Jazz live
Publié le 9 Avr 2017

Omar Sosa, l’Orchestre symphonique de Bretagne, Guillaume Saint-James et sept péchés capitaux

Profitant de la tournée du trio Omar Sosa-Seckou Keita-Gustavo Ovalles, l’Orchestre Symphonique de Bretagne a pu jouer huit fois en dix jours deux œuvres du pianiste cubain orchestrées par Guillaume Saint-James qui a lui-même pu créer son concerto pour accordéon Les Sept pêchés capitaux avec Didier Ithursarry.

Omar Sosa (piano, shakers de chevilles), Seckou Keita (chant, kora, talking drum), Gustvao Ovalles (chant, maracas, tambours bata, cajon). Guillaume Saint-James (saxes soprano et alto), Didier Ithursarry (accordéon), l’Orchestre symphonique de Bretagne dirié par Aurélien Azan Zielinski.

Il est rare que ce type de création parvienne à être donnée plus de deux fois, voire une seule, alors que l’on sait combien un orchestre, qu’il soit symphonique ou de jazz, gagne à prendre le temps de pénétrer une œuvre, surtout lorsqu’il s’agit de langages inconnus des uns ou des autres, à plus forte raison lorsqu’ils sont ceux de continents aussi distants que l’Europe classique, l’Amérique du jazz, l’Afrique et sa diaspora caribéenne. On me reprendra surement en me rappelant la multitude des liens qui se sont noués au fil des siècles entre ces univers et qui les ont parfois fondés. En effet, non sans malentendus (qui n’ont d’ailleurs par manqué d’être fructueux), le jazz s’est nourri d’harmonie européenne (sans attendre Bill Evans, puisque Will Marion Cook qui fit connaître Sidney Bechet en Europe en 1919, étudia avec Anton Dvorak au Conservatoire de New York, Coleman Hawkins pratiquant quant à lui les partitions de Debussy) ; les compositeurs du XXe siècle, parfois sans le comprendre, sans le savoir ou en faisant mine de ne pas le savoir, furent marqués par le rythme, les phrasés et les timbres du jazz et du blues ; les pianos cubains ont été nourri d’harmonie des salons européens puis marqués par la technicité de l’école soviétique ; contrairement aux Etats-Unis protestants, les Caraïbes catholiques laissèrent leurs esclaves pratiquer instruments, rythmes danses et cultes africains ; progressivement le jazz qui par bien des aspect fut une musique au pire de l’oubli au mieux d’une mémoire sourde et virtuelle, renoua progressivement avec la Mère Afrique par la médiation de plusieurs générations caribéennes allant de Machito et Mario Bauza et aux Antonio Sanchez et autres Sonny Troupé.

C’est le spectacle souriant de cet échange décomplexé entre les cultures qu’offre le piano d’Omar Sosa dans les cordes duquel les mémoires du montuno et du piano classique étudié à l’Ecole nationale de La Havane s’enchantent mutuellement dans leur dialogue avec le chant, le tambour d’aisselle et la kora de Seckou Keita en une espèce d’esperanto improvisé auquel les percussions de Gustavo Ovalles viennent donner structure. Et si cette manifestation d’amour interculturel séduit sans réserve un public qui les salueront lors des rappels par des acclamations explosives, c’est probablement le percussionniste qui fascina le plus directement par cette précision rythmique qu’il donne littéralement à voir.

