Jazz live
Publié le 29 Sep 2015

Showcases hongrois à l'assemblée de l'EJN. Budapest, 24-26 septembre

La grand-messe de l’Europe Jazz Network — association qui rassemble plus d’une centaine de festivals et de lieux de diffusion musicale européens — se tient chaque année dans une ville différente, dont le membre local co-participe à l’organisation de l’événement. Cette année c’était au tour de Budapest et, ayant été invité à assister à l’événement, c’était pour moi l’occasion d’entendre de près nombre de musiciens hongrois qu’on ne connaît guère en France qu’à travers leur discographie sur le label BMC (Budapest Music Center).

C’est justement le magnifique édifice qu’occupe le label en plein centre ville (club + salle de quelque 200 places + studio d’enregistrement + bureaux…) qui accueille la « conférence » 2015, dont chaque soirée est consacrée à des showcases de musiciens du cru. Pour commencer, le quartet de Mihaly Dresch, un des ténors les plus en vue sur les rives du Danube. Sonorité puissante, débit lyrique  qui contraste avec le phrasé plus aérien du cymbalum de Miklos Lukas : le groupe ne sonne de toute évidence comme aucun autre en Europe sans pour autant forcer le trait sur le pittoresque magyar. Quand Dresch troque son ténor pour une flûte à bec plus pastorale, c’est clairement la tradition hongroise qui prend le dessus, même si le drive de la rythmique et le déboulé du cymbalum affirment la permanence de la pulsion jazz. Il y a chez ces  musiciens une capacité à fusionner les styles qu’on n’a sans doute pas encore assez explorée de ce côté de l’ancien « rideau de fer » et qui mérite amplement  de retenir notre intérêt. Loin des  fusions de la world musique commerciale, Dresch et ses acolytes nous ramènent, sans passéisme, à un état du jazz où le jeu collectif primait, et ce sans que l’approche stylistique soit le moins du monde figée ou entachée de clichés.

Le second groupe, mené par le pianiste vétéran Bela Szakcsy Lakatos — autre habitué du label BMC —, est plus convenu, ne serait–ce  que parce qu’il reprend des classiques d’Ornette Coleman et de McCoy Tyner ou rend un hommage, « à la hongroise », à Weather Report avec comme invité Christophe Monniot. BMC a souvent mis en avant de fructueuses collaborations entre musiciens français et hongrois, mais ici bien que tous les protagonistes soient des virtuoses on ne voit pas trop en quoi cette formation est représentative de la scène locale.

Quant au trio Platypus, du chanteur allemand Michael Schiefel complété par son compatriote Jörg Brinkmann au violoncelle — et au sein duquel on retrouve le cymbalum de Miklos Lukas — il ne risque pas de tomber dans les clichés tant son instrumentation est atypique et tant l’identité de son répertoire original est forte. Schriefel est sans doute le plus en vue des vocalistes allemands et sa capacité à modeler son timbre flexible du grave à l’aigu et du chant avec paroles au scat le plus débridé trouve dans les deux instruments qui le flanquent un répondant poétique et dynamique d’une originalité incomparable.

Le lendemain, c’est le quintet du guitariste Gabor Gado qui débute la soirée. Ceux qui ont connu Gado lors de son séjour en France voici une décennie ne le reconnaîtraient pas. Toujours très « out », son jeu se nourrit aujourd’hui de Bach et sa formation comprend, outre un sax ténor, un hautbois qui donne à l’ensemble une coloration particulièrement originale. Tantôt planante, tantôt free, puisant dans le baroque comme chez Coltrane, la musique de ce doux iconoclaste est un régal et ses solos toujours aventureux sont des modèles de construction tout en réservant moult surprises. Dans une veine plus ethnique, le quartet de Mihaly Borbely propose un jazz solidement charpenté traversé de rythmes et de mélodies d’Europe de l’Est où l’improvisation occupe une place centrale. Outre le fougueux leader, on y remarque le jeu virtuose d’un tout jeune pianiste fort prometteur: Aron Talas.

Un autre musicien allemand — le clarinettiste-basse Rudi Mahall — en invité du Grencso Open Collective venait confirmer la solidité du lien qui unit les musiciens Magyars et Germains. Tantôt free tantôt lyrique, et surtout toujours ouverte, la musique du sextet réuni par le saxophoniste/flûtiste Istvan Grencso est également un bon exemple de collaboration intergénérationnelle puisque le leader et son bassiste pourraient être les pères du pianiste et du batteur.

Le dernier soir débutait en grande formation avec le Modern Art Orchestra, solide big band de notoriété nationale, capable de traiter en nuances et en vigueur les répertoires les plus divers. Quand l’orchestre est rejoint par Tony Lakatos (qui, pour sa part, a fait l’essentiel de sa carrière à l’étranger — entre autres en Allemagne), la tension monte nettement et l’on a l’occasion d’apprécier le jeu  flamboyant d’un ténor qui se produit finalement assez rarement à l’ouest du continent.

