Jazz live
Publié le 23 Août 2015

Malguénac 3 : Belly Up et Jeanne Added

Comme chaque année au festival Arts des villes, Arts des champs, à Malguénac, la dernière soirée se fait pop, world, funk, soul… Ce que l’on appelle “musiques actuelles”, même si les accents canterburiens de Belly Up étaient actuels il y a quarante ans, même si le récital de Jeanne Added n’est ni plus ni moins actuel que les abstractions sonores (entendez par là sans paroles, on formatée couplet-refrain) de Franck Vaillant ou du compositeur dit “contemporain” Philippe Manoury. Foin des étiquettes, j’étais une fois encore à Malguénac hier et je n’en suis pas rentré déçu.

Belly Up : Morvan Leray (chant), Jeff Alluin (claviers), Faustine Audebert (clavier, voix), Rudy Blas (guitare basse électrique), Antonin Volson (batterie, compositions).
Présentation : Rudy Blas qui tient ici la guitare basse électrique (je tiens à cette nomenclature un peu désuète mais qui dit bien l’instrument, surtout entre les mains de Blas) est l’excellent guitariste de l’orchestre “éthiopien” Badume’s Band. Antonin Volson est le batteur du même orchestre, mais pas que et bien plus… Jef prêtait l’an dernier son piano sur cette même scène à la musique de Marion Thomas et s’est déjà signalé dans nos pages pour la direction et les arrangements de l’Amañ Octet dont il est le fondateur (album “Rumble” dans notre numéro 636)Faustine Audebert (Faustine, Charkha…), je l’ai présentée dans mon blog d’hier, tient ici un rôle d’appoint (touches de clavier, seconde voix) qui n’est peut-être pas aussi anodin qu’il y paraît. Quant à Morvan Leray, il annonce la couleur d’un groupe aux ambitions littéraires sur un répertoire tournant (très largement) autour de la beat generation : Richard Brautigan, Jim Harrison, Allen Ginsberg, Paul Lawrence Dunbar.

J’avoue que mon catalogue de référence dans le domaine pop-rock, peu étendu et peu présent à mon esprit de jazz-critic, me laisse un peu démuni pour qualifier sa voix… Disons qu’à l’entendre, je me dis que cet homme-là – son timbre, son registre, la souplesse de sa voix – pourrait chanter Message in a Bottle, mais qu’il fait preuve d’un lyrisme plus introverti que Sting, plus sombre, ou tout du moins d’une luminosité plus intérieure, plus de modestes qualités de “scatteur” (son articulation n’est pas précisément celle d’un scatteur) auxquelles il recourt avec justesse, le temps de brefs “solos” (mais dans un cadre qui reste toujours très collectif), glissements du sens vers le son qui constituent souvent le climax de ses chansons.

“Ses” chansons, ce sont en fait celles composées par Antonin Volson sur les textes des auteurs cités plus haut, et le recours au mot “progressive” présent dans le programme (mot apparu au début des années 70 pour désigner un rock plus ambitieux et si me souvenirs sont bons, d’abord en Angleterre) n’est pas vain. Chanson aux formats longs, sur des harmonies iconoclastes où le chant participe d’une trame instrumentale collective sophistiquée dont (pour ce qui concerne la partie de batterie de Voslon), Robert Wyatt et Pip Pyle sont les représentants qui me viennent à l’esprit.

Côté basse et claviers, ce sont les cousins Sinclair dont les noms me reviennent : Richard le bassiste et David le claviériste. Les claviers de Belly Up en particulier datent la musique sans avoir recours au Carbon 14 : nappes et phrasés (sans “percussion”) d’orgue Hammond, Fender Rhodes jazzy, sonorités de claviers vintage (je ne suis pas expert, mais… ça sent le moog, réel ou échantillonné), tremolo et glissando réalisés à la molette pitch bend, brefs solos extatiques… Le public est compact (plus que les jours précédents) et acquis. Est-on venu en foule pour Belly Up, le régional, ou Jeanne Added (dont la “seconde carrière” décollait en décembre dernier à Rennes au Transmusicales) ? On est en tout cas entre amis et autour de moi, j’entends chanter à l’unisson des parties qui ne sont pourtant pas de celles que l’on fredonne sous la douche. Pour ma part, j’ai apprécié l’élégance de cette voix, de ces compositions, de ces orchestrations, et je sors rajeuni de quelques décennies… sauf à dire que tout ça ne nous rajeunit pas. Ne manque peut-être plus à ce groupe pour être “actuel” que ce que Faustine Audebert, James McGaw, Hélène Brunet et Nicolas Pointard ont réalisé au sein du groupe Faustine en puisant pourtant dans un imaginaire également daté. La voix de Morvan Leray et la plume d’Antonin Volson méritent en tout cas que cet univers s’épanouisse.

Bichonnage à double sens
Hier matin, en vis-vis d’un reportage sur le centre bouddhique de Plouray, premiers comptes rendu dans Ouest France de la soirée d’ouverture du festival par Alix Demaison : « Epique, rocambolesque, extra, du grand jazz, une claque… », plus une interview d’Airelle Besson qui parle du côté sportif de la trompette et de la qualité de l’accueil à Malguénac au regard d’une photo de groupe des bénévoles. Si les musiciens se sentent bichonnés à Malguénac, les bénévoles se voient en retour bichonnés par la presse locale, déjà en photo de groupe en ouverture du supplément Pontivy du numéro d’avant-hier du Télégramme. Où l’on sent l’importance à tous les niveaux dans ces campagnes de ne pas rompre le lien social autour de ces musiques trop souvent présentées comme élitistes et que Malguénac pratiquent sans concession tout en ouvrant ses portes toutes grandes par ses activités et animations dans le bourg (vide-grenier, jeux, parade musicale, spectacle pour enfants…). Hier, la photo de Jeanne Added faisait la une de Ouest France pour annoncer l’extinction des feux à Malguénac qui partageait la page 12 du Télégramme avec la fête de l’andouille de Guéméné-sur-Scorff.

