Jazz live
Publié le 9 Août 2018

Marciac (3): Fatoumata et Les Merveilles du Mali, Africa fête

Dans la première journée post canicule, sous les gouttes et la fraicheur revenue Jazz in Marciac avait convoqué l'esprit de l'Afrique. En jetant un pont vers Cuba au son des tambours et des voix à partir du Mali.Avec ses douces Merveilles et les démons de Fatoumata Diawara.

Les hommes en noir de la production déposent sur l’imposante scène du chapiteau trois gros fauteuils de bois jaune canari. Les trois chanteurs de Las Maravillas de Mali s’y assoient, dos au public. Mory Kanté aussi, mais sur un accoudoir. Les douze autres musiciens se placent en rang, derrière. Alors des membres de l’équipe de tournée accourus eux aussi sur les planches prennent la photo avec appareil sophistiqué ou téléphone portable calés au bout des perches pour selfies. Tout en moulinant des bras disponibles pour que le public, se rende visible en fond d’écran. Puis ce beau monde reprend sa place initiale » Après  cette photo de famille avec vous, nous allons vous offrir une dernière chanson » Fin de l’épisode cliché patronage.

Fatoumata Diawara (voc, elg), Arecio Smith (cla), Yacouba Kone (elg), Sekou Bah (elb), JB Gibadoe (dm)

Las Maravillas de Mali + Mory Kanté (voc, kora): Boncana Maîga (dir mus, voc), Juancito Hurtado (voc), Jospinto (voc), Pepe Rivera (p), Felipe Cabrera (b), Abraham Mansfarroll (timbales), Igor Solongo (congas), Angel Aguiar (guiro), Bencomo Guedes , David Reicer (fl), Nahomi Stephani, Guerra Mayan, Armando Garcia, Reicel Pedroso (vl)

Jazz in Marciac, Chapiteau, Marciac (32230), 8 aout

Ce dernier mercredi de festival, Jazz in Marciac avait choisi de le marquer d’une pierre de touche africaine. On connait depuis toujours le lien d’esprit, de coeur, de sang établi entre le jazz et l’Afrique. On sait la liaison étroite, profonde entre l’Afrique et Cuba qui innerve toutes les musiques ancrées dans l’île. On connait moins par exemple les marques du tambour établies dans le trianglel Afrique-Cuba-Espagne qui, par aller et retour entre ces deux dernières terres on fait accoucher la « rumba » dans l’univers gitan via l’âme du flamenco ou de la rumba « catalana » à Barcelone

 

Fatoumata Diawara

 

Bref, revenons à Marciac. Fatoumata Diawara comme Las Maravillas de Mali s’inscrivent directement dans ce type de liaisons ayant influencé musique et chant africain du XXe siècle. Marciac donc, la chanteuse malienne née en Côte d’Ivoire y avait déjà posé ses pieds et cordes vocales à l’occasion d’un concert en duo avec le pianiste cubain Roberto Fonseca en 2014 (occasion d’u disque, At home, live in Marciac) Silhouette longiligne, turban enserrant sa chevelure en mode mystère, souple de sa démarche Fatoumata Diawara d’entrée va chercher au plus près la caméra mobile les yeux dans la focale ou presque. Le public aussi dans le mouvement, se penchant au bord de scène. Fatoumata, chanteuse: d’une voix tendue, pénétrante timbrée dans le registre des médiums ou de l’aigüe elle cultive avec beaucoup d’habileté un art de la variation d’intensité, du passage entre le  calme et la montée vers le cri. Un art du spectacle total également. Ainsi elle chante, elle joue, elle danse. Et  dans l’effort, comme transportée, entre en transe au point d’en perdre sa coiffe… rock, funk, habillage pop multicolore plus que chanson nature -elle même parle d’afro-beat-  elle dit, raconte, suggère l’image de l ‘Afrique d’aujourd’hui. Des femmes africaines et de leurs enfants aussi, beaucoup « Je veux crier Mama Africa » De Nina Simone pour un hommage appuyé   » Elle nous a montrée la voie à nous femmes noires artistes, chanteuses, musiciennes « 

 

