Jazz live
Publié le 1 Juil 2012

Respire Jazz Festival 2ème soirée

Pour sa deuxième soirée, le Respire Jazz Festival accueillait Olivier Ker Ourio et son trio Magic Tree (Emmanuel Bex à l’orgue et Yoann Serra à la batterie) augmenté du maître des lieux, le guitariste Pierre Perchaud et précédé de deux très belles surprises, le trio The Drops et le solo du pianiste allemand Sebastian Sternal.

 

Respire Jazz, Aignes-et-Puypéroux (16), le 29 juin.

Noctambules Band : Guillaume Gardey de Soos (trompette), Matthis Pascaud (guitare électrique), Martin Lefebvre (Fender Rhodes), Arthur Alard (batterie)

 

The Drops : Christophe Panzani (sax ténor), Federico Casagrande (guitare électrique), Gauther Garrigue (batterie)

 

Laura Carroni (violoncelle, chant)

 

Sebastian Sternal (piano)

 

Olivier Ker Ourio (harmonica), Pierre Perchaud (guitare électrique), Emmanuel Bex (orgue), Yoann Serra (batterie)


Ce fut une belle soirée, même si le ciel s’obstina à rester gris faisant tomber tôt sur l’abbatiale Saint-Gilles une fraîcheur inhabituelle pour ce début d’été, même si le public ne fut pas aussi nombreux qu’on pouvait l’espérer, dissuadé par le temps ou par une affiche sans star apparente, comme l’avait été l’an dernier Youn Sun Nah. Et pourtant quel beau public en ce lieu reculé, attentif, curieux, sensible et perspicace si j’en juge d’après les commentaires recueillis ici et là.

 

Le Noctambule Band. La journée commença à 17h, pour un double concert gratuit à l’extérieur de l’enceinte du lieu, non plus dans un environnement de pierres, mais dans un cadre de verdure intégrale, avec le Noctambule Band que nous avions “entraperçu” hier animant la jam en fin de soirée. Il faisait hier l’ouverture à 17h comme il la fera demain. Ces élèves du Centre des musiques Didier Lockwood se sont d’abord constitués en trio et accueille tout juste un trompettiste parmi eux. Je survole en rédigeant cette chronique le disque des Metropolitains que m’a confié hier Guillaume de Soos, le nouveau trompettiste, sélectionnant ses compositions écrites par lui d’une plume ferme aux détours variés et point trop attendus, jouées d’une trompette sensible et mâture. Mais pour l’heure, les partitions sont du guitariste Matthis Pascaud, très éloignées des standards de la veille à l’heure de la jam session. Homophonies concises de la trompette et de la guitare agrémentées d’arpèges vifs de cette dernière, riffs acérés, contrepoint et soutien dynamique du Rhodes de Martin Lefebvre. Un jazz aux accents d’un rock-pop élégant, qui n’a peut-être pas encore retrouvé ses marques avec l’arrivée d’une quatrième voix et peut-être l’aisance nécessaire au déploiement de toute sa voilure afin de décoller de ces arrangements malins et précis.


The Drops. Surprise ! Dans ce festival où des balles de foin font office de bancs pour le public, dans ce théâtre de verdure aux allures d’abords de ferme et où je me trouve à l’abri d’un prunier, les trois musiciens de The Drops arrivent en chemise blanche, cravate, complet-veston noir. Seul le batteur ne porte pas la veste, signe distinctif et peut-être signifiant qu’il est une pièce “rapportée”. En effert, ce trio est d’abord un duo de compositeurs, le guitariste Federico Casagrande et le saxophoniste Christophe Panzani. Le disque “Falling From the Sky” que je me procurerais sur le stand disquaire du festival (où le dernier Jazzmag est en vente ainsi que d’anciens numéros), les montre tous deux à visage découvert, chapeautés de melons et munis de parapluie à l’anglaise et mutipliés dans une composition surréaliste évoquant Magritte, tandis que le batteur, qui n’apparaît qu’une fois, tourne le dos. Il s’agissait, pour le disque enregistré à New York en 2009, de Ted Poor, mais si l’on en croit les nombreux batteurs remerciés dans la pochette (Gautier Garrigue, Guilhem Flouzat, Anne Paceo, Karl Jannuska, Antoine Paganotti…), le poste n’a pas trouvé son titulaire quoiqu’il semble que Gautier Garrigue y ait pris ses aises. Passé l’effet marketing des costumes, qui déstabilise l’attention et rendra la musique d’autant plus surprenante qu’elle ne colle pas vraiment – ou alors d’une manière très décalée – à cette image de ”mods”, on découvre un trio très organique dont les compositions et le son semble naître des arpèges rapides et des blocks chords joués au doigt (avec un onglet de pouce) qui se déploient sur le manche de la guitare en des conduites de voix obsédantes par leur caractère compact et leurs effets de pédales renforcés par un octover sur les fréquences graves. Souvent soliste sans batterie, comme en interlude entre les tiroirs de ces compositions labyrinthiques, la guitare est le fil rouge de ce jazz pop aux contours mélodiques et harmoniques d’un lyrisme aussi entêtant que sophistiqué, décomposé par une batterie alerte et précise. Le saxophone joue souvent “dans” la guitare de longs développements dont on hésite à départir l’écrit de l’improvisé qui n’est que rarement lâché, souvent retenu, procédant par phrases courtes, notes répétées, formules se déformant par réitération, sauf le temps d’une occasionnelle gamme ascendante ou d’un phrasé plus tumultueux comme si Christophe Panzani « n’avait su s’en empêcher ». Le tout d’une sorte de “ténor en Mi bémol” à la sonorité onctueuse qui n’est pas sans évoquer Mark Turner, au profit d’un onirisme troublant qui ne rend pas vaine cette pochette “à la Magritte” découverte après le concert.