Jeanne Added (chant, guitare basse électrique, boucles, programmes)
C’est fort émouvant de redécouvrir, transfigurée devant le public de Malguénac, l’ancienne “gribouille” du CNSM de Paris, qui partageait “au début du siècle” avec Claudia Solal les parties vocales du Grand Rateau de Jérôme Rateau (attention, le revoici au Sunside, à Paris, le 20, avec entre autres Emile Parisien et Manu Codjia), que l’on a vu se chercher (et souvent se trouver, mais toujours de manière provisoire et avide) notamment au sein du trio Yes is a pleasant country revu l’an dernier en beauté à Jazz à La Villette après douze ans d’existence et dont il ne restera rien, qu’un album à télécharger assez réducteur. C’est pourquoi je me permets de rappeler par un lien mon compte rendu de l’an dernier, que Jeanne m’avait dit avoir aimé (c’est pas tous les jours qu’un tel compliment revient à la critique, plus souvent dans le rôle de l’arroseur arrosé) 

La revoici donc, avec son nouveau répertoire, mais sans son groupe, indisponible, seule avec sa basse. Pour moi qui n’ai toujours pas vu ce groupe sur scène, et qui, malgré les qualités du disque, redoute encore un peu de perdre ce que j’ai aimé chez elle, c’est un rite de passage qui me va bien. Elle s’excuse auprès du public de cette formule avec la seule basse pour soutien mais, si j’en juge à la qualité de l’écoute et de l’accueil, le public de Malguénac n’a pas besoin d’excuses. D’être là toute seule sur scène avec sa basse, voilà qui la grandit, elle qui n’est pas si grande. D’une élégance folle, avec ce air de défi qui la faisait déjà passer pour une punkette égarée dans le monde du jazz et sa voix, très en beauté, qui au fil des années est descendue vers le grave et lui confère aujourd’hui cette autorité souveraine.

Gribouille est devenue une Dame du rock. Rupture ? De ses débuts vocalisées dans les secti
ons instrumentales, aux mélodies et aux textes de sa plume ou empruntés, en passant par les choix littéraires de Yes is a pleasant country, il n’y a finalement pas de hiatus si grand, et s’il y en eut, ce fut peut-être lorsqu’elle se cherchait encore du côté du rock sans avoir tout à fait trouvé le ton. Aujourd’hui, elle l’a trouvé et c’est toujours elle, vivante, en mouvement, forte de tout cet héritage du jazz et du classique, habitée de cette rock-culture qui l’a fait rêver et sans laquelle on ne pouvait appréhender ses errances, et désormais dépouillée de tout superflu. C’est ce dépouillement que j’ai aimé hier – que l’on a aimé pourrai-je dire en impliquant, sans crainte de me tromper, le public de Malguénac –, ce simple geste sur les quatre cordes de la guitare basse, ces quelques boucles qu’elle lance l’air de rien de la pointe du pied, et ce dire mélodique et rythmique d’une poésie qui a la concision et la fermeté presque guerrière du cunéiforme taillé dans la pierre.

Pluie, départ et grand rassemblement
Le ruban des départementales et des vicinales serpentent entre mes roues, désertées de mon habituel bestiaire sous une pluie de fin d’été qui me rappelle les retours de vacances à l’approche de Paris, lorsque le pare-brise de la 4 CV pleurait, mal balayé par l’essuie-glace grinçant comme craie sur un tableau noir. Il me faudra bientôt refermer la maisonnette en parpaings que Mme Coco, l’institutrice du village, s’était fait construire à l’âge de la retraite au début des années 1960, et l’abandonner à l’humidité des froides saisons bretonnes, où j’essaierai cependant de trouver le temps de lui offrir une petite flambée de poêle, essayant de faire coïncider ma venue avec un concert d’Alban Darche à L’Estran à Guidel où il est en résidence, avec l’une des affiches du bistrot Aux Anges de Quelven ou avec l’un des bœufs endimanchés de la Grande Boutique de Langonnet.

Avant de partir, j’irai peut-être jeter un coup d’œil à l’enregistrement de la cinquième Kreiz Breizh Akademi d’Erik Marchand que j’ai souvent évoquée dans ces pages. J’aurais aimé prolonger mon séjour jusqu’au week end du 27-30 pour faire un tour au festival Fisel de Rostronen, revoir le formidable trio des chanteuses Annie Ebrel-Nolùen Lebuhé-Marthe Vassalo, où le quintette Loened Fall où cette dernière partage le chant avec Ronan Gueblez, le saxophoniste Timothée Le Bour (entendu l’an passé avec Charkha) codirigeant un quintette avec l’accordéoniste Youenn Bodros, entendre sur scène la Kreiz-Breizh Akademi, et surtout les nombreux couples biniou-bombarde ou de kan ha diskan qui feront soudain lever haut les genoux de la foule compacte des danseurs fisel, puis abattre leurs talons sur le plancher dans un tremblement tellurique évocateur de celui que dut provoquer le grand rassemblement des bêtes pour le sacrifice du Renard chez Monsieur Cyprien dans L’Ane culotte d’Henri Bosco. Mais les prochains numéros de Jazzmag me pressent à rentrer sur Paris. Franck Bergerot
Ps : À ce jour, sur spapontivy.com, Elektra, la chatonne croisée siamois qui partageait l’autre jour avec Malguénac une pleine page de Ouest France, n’a toujours pas trouvé de maître.

