Jazz live
Publié le 9 Oct 2013

Marc Ducret et ses Real Thing ou Eric Barret et Jacques Pellen

Ce soir, on avait l’embarras du choix : le guitariste Marc Ducret et ses Real Thing #1 et 3 à la Dynamo de Pantin ou le saxophoniste Eric Barret et le guitariste Jacques Pellen au Sunset. Franck Bergerot n’a pas choisi, s’est planté et s’est consolé avec un compote de coings.

 

J’ai lu un jour, quelque part, que les coings tenaient leur nom de ce qu’ils poussaient dans les coins. Je n’ai jamais voulu vérifier cette affirmation. Cette idée me convenait. Cet arbre un peu sauvage, aux fruits pelucheux lorsqu’il sont immatures, à toujours l’air d’avoir été oublié dans un coin. Toujours est-il qu’en rentrant de concert ce soir, je me suis arrêté un instant sous le cognassier qui pousse au coin de mon immeuble pour respirer l’odeur des coings et en ramasser ceux que l’obscurité me laissait apercevoir. La pluie de la soirée commençant à sécher, leur parfum remontait avec les dernières vapeurs, sans toutefois atteindre l’intensité voluptueuse des arômes que distilaient les chaleurs automnales de la semaine dernière. N’en subsistaient plus que quelques discrètes fragances en lambeaux que seul un odorat dilaté par le désir de les percevoir (les jeunes filles de l’Antiquité mangeaient des coings pour attirer les baisers des jeunes gens) était capable les repérer parmi les senteurs de terre et de feuilles mouillées soulignées par la décomposition des premiers fruits tombés au sol.

 

Nous n’avons pas eu le temps cette année de nous livrer à notre cueillette annuelle dont Blueraie tire une gelée qui accompagne nos petits déjeuners jusqu’au printemps et dont je confectionne une pâte qui fait les délices des permanents de Jazzmag, mais chaque fois que nous sommes passés là ces derniers jours, nous avons ramassé les quelques fruits nécessaires à une compote.

 

Je crois hélas, que nous sommes les seuls de l’immeuble à ramasser ces coings et, une fois encore, ce qui devrait prendre le nom de récolte pourrira au sol ou sur la branche. Mes voisins savent-ils ce qu’est un coing ? En savent-ils le goût ? Redoutent-ils son âpreté, le côté sableux, voire légèrement caillouteux, de sa chair ou la peine qu’occasionnent son épeluchage et sa découpe ? Debout sous l’arbre , je me posais ces questions qui en faisaient venir d’autres : pourquoi personne dans mon immeuble n’aurait eu l’idée d’aller écouter Marc Ducret ou Jacques Pellen (car telle était l’alternative qui m’a fait courir ce soir de Pantin à Châtelet) ? Pourquoi personne en connaît-il même les noms ? Pourquoi personne ne connaît même le genre de musique qu’ils jouent l’un et l’autre chacun à leur manière ? Quelle étrange chose, lorsque l’on sait qu’il en va de même à France Culture par exemple, où j’étais invité dimanche dernier de l’émission Soft Power de Frédéric Martel ? France Culture, la radio de l’intelligence, du savoir et des Arts, où plus personne ne semble connaître du mot jazz que le y de jazzy, à l’heure où la musique dont on proclame le retour sur les ondes n’est plus à 90% que chanson et théâtre musical, privilégiant le produit breveté, calibré, traité, irradié, sans pépins, tout épluché, réduit à ces infames arômes de thés fruités, compotes et sirops industriels aux saveurs médicamenteuses. Mais revenons à l’authenticité du coing.

 

La Dynamo, Pantin (93), le 9 octobre 2013, 20h30

 

Marc Ducret (compositions et guitare électrique) +

Real Thing # 1 : Kasper Tranberg (trompette), Matthias Malher (trombone), Frédéric Gastard (sax basse), Peter Brunn (batterie)

Real Thing #3 : Matthias Malher, Christiane Bopp, Alexis Persignan (trombones), Antonin Rayon (piano), Sylvain Lemetre (percussions).