 

Laura Carroni. Surprise en ouverture du concert du soir, la violoncelliste et chanteuse argentine, s’installe sur scène. Elle avait été prévue initialement à l’affiche du concert de la veille avec le duo qui l’associe à sa sœur jumelle, la clarinettiste et chanteuse Gianna Caronni, mais déprogrammée pour cause de grossesse. Elle est tout de même venue seule donner un aperçu de son art en quelques pièces. Un tango d’abord, que chantait sa mère, remontant aux années 40, “l’âge d’or du tango” précise-t-elle. Et de fait, tant par son chant que par le caractère iconoclaste de son instrument qui hésite entre le « violoncelles seul » des suites de Bach et la vièle campagnarde, elle nous emmène loin de cet académisme moderne qu’a suscité l’œuvre d’Astor Piazzolla. Son univers nous emmènera ensuite loin de Buenos Aires, vers le Nord, ses pampas, ses galops et l’univers d’Atahualpa Yupanqui.


Sebastian Sternal. S’il est inconnu de la plupart des lecteurs de Jazmag, il n’est un inconnu ni pour le public de Respire Jazz qui l’entendit l’an passé avec le quartette de David Fetmann, ni de moi qui le remarquait voici quelques années au Tremplin Jazz d’Avignon et surtout cet hiver sur la Péniche l’Improviste avec le saxophoniste Max Bender. J’avais simplement oublié son nom et de le reconnaître dans la cour de l’Abbatiale Saint-Gilles m’a ravi autant que son piano m’intimide désormais au moment de rendre compte de son concert. Un moment de grâce commencé sur de sèches angularités monkiennes d’où allait se dégageait en conclusion de sa première pièce les contours de Friday the 13th de Thelonious. Suivront des pièces plus “romantiques”, mais évitant toute tentation kisch, par une économie des moyens toujours justement rapportée à la nature du propos, une élocution des idées toujours d’une grande clarté, un sens constant de
l’inattendu jusque dans des terminaisons de morceau en soudaine suspension, un équilibre constant entre la danse et le flottement, entre l’héritage noir que trahissent des accents soul et le patrimoine européen, une bravoure du geste non dénué d’humour, mais d’un humour plus diffus que celui de Solal auquel j’ai brièvement pensé en écoutant sa version de
You Do Something to Me (Cole Porter), rapportant à l’issue du concert à Philippe Vincent qui fit connaître en France Enrico Pieranunzi sur son Ida Records : « Je l’aurais bien vu sur ton label. » J’apprendrai en échangeant avec le pianiste autour du stand où Philippe a retrouvé momentanément son premier métier de disquaire et où les disques de la soirée se vendent comme des petits pains, que son maître est plutôt à rechercher du côté de John Taylor avec lequel il a étudié. Comment n’y avais-je pas pensé ?


Olivier Ker Ourio Quartet. Pas de surprise, mais beaucoup de bonheur retrouvé à l’écoute de l’harmonica de Ker Ourio qu’il manie avec l’expressivité d’une trompettiste ellingtonien, l’habileté d’un saxophoniste coltranien et la richesse harmonique d’un pianiste billevansien. Il est aussi ravi de nous présenter Emmanuel Bex qu’il le serait d’un grand pianiste américain et il a raison tant l’organiste positive tout ce qu’il touche avec une flamme, une tendresse et un humour qui embrase tout sur son passage, qu’il onirise l’orgue-orchestre pré-jimmy-smith, qu’il fasse barder l’héritage de Larry Young ou qu’il invoque le bonhomme Maurice (Cullaz) à travers de fantômatiques effets vocoder. Pierre Perchaud s’intègre dans ce trio avec brio, par une répartie rythmique alerte et de longues et nerveuses sinuosités mélodiques tandis que Yoann Serra ouvre grand l’éventail de son vocabulaire, réagissant au millionième de seconde au passage d’une Chaloupez moi réunionnais à une interlude “swing up tempo” lancé sans crier gare par la main gauche de Bex qui vous ferait hurler de plaisir si vous n’étiez pas bien élevé.

 

Buvette, bœuf et standards. Il faudrait bien dire quelque chose des jam sessions qui se poursuivent tard dans la nuit près de la buvette et sans lesquels un festival n’est pas un vrai festival tant il est cruel de fermer brutalement les portes d’un théâtre en disant à son public « c’est fini, rentrez chez vous. » Or c’est samedi, or c’est l’été, or les journées sont longues, or, ces musiciens, on aimerait les voir d’un peu plus près, les fréquenter à la buvette et toucher du doigt ces mystères de l’improvisation que permet la réunion impromptue autours des standards. Il faudrait parler de ces standards obligés, que l’on connaît aujourd’hui si mal, parce qu’il ne sont plus les chansons de notre siècle, mais tout ceci nous emmènerait trop loin et j’ai le gosier un peu sec. À demain.


Franck Bergerot

 

Demain soir, 1er juillet : Noctambule Band (17h), le quartette du saxophoniste Fred Borey avec la pianiste Camelia Ben Naceur (18h), la chanteuse Susanne Abbuehl et le pianiste Stephan Oliva (piano), jazz et flamenco avec La Escoucha Interior de la danseuse Karine Gonzalez et le quartette du pianiste Julien Lallier.