 

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Comme chaque année au festival Arts des villes, Arts des champs, à Malguénac, la dernière soirée se fait pop, world, funk, soul… Ce que l’on appelle “musiques actuelles”, même si les accents canterburiens de Belly Up étaient actuels il y a quarante ans, même si le récital de Jeanne Added n’est ni plus ni moins actuel que les abstractions sonores (entendez par là sans paroles, on formatée couplet-refrain) de Franck Vaillant ou du compositeur dit “contemporain” Philippe Manoury. Foin des étiquettes, j’étais une fois encore à Malguénac hier et je n’en suis pas rentré déçu.

Belly Up : Morvan Leray (chant), Jeff Alluin (claviers), Faustine Audebert (clavier, voix), Rudy Blas (guitare basse électrique), Antonin Volson (batterie, compositions).
Présentation : Rudy Blas qui tient ici la guitare basse électrique (je tiens à cette nomenclature un peu désuète mais qui dit bien l’instrument, surtout entre les mains de Blas) est l’excellent guitariste de l’orchestre “éthiopien” Badume’s Band. Antonin Volson est le batteur du même orchestre, mais pas que et bien plus… Jef prêtait l’an dernier son piano sur cette même scène à la musique de Marion Thomas et s’est déjà signalé dans nos pages pour la direction et les arrangements de l’Amañ Octet dont il est le fondateur (album “Rumble” dans notre numéro 636)Faustine Audebert (Faustine, Charkha…), je l’ai présentée dans mon blog d’hier, tient ici un rôle d’appoint (touches de clavier, seconde voix) qui n’est peut-être pas aussi anodin qu’il y paraît. Quant à Morvan Leray, il annonce la couleur d’un groupe aux ambitions littéraires sur un répertoire tournant (très largement) autour de la beat generation : Richard Brautigan, Jim Harrison, Allen Ginsberg, Paul Lawrence Dunbar.

J’avoue que mon catalogue de référence dans le domaine pop-rock, peu étendu et peu présent à mon esprit de jazz-critic, me laisse un peu démuni pour qualifier sa voix… Disons qu’à l’entendre, je me dis que cet homme-là – son timbre, son registre, la souplesse de sa voix – pourrait chanter Message in a Bottle, mais qu’il fait preuve d’un lyrisme plus introverti que Sting, plus sombre, ou tout du moins d’une luminosité plus intérieure, plus de modestes qualités de “scatteur” (son articulation n’est pas précisément celle d’un scatteur) auxquelles il recourt avec justesse, le temps de brefs “solos” (mais dans un cadre qui reste toujours très collectif), glissements du sens vers le son qui constituent souvent le climax de ses chansons.

“Ses” chansons, ce sont en fait celles composées par Antonin Volson sur les textes des auteurs cités plus haut, et le recours au mot “progressive” présent dans le programme (mot apparu au début des années 70 pour désigner un rock plus ambitieux et si me souvenirs sont bons, d’abord en Angleterre) n’est pas vain. Chanson aux formats longs, sur des harmonies iconoclastes où le chant participe d’une trame instrumentale collective sophistiquée dont (pour ce qui concerne la partie de batterie de Voslon), Robert Wyatt et Pip Pyle sont les représentants qui me viennent à l’esprit.

Côté basse et claviers, ce sont les cousins Sinclair dont les noms me reviennent : Richard le bassiste et David le claviériste. Les claviers de Belly Up en particulier datent la musique sans avoir recours au Carbon 14 : nappes et phrasés (sans “percussion”) d’orgue Hammond, Fender Rhodes jazzy, sonorités de claviers vintage (je ne suis pas expert, mais… ça sent le moog, réel ou échantillonné), tremolo et glissando réalisés à la molette pitch bend, brefs solos extatiques… Le public est compact (plus que les jours précédents) et acquis. Est-on venu en foule pour Belly Up, le régional, ou Jeanne Added (dont la “seconde carrière” décollait en décembre dernier à Rennes au Transmusicales) ? On est en tout cas entre amis et autour de moi, j’entends chanter à l’unisson des parties qui ne sont pourtant pas de celles que l’on fredonne sous la douche. Pour ma part, j’ai apprécié l’élégance de cette voix, de ces compositions, de ces orchestrations, et je sors rajeuni de quelques décennies… sauf à dire que tout ça ne nous rajeunit pas. Ne manque peut-être plus à ce groupe pour être “actuel” que ce que Faustine Audebert, James McGaw, Hélène Brunet et Nicolas Pointard ont réalisé au sein du groupe Faustine en puisant pourtant dans un imaginaire également daté. La voix de Morvan Leray et la plume d’Antonin Volson méritent en tout cas que cet univers s’épanouisse.

Bichonnage à double sens
Hier matin, en vis-vis d’un reportage sur le centre bouddhique de Plouray, premiers comptes rendu dans Ouest France de la soirée d’ouverture du festival par Alix Demaison : « Epique, rocambolesque, extra, du grand jazz, une claque… », plus une interview d’Airelle Besson qui parle du côté sportif de la trompette et de la qualité de l’accueil à Malguénac au regard d’une photo de groupe des bénévoles. Si les musiciens se sentent bichonnés à Malguénac, les bénévoles se voient en retour bichonnés par la presse locale, déjà en photo de groupe en ouverture du supplément Pontivy du numéro d’avant-hier du Télégramme. Où l’on sent l’importance à tous les niveaux dans ces campagnes de ne pas rompre le lien social autour de ces musiques trop souvent présentées comme élitistes et que Malguénac pratiquent sans concession tout en ouvrant ses portes toutes grandes par ses activités et animations dans le bourg (vide-grenier, jeux, parade musicale, spectacle pour enfants…). Hier, la photo de Jeanne Added faisait la une de Ouest France pour annoncer l’extinction des feux à Malguénac qui partageait la page 12 du Télégramme avec la fête de l’andouille de Guéméné-sur-Scorff.