Deux petites improvisations sans façon aux qualités apéritives des trois stars de la soirée, et voici qu’entre l’Orchestre symphonique de Bretagne (l’OSB pour les intimes) et son chef pour interpréter l’Oda Africana où Omar Sosa a voulu ouvrir ce dialogue à la dimension du symphonique concertant. Comme pour l’autre œuvre symphonique donnée en fin de programme (Reecuento, troisième mouvement de From Our Mother qui connut sa première version en 2003 sur les pupitres de l’orchestres symphonique d’Oakland), Guillaume Saint-James a donné forme à l’intention du pianiste à partir des éléments qu’il lui a fournis, et prêté son saxophone et ses improvisations, le trio restant quelque peu en retrait, sauf Gustavo Ovalles, placé au centre de l’orchestre (derrière les cordes, devant les percussions classiques, entre bois et cuivres), et dont les mains viennent dessiner et animer l’ossature de l’œuvre tenue de main de maître par Aurélien Azan Zielinski avec une précision rythmique que l’on ne trouve pas chez tous les chefs classiques.

Nous découvrons ensuite une séduisante curiosité, arrangée par Guillaume Saint-James, La Bella Cubana, qui évoque la créolité des musiques de salon européennes composées au milieu du XIXe siècle par Louis Moreau Gottschalk, pianiste néo-orléanais, auteur d’une Bamboula et d’un Banjo inspirés des danses d’esclaves du dimanche à Congo Square et de la musique des salons parisiens qu’il fréquenta et où il se fit remarquer par Frédéric Chopin. Rien d’étonnant à ce rapprochement lorsque la lecture du programme nous apprend que cette “habanera” est l’œuvre de José White Lafitte, multi-intrumentiste et virtuose du violon, né à Cuba, qui eut Louis Moreau Gottschalk comme accompagnateur. Encouragé par ce dernier, lui aussi se rendit à Paris pour étudier au Conservatoire avant d’y enseigner et de devenir l’ami de Rossini, Gounod et Saint-Saëns.

Ce n’est pas la première fois que Guillaume Saint-James collabore avec l’OSB auquel il a déjà confié sa partition de Megapolis (Choc de la rédaction dans la rubrique “Disques” de notre numéro 662), et un projet autour du cinquantenaire du débarquement de Normandie avec Chris Brubeck (140919). Cette fois-ci, ce sont les sept péchés capitaux qui ont inspiré la plume symphonique du saxophoniste pour Sketches of Seven, péchés incarnés musicalement avec un humour associant l’orgueil au tango, la luxure à l’ostinato et au triton (le fameux diabolus in musica interdit par l’église), la gourmandise à la « valse chantilly », la paresse à l’engourdissement d’un tempo inspiré par le fameux Estate de Shirley Horn, etc. On y retrouve, ce dynamisme rythmique et cette luxuriance qui nous avait séduit dans Megapolis, évoquant tout à la fois le Stravinsky du Sacre, le Gershwin d’Un Américain à Paris et le Leonard Bernstein de West Side Story et donc un univers très urbain, avec quelques échappées plus abstraites vers Bartok, voire vers le langage spectral (n’est-ce pas le thème de la luxure qui nous y amène ?). L’ensemble offre tout à la fois un écrin et, réparties entre chaque thème, des cadences solo improvisées par un Didier Ithursarry époustouflant de précision, d’audace et de générosité (rythme, lyrisme, profondeur harmonique et timbrale, dynamique) dont l’accordéon se nourrit l’esprit de la partition, la prolonge et la dynamise. • Franck Bergerot|Profitant de la tournée du trio Omar Sosa-Seckou Keita-Gustavo Ovalles, l’Orchestre Symphonique de Bretagne a pu jouer huit fois en dix jours deux œuvres du pianiste cubain orchestrées par Guillaume Saint-James qui a lui-même pu créer son concerto pour accordéon Les Sept pêchés capitaux avec Didier Ithursarry.

Omar Sosa (piano, shakers de chevilles), Seckou Keita (chant, kora, talking drum), Gustvao Ovalles (chant, maracas, tambours bata, cajon). Guillaume Saint-James (saxes soprano et alto), Didier Ithursarry (accordéon), l’Orchestre symphonique de Bretagne dirié par Aurélien Azan Zielinski.