 

Franck Bergerot

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Pour sa deuxième soirée, le Respire Jazz Festival accueillait Olivier Ker Ourio et son trio Magic Tree (Emmanuel Bex à l’orgue et Yoann Serra à la batterie) augmenté du maître des lieux, le guitariste Pierre Perchaud et précédé de deux très belles surprises, le trio The Drops et le solo du pianiste allemand Sebastian Sternal.

 

Respire Jazz, Aignes-et-Puypéroux (16), le 29 juin.

Noctambules Band : Guillaume Gardey de Soos (trompette), Matthis Pascaud (guitare électrique), Martin Lefebvre (Fender Rhodes), Arthur Alard (batterie)

 

The Drops : Christophe Panzani (sax ténor), Federico Casagrande (guitare électrique), Gauther Garrigue (batterie)

 

Laura Carroni (violoncelle, chant)

 

Sebastian Sternal (piano)

 

Olivier Ker Ourio (harmonica), Pierre Perchaud (guitare électrique), Emmanuel Bex (orgue), Yoann Serra (batterie)


Ce fut une belle soirée, même si le ciel s’obstina à rester gris faisant tomber tôt sur l’abbatiale Saint-Gilles une fraîcheur inhabituelle pour ce début d’été, même si le public ne fut pas aussi nombreux qu’on pouvait l’espérer, dissuadé par le temps ou par une affiche sans star apparente, comme l’avait été l’an dernier Youn Sun Nah. Et pourtant quel beau public en ce lieu reculé, attentif, curieux, sensible et perspicace si j’en juge d’après les commentaires recueillis ici et là.

 

Le Noctambule Band. La journée commença à 17h, pour un double concert gratuit à l’extérieur de l’enceinte du lieu, non plus dans un environnement de pierres, mais dans un cadre de verdure intégrale, avec le Noctambule Band que nous avions “entraperçu” hier animant la jam en fin de soirée. Il faisait hier l’ouverture à 17h comme il la fera demain. Ces élèves du Centre des musiques Didier Lockwood se sont d’abord constitués en trio et accueille tout juste un trompettiste parmi eux. Je survole en rédigeant cette chronique le disque des Metropolitains que m’a confié hier Guillaume de Soos, le nouveau trompettiste, sélectionnant ses compositions écrites par lui d’une plume ferme aux détours variés et point trop attendus, jouées d’une trompette sensible et mâture. Mais pour l’heure, les partitions sont du guitariste Matthis Pascaud, très éloignées des standards de la veille à l’heure de la jam session. Homophonies concises de la trompette et de la guitare agrémentées d’arpèges vifs de cette dernière, riffs acérés, contrepoint et soutien dynamique du Rhodes de Martin Lefebvre. Un jazz aux accents d’un rock-pop élégant, qui n’a peut-être pas encore retrouvé ses marques avec l’arrivée d’une quatrième voix et peut-être l’aisance nécessaire au déploiement de toute sa voilure afin de décoller de ces arrangements malins et précis.


The Drops. Surprise ! Dans ce festival où des balles de foin font office de bancs pour le public, dans ce théâtre de verdure aux allures d’abords de ferme et où je me trouve à l’abri d’un prunier, les trois musiciens de The Drops arrivent en chemise blanche, cravate, complet-veston noir. Seul le batteur ne porte pas la veste, signe distinctif et peut-être signifiant qu’il est une pièce “rapportée”. En effert, ce trio est d’abord un duo de compositeurs, le guitariste Federico Casagrande et le saxophoniste Christophe Panzani. Le disque “Falling From the Sky” que je me procurerais sur le stand disquaire du festival (où le dernier Jazzmag est en vente ainsi que d’anciens numéros), les montre tous deux à visage découvert, chapeautés de melons et munis de parapluie à l’anglaise et mutipliés dans une composition surréaliste évoquant Magritte, tandis que le batteur, qui n’apparaît qu’une fois, tourne le dos. Il s’agissait, pour le disque enregistré à New York en 2009, de Ted Poor, mais si l’on en croit les nombreux batteurs remerciés dans la pochette (Gautier Garrigue, Guilhem Flouzat, Anne Paceo, Karl Jannuska, Antoine Paganotti…), le poste n’a pas trouvé son titulaire quoiqu’il semble que Gautier Garrigue y ait pris ses aises. Passé l’effet marketing des costumes, qui déstabilise l’attention et rendra la musique d’autant plus surprenante qu’elle ne colle pas vraiment – ou alors d’une manière très décalée – à cette image de ”mods”, on découvre un trio très organique dont les compositions et le son semble naître des arpèges rapides et des blocks chords joués au doigt (avec un onglet de pouce) qui se déploient sur le manche de la guitare en des conduites de voix obsédantes par leur caractère compact et leurs effets de pédales renforcés par un octover sur les fréquences graves. Souvent soliste sans batterie, comme en interlude entre les tiroirs de ces compositions labyrinthiques, la guitare est le fil rouge de ce jazz pop aux contours mélodiques et harmoniques d’un lyrisme aussi entêtant que sophistiqué, décomposé par une batterie alerte et précise. Le saxophone joue souvent “dans” la guitare de longs développements dont on hésite à départir l’écrit de l’improvisé qui n’est que rarement lâché, souvent retenu, procédant par phrases courtes, notes répétées, formules se déformant par réitération, sauf le temps d’une occasionnelle gamme ascendante ou d’un phrasé plus tumultueux comme si Christophe Panzani « n’avait su s’en empêcher ». Le tout d’une sorte de “ténor en Mi bémol” à la sonorité onctueuse qui n’est pas sans évoquer Mark Turner, au profit d’un onirisme troublant qui ne rend pas vaine cette pochette “à la Magritte” découverte après le concert.