Youcoubo Kone

Mais pour revenir à la musique, elle a cette façon de distiller en douce des solos miniatures tirés de sa guitare bleue pétrole flamboyante, (n’hésitant pas à utiliser au passage une pédale wha wha ). Le tout sous la férule, la poussée en contrôle, le soutien d’un drôle de (client) bassiste, profil quelque part entre Richard Bona et Alune Wade . A fortiori, en bis, lorsque le public se trouve monté dans les tours ou sur les chaises pour célébrer sa performance, elle se lance dans une reprise martelée du Higher ground de Stewie Wonder

 

Juancito Hurtado et Felipe Cabrera, Maravillas de Mali y Cuba

 

Voyage de l’Afrique jusqu’à Cuba. Avec un apport de tambours, de percussions (timbales, congas, guiro) jusque dans ces incroyables lignes de basse qui se promènent en crêtes entre les temps tels qu’habituellement marqués. Les « Merveilles de Cuba » se racontent comme une histoire sinon merveilleuse, du moins singulière née dans les années 60 alors que nombre de pays d’Afrique colonisés prenaient leur indépendance tandis que Fidel Castro lui, avec ses barbudos de la Sierra devenus ministres (parmi lesquels aucun noir descendants d’esclaves, l’histoire l’aura noté) installe un pouvoir de faire -puis bientôt de fer- à Cuba…. En 64 une poignée d’étudiants maliens s’envolent pour La Havane, mode d’échange entre pays africain socialiste et l’île convertie au communisme. Ainsi naît un orchestre inédit baptisée Las Maravillas de Mali, précurseur en quelque sorte du volet de musique afro-cubaine, partagée à part égale entre musiciens cubains et maliens. Plus de 50 années plus tard, sous l’égide de Boncana Maïga, seul survivant de la formation d’origine, l’orchestre renaît, innervé d’une bonne dizaine de musiciens cubains. Et ce soir se retrouve sur les planches de Marciac, avec en invité spécial, Mory Kanté…

 

Mory Kanté avec ” la plus vieille kora du monde…électrifiée”

Revient dès lors un son afro cubain, rond, souple, nature…sur les rythmes et accents du « son » musique sur laquelle dansent et chantent tous les cubain(e)s. L’orchestre de cette tournée avec étape marciacaise au programme tourne de façon très huilée dans une dominante de percussions, bien sur. Mais de cordes également- 4 violons plus la contrebasse. Rien de révolutionnaire à propos de l’influence de (la musique de) Cuba. Les thèmes s’enchainent contant des histoires en langues différentes: espagnol bien sur, mais aussi français ou encore bambara, un des idiomes du Mali (Mamousso, chanson qui évoque le rôle important de la grand mère dans la famille traditionnelle malienne) A noter: le bloc de percussions, toujours bien en place; la basse en « poto-mitan » comme on dit aux Antilles -à ce propos la couleur donnée par les cordes, dans cet orchestre rappelle sous certains aspects mélodiques le groupe Malavoi, de Martinique- tenue par Felipe Cabrera toujours impressionnant dans sa maitrise des métriques made in Cuba; le turn over des chanteurs selon la nature du tempo;  le pianiste enfin, volubile et démonstratif comme d’autres claviers cubains, mais original dans une capacité à introduire des citations, sourire aux lèvres dans ses interventions solo (West side story, Boléro de Ravel, standards be bop etc.) Demeure une question tout de même: invité, avec nom en haut de l’affiche Mory Kanté en est resté à une portion congrue question participation semble-t-il…Au total, l’impression d’un peu de longueur, d’étirement, de répétition des formules malgré tout, question strict contenu du concert. Sauf pour les danseurs sans doute,, venus s’amasser en nombre devant la scène et les premiers rangs VIP malgré les réticences des chargés du contrôle. Danseurs et danseuses (surtout) forts de la maxime éprouvée: « Quand on aime, on ne compte pas »

 

Felipe Cabrera, au dessus des temps forts

 

Car, évidemment, c’était joué d’avance: sur la moitié du concert le public s’est déhanché à l’appel les rythmes souples, attirants du « son » afro cubain. Il y était directement convié par les Merveilles de Cuba en langage « salsero « a bailar, a gozar » On pourrait traduire ‘se faire plaisir d’abord »

 

Marciac, chez Fatoumata…

 

Robert Latxague