Il est rare que ce type de création parvienne à être donnée plus de deux fois, voire une seule, alors que l’on sait combien un orchestre, qu’il soit symphonique ou de jazz, gagne à prendre le temps de pénétrer une œuvre, surtout lorsqu’il s’agit de langages inconnus des uns ou des autres, à plus forte raison lorsqu’ils sont ceux de continents aussi distants que l’Europe classique, l’Amérique du jazz, l’Afrique et sa diaspora caribéenne. On me reprendra surement en me rappelant la multitude des liens qui se sont noués au fil des siècles entre ces univers et qui les ont parfois fondés. En effet, non sans malentendus (qui n’ont d’ailleurs par manqué d’être fructueux), le jazz s’est nourri d’harmonie européenne (sans attendre Bill Evans, puisque Will Marion Cook qui fit connaître Sidney Bechet en Europe en 1919, étudia avec Anton Dvorak au Conservatoire de New York, Coleman Hawkins pratiquant quant à lui les partitions de Debussy) ; les compositeurs du XXe siècle, parfois sans le comprendre, sans le savoir ou en faisant mine de ne pas le savoir, furent marqués par le rythme, les phrasés et les timbres du jazz et du blues ; les pianos cubains ont été nourri d’harmonie des salons européens puis marqués par la technicité de l’école soviétique ; contrairement aux Etats-Unis protestants, les Caraïbes catholiques laissèrent leurs esclaves pratiquer instruments, rythmes danses et cultes africains ; progressivement le jazz qui par bien des aspect fut une musique au pire de l’oubli au mieux d’une mémoire sourde et virtuelle, renoua progressivement avec la Mère Afrique par la médiation de plusieurs générations caribéennes allant de Machito et Mario Bauza et aux Antonio Sanchez et autres Sonny Troupé.

C’est le spectacle souriant de cet échange décomplexé entre les cultures qu’offre le piano d’Omar Sosa dans les cordes duquel les mémoires du montuno et du piano classique étudié à l’Ecole nationale de La Havane s’enchantent mutuellement dans leur dialogue avec le chant, le tambour d’aisselle et la kora de Seckou Keita en une espèce d’esperanto improvisé auquel les percussions de Gustavo Ovalles viennent donner structure. Et si cette manifestation d’amour interculturel séduit sans réserve un public qui les salueront lors des rappels par des acclamations explosives, c’est probablement le percussionniste qui fascina le plus directement par cette précision rythmique qu’il donne littéralement à voir.

Deux petites improvisations sans façon aux qualités apéritives des trois stars de la soirée, et voici qu’entre l’Orchestre symphonique de Bretagne (l’OSB pour les intimes) et son chef pour interpréter l’Oda Africana où Omar Sosa a voulu ouvrir ce dialogue à la dimension du symphonique concertant. Comme pour l’autre œuvre symphonique donnée en fin de programme (Reecuento, troisième mouvement de From Our Mother qui connut sa première version en 2003 sur les pupitres de l’orchestres symphonique d’Oakland), Guillaume Saint-James a donné forme à l’intention du pianiste à partir des éléments qu’il lui a fournis, et prêté son saxophone et ses improvisations, le trio restant quelque peu en retrait, sauf Gustavo Ovalles, placé au centre de l’orchestre (derrière les cordes, devant les percussions classiques, entre bois et cuivres), et dont les mains viennent dessiner et animer l’ossature de l’œuvre tenue de main de maître par Aurélien Azan Zielinski avec une précision rythmique que l’on ne trouve pas chez tous les chefs classiques.