 

Laura Carroni. Surprise en ouverture du concert du soir, la violoncelliste et chanteuse argentine, s’installe sur scène. Elle avait été prévue initialement à l’affiche du concert de la veille avec le duo qui l’associe à sa sœur jumelle, la clarinettiste et chanteuse Gianna Caronni, mais déprogrammée pour cause de grossesse. Elle est tout de même venue seule donner un aperçu de son art en quelques pièces. Un tango d’abord, que chantait sa mère, remontant aux années 40, “l’âge d’or du tango” précise-t-elle. Et de fait, tant par son chant que par le caractère iconoclaste de son instrument qui hésite entre le « violoncelles seul » des suites de Bach et la vièle campagnarde, elle nous emmène loin de cet académisme moderne qu’a suscité l’œuvre d’Astor Piazzolla. Son univers nous emmènera ensuite loin de Buenos Aires, vers le Nord, ses pampas, ses galops et l’univers d’Atahualpa Yupanqui.


Sebastian Sternal. S’il est inconnu de la plupart des lecteurs de Jazmag, il n’est un inconnu ni pour le public de Respire Jazz qui l’entendit l’an passé avec le quartette de David Fetmann, ni de moi qui le remarquait voici quelques années au Tremplin Jazz d’Avignon et surtout cet hiver sur la Péniche l’Improviste avec le saxophoniste Max Bender. J’avais simplement oublié son nom et de le reconnaître dans la cour de l’Abbatiale Saint-Gilles m’a ravi autant que son piano m’intimide désormais au moment de rendre compte de son concert. Un moment de grâce commencé sur de sèches angularités monkiennes d’où allait se dégageait en conclusion de sa première pièce les contours de Friday the 13th de Thelonious. Suivront des pièces plus “romantiques”, mais évitant toute tentation kisch, par une économie des moyens toujours justement rapportée à la nature du propos, une élocution des idées toujours d’une grande clarté, un sens constant de
l’inattendu jusque dans des terminaisons de morceau en soudaine suspension, un équilibre constant entre la danse et le flottement, entre l’héritage noir que trahissent des accents soul et le patrimoine européen, une bravoure du geste non dénué d’humour, mais d’un humour plus diffus que celui de Solal auquel j’ai brièvement pensé en écoutant sa version de
You Do Something to Me (Cole Porter), rapportant à l’issue du concert à Philippe Vincent qui fit connaître en France Enrico Pieranunzi sur son Ida Records : « Je l’aurais bien vu sur ton label. » J’apprendrai en échangeant avec le pianiste autour du stand où Philippe a retrouvé momentanément son premier métier de disquaire et où les disques de la soirée se vendent comme des petits pains, que son maître est plutôt à rechercher du côté de John Taylor avec lequel il a étudié. Comment n’y avais-je pas pensé ?


Olivier Ker Ourio Quartet. Pas de surprise, mais beaucoup de bonheur retrouvé à l’écoute de l’harmonica de Ker Ourio qu’il manie avec l’expressivité d’une trompettiste ellingtonien, l’habileté d’un saxophoniste coltranien et la richesse harmonique d’un pianiste billevansien. Il est aussi ravi de nous présenter Emmanuel Bex qu’il le serait d’un grand pianiste américain et il a raison tant l’organiste positive tout ce qu’il touche avec une flamme, une tendresse et un humour qui embrase tout sur son passage, qu’il onirise l’orgue-orchestre pré-jimmy-smith, qu’il fasse barder l’héritage de Larry Young ou qu’il invoque le bonhomme Maurice (Cullaz) à travers de fantômatiques effets vocoder. Pierre Perchaud s’intègre dans ce trio avec brio, par une répartie rythmique alerte et de longues et nerveuses sinuosités mélodiques tandis que Yoann Serra ouvre grand l’éventail de son vocabulaire, réagissant au millionième de seconde au passage d’une Chaloupez moi réunionnais à une interlude “swing up tempo” lancé sans crier gare par la main gauche de Bex qui vous ferait hurler de plaisir si vous n’étiez pas bien élevé.

 

Buvette, bœuf et standards. Il faudrait bien dire quelque chose des jam sessions qui se poursuivent tard dans la nuit près de la buvette et sans lesquels un festival n’est pas un vrai festival tant il est cruel de fermer brutalement les portes d’un théâtre en disant à son public « c’est fini, rentrez chez vous. » Or c’est samedi, or c’est l’été, or les journées sont longues, or, ces musiciens, on aimerait les voir d’un peu plus près, les fréquenter à la buvette et toucher du doigt ces mystères de l’improvisation que permet la réunion impromptue autours des standards. Il faudrait parler de ces standards obligés, que l’on connaît aujourd’hui si mal, parce qu’il ne sont plus les chansons de notre siècle, mais tout ceci nous emmènerait trop loin et j’ai le gosier un peu sec. À demain.


Franck Bergerot

 

Demain soir, 1er juillet : Noctambule Band (17h), le quartette du saxophoniste Fred Borey avec la pianiste Camelia Ben Naceur (18h), la chanteuse Susanne Abbuehl et le pianiste Stephan Oliva (piano), jazz et flamenco avec La Escoucha Interior de la danseuse Karine Gonzalez et le quartette du pianiste Julien Lallier.