Ce soir à la Dynamo, Marc Ducret présentait donc les volets 1 et 3 de son projet Tower Bridge inspiré du roman Ada ou l’ardeur de Vladimir Nabokov. J’en ai déjà parlé dans ce blog et dans nos pages papier, assez mal d’ailleurs, et, vu l’heure, je ne ferai pas mieux, c’est pourquoi je tire à la ligne avec des histoires de coings. Mais disons que j’ai été une nouvelle fois happé par ces réseaux labyrinthiques que Ducret réaménage d’un orchestre à l’autre et d’une combinaison à l’autre, puisque le jeu a été pour lui d’écrire un même répertoire pour trois orchestres différents, chacun susceptible de le jouer seul, avec l’un ou l’autre ou les trois réunis, au gré des occasions et des disponibilités.

 

D’où cette œuvre que l’on redécouvre à chaque fois sous un jour différent, tel un mobile. J’ai gardé notamment ce soir le souvenir d’une ouverture en trio guitare/sax/batterie qui mettait évidemment en valeur la musicalité fluide de l’étonnant Peter Brunn, mais surtout, comme jamais, le phrasé de Fred Gastard dont on retient habituellement l’énergie inéxorable avec laquelle il porte l’orchestre dans son rôle de basse. J’ai retrouvé ce trio plus loin, avec cette fois un Gastard vibrionnant comme un gros générateur de fréquences. Moments volés à ce roman sonore  dont il faudrait détailler les tutti comme les combinaisons diverses permises par l’effectif présent (tel ce duo de polyrythmie “ligettienne” entre Antonin Rayon et Sylvain Lemêtre), où l’on s’égare après avoir reconnu tel ostinato, telle sonnerie, tel motif thématique, tel entrelacs contrapuntique que l’on commence à avoir en tête à force de revenir à ces “choses vraies”.

 

Et puis soudain, à la fin de Real Thing #1 (car c’est aussi un nom de morceau), voici Lucette, la perdante malheureuse du roman de Nabokov qui inspira voici bien 25 ans à Ducret le thème de Julie s’est noyée. J’ai déjà mentionné maintes fois son existence et je radote certainement, mais avant même de savoir d’où venait cette mélodie qui m’avait marquée la première fois que je l’avais entendue dans les années 80 lors d’un concert Ducret/Emler à Dunois, le récit de la noyade de Lucette s’est emparé de mon imagination qu’il hante désormais. Et je ne crois pas avoir auparavant repéré la résurgence de ce thème à cet endroit, mais plutôt à la fin de Real Thing #3…  avec ces titres numérotés, il faut dire que je me perds un peu. Mais c’est ici une résurgence fantômatique, d’un corps déjà démembré, presque déchiqueté, par la tempête sonore de ce final.

 

Sunset, Paris (75), le 9 octobre 2013, 23h15.

 

Eric Barret (saxes soprano et ténor), Jacques Pellen (guitares électrique et acoustique 12 cordes)

 

J’ai déserté le concert de Ducret à l’issue du premier morceau après l’entracte (Real Thing #2) pour rejoindre le Sunset où je suis arrivé à temps pour voir les deux musiciens ranger leurs instruments. En effet, c’est bon à savoir, les concerts du Sunset commencent désormais à 20h45. Je vous renverrai donc au bel air du pays de Baud joué par Eric Barret et Jacques Pellen, que j’ai apporté dimanche dernier à l’émission d’Elsa Boublil, Summertime , sur France Inter, et à la chronique du disque “Quiet Place” d’Eric Barret en duo avec Jacques Pellen, à paraître dans notre numéro de novembre. Je vous quitte, mes coings vont brûler.

 

Franck Bergerot

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Ce soir, on avait l’embarras du choix : le guitariste Marc Ducret et ses Real Thing #1 et 3 à la Dynamo de Pantin ou le saxophoniste Eric Barret et le guitariste Jacques Pellen au Sunset. Franck Bergerot n’a pas choisi, s’est planté et s’est consolé avec un compote de coings.

 

J’ai lu un jour, quelque part, que les coings tenaient leur nom de ce qu’ils poussaient dans les coins. Je n’ai jamais voulu vérifier cette affirmation. Cette idée me convenait. Cet arbre un peu sauvage, aux fruits pelucheux lorsqu’il sont immatures, à toujours l’air d’avoir été oublié dans un coin. Toujours est-il qu’en rentrant de concert ce soir, je me suis arrêté un instant sous le cognassier qui pousse au coin de mon immeuble pour respirer l’odeur des coings et en ramasser ceux que l’obscurité me laissait apercevoir. La pluie de la soirée commençant à sécher, leur parfum remontait avec les dernières vapeurs, sans toutefois atteindre l’intensité voluptueuse des arômes que distilaient les chaleurs automnales de la semaine dernière. N’en subsistaient plus que quelques discrètes fragances en lambeaux que seul un odorat dilaté par le désir de les percevoir (les jeunes filles de l’Antiquité mangeaient des coings pour attirer les baisers des jeunes gens) était capable les repérer parmi les senteurs de terre et de feuilles mouillées soulignées par la décomposition des premiers fruits tombés au sol.