Nous découvrons ensuite une séduisante curiosité, arrangée par Guillaume Saint-James, La Bella Cubana, qui évoque la créolité des musiques de salon européennes composées au milieu du XIXe siècle par Louis Moreau Gottschalk, pianiste néo-orléanais, auteur d’une Bamboula et d’un Banjo inspirés des danses d’esclaves du dimanche à Congo Square et de la musique des salons parisiens qu’il fréquenta et où il se fit remarquer par Frédéric Chopin. Rien d’étonnant à ce rapprochement lorsque la lecture du programme nous apprend que cette “habanera” est l’œuvre de José White Lafitte, multi-intrumentiste et virtuose du violon, né à Cuba, qui eut Louis Moreau Gottschalk comme accompagnateur. Encouragé par ce dernier, lui aussi se rendit à Paris pour étudier au Conservatoire avant d’y enseigner et de devenir l’ami de Rossini, Gounod et Saint-Saëns.

Ce n’est pas la première fois que Guillaume Saint-James collabore avec l’OSB auquel il a déjà confié sa partition de Megapolis (Choc de la rédaction dans la rubrique “Disques” de notre numéro 662), et un projet autour du cinquantenaire du débarquement de Normandie avec Chris Brubeck (140919). Cette fois-ci, ce sont les sept péchés capitaux qui ont inspiré la plume symphonique du saxophoniste pour Sketches of Seven, péchés incarnés musicalement avec un humour associant l’orgueil au tango, la luxure à l’ostinato et au triton (le fameux diabolus in musica interdit par l’église), la gourmandise à la « valse chantilly », la paresse à l’engourdissement d’un tempo inspiré par le fameux Estate de Shirley Horn, etc. On y retrouve, ce dynamisme rythmique et cette luxuriance qui nous avait séduit dans Megapolis, évoquant tout à la fois le Stravinsky du Sacre, le Gershwin d’Un Américain à Paris et le Leonard Bernstein de West Side Story et donc un univers très urbain, avec quelques échappées plus abstraites vers Bartok, voire vers le langage spectral (n’est-ce pas le thème de la luxure qui nous y amène ?). L’ensemble offre tout à la fois un écrin et, réparties entre chaque thème, des cadences solo improvisées par un Didier Ithursarry époustouflant de précision, d’audace et de générosité (rythme, lyrisme, profondeur harmonique et timbrale, dynamique) dont l’accordéon se nourrit l’esprit de la partition, la prolonge et la dynamise. • Franck Bergerot|Profitant de la tournée du trio Omar Sosa-Seckou Keita-Gustavo Ovalles, l’Orchestre Symphonique de Bretagne a pu jouer huit fois en dix jours deux œuvres du pianiste cubain orchestrées par Guillaume Saint-James qui a lui-même pu créer son concerto pour accordéon Les Sept pêchés capitaux avec Didier Ithursarry.

Omar Sosa (piano, shakers de chevilles), Seckou Keita (chant, kora, talking drum), Gustvao Ovalles (chant, maracas, tambours bata, cajon). Guillaume Saint-James (saxes soprano et alto), Didier Ithursarry (accordéon), l’Orchestre symphonique de Bretagne dirié par Aurélien Azan Zielinski.

Il est rare que ce type de création parvienne à être donnée plus de deux fois, voire une seule, alors que l’on sait combien un orchestre, qu’il soit symphonique ou de jazz, gagne à prendre le temps de pénétrer une œuvre, surtout lorsqu’il s’agit de langages inconnus des uns ou des autres, à plus forte raison lorsqu’ils sont ceux de continents aussi distants que l’Europe classique, l’Amérique du jazz, l’Afrique et sa diaspora caribéenne. On me reprendra surement en me rappelant la multitude des liens qui se sont noués au fil des siècles entre ces univers et qui les ont parfois fondés. En effet, non sans malentendus (qui n’ont d’ailleurs par manqué d’être fructueux), le jazz s’est nourri d’harmonie européenne (sans attendre Bill Evans, puisque Will Marion Cook qui fit connaître Sidney Bechet en Europe en 1919, étudia avec Anton Dvorak au Conservatoire de New York, Coleman Hawkins pratiquant quant à lui les partitions de Debussy) ; les compositeurs du XXe siècle, parfois sans le comprendre, sans le savoir ou en faisant mine de ne pas le savoir, furent marqués par le rythme, les phrasés et les timbres du jazz et du blues ; les pianos cubains ont été nourri d’harmonie des salons européens puis marqués par la technicité de l’école soviétique ; contrairement aux Etats-Unis protestants, les Caraïbes catholiques laissèrent leurs esclaves pratiquer instruments, rythmes danses et cultes africains ; progressivement le jazz qui par bien des aspect fut une musique au pire de l’oubli au mieux d’une mémoire sourde et virtuelle, renoua progressivement avec la Mère Afrique par la médiation de plusieurs générations caribéennes allant de Machito et Mario Bauza et aux Antonio Sanchez et autres Sonny Troupé.