 

Franck Bergerot

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Pour sa deuxième soirée, le Respire Jazz Festival accueillait Olivier Ker Ourio et son trio Magic Tree (Emmanuel Bex à l’orgue et Yoann Serra à la batterie) augmenté du maître des lieux, le guitariste Pierre Perchaud et précédé de deux très belles surprises, le trio The Drops et le solo du pianiste allemand Sebastian Sternal.

 

Respire Jazz, Aignes-et-Puypéroux (16), le 29 juin.

Noctambules Band : Guillaume Gardey de Soos (trompette), Matthis Pascaud (guitare électrique), Martin Lefebvre (Fender Rhodes), Arthur Alard (batterie)

 

The Drops : Christophe Panzani (sax ténor), Federico Casagrande (guitare électrique), Gauther Garrigue (batterie)

 

Laura Carroni (violoncelle, chant)

 

Sebastian Sternal (piano)

 

Olivier Ker Ourio (harmonica), Pierre Perchaud (guitare électrique), Emmanuel Bex (orgue), Yoann Serra (batterie)


Ce fut une belle soirée, même si le ciel s’obstina à rester gris faisant tomber tôt sur l’abbatiale Saint-Gilles une fraîcheur inhabituelle pour ce début d’été, même si le public ne fut pas aussi nombreux qu’on pouvait l’espérer, dissuadé par le temps ou par une affiche sans star apparente, comme l’avait été l’an dernier Youn Sun Nah. Et pourtant quel beau public en ce lieu reculé, attentif, curieux, sensible et perspicace si j’en juge d’après les commentaires recueillis ici et là.

 

Le Noctambule Band. La journée commença à 17h, pour un double concert gratuit à l’extérieur de l’enceinte du lieu, non plus dans un environnement de pierres, mais dans un cadre de verdure intégrale, avec le Noctambule Band que nous avions “entraperçu” hier animant la jam en fin de soirée. Il faisait hier l’ouverture à 17h comme il la fera demain. Ces élèves du Centre des musiques Didier Lockwood se sont d’abord constitués en trio et accueille tout juste un trompettiste parmi eux. Je survole en rédigeant cette chronique le disque des Metropolitains que m’a confié hier Guillaume de Soos, le nouveau trompettiste, sélectionnant ses compositions écrites par lui d’une plume ferme aux détours variés et point trop attendus, jouées d’une trompette sensible et mâture. Mais pour l’heure, les partitions sont du guitariste Matthis Pascaud, très éloignées des standards de la veille à l’heure de la jam session. Homophonies concises de la trompette et de la guitare agrémentées d’arpèges vifs de cette dernière, riffs acérés, contrepoint et soutien dynamique du Rhodes de Martin Lefebvre. Un jazz aux accents d’un rock-pop élégant, qui n’a peut-être pas encore retrouvé ses marques avec l’arrivée d’une quatrième voix et peut-être l’aisance nécessaire au déploiement de toute sa voilure afin de décoller de ces arrangements malins et précis.


The Drops. Surprise ! Dans ce festival où des balles de foin font office de bancs pour le public, dans ce théâtre de verdure aux allures d’abords de ferme et où je me trouve à l’abri d’un prunier, les trois musiciens de The Drops arrivent en chemise blanche, cravate, complet-veston noir. Seul le batteur ne porte pas la veste, signe distinctif et peut-être signifiant qu’il est une pièce “rapportée”. En effert, ce trio est d’abord un duo de compositeurs, le guitariste Federico Casagrande et le saxophoniste Christophe Panzani. Le disque “Falling From the Sky” que je me procurerais sur le stand disquaire du festival (où le dernier Jazzmag est en vente ainsi que d’anciens numéros), les montre tous deux à visage découvert, chapeautés de melons et munis de parapluie à l’anglaise et mutipliés dans une composition surréaliste évoquant Magritte, tandis que le batteur, qui n’apparaît qu’une fois, tourne le dos. Il s’agissait, pour le disque enregistré à New York en 2009, de Ted Poor, mais si l’on en croit les nombreux batteurs remerciés dans la pochette (Gautier Garrigue, Guilhem Flouzat, Anne Paceo, Karl Jannuska, Antoine Paganotti…), le poste n’a pas trouvé son titulaire quoiqu’il semble que Gautier Garrigue y ait pris ses aises. Passé l’effet marketing des costumes, qui déstabilise l’attention et rendra la musique d’autant plus surprenante qu’elle ne colle pas vraiment – ou alors d’une manière très décalée – à cette image de ”mods”, on découvre un trio très organique dont les compositions et le son semble naître des arpèges rapides et des blocks chords joués au doigt (avec un onglet de pouce) qui se déploient sur le manche de la guitare en des conduites de voix obsédantes par leur caractère compact et leurs effets de pédales renforcés par un octover sur les fréquences graves. Souvent soliste sans batterie, comme en interlude entre les tiroirs de ces compositions labyrinthiques, la guitare est le fil rouge de ce jazz pop aux contours mélodiques et harmoniques d’un lyrisme aussi entêtant que sophistiqué, décomposé par une batterie alerte et précise. Le saxophone joue souvent “dans” la guitare de longs développements dont on hésite à départir l’écrit de l’improvisé qui n’est que rarement lâché, souvent retenu, procédant par phrases courtes, notes répétées, formules se déformant par réitération, sauf le temps d’une occasionnelle gamme ascendante ou d’un phrasé plus tumultueux comme si Christophe Panzani « n’avait su s’en empêcher ». Le tout d’une sorte de “ténor en Mi bémol” à la sonorité onctueuse qui n’est pas sans évoquer Mark Turner, au profit d’un onirisme troublant qui ne rend pas vaine cette pochette “à la Magritte” découverte après le concert.