Suivait un duo aux antipodes de la précédente phalange : voix et guitare, voguant entre jazz et pop avec une constante inventivité et un sens aigu de la dynamique et de l’interaction. Veronika Harcsa (voc) et Balint Gyemant (g) apportèrent une bouffée de fraîcheur et d’énergie à cette dernière série de concerts proposés par BMC à l’occasion de la conférence de l’EJN. Et c’est le Tercett de l’altiste Viktor Toth qui vint clore cette soirée. Ce trio avec sax évolue dans une veine rollinsienne où se mêlent standards et compos dans une coulée d’énergie d’une belle sincérité. Rien de fondamentalement novateur ici, mais un niveau de jouage et une vigueur dans l’interaction qui placent indéniablement cette formation à un niveau européen, voire international.

Soit un panorama tout à fait réjouissant de ce qui se fait en matière de jazz contemporain dans un pays dont on n’entend pas assez parler dans l’Hexagone. Thierry Quénum

 

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La grand-messe de l’Europe Jazz Network — association qui rassemble plus d’une centaine de festivals et de lieux de diffusion musicale européens — se tient chaque année dans une ville différente, dont le membre local co-participe à l’organisation de l’événement. Cette année c’était au tour de Budapest et, ayant été invité à assister à l’événement, c’était pour moi l’occasion d’entendre de près nombre de musiciens hongrois qu’on ne connaît guère en France qu’à travers leur discographie sur le label BMC (Budapest Music Center).

C’est justement le magnifique édifice qu’occupe le label en plein centre ville (club + salle de quelque 200 places + studio d’enregistrement + bureaux…) qui accueille la « conférence » 2015, dont chaque soirée est consacrée à des showcases de musiciens du cru. Pour commencer, le quartet de Mihaly Dresch, un des ténors les plus en vue sur les rives du Danube. Sonorité puissante, débit lyrique  qui contraste avec le phrasé plus aérien du cymbalum de Miklos Lukas : le groupe ne sonne de toute évidence comme aucun autre en Europe sans pour autant forcer le trait sur le pittoresque magyar. Quand Dresch troque son ténor pour une flûte à bec plus pastorale, c’est clairement la tradition hongroise qui prend le dessus, même si le drive de la rythmique et le déboulé du cymbalum affirment la permanence de la pulsion jazz. Il y a chez ces  musiciens une capacité à fusionner les styles qu’on n’a sans doute pas encore assez explorée de ce côté de l’ancien « rideau de fer » et qui mérite amplement  de retenir notre intérêt. Loin des  fusions de la world musique commerciale, Dresch et ses acolytes nous ramènent, sans passéisme, à un état du jazz où le jeu collectif primait, et ce sans que l’approche stylistique soit le moins du monde figée ou entachée de clichés.

Le second groupe, mené par le pianiste vétéran Bela Szakcsy Lakatos — autre habitué du label BMC —, est plus convenu, ne serait–ce  que parce qu’il reprend des classiques d’Ornette Coleman et de McCoy Tyner ou rend un hommage, « à la hongroise », à Weather Report avec comme invité Christophe Monniot. BMC a souvent mis en avant de fructueuses collaborations entre musiciens français et hongrois, mais ici bien que tous les protagonistes soient des virtuoses on ne voit pas trop en quoi cette formation est représentative de la scène locale.

Quant au trio Platypus, du chanteur allemand Michael Schiefel complété par son compatriote Jörg Brinkmann au violoncelle — et au sein duquel on retrouve le cymbalum de Miklos Lukas — il ne risque pas de tomber dans les clichés tant son instrumentation est atypique et tant l’identité de son répertoire original est forte. Schriefel est sans doute le plus en vue des vocalistes allemands et sa capacité à modeler son timbre flexible du grave à l’aigu et du chant avec paroles au scat le plus débridé trouve dans les deux instruments qui le flanquent un répondant poétique et dynamique d’une originalité incomparable.

Le lendemain, c’est le quintet du guitariste Gabor Gado qui débute la soirée. Ceux qui ont connu Gado lors de son séjour en France voici une décennie ne le reconnaîtraient pas. Toujours très « out », son jeu se nourrit aujourd’hui de Bach et sa formation comprend, outre un sax ténor, un hautbois qui donne à l’ensemble une coloration particulièrement originale. Tantôt planante, tantôt free, puisant dans le baroque comme chez Coltrane, la musique de ce doux iconoclaste est un régal et ses solos toujours aventureux sont des modèles de construction tout en réservant moult surprises. Dans une veine plus ethnique, le quartet de Mihaly Borbely propose un jazz solidement charpenté traversé de rythmes et de mélodies d’Europe de l’Est où l’improvisation occupe une place centrale. Outre le fougueux leader, on y remarque le jeu virtuose d’un tout jeune pianiste fort prometteur: Aron Talas.