C’est le spectacle souriant de cet échange décomplexé entre les cultures qu’offre le piano d’Omar Sosa dans les cordes duquel les mémoires du montuno et du piano classique étudié à l’Ecole nationale de La Havane s’enchantent mutuellement dans leur dialogue avec le chant, le tambour d’aisselle et la kora de Seckou Keita en une espèce d’esperanto improvisé auquel les percussions de Gustavo Ovalles viennent donner structure. Et si cette manifestation d’amour interculturel séduit sans réserve un public qui les salueront lors des rappels par des acclamations explosives, c’est probablement le percussionniste qui fascina le plus directement par cette précision rythmique qu’il donne littéralement à voir.

Deux petites improvisations sans façon aux qualités apéritives des trois stars de la soirée, et voici qu’entre l’Orchestre symphonique de Bretagne (l’OSB pour les intimes) et son chef pour interpréter l’Oda Africana où Omar Sosa a voulu ouvrir ce dialogue à la dimension du symphonique concertant. Comme pour l’autre œuvre symphonique donnée en fin de programme (Reecuento, troisième mouvement de From Our Mother qui connut sa première version en 2003 sur les pupitres de l’orchestres symphonique d’Oakland), Guillaume Saint-James a donné forme à l’intention du pianiste à partir des éléments qu’il lui a fournis, et prêté son saxophone et ses improvisations, le trio restant quelque peu en retrait, sauf Gustavo Ovalles, placé au centre de l’orchestre (derrière les cordes, devant les percussions classiques, entre bois et cuivres), et dont les mains viennent dessiner et animer l’ossature de l’œuvre tenue de main de maître par Aurélien Azan Zielinski avec une précision rythmique que l’on ne trouve pas chez tous les chefs classiques.

Nous découvrons ensuite une séduisante curiosité, arrangée par Guillaume Saint-James, La Bella Cubana, qui évoque la créolité des musiques de salon européennes composées au milieu du XIXe siècle par Louis Moreau Gottschalk, pianiste néo-orléanais, auteur d’une Bamboula et d’un Banjo inspirés des danses d’esclaves du dimanche à Congo Square et de la musique des salons parisiens qu’il fréquenta et où il se fit remarquer par Frédéric Chopin. Rien d’étonnant à ce rapprochement lorsque la lecture du programme nous apprend que cette “habanera” est l’œuvre de José White Lafitte, multi-intrumentiste et virtuose du violon, né à Cuba, qui eut Louis Moreau Gottschalk comme accompagnateur. Encouragé par ce dernier, lui aussi se rendit à Paris pour étudier au Conservatoire avant d’y enseigner et de devenir l’ami de Rossini, Gounod et Saint-Saëns.