Jeanne Added (chant, guitare basse électrique, boucles, programmes)
C’est fort émouvant de redécouvrir, transfigurée devant le public de Malguénac, l’ancienne “gribouille” du CNSM de Paris, qui partageait “au début du siècle” avec Claudia Solal les parties vocales du Grand Rateau de Jérôme Rateau (attention, le revoici au Sunside, à Paris, le 20, avec entre autres Emile Parisien et Manu Codjia), que l’on a vu se chercher (et souvent se trouver, mais toujours de manière provisoire et avide) notamment au sein du trio Yes is a pleasant country revu l’an dernier en beauté à Jazz à La Villette après douze ans d’existence et dont il ne restera rien, qu’un album à télécharger assez réducteur. C’est pourquoi je me permets de rappeler par un lien mon compte rendu de l’an dernier, que Jeanne m’avait dit avoir aimé (c’est pas tous les jours qu’un tel compliment revient à la critique, plus souvent dans le rôle de l’arroseur arrosé) 

La revoici donc, avec son nouveau répertoire, mais sans son groupe, indisponible, seule avec sa basse. Pour moi qui n’ai toujours pas vu ce groupe sur scène, et qui, malgré les qualités du disque, redoute encore un peu de perdre ce que j’ai aimé chez elle, c’est un rite de passage qui me va bien. Elle s’excuse auprès du public de cette formule avec la seule basse pour soutien mais, si j’en juge à la qualité de l’écoute et de l’accueil, le public de Malguénac n’a pas besoin d’excuses. D’être là toute seule sur scène avec sa basse, voilà qui la grandit, elle qui n’est pas si grande. D’une élégance folle, avec ce air de défi qui la faisait déjà passer pour une punkette égarée dans le monde du jazz et sa voix, très en beauté, qui au fil des années est descendue vers le grave et lui confère aujourd’hui cette autorité souveraine.

Gribouille est devenue une Dame du rock. Rupture ? De ses débuts vocalisées dans les secti
ons instrumentales, aux mélodies et aux textes de sa plume ou empruntés, en passant par les choix littéraires de Yes is a pleasant country, il n’y a finalement pas de hiatus si grand, et s’il y en eut, ce fut peut-être lorsqu’elle se cherchait encore du côté du rock sans avoir tout à fait trouvé le ton. Aujourd’hui, elle l’a trouvé et c’est toujours elle, vivante, en mouvement, forte de tout cet héritage du jazz et du classique, habitée de cette rock-culture qui l’a fait rêver et sans laquelle on ne pouvait appréhender ses errances, et désormais dépouillée de tout superflu. C’est ce dépouillement que j’ai aimé hier – que l’on a aimé pourrai-je dire en impliquant, sans crainte de me tromper, le public de Malguénac –, ce simple geste sur les quatre cordes de la guitare basse, ces quelques boucles qu’elle lance l’air de rien de la pointe du pied, et ce dire mélodique et rythmique d’une poésie qui a la concision et la fermeté presque guerrière du cunéiforme taillé dans la pierre.

Pluie, départ et grand rassemblement
Le ruban des départementales et des vicinales serpentent entre mes roues, désertées de mon habituel bestiaire sous une pluie de fin d’été qui me rappelle les retours de vacances à l’approche de Paris, lorsque le pare-brise de la 4 CV pleurait, mal balayé par l’essuie-glace grinçant comme craie sur un tableau noir. Il me faudra bientôt refermer la maisonnette en parpaings que Mme Coco, l’institutrice du village, s’était fait construire à l’âge de la retraite au début des années 1960, et l’abandonner à l’humidité des froides saisons bretonnes, où j’essaierai cependant de trouver le temps de lui offrir une petite flambée de poêle, essayant de faire coïncider ma venue avec un concert d’Alban Darche à L’Estran à Guidel où il est en résidence, avec l’une des affiches du bistrot Aux Anges de Quelven ou avec l’un des bœufs endimanchés de la Grande Boutique de Langonnet.

Avant de partir, j’irai peut-être jeter un coup d’œil à l’enregistrement de la cinquième Kreiz Breizh Akademi d’Erik Marchand que j’ai souvent évoquée dans ces pages. J’aurais aimé prolonger mon séjour jusqu’au week end du 27-30 pour faire un tour au festival Fisel de Rostronen, revoir le formidable trio des chanteuses Annie Ebrel-Nolùen Lebuhé-Marthe Vassalo, où le quintette Loened Fall où cette dernière partage le chant avec Ronan Gueblez, le saxophoniste Timothée Le Bour (entendu l’an passé avec Charkha) codirigeant un quintette avec l’accordéoniste Youenn Bodros, entendre sur scène la Kreiz-Breizh Akademi, et surtout les nombreux couples biniou-bombarde ou de kan ha diskan qui feront soudain lever haut les genoux de la foule compacte des danseurs fisel, puis abattre leurs talons sur le plancher dans un tremblement tellurique évocateur de celui que dut provoquer le grand rassemblement des bêtes pour le sacrifice du Renard chez Monsieur Cyprien dans L’Ane culotte d’Henri Bosco. Mais les prochains numéros de Jazzmag me pressent à rentrer sur Paris. Franck Bergerot
Ps : À ce jour, sur spapontivy.com, Elektra, la chatonne croisée siamois qui partageait l’autre jour avec Malguénac une pleine page de Ouest France, n’a toujours pas trouvé de maître.

