mes résistances tombant aussi parce que le talent individuel de chacun de ces musiciens (la rythmique Roulin, Perraud et Gallay, mais aussi la présence de Bardainne, l’exigence de Martinez) se combine à ce qu’il y a d’inqualifiable et totalement désarmant chez Thomas de Pourquery, sauf à terminer la nuit en cherchant mes mots. J’en ressors d’une certaine façon enchanté et néanmoins perplexe, sans trop savoir si je viens d’assister à une parodie ou à une déclaration d’amour. Mais c’est peut-être à cette indécision qu’il fallait savoir s’abandonner.


Oko : Nicolas Péoc’h (sax alto), Lionel Mauguen (guitare), Benoît Lugué (basse électrique), Nicolas Pointard (batterie).

 

C’est généralement passé minuit et, souvent, devant un public clairsemé qu’a lieu le dernier concert de la soirée à Malguénac. J’hésite à rependre la route, mais le nom de Nicolas Pointard déjà remarqué dans les projets de Christophe Rocher, et quelques conseils autorisés, me retiennent, avec une heure limite en tête, 2heures du matin. Et je ne le regretterai pas (de rester). Pas de surprise réelle : on est ici dans le sillage de Steve Coleman (dont le parrainage du Nimbus Orchestra il y a quelques années a laissé de vives traces en Bretagne, comme s’en souvenait Laura Perrudin en coulisses tout à l’heure) et la branche secondaire ouverte en Europe par Pierre van Dormael et Aka Moon dont le souvenir laissé l’an passé reste vivace à Malguénac. Impossible de ne pas repenser au trio en entendant tourner les premiers grooves, même s’y ajoute une guitare qui éveille un autre souvenir dans la même salle, celui du concert de Wayne Krantz. Moins virtuose, pas moins rock, avec un jeu moins phrasé, plus en accords, plus riche qu’il ne le laisse supposer un geste économe, Lionel Mauguen s’inscrit dans un jeu très collectif qui renvoie directement à Aka Moon, avec quelque chose de plus humain, de plus « garage » (pour reprendre le qualificatif que le groupe s’est choisi sur son site) dans le drumming de Pointard. Lyrisme très stevecolemanien chez Nicolas Péoc’h, avec quelque chose de moins “informatisé” et un sens de l’espace qui fait que je quitte, à 2 heures sonnées, sans attendre la fin, mais à regret, enchanté et sans perplexité aucune.

Nuit sans lune, plus lumineuse qu’hier, les nuages bas reflétant les lueurs de Lorient comme une veilleuse d’opaline m’indiquent la direction à suivre pour rejoindre ma maisonnette à l’ombre de laquelle veille un ver luisant pour m’accueillir.


Demain, je ne manquerai sous aucun prétexte le groupe Charka, puis je quitterai Malguénac avant que l’affiche ne s’en soit totalement repliée, jusqu’à la prochaine édition. Entre temps, j’espère bien revenir dans la région pour assister à quelque concert au café-concert Anges de Quelven qui prend le relai tout au long de l’année. Franck Bergerot

 

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Hier 22 août, deuxième soirée du festival Arts des villes et Arts des Champs à Malguénac. Confirmation, découverte et perplexité.

 

Laura Perrudin Quartet : Laura Perrudin (harpe, chant), Edouard Ravelomanantsoa (clavier Nord), Sylvain Hannoun (basse électrique), Paul Morvan (batterie).

 