Ce n’est pas la première fois que Guillaume Saint-James collabore avec l’OSB auquel il a déjà confié sa partition de Megapolis (Choc de la rédaction dans la rubrique “Disques” de notre numéro 662), et un projet autour du cinquantenaire du débarquement de Normandie avec Chris Brubeck (140919). Cette fois-ci, ce sont les sept péchés capitaux qui ont inspiré la plume symphonique du saxophoniste pour Sketches of Seven, péchés incarnés musicalement avec un humour associant l’orgueil au tango, la luxure à l’ostinato et au triton (le fameux diabolus in musica interdit par l’église), la gourmandise à la « valse chantilly », la paresse à l’engourdissement d’un tempo inspiré par le fameux Estate de Shirley Horn, etc. On y retrouve, ce dynamisme rythmique et cette luxuriance qui nous avait séduit dans Megapolis, évoquant tout à la fois le Stravinsky du Sacre, le Gershwin d’Un Américain à Paris et le Leonard Bernstein de West Side Story et donc un univers très urbain, avec quelques échappées plus abstraites vers Bartok, voire vers le langage spectral (n’est-ce pas le thème de la luxure qui nous y amène ?). L’ensemble offre tout à la fois un écrin et, réparties entre chaque thème, des cadences solo improvisées par un Didier Ithursarry époustouflant de précision, d’audace et de générosité (rythme, lyrisme, profondeur harmonique et timbrale, dynamique) dont l’accordéon se nourrit l’esprit de la partition, la prolonge et la dynamise. • Franck Bergerot|Profitant de la tournée du trio Omar Sosa-Seckou Keita-Gustavo Ovalles, l’Orchestre Symphonique de Bretagne a pu jouer huit fois en dix jours deux œuvres du pianiste cubain orchestrées par Guillaume Saint-James qui a lui-même pu créer son concerto pour accordéon Les Sept pêchés capitaux avec Didier Ithursarry.

Omar Sosa (piano, shakers de chevilles), Seckou Keita (chant, kora, talking drum), Gustvao Ovalles (chant, maracas, tambours bata, cajon). Guillaume Saint-James (saxes soprano et alto), Didier Ithursarry (accordéon), l’Orchestre symphonique de Bretagne dirié par Aurélien Azan Zielinski.

Il est rare que ce type de création parvienne à être donnée plus de deux fois, voire une seule, alors que l’on sait combien un orchestre, qu’il soit symphonique ou de jazz, gagne à prendre le temps de pénétrer une œuvre, surtout lorsqu’il s’agit de langages inconnus des uns ou des autres, à plus forte raison lorsqu’ils sont ceux de continents aussi distants que l’Europe classique, l’Amérique du jazz, l’Afrique et sa diaspora caribéenne. On me reprendra surement en me rappelant la multitude des liens qui se sont noués au fil des siècles entre ces univers et qui les ont parfois fondés. En effet, non sans malentendus (qui n’ont d’ailleurs par manqué d’être fructueux), le jazz s’est nourri d’harmonie européenne (sans attendre Bill Evans, puisque Will Marion Cook qui fit connaître Sidney Bechet en Europe en 1919, étudia avec Anton Dvorak au Conservatoire de New York, Coleman Hawkins pratiquant quant à lui les partitions de Debussy) ; les compositeurs du XXe siècle, parfois sans le comprendre, sans le savoir ou en faisant mine de ne pas le savoir, furent marqués par le rythme, les phrasés et les timbres du jazz et du blues ; les pianos cubains ont été nourri d’harmonie des salons européens puis marqués par la technicité de l’école soviétique ; contrairement aux Etats-Unis protestants, les Caraïbes catholiques laissèrent leurs esclaves pratiquer instruments, rythmes danses et cultes africains ; progressivement le jazz qui par bien des aspect fut une musique au pire de l’oubli au mieux d’une mémoire sourde et virtuelle, renoua progressivement avec la Mère Afrique par la médiation de plusieurs générations caribéennes allant de Machito et Mario Bauza et aux Antonio Sanchez et autres Sonny Troupé.

C’est le spectacle souriant de cet échange décomplexé entre les cultures qu’offre le piano d’Omar Sosa dans les cordes duquel les mémoires du montuno et du piano classique étudié à l’Ecole nationale de La Havane s’enchantent mutuellement dans leur dialogue avec le chant, le tambour d’aisselle et la kora de Seckou Keita en une espèce d’esperanto improvisé auquel les percussions de Gustavo Ovalles viennent donner structure. Et si cette manifestation d’amour interculturel séduit sans réserve un public qui les salueront lors des rappels par des acclamations explosives, c’est probablement le percussionniste qui fascina le plus directement par cette précision rythmique qu’il donne littéralement à voir.