 

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Comme chaque année au festival Arts des villes, Arts des champs, à Malguénac, la dernière soirée se fait pop, world, funk, soul… Ce que l’on appelle “musiques actuelles”, même si les accents canterburiens de Belly Up étaient actuels il y a quarante ans, même si le récital de Jeanne Added n’est ni plus ni moins actuel que les abstractions sonores (entendez par là sans paroles, on formatée couplet-refrain) de Franck Vaillant ou du compositeur dit “contemporain” Philippe Manoury. Foin des étiquettes, j’étais une fois encore à Malguénac hier et je n’en suis pas rentré déçu.

Belly Up : Morvan Leray (chant), Jeff Alluin (claviers), Faustine Audebert (clavier, voix), Rudy Blas (guitare basse électrique), Antonin Volson (batterie, compositions).
Présentation : Rudy Blas qui tient ici la guitare basse électrique (je tiens à cette nomenclature un peu désuète mais qui dit bien l’instrument, surtout entre les mains de Blas) est l’excellent guitariste de l’orchestre “éthiopien” Badume’s Band. Antonin Volson est le batteur du même orchestre, mais pas que et bien plus… Jef prêtait l’an dernier son piano sur cette même scène à la musique de Marion Thomas et s’est déjà signalé dans nos pages pour la direction et les arrangements de l’Amañ Octet dont il est le fondateur (album “Rumble” dans notre numéro 636)Faustine Audebert (Faustine, Charkha…), je l’ai présentée dans mon blog d’hier, tient ici un rôle d’appoint (touches de clavier, seconde voix) qui n’est peut-être pas aussi anodin qu’il y paraît. Quant à Morvan Leray, il annonce la couleur d’un groupe aux ambitions littéraires sur un répertoire tournant (très largement) autour de la beat generation : Richard Brautigan, Jim Harrison, Allen Ginsberg, Paul Lawrence Dunbar.

J’avoue que mon catalogue de référence dans le domaine pop-rock, peu étendu et peu présent à mon esprit de jazz-critic, me laisse un peu démuni pour qualifier sa voix… Disons qu’à l’entendre, je me dis que cet homme-là – son timbre, son registre, la souplesse de sa voix – pourrait chanter Message in a Bottle, mais qu’il fait preuve d’un lyrisme plus introverti que Sting, plus sombre, ou tout du moins d’une luminosité plus intérieure, plus de modestes qualités de “scatteur” (son articulation n’est pas précisément celle d’un scatteur) auxquelles il recourt avec justesse, le temps de brefs “solos” (mais dans un cadre qui reste toujours très collectif), glissements du sens vers le son qui constituent souvent le climax de ses chansons.

“Ses” chansons, ce sont en fait celles composées par Antonin Volson sur les textes des auteurs cités plus haut, et le recours au mot “progressive” présent dans le programme (mot apparu au début des années 70 pour désigner un rock plus ambitieux et si me souvenirs sont bons, d’abord en Angleterre) n’est pas vain. Chanson aux formats longs, sur des harmonies iconoclastes où le chant participe d’une trame instrumentale collective sophistiquée dont (pour ce qui concerne la partie de batterie de Voslon), Robert Wyatt et Pip Pyle sont les représentants qui me viennent à l’esprit.

Côté basse et claviers, ce sont les cousins Sinclair dont les noms me reviennent : Richard le bassiste et David le claviériste. Les claviers de Belly Up en particulier datent la musique sans avoir recours au Carbon 14 : nappes et phrasés (sans “percussion”) d’orgue Hammond, Fender Rhodes jazzy, sonorités de claviers vintage (je ne suis pas expert, mais… ça sent le moog, réel ou échantillonné), tremolo et glissando réalisés à la molette pitch bend, brefs solos extatiques… Le public est compact (plus que les jours précédents) et acquis. Est-on venu en foule pour Belly Up, le régional, ou Jeanne Added (dont la “seconde carrière” décollait en décembre dernier à Rennes au Transmusicales) ? On est en tout cas entre amis et autour de moi, j’entends chanter à l’unisson des parties qui ne sont pourtant pas de celles que l’on fredonne sous la douche. Pour ma part, j’ai apprécié l’élégance de cette voix, de ces compositions, de ces orchestrations, et je sors rajeuni de quelques décennies… sauf à dire que tout ça ne nous rajeunit pas. Ne manque peut-être plus à ce groupe pour être “actuel” que ce que Faustine Audebert, James McGaw, Hélène Brunet et Nicolas Pointard ont réalisé au sein du groupe Faustine en puisant pourtant dans un imaginaire également daté. La voix de Morvan Leray et la plume d’Antonin Volson méritent en tout cas que cet univers s’épanouisse.

Bichonnage à double sens
Hier matin, en vis-vis d’un reportage sur le centre bouddhique de Plouray, premiers comptes rendu dans Ouest France de la soirée d’ouverture du festival par Alix Demaison : « Epique, rocambolesque, extra, du grand jazz, une claque… », plus une interview d’Airelle Besson qui parle du côté sportif de la trompette et de la qualité de l’accueil à Malguénac au regard d’une photo de groupe des bénévoles. Si les musiciens se sentent bichonnés à Malguénac, les bénévoles se voient en retour bichonnés par la presse locale, déjà en photo de groupe en ouverture du supplément Pontivy du numéro d’avant-hier du Télégramme. Où l’on sent l’importance à tous les niveaux dans ces campagnes de ne pas rompre le lien social autour de ces musiques trop souvent présentées comme élitistes et que Malguénac pratiquent sans concession tout en ouvrant ses portes toutes grandes par ses activités et animations dans le bourg (vide-grenier, jeux, parade musicale, spectacle pour enfants…). Hier, la photo de Jeanne Added faisait la une de Ouest France pour annoncer l’extinction des feux à Malguénac qui partageait la page 12 du Télégramme avec la fête de l’andouille de Guéméné-sur-Scorff.