 

Nous n’avons pas eu le temps cette année de nous livrer à notre cueillette annuelle dont Blueraie tire une gelée qui accompagne nos petits déjeuners jusqu’au printemps et dont je confectionne une pâte qui fait les délices des permanents de Jazzmag, mais chaque fois que nous sommes passés là ces derniers jours, nous avons ramassé les quelques fruits nécessaires à une compote.

 

Je crois hélas, que nous sommes les seuls de l’immeuble à ramasser ces coings et, une fois encore, ce qui devrait prendre le nom de récolte pourrira au sol ou sur la branche. Mes voisins savent-ils ce qu’est un coing ? En savent-ils le goût ? Redoutent-ils son âpreté, le côté sableux, voire légèrement caillouteux, de sa chair ou la peine qu’occasionnent son épeluchage et sa découpe ? Debout sous l’arbre , je me posais ces questions qui en faisaient venir d’autres : pourquoi personne dans mon immeuble n’aurait eu l’idée d’aller écouter Marc Ducret ou Jacques Pellen (car telle était l’alternative qui m’a fait courir ce soir de Pantin à Châtelet) ? Pourquoi personne en connaît-il même les noms ? Pourquoi personne ne connaît même le genre de musique qu’ils jouent l’un et l’autre chacun à leur manière ? Quelle étrange chose, lorsque l’on sait qu’il en va de même à France Culture par exemple, où j’étais invité dimanche dernier de l’émission Soft Power de Frédéric Martel ? France Culture, la radio de l’intelligence, du savoir et des Arts, où plus personne ne semble connaître du mot jazz que le y de jazzy, à l’heure où la musique dont on proclame le retour sur les ondes n’est plus à 90% que chanson et théâtre musical, privilégiant le produit breveté, calibré, traité, irradié, sans pépins, tout épluché, réduit à ces infames arômes de thés fruités, compotes et sirops industriels aux saveurs médicamenteuses. Mais revenons à l’authenticité du coing.

 

La Dynamo, Pantin (93), le 9 octobre 2013, 20h30

 

Marc Ducret (compositions et guitare électrique) +

Real Thing # 1 : Kasper Tranberg (trompette), Matthias Malher (trombone), Frédéric Gastard (sax basse), Peter Brunn (batterie)

Real Thing #3 : Matthias Malher, Christiane Bopp, Alexis Persignan (trombones), Antonin Rayon (piano), Sylvain Lemetre (percussions).


Ce soir à la Dynamo, Marc Ducret présentait donc les volets 1 et 3 de son projet Tower Bridge inspiré du roman Ada ou l’ardeur de Vladimir Nabokov. J’en ai déjà parlé dans ce blog et dans nos pages papier, assez mal d’ailleurs, et, vu l’heure, je ne ferai pas mieux, c’est pourquoi je tire à la ligne avec des histoires de coings. Mais disons que j’ai été une nouvelle fois happé par ces réseaux labyrinthiques que Ducret réaménage d’un orchestre à l’autre et d’une combinaison à l’autre, puisque le jeu a été pour lui d’écrire un même répertoire pour trois orchestres différents, chacun susceptible de le jouer seul, avec l’un ou l’autre ou les trois réunis, au gré des occasions et des disponibilités.

 

D’où cette œuvre que l’on redécouvre à chaque fois sous un jour différent, tel un mobile. J’ai gardé notamment ce soir le souvenir d’une ouverture en trio guitare/sax/batterie qui mettait évidemment en valeur la musicalité fluide de l’étonnant Peter Brunn, mais surtout, comme jamais, le phrasé de Fred Gastard dont on retient habituellement l’énergie inéxorable avec laquelle il porte l’orchestre dans son rôle de basse. J’ai retrouvé ce trio plus loin, avec cette fois un Gastard vibrionnant comme un gros générateur de fréquences. Moments volés à ce roman sonore  dont il faudrait détailler les tutti comme les combinaisons diverses permises par l’effectif présent (tel ce duo de polyrythmie “ligettienne” entre Antonin Rayon et Sylvain Lemêtre), où l’on s’égare après avoir reconnu tel ostinato, telle sonnerie, tel motif thématique, tel entrelacs contrapuntique que l’on commence à avoir en tête à force de revenir à ces “choses vraies”.