Deux petites improvisations sans façon aux qualités apéritives des trois stars de la soirée, et voici qu’entre l’Orchestre symphonique de Bretagne (l’OSB pour les intimes) et son chef pour interpréter l’Oda Africana où Omar Sosa a voulu ouvrir ce dialogue à la dimension du symphonique concertant. Comme pour l’autre œuvre symphonique donnée en fin de programme (Reecuento, troisième mouvement de From Our Mother qui connut sa première version en 2003 sur les pupitres de l’orchestres symphonique d’Oakland), Guillaume Saint-James a donné forme à l’intention du pianiste à partir des éléments qu’il lui a fournis, et prêté son saxophone et ses improvisations, le trio restant quelque peu en retrait, sauf Gustavo Ovalles, placé au centre de l’orchestre (derrière les cordes, devant les percussions classiques, entre bois et cuivres), et dont les mains viennent dessiner et animer l’ossature de l’œuvre tenue de main de maître par Aurélien Azan Zielinski avec une précision rythmique que l’on ne trouve pas chez tous les chefs classiques.

Nous découvrons ensuite une séduisante curiosité, arrangée par Guillaume Saint-James, La Bella Cubana, qui évoque la créolité des musiques de salon européennes composées au milieu du XIXe siècle par Louis Moreau Gottschalk, pianiste néo-orléanais, auteur d’une Bamboula et d’un Banjo inspirés des danses d’esclaves du dimanche à Congo Square et de la musique des salons parisiens qu’il fréquenta et où il se fit remarquer par Frédéric Chopin. Rien d’étonnant à ce rapprochement lorsque la lecture du programme nous apprend que cette “habanera” est l’œuvre de José White Lafitte, multi-intrumentiste et virtuose du violon, né à Cuba, qui eut Louis Moreau Gottschalk comme accompagnateur. Encouragé par ce dernier, lui aussi se rendit à Paris pour étudier au Conservatoire avant d’y enseigner et de devenir l’ami de Rossini, Gounod et Saint-Saëns.

Ce n’est pas la première fois que Guillaume Saint-James collabore avec l’OSB auquel il a déjà confié sa partition de Megapolis (Choc de la rédaction dans la rubrique “Disques” de notre numéro 662), et un projet autour du cinquantenaire du débarquement de Normandie avec Chris Brubeck (140919). Cette fois-ci, ce sont les sept péchés capitaux qui ont inspiré la plume symphonique du saxophoniste pour Sketches of Seven, péchés incarnés musicalement avec un humour associant l’orgueil au tango, la luxure à l’ostinato et au triton (le fameux diabolus in musica interdit par l’église), la gourmandise à la « valse chantilly », la paresse à l’engourdissement d’un tempo inspiré par le fameux Estate de Shirley Horn, etc. On y retrouve, ce dynamisme rythmique et cette luxuriance qui nous avait séduit dans Megapolis, évoquant tout à la fois le Stravinsky du Sacre, le Gershwin d’Un Américain à Paris et le Leonard Bernstein de West Side Story et donc un univers très urbain, avec quelques échappées plus abstraites vers Bartok, voire vers le langage spectral (n’est-ce pas le thème de la luxure qui nous y amène ?). L’ensemble offre tout à la fois un écrin et, réparties entre chaque thème, des cadences solo improvisées par un Didier Ithursarry époustouflant de précision, d’audace et de générosité (rythme, lyrisme, profondeur harmonique et timbrale, dynamique) dont l’accordéon se nourrit l’esprit de la partition, la prolonge et la dynamise. • Franck Bergerot