Jeanne Added (chant, guitare basse électrique, boucles, programmes)
C’est fort émouvant de redécouvrir, transfigurée devant le public de Malguénac, l’ancienne “gribouille” du CNSM de Paris, qui partageait “au début du siècle” avec Claudia Solal les parties vocales du Grand Rateau de Jérôme Rateau (attention, le revoici au Sunside, à Paris, le 20, avec entre autres Emile Parisien et Manu Codjia), que l’on a vu se chercher (et souvent se trouver, mais toujours de manière provisoire et avide) notamment au sein du trio Yes is a pleasant country revu l’an dernier en beauté à Jazz à La Villette après douze ans d’existence et dont il ne restera rien, qu’un album à télécharger assez réducteur. C’est pourquoi je me permets de rappeler par un lien mon compte rendu de l’an dernier, que Jeanne m’avait dit avoir aimé (c’est pas tous les jours qu’un tel compliment revient à la critique, plus souvent dans le rôle de l’arroseur arrosé) 

La revoici donc, avec son nouveau répertoire, mais sans son groupe, indisponible, seule avec sa basse. Pour moi qui n’ai toujours pas vu ce groupe sur scène, et qui, malgré les qualités du disque, redoute encore un peu de perdre ce que j’ai aimé chez elle, c’est un rite de passage qui me va bien. Elle s’excuse auprès du public de cette formule avec la seule basse pour soutien mais, si j’en juge à la qualité de l’écoute et de l’accueil, le public de Malguénac n’a pas besoin d’excuses. D’être là toute seule sur scène avec sa basse, voilà qui la grandit, elle qui n’est pas si grande. D’une élégance folle, avec ce air de défi qui la faisait déjà passer pour une punkette égarée dans le monde du jazz et sa voix, très en beauté, qui au fil des années est descendue vers le grave et lui confère aujourd’hui cette autorité souveraine.

Gribouille est devenue une Dame du rock. Rupture ? De ses débuts vocalisées dans les secti
ons instrumentales, aux mélodies et aux textes de sa plume ou empruntés, en passant par les choix littéraires de Yes is a pleasant country, il n’y a finalement pas de hiatus si grand, et s’il y en eut, ce fut peut-être lorsqu’elle se cherchait encore du côté du rock sans avoir tout à fait trouvé le ton. Aujourd’hui, elle l’a trouvé et c’est toujours elle, vivante, en mouvement, forte de tout cet héritage du jazz et du classique, habitée de cette rock-culture qui l’a fait rêver et sans laquelle on ne pouvait appréhender ses errances, et désormais dépouillée de tout superflu. C’est ce dépouillement que j’ai aimé hier – que l’on a aimé pourrai-je dire en impliquant, sans crainte de me tromper, le public de Malguénac –, ce simple geste sur les quatre cordes de la guitare basse, ces quelques boucles qu’elle lance l’air de rien de la pointe du pied, et ce dire mélodique et rythmique d’une poésie qui a la concision et la fermeté presque guerrière du cunéiforme taillé dans la pierre.

Pluie, départ et grand rassemblement
Le ruban des départementales et des vicinales serpentent entre mes roues, désertées de mon habituel bestiaire sous une pluie de fin d’été qui me rappelle les retours de vacances à l’approche de Paris, lorsque le pare-brise de la 4 CV pleurait, mal balayé par l’essuie-glace grinçant comme craie sur un tableau noir. Il me faudra bientôt refermer la maisonnette en parpaings que Mme Coco, l’institutrice du village, s’était fait construire à l’âge de la retraite au début des années 1960, et l’abandonner à l’humidité des froides saisons bretonnes, où j’essaierai cependant de trouver le temps de lui offrir une petite flambée de poêle, essayant de faire coïncider ma venue avec un concert d’Alban Darche à L’Estran à Guidel où il est en résidence, avec l’une des affiches du bistrot Aux Anges de Quelven ou avec l’un des bœufs endimanchés de la Grande Boutique de Langonnet.

Avant de partir, j’irai peut-être jeter un coup d’œil à l’enregistrement de la cinquième Kreiz Breizh Akademi d’Erik Marchand que j’ai souvent évoquée dans ces pages. J’aurais aimé prolonger mon séjour jusqu’au week end du 27-30 pour faire un tour au festival Fisel de Rostronen, revoir le formidable trio des chanteuses Annie Ebrel-Nolùen Lebuhé-Marthe Vassalo, où le quintette Loened Fall où cette dernière partage le chant avec Ronan Gueblez, le saxophoniste Timothée Le Bour (entendu l’an passé avec Charkha) codirigeant un quintette avec l’accordéoniste Youenn Bodros, entendre sur scène la Kreiz-Breizh Akademi, et surtout les nombreux couples biniou-bombarde ou de kan ha diskan qui feront soudain lever haut les genoux de la foule compacte des danseurs fisel, puis abattre leurs talons sur le plancher dans un tremblement tellurique évocateur de celui que dut provoquer le grand rassemblement des bêtes pour le sacrifice du Renard chez Monsieur Cyprien dans L’Ane culotte d’Henri Bosco. Mais les prochains numéros de Jazzmag me pressent à rentrer sur Paris. Franck Bergerot
Ps : À ce jour, sur spapontivy.com, Elektra, la chatonne croisée siamois qui partageait l’autre jour avec Malguénac une pleine page de Ouest France, n’a toujours pas trouvé de maître.