À l’occasion de son passage au Bab Ilo de Paris, j’ai déjà parlé sur ce site (à la date du 8 février 2012) de Laura Perrudin que j’avais d’abord remarquée en naviguant sur le mot harpe, animé par la perplexité qu’inspire l’instrument, et pas seulement auprès des amateurs de jazz. J’avais découvert un rapport pianistique à l’instrument (sur des pièces comme The Peacocks) avec à l’arrière-plan, plusieurs données : Laura Perrudin est nourrie de jazz depuis toujours et cite Wayne Shorter parmi ses premiers émois musicaux ; elle n’est pas entré dans le jazz par effraction, mais l’a étudié sous tous ses angles au département jazz de Saint-Brieuc où est né son quartette ; elle a réinventé la technique de la harpe en la débarrassant de ses pédales, avec une disposition chromatique des cordes sur un seul et même plan. Néanmoins, prenant conscience des limites persistantes de son instrument (sur lequel je l’ai entendue interpréter Hot House sans chercher à faire l’impossible), elle a ajouté d’autres cordes à son arc, ses cordes vocales. Une façon bien à elle de répondre à la frustration qu’elle rencontre lorsque – notamment lors d’un voyage new-yorkais – elle se trouve privée de son instrument (de facture unique). À quoi s’ajoute une culture littéraire qui la conduit à mettre en musique James Joyce, Oscar Wilde et Yeats, et une passion pour la musique de la harpiste Kristen Noguès.


C’est donc, plus qu’une pratique instrumentale, tout un monde intérieur que depuis quelques années elle s’est forgé avec la complicité des membres de son quartette dont j’avais déjà remarqué à différentes étapes de son épanouissement, à l’occasion de passages en Bretagne, le pianiste Edouard Ravelomanantsoa. Depuis ce que j’avais entendu sur différentes démos, puis au concours de la Défense l’an passé, il est vrai dans d’assez mauvaises conditions, un constat s’impose. Sur un répertoire quasiment inchangé, le jouage du groupe est en pleine maturation, un jouage très collectif, organique, qui n’est pas sans poser des problèmes de sonorisation, les fréquences de la basse, du piano et de la harpe ayant tendance à déborder l’une sur l’autre. Le problème n’est pas résolu à Malguénac où j’apprendrai en coulisse que le sonorisateur du groupe ne pouvait être présent. Car la solution, c’est un sonorisateur attaché au groupe, non pas seulement pour comprendre sa texture très particulière, mais, comme me le précise Laura Perrudin, pour en suivre les textures qui se recomposent constamment.


Malgré tout, il apparaît que ces textures se sont équilibrées et assouplies, concernant la place de la basse, la fluidité de la batterie, le rôle du piano qui grommelle dans ces textures plus qu’il ne chorusse et interragit avec la harpe dans de sidérantes mixtures de notes aigus. Car si elle ne recherche pas les guirlandes de cristal attachées à la harpe classique, Laura Perrudin ne néglige aucun registre, de l’extrême grave qu’elle fait groover avec un sens de l’espace idéal à l’extrême aigu qu’elle fait hurler, parfois à l’unisson de sa voix. Abandonnant sa harpe pour des moments d’interprétation purement vocale, elle chante les textes qu’elle s’est choisis et improvise, sur les mélodies qu’elle leur a confectionnées, passant de saisissantes vocalises mélismatiques à des improvisations plus articulées, phrasées à l’unisson de la harpe, ou s’accompagnant avec une science du voicing et une indépendance polyrythmique d’un naturel confondant qui relève tantôt du pianistique, tantôt du guitaristique (il m’est arrivé de penser à Leo Kottke), la netteté de son jeu et de sa pensée tant rythmique qu’harmonique confrontée à la spécificité de la harpe lui imposant un impressionnant travail d’étouffé sur les cordes.

En coulisse, elle raconte l’importance pour elle et son groupe de jouer à Malguénac dont les concerts des années passées ont façonné son art et celui de ses comparses et nous partageons les souvenirs de ceux qui l’on particulièrement marquée : Brian Blade, le répertoire de Jacques Pellen autour du répertoire Kristen Noguès, le duo Chris Potter-Ari Hoenig, Wayne Krantz… 


Thomas de Pourquery Supersonic : Fabrice Martinez (trompette), Thomas de Pourguery (sax alto), Laurent Bardainne (saxes ténor et baryton), Arnaud Roulin (piano, claviers), Fred Gallay (basse électrique), Edward Perraud (batterie).