 

Et puis soudain, à la fin de Real Thing #1 (car c’est aussi un nom de morceau), voici Lucette, la perdante malheureuse du roman de Nabokov qui inspira voici bien 25 ans à Ducret le thème de Julie s’est noyée. J’ai déjà mentionné maintes fois son existence et je radote certainement, mais avant même de savoir d’où venait cette mélodie qui m’avait marquée la première fois que je l’avais entendue dans les années 80 lors d’un concert Ducret/Emler à Dunois, le récit de la noyade de Lucette s’est emparé de mon imagination qu’il hante désormais. Et je ne crois pas avoir auparavant repéré la résurgence de ce thème à cet endroit, mais plutôt à la fin de Real Thing #3…  avec ces titres numérotés, il faut dire que je me perds un peu. Mais c’est ici une résurgence fantômatique, d’un corps déjà démembré, presque déchiqueté, par la tempête sonore de ce final.

 

Sunset, Paris (75), le 9 octobre 2013, 23h15.

 

Eric Barret (saxes soprano et ténor), Jacques Pellen (guitares électrique et acoustique 12 cordes)

 

J’ai déserté le concert de Ducret à l’issue du premier morceau après l’entracte (Real Thing #2) pour rejoindre le Sunset où je suis arrivé à temps pour voir les deux musiciens ranger leurs instruments. En effet, c’est bon à savoir, les concerts du Sunset commencent désormais à 20h45. Je vous renverrai donc au bel air du pays de Baud joué par Eric Barret et Jacques Pellen, que j’ai apporté dimanche dernier à l’émission d’Elsa Boublil, Summertime , sur France Inter, et à la chronique du disque “Quiet Place” d’Eric Barret en duo avec Jacques Pellen, à paraître dans notre numéro de novembre. Je vous quitte, mes coings vont brûler.

 

Franck Bergerot

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Ce soir, on avait l’embarras du choix : le guitariste Marc Ducret et ses Real Thing #1 et 3 à la Dynamo de Pantin ou le saxophoniste Eric Barret et le guitariste Jacques Pellen au Sunset. Franck Bergerot n’a pas choisi, s’est planté et s’est consolé avec un compote de coings.

 

J’ai lu un jour, quelque part, que les coings tenaient leur nom de ce qu’ils poussaient dans les coins. Je n’ai jamais voulu vérifier cette affirmation. Cette idée me convenait. Cet arbre un peu sauvage, aux fruits pelucheux lorsqu’il sont immatures, à toujours l’air d’avoir été oublié dans un coin. Toujours est-il qu’en rentrant de concert ce soir, je me suis arrêté un instant sous le cognassier qui pousse au coin de mon immeuble pour respirer l’odeur des coings et en ramasser ceux que l’obscurité me laissait apercevoir. La pluie de la soirée commençant à sécher, leur parfum remontait avec les dernières vapeurs, sans toutefois atteindre l’intensité voluptueuse des arômes que distilaient les chaleurs automnales de la semaine dernière. N’en subsistaient plus que quelques discrètes fragances en lambeaux que seul un odorat dilaté par le désir de les percevoir (les jeunes filles de l’Antiquité mangeaient des coings pour attirer les baisers des jeunes gens) était capable les repérer parmi les senteurs de terre et de feuilles mouillées soulignées par la décomposition des premiers fruits tombés au sol.

 

Nous n’avons pas eu le temps cette année de nous livrer à notre cueillette annuelle dont Blueraie tire une gelée qui accompagne nos petits déjeuners jusqu’au printemps et dont je confectionne une pâte qui fait les délices des permanents de Jazzmag, mais chaque fois que nous sommes passés là ces derniers jours, nous avons ramassé les quelques fruits nécessaires à une compote.