 

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Comme chaque année au festival Arts des villes, Arts des champs, à Malguénac, la dernière soirée se fait pop, world, funk, soul… Ce que l’on appelle “musiques actuelles”, même si les accents canterburiens de Belly Up étaient actuels il y a quarante ans, même si le récital de Jeanne Added n’est ni plus ni moins actuel que les abstractions sonores (entendez par là sans paroles, on formatée couplet-refrain) de Franck Vaillant ou du compositeur dit “contemporain” Philippe Manoury. Foin des étiquettes, j’étais une fois encore à Malguénac hier et je n’en suis pas rentré déçu.

Belly Up : Morvan Leray (chant), Jeff Alluin (claviers), Faustine Audebert (clavier, voix), Rudy Blas (guitare basse électrique), Antonin Volson (batterie, compositions).
Présentation : Rudy Blas qui tient ici la guitare basse électrique (je tiens à cette nomenclature un peu désuète mais qui dit bien l’instrument, surtout entre les mains de Blas) est l’excellent guitariste de l’orchestre “éthiopien” Badume’s Band. Antonin Volson est le batteur du même orchestre, mais pas que et bien plus… Jef prêtait l’an dernier son piano sur cette même scène à la musique de Marion Thomas et s’est déjà signalé dans nos pages pour la direction et les arrangements de l’Amañ Octet dont il est le fondateur (album “Rumble” dans notre numéro 636)Faustine Audebert (Faustine, Charkha…), je l’ai présentée dans mon blog d’hier, tient ici un rôle d’appoint (touches de clavier, seconde voix) qui n’est peut-être pas aussi anodin qu’il y paraît. Quant à Morvan Leray, il annonce la couleur d’un groupe aux ambitions littéraires sur un répertoire tournant (très largement) autour de la beat generation : Richard Brautigan, Jim Harrison, Allen Ginsberg, Paul Lawrence Dunbar.

J’avoue que mon catalogue de référence dans le domaine pop-rock, peu étendu et peu présent à mon esprit de jazz-critic, me laisse un peu démuni pour qualifier sa voix… Disons qu’à l’entendre, je me dis que cet homme-là – son timbre, son registre, la souplesse de sa voix – pourrait chanter Message in a Bottle, mais qu’il fait preuve d’un lyrisme plus introverti que Sting, plus sombre, ou tout du moins d’une luminosité plus intérieure, plus de modestes qualités de “scatteur” (son articulation n’est pas précisément celle d’un scatteur) auxquelles il recourt avec justesse, le temps de brefs “solos” (mais dans un cadre qui reste toujours très collectif), glissements du sens vers le son qui constituent souvent le climax de ses chansons.

“Ses” chansons, ce sont en fait celles composées par Antonin Volson sur les textes des auteurs cités plus haut, et le recours au mot “progressive” présent dans le programme (mot apparu au début des années 70 pour désigner un rock plus ambitieux et si me souvenirs sont bons, d’abord en Angleterre) n’est pas vain. Chanson aux formats longs, sur des harmonies iconoclastes où le chant participe d’une trame instrumentale collective sophistiquée dont (pour ce qui concerne la partie de batterie de Voslon), Robert Wyatt et Pip Pyle sont les représentants qui me viennent à l’esprit.

Côté basse et claviers, ce sont les cousins Sinclair dont les noms me reviennent : Richard le bassiste et David le claviériste. Les claviers de Belly Up en particulier datent la musique sans avoir recours au Carbon 14 : nappes et phrasés (sans “percussion”) d’orgue Hammond, Fender Rhodes jazzy, sonorités de claviers vintage (je ne suis pas expert, mais… ça sent le moog, réel ou échantillonné), tremolo et glissando réalisés à la molette pitch bend, brefs solos extatiques… Le public est compact (plus que les jours précédents) et acquis. Est-on venu en foule pour Belly Up, le régional, ou Jeanne Added (dont la “seconde carrière” décollait en décembre dernier à Rennes au Transmusicales) ? On est en tout cas entre amis et autour de moi, j’entends chanter à l’unisson des parties qui ne sont pourtant pas de celles que l’on fredonne sous la douche. Pour ma part, j’ai apprécié l’élégance de cette voix, de ces compositions, de ces orchestrations, et je sors rajeuni de quelques décennies… sauf à dire que tout ça ne nous rajeunit pas. Ne manque peut-être plus à ce groupe pour être “actuel” que ce que Faustine Audebert, James McGaw, Hélène Brunet et Nicolas Pointard ont réalisé au sein du groupe Faustine en puisant pourtant dans un imaginaire également daté. La voix de Morvan Leray et la plume d’Antonin Volson méritent en tout cas que cet univers s’épanouisse.

Bichonnage à double sens
Hier matin, en vis-vis d’un reportage sur le centre bouddhique de Plouray, premiers comptes rendu dans Ouest France de la soirée d’ouverture du festival par Alix Demaison : « Epique, rocambolesque, extra, du grand jazz, une claque… », plus une interview d’Airelle Besson qui parle du côté sportif de la trompette et de la qualité de l’accueil à Malguénac au regard d’une photo de groupe des bénévoles. Si les musiciens se sentent bichonnés à Malguénac, les bénévoles se voient en retour bichonnés par la presse locale, déjà en photo de groupe en ouverture du supplément Pontivy du numéro d’avant-hier du Télégramme. Où l’on sent l’importance à tous les niveaux dans ces campagnes de ne pas rompre le lien social autour de ces musiques trop souvent présentées comme élitistes et que Malguénac pratiquent sans concession tout en ouvrant ses portes toutes grandes par ses activités et animations dans le bourg (vide-grenier, jeux, parade musicale, spectacle pour enfants…). Hier, la photo de Jeanne Added faisait la une de Ouest France pour annoncer l’extinction des feux à Malguénac qui partageait la page 12 du Télégramme avec la fête de l’andouille de Guéméné-sur-Scorff.