 

Laura Carroni. Surprise en ouverture du concert du soir, la violoncelliste et chanteuse argentine, s’installe sur scène. Elle avait été prévue initialement à l’affiche du concert de la veille avec le duo qui l’associe à sa sœur jumelle, la clarinettiste et chanteuse Gianna Caronni, mais déprogrammée pour cause de grossesse. Elle est tout de même venue seule donner un aperçu de son art en quelques pièces. Un tango d’abord, que chantait sa mère, remontant aux années 40, “l’âge d’or du tango” précise-t-elle. Et de fait, tant par son chant que par le caractère iconoclaste de son instrument qui hésite entre le « violoncelles seul » des suites de Bach et la vièle campagnarde, elle nous emmène loin de cet académisme moderne qu’a suscité l’œuvre d’Astor Piazzolla. Son univers nous emmènera ensuite loin de Buenos Aires, vers le Nord, ses pampas, ses galops et l’univers d’Atahualpa Yupanqui.


Sebastian Sternal. S’il est inconnu de la plupart des lecteurs de Jazmag, il n’est un inconnu ni pour le public de Respire Jazz qui l’entendit l’an passé avec le quartette de David Fetmann, ni de moi qui le remarquait voici quelques années au Tremplin Jazz d’Avignon et surtout cet hiver sur la Péniche l’Improviste avec le saxophoniste Max Bender. J’avais simplement oublié son nom et de le reconnaître dans la cour de l’Abbatiale Saint-Gilles m’a ravi autant que son piano m’intimide désormais au moment de rendre compte de son concert. Un moment de grâce commencé sur de sèches angularités monkiennes d’où allait se dégageait en conclusion de sa première pièce les contours de Friday the 13th de Thelonious. Suivront des pièces plus “romantiques”, mais évitant toute tentation kisch, par une économie des moyens toujours justement rapportée à la nature du propos, une élocution des idées toujours d’une grande clarté, un sens constant de
l’inattendu jusque dans des terminaisons de morceau en soudaine suspension, un équilibre constant entre la danse et le flottement, entre l’héritage noir que trahissent des accents soul et le patrimoine européen, une bravoure du geste non dénué d’humour, mais d’un humour plus diffus que celui de Solal auquel j’ai brièvement pensé en écoutant sa version de
You Do Something to Me (Cole Porter), rapportant à l’issue du concert à Philippe Vincent qui fit connaître en France Enrico Pieranunzi sur son Ida Records : « Je l’aurais bien vu sur ton label. » J’apprendrai en échangeant avec le pianiste autour du stand où Philippe a retrouvé momentanément son premier métier de disquaire et où les disques de la soirée se vendent comme des petits pains, que son maître est plutôt à rechercher du côté de John Taylor avec lequel il a étudié. Comment n’y avais-je pas pensé ?


Olivier Ker Ourio Quartet. Pas de surprise, mais beaucoup de bonheur retrouvé à l’écoute de l’harmonica de Ker Ourio qu’il manie avec l’expressivité d’une trompettiste ellingtonien, l’habileté d’un saxophoniste coltranien et la richesse harmonique d’un pianiste billevansien. Il est aussi ravi de nous présenter Emmanuel Bex qu’il le serait d’un grand pianiste américain et il a raison tant l’organiste positive tout ce qu’il touche avec une flamme, une tendresse et un humour qui embrase tout sur son passage, qu’il onirise l’orgue-orchestre pré-jimmy-smith, qu’il fasse barder l’héritage de Larry Young ou qu’il invoque le bonhomme Maurice (Cullaz) à travers de fantômatiques effets vocoder. Pierre Perchaud s’intègre dans ce trio avec brio, par une répartie rythmique alerte et de longues et nerveuses sinuosités mélodiques tandis que Yoann Serra ouvre grand l’éventail de son vocabulaire, réagissant au millionième de seconde au passage d’une Chaloupez moi réunionnais à une interlude “swing up tempo” lancé sans crier gare par la main gauche de Bex qui vous ferait hurler de plaisir si vous n’étiez pas bien élevé.

 

Buvette, bœuf et standards. Il faudrait bien dire quelque chose des jam sessions qui se poursuivent tard dans la nuit près de la buvette et sans lesquels un festival n’est pas un vrai festival tant il est cruel de fermer brutalement les portes d’un théâtre en disant à son public « c’est fini, rentrez chez vous. » Or c’est samedi, or c’est l’été, or les journées sont longues, or, ces musiciens, on aimerait les voir d’un peu plus près, les fréquenter à la buvette et toucher du doigt ces mystères de l’improvisation que permet la réunion impromptue autours des standards. Il faudrait parler de ces standards obligés, que l’on connaît aujourd’hui si mal, parce qu’il ne sont plus les chansons de notre siècle, mais tout ceci nous emmènerait trop loin et j’ai le gosier un peu sec. À demain.


Franck Bergerot

 

Demain soir, 1er juillet : Noctambule Band (17h), le quartette du saxophoniste Fred Borey avec la pianiste Camelia Ben Naceur (18h), la chanteuse Susanne Abbuehl et le pianiste Stephan Oliva (piano), jazz et flamenco avec La Escoucha Interior de la danseuse Karine Gonzalez et le quartette du pianiste Julien Lallier.