 

Je crois hélas, que nous sommes les seuls de l’immeuble à ramasser ces coings et, une fois encore, ce qui devrait prendre le nom de récolte pourrira au sol ou sur la branche. Mes voisins savent-ils ce qu’est un coing ? En savent-ils le goût ? Redoutent-ils son âpreté, le côté sableux, voire légèrement caillouteux, de sa chair ou la peine qu’occasionnent son épeluchage et sa découpe ? Debout sous l’arbre , je me posais ces questions qui en faisaient venir d’autres : pourquoi personne dans mon immeuble n’aurait eu l’idée d’aller écouter Marc Ducret ou Jacques Pellen (car telle était l’alternative qui m’a fait courir ce soir de Pantin à Châtelet) ? Pourquoi personne en connaît-il même les noms ? Pourquoi personne ne connaît même le genre de musique qu’ils jouent l’un et l’autre chacun à leur manière ? Quelle étrange chose, lorsque l’on sait qu’il en va de même à France Culture par exemple, où j’étais invité dimanche dernier de l’émission Soft Power de Frédéric Martel ? France Culture, la radio de l’intelligence, du savoir et des Arts, où plus personne ne semble connaître du mot jazz que le y de jazzy, à l’heure où la musique dont on proclame le retour sur les ondes n’est plus à 90% que chanson et théâtre musical, privilégiant le produit breveté, calibré, traité, irradié, sans pépins, tout épluché, réduit à ces infames arômes de thés fruités, compotes et sirops industriels aux saveurs médicamenteuses. Mais revenons à l’authenticité du coing.

 

La Dynamo, Pantin (93), le 9 octobre 2013, 20h30

 

Marc Ducret (compositions et guitare électrique) +

Real Thing # 1 : Kasper Tranberg (trompette), Matthias Malher (trombone), Frédéric Gastard (sax basse), Peter Brunn (batterie)

Real Thing #3 : Matthias Malher, Christiane Bopp, Alexis Persignan (trombones), Antonin Rayon (piano), Sylvain Lemetre (percussions).


Ce soir à la Dynamo, Marc Ducret présentait donc les volets 1 et 3 de son projet Tower Bridge inspiré du roman Ada ou l’ardeur de Vladimir Nabokov. J’en ai déjà parlé dans ce blog et dans nos pages papier, assez mal d’ailleurs, et, vu l’heure, je ne ferai pas mieux, c’est pourquoi je tire à la ligne avec des histoires de coings. Mais disons que j’ai été une nouvelle fois happé par ces réseaux labyrinthiques que Ducret réaménage d’un orchestre à l’autre et d’une combinaison à l’autre, puisque le jeu a été pour lui d’écrire un même répertoire pour trois orchestres différents, chacun susceptible de le jouer seul, avec l’un ou l’autre ou les trois réunis, au gré des occasions et des disponibilités.

 

D’où cette œuvre que l’on redécouvre à chaque fois sous un jour différent, tel un mobile. J’ai gardé notamment ce soir le souvenir d’une ouverture en trio guitare/sax/batterie qui mettait évidemment en valeur la musicalité fluide de l’étonnant Peter Brunn, mais surtout, comme jamais, le phrasé de Fred Gastard dont on retient habituellement l’énergie inéxorable avec laquelle il porte l’orchestre dans son rôle de basse. J’ai retrouvé ce trio plus loin, avec cette fois un Gastard vibrionnant comme un gros générateur de fréquences. Moments volés à ce roman sonore  dont il faudrait détailler les tutti comme les combinaisons diverses permises par l’effectif présent (tel ce duo de polyrythmie “ligettienne” entre Antonin Rayon et Sylvain Lemêtre), où l’on s’égare après avoir reconnu tel ostinato, telle sonnerie, tel motif thématique, tel entrelacs contrapuntique que l’on commence à avoir en tête à force de revenir à ces “choses vraies”.

 

Et puis soudain, à la fin de Real Thing #1 (car c’est aussi un nom de morceau), voici Lucette, la perdante malheureuse du roman de Nabokov qui inspira voici bien 25 ans à Ducret le thème de Julie s’est noyée. J’ai déjà mentionné maintes fois son existence et je radote certainement, mais avant même de savoir d’où venait cette mélodie qui m’avait marquée la première fois que je l’avais entendue dans les années 80 lors d’un concert Ducret/Emler à Dunois, le récit de la noyade de Lucette s’est emparé de mon imagination qu’il hante désormais. Et je ne crois pas avoir auparavant repéré la résurgence de ce thème à cet endroit, mais plutôt à la fin de Real Thing #3…  avec ces titres numérotés, il faut dire que je me perds un peu. Mais c’est ici une résurgence fantômatique, d’un corps déjà démembré, presque déchiqueté, par la tempête sonore de ce final.