 

J’arrivais perplexe, je suis sorti perplexe de cette – comment faut-il dire ? – relecture de l’œuvre de Sun Ra. J’ai vu l’orchestre de Sun Ra pour la première fois au théâtre des Amandiers à Nanterre en octobre 1970. Ce fut un choc, définitif… Après quoi, chaque disque entendu, chaque nouveau concert ne m’a jamais paru être qu’une sinistre carricature de la première fois. Peut-être parce que j’avais entendu l’orchestre à son apogée, à l’apogée de cette espèce de brocante dont les “articles” glanés au fil de son œuvre m’ont toujours paru assez médiocres. Ou peut-être simplement parce qu’avec Sun Ra, il n’y a pas de deuxième fois possible. Ce qui n’est qu’un point de vue au regard de l’aura qui accompagne sa mémoire jusqu’auprès des jeunes générations et du succès remporté par le projet Supersonic de Thomas de Pourquery. Un peu boudeur, parmi quelques compagnons auditeurs d’emblée gagnés par l’enthousiasme, je me suis laissé un peu contaminer, mes résistances tombant aussi parce que le talent individuel de chacun de ces musiciens (la rythmique Roulin, Perraud et Gallay, mais aussi la présence de Bardainne, l’exigence de Martinez) se combine à ce qu’il y a d’inqualifiable et totalement désarmant chez Thomas de Pourquery, sauf à terminer la nuit en cherchant mes mots. J’en ressors d’une certaine façon enchanté et néanmoins perplexe, sans trop savoir si je viens d’assister à une parodie ou à une déclaration d’amour. Mais c’est peut-être à cette indécision qu’il fallait savoir s’abandonner.


Oko : Nicolas Péoc’h (sax alto), Lionel Mauguen (guitare), Benoît Lugué (basse électrique), Nicolas Pointard (batterie).

 

C’est généralement passé minuit et, souvent, devant un public clairsemé qu’a lieu le dernier concert de la soirée à Malguénac. J’hésite à rependre la route, mais le nom de Nicolas Pointard déjà remarqué dans les projets de Christophe Rocher, et quelques conseils autorisés, me retiennent, avec une heure limite en tête, 2heures du matin. Et je ne le regretterai pas (de rester). Pas de surprise réelle : on est ici dans le sillage de Steve Coleman (dont le parrainage du Nimbus Orchestra il y a quelques années a laissé de vives traces en Bretagne, comme s’en souvenait Laura Perrudin en coulisses tout à l’heure) et la branche secondaire ouverte en Europe par Pierre van Dormael et Aka Moon dont le souvenir laissé l’an passé reste vivace à Malguénac. Impossible de ne pas repenser au trio en entendant tourner les premiers grooves, même s’y ajoute une guitare qui éveille un autre souvenir dans la même salle, celui du concert de Wayne Krantz. Moins virtuose, pas moins rock, avec un jeu moins phrasé, plus en accords, plus riche qu’il ne le laisse supposer un geste économe, Lionel Mauguen s’inscrit dans un jeu très collectif qui renvoie directement à Aka Moon, avec quelque chose de plus humain, de plus « garage » (pour reprendre le qualificatif que le groupe s’est choisi sur son site) dans le drumming de Pointard. Lyrisme très stevecolemanien chez Nicolas Péoc’h, avec quelque chose de moins “informatisé” et un sens de l’espace qui fait que je quitte, à 2 heures sonnées, sans attendre la fin, mais à regret, enchanté et sans perplexité aucune.

Nuit sans lune, plus lumineuse qu’hier, les nuages bas reflétant les lueurs de Lorient comme une veilleuse d’opaline m’indiquent la direction à suivre pour rejoindre ma maisonnette à l’ombre de laquelle veille un ver luisant pour m’accueillir.


Demain, je ne manquerai sous aucun prétexte le groupe Charka, puis je quitterai Malguénac avant que l’affiche ne s’en soit totalement repliée, jusqu’à la prochaine édition. Entre temps, j’espère bien revenir dans la région pour assister à quelque concert au café-concert Anges de Quelven qui prend le relai tout au long de l’année. Franck Bergerot