 

Franck Bergerot

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Pour sa deuxième soirée, le Respire Jazz Festival accueillait Olivier Ker Ourio et son trio Magic Tree (Emmanuel Bex à l’orgue et Yoann Serra à la batterie) augmenté du maître des lieux, le guitariste Pierre Perchaud et précédé de deux très belles surprises, le trio The Drops et le solo du pianiste allemand Sebastian Sternal.

 

Respire Jazz, Aignes-et-Puypéroux (16), le 29 juin.

Noctambules Band : Guillaume Gardey de Soos (trompette), Matthis Pascaud (guitare électrique), Martin Lefebvre (Fender Rhodes), Arthur Alard (batterie)

 

The Drops : Christophe Panzani (sax ténor), Federico Casagrande (guitare électrique), Gauther Garrigue (batterie)

 

Laura Carroni (violoncelle, chant)

 

Sebastian Sternal (piano)

 

Olivier Ker Ourio (harmonica), Pierre Perchaud (guitare électrique), Emmanuel Bex (orgue), Yoann Serra (batterie)


Ce fut une belle soirée, même si le ciel s’obstina à rester gris faisant tomber tôt sur l’abbatiale Saint-Gilles une fraîcheur inhabituelle pour ce début d’été, même si le public ne fut pas aussi nombreux qu’on pouvait l’espérer, dissuadé par le temps ou par une affiche sans star apparente, comme l’avait été l’an dernier Youn Sun Nah. Et pourtant quel beau public en ce lieu reculé, attentif, curieux, sensible et perspicace si j’en juge d’après les commentaires recueillis ici et là.

 

Le Noctambule Band. La journée commença à 17h, pour un double concert gratuit à l’extérieur de l’enceinte du lieu, non plus dans un environnement de pierres, mais dans un cadre de verdure intégrale, avec le Noctambule Band que nous avions “entraperçu” hier animant la jam en fin de soirée. Il faisait hier l’ouverture à 17h comme il la fera demain. Ces élèves du Centre des musiques Didier Lockwood se sont d’abord constitués en trio et accueille tout juste un trompettiste parmi eux. Je survole en rédigeant cette chronique le disque des Metropolitains que m’a confié hier Guillaume de Soos, le nouveau trompettiste, sélectionnant ses compositions écrites par lui d’une plume ferme aux détours variés et point trop attendus, jouées d’une trompette sensible et mâture. Mais pour l’heure, les partitions sont du guitariste Matthis Pascaud, très éloignées des standards de la veille à l’heure de la jam session. Homophonies concises de la trompette et de la guitare agrémentées d’arpèges vifs de cette dernière, riffs acérés, contrepoint et soutien dynamique du Rhodes de Martin Lefebvre. Un jazz aux accents d’un rock-pop élégant, qui n’a peut-être pas encore retrouvé ses marques avec l’arrivée d’une quatrième voix et peut-être l’aisance nécessaire au déploiement de toute sa voilure afin de décoller de ces arrangements malins et précis.


The Drops. Surprise ! Dans ce festival où des balles de foin font office de bancs pour le public, dans ce théâtre de verdure aux allures d’abords de ferme et où je me trouve à l’abri d’un prunier, les trois musiciens de The Drops arrivent en chemise blanche, cravate, complet-veston noir. Seul le batteur ne porte pas la veste, signe distinctif et peut-être signifiant qu’il est une pièce “rapportée”. En effert, ce trio est d’abord un duo de compositeurs, le guitariste Federico Casagrande et le saxophoniste Christophe Panzani. Le disque “Falling From the Sky” que je me procurerais sur le stand disquaire du festival (où le dernier Jazzmag est en vente ainsi que d’anciens numéros), les montre tous deux à visage découvert, chapeautés de melons et munis de parapluie à l’anglaise et mutipliés dans une composition surréaliste évoquant Magritte, tandis que le batteur, qui n’apparaît qu’une fois, tourne le dos. Il s’agissait, pour le disque enregistré à New York en 2009, de Ted Poor, mais si l’on en croit les nombreux batteurs remerciés dans la pochette (Gautier Garrigue, Guilhem Flouzat, Anne Paceo, Karl Jannuska, Antoine Paganotti…), le poste n’a pas trouvé son titulaire quoiqu’il semble que Gautier Garrigue y ait pris ses aises. Passé l’effet marketing des costumes, qui déstabilise l’attention et rendra la musique d’autant plus surprenante qu’elle ne colle pas vraiment – ou alors d’une manière très décalée – à cette image de ”mods”, on découvre un trio très organique dont les compositions et le son semble naître des arpèges rapides et des blocks chords joués au doigt (avec un onglet de pouce) qui se déploient sur le manche de la guitare en des conduites de voix obsédantes par leur caractère compact et leurs effets de pédales renforcés par un octover sur les fréquences graves. Souvent soliste sans batterie, comme en interlude entre les tiroirs de ces compositions labyrinthiques, la guitare est le fil rouge de ce jazz pop aux contours mélodiques et harmoniques d’un lyrisme aussi entêtant que sophistiqué, décomposé par une batterie alerte et précise. Le saxophone joue souvent “dans” la guitare de longs développements dont on hésite à départir l’écrit de l’improvisé qui n’est que rarement lâché, souvent retenu, procédant par phrases courtes, notes répétées, formules se déformant par réitération, sauf le temps d’une occasionnelle gamme ascendante ou d’un phrasé plus tumultueux comme si Christophe Panzani « n’avait su s’en empêcher ». Le tout d’une sorte de “ténor en Mi bémol” à la sonorité onctueuse qui n’est pas sans évoquer Mark Turner, au profit d’un onirisme troublant qui ne rend pas vaine cette pochette “à la Magritte” découverte après le concert.