 

Sunset, Paris (75), le 9 octobre 2013, 23h15.

 

Eric Barret (saxes soprano et ténor), Jacques Pellen (guitares électrique et acoustique 12 cordes)

 

J’ai déserté le concert de Ducret à l’issue du premier morceau après l’entracte (Real Thing #2) pour rejoindre le Sunset où je suis arrivé à temps pour voir les deux musiciens ranger leurs instruments. En effet, c’est bon à savoir, les concerts du Sunset commencent désormais à 20h45. Je vous renverrai donc au bel air du pays de Baud joué par Eric Barret et Jacques Pellen, que j’ai apporté dimanche dernier à l’émission d’Elsa Boublil, Summertime , sur France Inter, et à la chronique du disque “Quiet Place” d’Eric Barret en duo avec Jacques Pellen, à paraître dans notre numéro de novembre. Je vous quitte, mes coings vont brûler.

 

Franck Bergerot

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Ce soir, on avait l’embarras du choix : le guitariste Marc Ducret et ses Real Thing #1 et 3 à la Dynamo de Pantin ou le saxophoniste Eric Barret et le guitariste Jacques Pellen au Sunset. Franck Bergerot n’a pas choisi, s’est planté et s’est consolé avec un compote de coings.

 

J’ai lu un jour, quelque part, que les coings tenaient leur nom de ce qu’ils poussaient dans les coins. Je n’ai jamais voulu vérifier cette affirmation. Cette idée me convenait. Cet arbre un peu sauvage, aux fruits pelucheux lorsqu’il sont immatures, à toujours l’air d’avoir été oublié dans un coin. Toujours est-il qu’en rentrant de concert ce soir, je me suis arrêté un instant sous le cognassier qui pousse au coin de mon immeuble pour respirer l’odeur des coings et en ramasser ceux que l’obscurité me laissait apercevoir. La pluie de la soirée commençant à sécher, leur parfum remontait avec les dernières vapeurs, sans toutefois atteindre l’intensité voluptueuse des arômes que distilaient les chaleurs automnales de la semaine dernière. N’en subsistaient plus que quelques discrètes fragances en lambeaux que seul un odorat dilaté par le désir de les percevoir (les jeunes filles de l’Antiquité mangeaient des coings pour attirer les baisers des jeunes gens) était capable les repérer parmi les senteurs de terre et de feuilles mouillées soulignées par la décomposition des premiers fruits tombés au sol.

 

Nous n’avons pas eu le temps cette année de nous livrer à notre cueillette annuelle dont Blueraie tire une gelée qui accompagne nos petits déjeuners jusqu’au printemps et dont je confectionne une pâte qui fait les délices des permanents de Jazzmag, mais chaque fois que nous sommes passés là ces derniers jours, nous avons ramassé les quelques fruits nécessaires à une compote.

 

Je crois hélas, que nous sommes les seuls de l’immeuble à ramasser ces coings et, une fois encore, ce qui devrait prendre le nom de récolte pourrira au sol ou sur la branche. Mes voisins savent-ils ce qu’est un coing ? En savent-ils le goût ? Redoutent-ils son âpreté, le côté sableux, voire légèrement caillouteux, de sa chair ou la peine qu’occasionnent son épeluchage et sa découpe ? Debout sous l’arbre , je me posais ces questions qui en faisaient venir d’autres : pourquoi personne dans mon immeuble n’aurait eu l’idée d’aller écouter Marc Ducret ou Jacques Pellen (car telle était l’alternative qui m’a fait courir ce soir de Pantin à Châtelet) ? Pourquoi personne en connaît-il même les noms ? Pourquoi personne ne connaît même le genre de musique qu’ils jouent l’un et l’autre chacun à leur manière ? Quelle étrange chose, lorsque l’on sait qu’il en va de même à France Culture par exemple, où j’étais invité dimanche dernier de l’émission Soft Power de Frédéric Martel ? France Culture, la radio de l’intelligence, du savoir et des Arts, où plus personne ne semble connaître du mot jazz que le y de jazzy, à l’heure où la musique dont on proclame le retour sur les ondes n’est plus à 90% que chanson et théâtre musical, privilégiant le produit breveté, calibré, traité, irradié, sans pépins, tout épluché, réduit à ces infames arômes de thés fruités, compotes et sirops industriels aux saveurs médicamenteuses. Mais revenons à l’authenticité du coing.