Jeanne Added (chant, guitare basse électrique, boucles, programmes)
C’est fort émouvant de redécouvrir, transfigurée devant le public de Malguénac, l’ancienne “gribouille” du CNSM de Paris, qui partageait “au début du siècle” avec Claudia Solal les parties vocales du Grand Rateau de Jérôme Rateau (attention, le revoici au Sunside, à Paris, le 20, avec entre autres Emile Parisien et Manu Codjia), que l’on a vu se chercher (et souvent se trouver, mais toujours de manière provisoire et avide) notamment au sein du trio Yes is a pleasant country revu l’an dernier en beauté à Jazz à La Villette après douze ans d’existence et dont il ne restera rien, qu’un album à télécharger assez réducteur. C’est pourquoi je me permets de rappeler par un lien mon compte rendu de l’an dernier, que Jeanne m’avait dit avoir aimé (c’est pas tous les jours qu’un tel compliment revient à la critique, plus souvent dans le rôle de l’arroseur arrosé) 

La revoici donc, avec son nouveau répertoire, mais sans son groupe, indisponible, seule avec sa basse. Pour moi qui n’ai toujours pas vu ce groupe sur scène, et qui, malgré les qualités du disque, redoute encore un peu de perdre ce que j’ai aimé chez elle, c’est un rite de passage qui me va bien. Elle s’excuse auprès du public de cette formule avec la seule basse pour soutien mais, si j’en juge à la qualité de l’écoute et de l’accueil, le public de Malguénac n’a pas besoin d’excuses. D’être là toute seule sur scène avec sa basse, voilà qui la grandit, elle qui n’est pas si grande. D’une élégance folle, avec ce air de défi qui la faisait déjà passer pour une punkette égarée dans le monde du jazz et sa voix, très en beauté, qui au fil des années est descendue vers le grave et lui confère aujourd’hui cette autorité souveraine.

Gribouille est devenue une Dame du rock. Rupture ? De ses débuts vocalisées dans les secti
ons instrumentales, aux mélodies et aux textes de sa plume ou empruntés, en passant par les choix littéraires de Yes is a pleasant country, il n’y a finalement pas de hiatus si grand, et s’il y en eut, ce fut peut-être lorsqu’elle se cherchait encore du côté du rock sans avoir tout à fait trouvé le ton. Aujourd’hui, elle l’a trouvé et c’est toujours elle, vivante, en mouvement, forte de tout cet héritage du jazz et du classique, habitée de cette rock-culture qui l’a fait rêver et sans laquelle on ne pouvait appréhender ses errances, et désormais dépouillée de tout superflu. C’est ce dépouillement que j’ai aimé hier – que l’on a aimé pourrai-je dire en impliquant, sans crainte de me tromper, le public de Malguénac –, ce simple geste sur les quatre cordes de la guitare basse, ces quelques boucles qu’elle lance l’air de rien de la pointe du pied, et ce dire mélodique et rythmique d’une poésie qui a la concision et la fermeté presque guerrière du cunéiforme taillé dans la pierre.

Pluie, départ et grand rassemblement
Le ruban des départementales et des vicinales serpentent entre mes roues, désertées de mon habituel bestiaire sous une pluie de fin d’été qui me rappelle les retours de vacances à l’approche de Paris, lorsque le pare-brise de la 4 CV pleurait, mal balayé par l’essuie-glace grinçant comme craie sur un tableau noir. Il me faudra bientôt refermer la maisonnette en parpaings que Mme Coco, l’institutrice du village, s’était fait construire à l’âge de la retraite au début des années 1960, et l’abandonner à l’humidité des froides saisons bretonnes, où j’essaierai cependant de trouver le temps de lui offrir une petite flambée de poêle, essayant de faire coïncider ma venue avec un concert d’Alban Darche à L’Estran à Guidel où il est en résidence, avec l’une des affiches du bistrot Aux Anges de Quelven ou avec l’un des bœufs endimanchés de la Grande Boutique de Langonnet.

Avant de partir, j’irai peut-être jeter un coup d’œil à l’enregistrement de la cinquième Kreiz Breizh Akademi d’Erik Marchand que j’ai souvent évoquée dans ces pages. J’aurais aimé prolonger mon séjour jusqu’au week end du 27-30 pour faire un tour au festival Fisel de Rostronen, revoir le formidable trio des chanteuses Annie Ebrel-Nolùen Lebuhé-Marthe Vassalo, où le quintette Loened Fall où cette dernière partage le chant avec Ronan Gueblez, le saxophoniste Timothée Le Bour (entendu l’an passé avec Charkha) codirigeant un quintette avec l’accordéoniste Youenn Bodros, entendre sur scène la Kreiz-Breizh Akademi, et surtout les nombreux couples biniou-bombarde ou de kan ha diskan qui feront soudain lever haut les genoux de la foule compacte des danseurs fisel, puis abattre leurs talons sur le plancher dans un tremblement tellurique évocateur de celui que dut provoquer le grand rassemblement des bêtes pour le sacrifice du Renard chez Monsieur Cyprien dans L’Ane culotte d’Henri Bosco. Mais les prochains numéros de Jazzmag me pressent à rentrer sur Paris. Franck Bergerot
Ps : À ce jour, sur spapontivy.com, Elektra, la chatonne croisée siamois qui partageait l’autre jour avec Malguénac une pleine page de Ouest France, n’a toujours pas trouvé de maître.