 

Laura Carroni. Surprise en ouverture du concert du soir, la violoncelliste et chanteuse argentine, s’installe sur scène. Elle avait été prévue initialement à l’affiche du concert de la veille avec le duo qui l’associe à sa sœur jumelle, la clarinettiste et chanteuse Gianna Caronni, mais déprogrammée pour cause de grossesse. Elle est tout de même venue seule donner un aperçu de son art en quelques pièces. Un tango d’abord, que chantait sa mère, remontant aux années 40, “l’âge d’or du tango” précise-t-elle. Et de fait, tant par son chant que par le caractère iconoclaste de son instrument qui hésite entre le « violoncelles seul » des suites de Bach et la vièle campagnarde, elle nous emmène loin de cet académisme moderne qu’a suscité l’œuvre d’Astor Piazzolla. Son univers nous emmènera ensuite loin de Buenos Aires, vers le Nord, ses pampas, ses galops et l’univers d’Atahualpa Yupanqui.


Sebastian Sternal. S’il est inconnu de la plupart des lecteurs de Jazmag, il n’est un inconnu ni pour le public de Respire Jazz qui l’entendit l’an passé avec le quartette de David Fetmann, ni de moi qui le remarquait voici quelques années au Tremplin Jazz d’Avignon et surtout cet hiver sur la Péniche l’Improviste avec le saxophoniste Max Bender. J’avais simplement oublié son nom et de le reconnaître dans la cour de l’Abbatiale Saint-Gilles m’a ravi autant que son piano m’intimide désormais au moment de rendre compte de son concert. Un moment de grâce commencé sur de sèches angularités monkiennes d’où allait se dégageait en conclusion de sa première pièce les contours de Friday the 13th de Thelonious. Suivront des pièces plus “romantiques”, mais évitant toute tentation kisch, par une économie des moyens toujours justement rapportée à la nature du propos, une élocution des idées toujours d’une grande clarté, un sens constant de
l’inattendu jusque dans des terminaisons de morceau en soudaine suspension, un équilibre constant entre la danse et le flottement, entre l’héritage noir que trahissent des accents soul et le patrimoine européen, une bravoure du geste non dénué d’humour, mais d’un humour plus diffus que celui de Solal auquel j’ai brièvement pensé en écoutant sa version de
You Do Something to Me (Cole Porter), rapportant à l’issue du concert à Philippe Vincent qui fit connaître en France Enrico Pieranunzi sur son Ida Records : « Je l’aurais bien vu sur ton label. » J’apprendrai en échangeant avec le pianiste autour du stand où Philippe a retrouvé momentanément son premier métier de disquaire et où les disques de la soirée se vendent comme des petits pains, que son maître est plutôt à rechercher du côté de John Taylor avec lequel il a étudié. Comment n’y avais-je pas pensé ?


Olivier Ker Ourio Quartet. Pas de surprise, mais beaucoup de bonheur retrouvé à l’écoute de l’harmonica de Ker Ourio qu’il manie avec l’expressivité d’une trompettiste ellingtonien, l’habileté d’un saxophoniste coltranien et la richesse harmonique d’un pianiste billevansien. Il est aussi ravi de nous présenter Emmanuel Bex qu’il le serait d’un grand pianiste américain et il a raison tant l’organiste positive tout ce qu’il touche avec une flamme, une tendresse et un humour qui embrase tout sur son passage, qu’il onirise l’orgue-orchestre pré-jimmy-smith, qu’il fasse barder l’héritage de Larry Young ou qu’il invoque le bonhomme Maurice (Cullaz) à travers de fantômatiques effets vocoder. Pierre Perchaud s’intègre dans ce trio avec brio, par une répartie rythmique alerte et de longues et nerveuses sinuosités mélodiques tandis que Yoann Serra ouvre grand l’éventail de son vocabulaire, réagissant au millionième de seconde au passage d’une Chaloupez moi réunionnais à une interlude “swing up tempo” lancé sans crier gare par la main gauche de Bex qui vous ferait hurler de plaisir si vous n’étiez pas bien élevé.

 

Buvette, bœuf et standards. Il faudrait bien dire quelque chose des jam sessions qui se poursuivent tard dans la nuit près de la buvette et sans lesquels un festival n’est pas un vrai festival tant il est cruel de fermer brutalement les portes d’un théâtre en disant à son public « c’est fini, rentrez chez vous. » Or c’est samedi, or c’est l’été, or les journées sont longues, or, ces musiciens, on aimerait les voir d’un peu plus près, les fréquenter à la buvette et toucher du doigt ces mystères de l’improvisation que permet la réunion impromptue autours des standards. Il faudrait parler de ces standards obligés, que l’on connaît aujourd’hui si mal, parce qu’il ne sont plus les chansons de notre siècle, mais tout ceci nous emmènerait trop loin et j’ai le gosier un peu sec. À demain.


Franck Bergerot

 

Demain soir, 1er juillet : Noctambule Band (17h), le quartette du saxophoniste Fred Borey avec la pianiste Camelia Ben Naceur (18h), la chanteuse Susanne Abbuehl et le pianiste Stephan Oliva (piano), jazz et flamenco avec La Escoucha Interior de la danseuse Karine Gonzalez et le quartette du pianiste Julien Lallier.

 

Franck Bergerot