 

La Dynamo, Pantin (93), le 9 octobre 2013, 20h30

 

Marc Ducret (compositions et guitare électrique) +

Real Thing # 1 : Kasper Tranberg (trompette), Matthias Malher (trombone), Frédéric Gastard (sax basse), Peter Brunn (batterie)

Real Thing #3 : Matthias Malher, Christiane Bopp, Alexis Persignan (trombones), Antonin Rayon (piano), Sylvain Lemetre (percussions).


Ce soir à la Dynamo, Marc Ducret présentait donc les volets 1 et 3 de son projet Tower Bridge inspiré du roman Ada ou l’ardeur de Vladimir Nabokov. J’en ai déjà parlé dans ce blog et dans nos pages papier, assez mal d’ailleurs, et, vu l’heure, je ne ferai pas mieux, c’est pourquoi je tire à la ligne avec des histoires de coings. Mais disons que j’ai été une nouvelle fois happé par ces réseaux labyrinthiques que Ducret réaménage d’un orchestre à l’autre et d’une combinaison à l’autre, puisque le jeu a été pour lui d’écrire un même répertoire pour trois orchestres différents, chacun susceptible de le jouer seul, avec l’un ou l’autre ou les trois réunis, au gré des occasions et des disponibilités.

 

D’où cette œuvre que l’on redécouvre à chaque fois sous un jour différent, tel un mobile. J’ai gardé notamment ce soir le souvenir d’une ouverture en trio guitare/sax/batterie qui mettait évidemment en valeur la musicalité fluide de l’étonnant Peter Brunn, mais surtout, comme jamais, le phrasé de Fred Gastard dont on retient habituellement l’énergie inéxorable avec laquelle il porte l’orchestre dans son rôle de basse. J’ai retrouvé ce trio plus loin, avec cette fois un Gastard vibrionnant comme un gros générateur de fréquences. Moments volés à ce roman sonore  dont il faudrait détailler les tutti comme les combinaisons diverses permises par l’effectif présent (tel ce duo de polyrythmie “ligettienne” entre Antonin Rayon et Sylvain Lemêtre), où l’on s’égare après avoir reconnu tel ostinato, telle sonnerie, tel motif thématique, tel entrelacs contrapuntique que l’on commence à avoir en tête à force de revenir à ces “choses vraies”.

 

Et puis soudain, à la fin de Real Thing #1 (car c’est aussi un nom de morceau), voici Lucette, la perdante malheureuse du roman de Nabokov qui inspira voici bien 25 ans à Ducret le thème de Julie s’est noyée. J’ai déjà mentionné maintes fois son existence et je radote certainement, mais avant même de savoir d’où venait cette mélodie qui m’avait marquée la première fois que je l’avais entendue dans les années 80 lors d’un concert Ducret/Emler à Dunois, le récit de la noyade de Lucette s’est emparé de mon imagination qu’il hante désormais. Et je ne crois pas avoir auparavant repéré la résurgence de ce thème à cet endroit, mais plutôt à la fin de Real Thing #3…  avec ces titres numérotés, il faut dire que je me perds un peu. Mais c’est ici une résurgence fantômatique, d’un corps déjà démembré, presque déchiqueté, par la tempête sonore de ce final.

 

Sunset, Paris (75), le 9 octobre 2013, 23h15.

 

Eric Barret (saxes soprano et ténor), Jacques Pellen (guitares électrique et acoustique 12 cordes)

 

J’ai déserté le concert de Ducret à l’issue du premier morceau après l’entracte (Real Thing #2) pour rejoindre le Sunset où je suis arrivé à temps pour voir les deux musiciens ranger leurs instruments. En effet, c’est bon à savoir, les concerts du Sunset commencent désormais à 20h45. Je vous renverrai donc au bel air du pays de Baud joué par Eric Barret et Jacques Pellen, que j’ai apporté dimanche dernier à l’émission d’Elsa Boublil, Summertime , sur France Inter, et à la chronique du disque “Quiet Place” d’Eric Barret en duo avec Jacques Pellen, à paraître dans notre numéro de novembre. Je vous quitte, mes coings vont brûler.

 

Franck Bergerot