Un autre musicien allemand — le clarinettiste-basse Rudi Mahall — en invité du Grencso Open Collective venait confirmer la solidité du lien qui unit les musiciens Magyars et Germains. Tantôt free tantôt lyrique, et surtout toujours ouverte, la musique du sextet réuni par le saxophoniste/flûtiste Istvan Grencso est également un bon exemple de collaboration intergénérationnelle puisque le leader et son bassiste pourraient être les pères du pianiste et du batteur.

Le dernier soir débutait en grande formation avec le Modern Art Orchestra, solide big band de notoriété nationale, capable de traiter en nuances et en vigueur les répertoires les plus divers. Quand l’orchestre est rejoint par Tony Lakatos (qui, pour sa part, a fait l’essentiel de sa carrière à l’étranger — entre autres en Allemagne), la tension monte nettement et l’on a l’occasion d’apprécier le jeu  flamboyant d’un ténor qui se produit finalement assez rarement à l’ouest du continent.

Suivait un duo aux antipodes de la précédente phalange : voix et guitare, voguant entre jazz et pop avec une constante inventivité et un sens aigu de la dynamique et de l’interaction. Veronika Harcsa (voc) et Balint Gyemant (g) apportèrent une bouffée de fraîcheur et d’énergie à cette dernière série de concerts proposés par BMC à l’occasion de la conférence de l’EJN. Et c’est le Tercett de l’altiste Viktor Toth qui vint clore cette soirée. Ce trio avec sax évolue dans une veine rollinsienne où se mêlent standards et compos dans une coulée d’énergie d’une belle sincérité. Rien de fondamentalement novateur ici, mais un niveau de jouage et une vigueur dans l’interaction qui placent indéniablement cette formation à un niveau européen, voire international.

Soit un panorama tout à fait réjouissant de ce qui se fait en matière de jazz contemporain dans un pays dont on n’entend pas assez parler dans l’Hexagone. Thierry Quénum

 

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La grand-messe de l’Europe Jazz Network — association qui rassemble plus d’une centaine de festivals et de lieux de diffusion musicale européens — se tient chaque année dans une ville différente, dont le membre local co-participe à l’organisation de l’événement. Cette année c’était au tour de Budapest et, ayant été invité à assister à l’événement, c’était pour moi l’occasion d’entendre de près nombre de musiciens hongrois qu’on ne connaît guère en France qu’à travers leur discographie sur le label BMC (Budapest Music Center).

C’est justement le magnifique édifice qu’occupe le label en plein centre ville (club + salle de quelque 200 places + studio d’enregistrement + bureaux…) qui accueille la « conférence » 2015, dont chaque soirée est consacrée à des showcases de musiciens du cru. Pour commencer, le quartet de Mihaly Dresch, un des ténors les plus en vue sur les rives du Danube. Sonorité puissante, débit lyrique  qui contraste avec le phrasé plus aérien du cymbalum de Miklos Lukas : le groupe ne sonne de toute évidence comme aucun autre en Europe sans pour autant forcer le trait sur le pittoresque magyar. Quand Dresch troque son ténor pour une flûte à bec plus pastorale, c’est clairement la tradition hongroise qui prend le dessus, même si le drive de la rythmique et le déboulé du cymbalum affirment la permanence de la pulsion jazz. Il y a chez ces  musiciens une capacité à fusionner les styles qu’on n’a sans doute pas encore assez explorée de ce côté de l’ancien « rideau de fer » et qui mérite amplement  de retenir notre intérêt. Loin des  fusions de la world musique commerciale, Dresch et ses acolytes nous ramènent, sans passéisme, à un état du jazz où le jeu collectif primait, et ce sans que l’approche stylistique soit le moins du monde figée ou entachée de clichés.

Le second groupe, mené par le pianiste vétéran Bela Szakcsy Lakatos — autre habitué du label BMC —, est plus convenu, ne serait–ce  que parce qu’il reprend des classiques d’Ornette Coleman et de McCoy Tyner ou rend un hommage, « à la hongroise », à Weather Report avec comme invité Christophe Monniot. BMC a souvent mis en avant de fructueuses collaborations entre musiciens français et hongrois, mais ici bien que tous les protagonistes soient des virtuoses on ne voit pas trop en quoi cette formation est représentative de la scène locale.

Quant au trio Platypus, du chanteur allemand Michael Schiefel complété par son compatriote Jörg Brinkmann au violoncelle — et au sein duquel on retrouve le cymbalum de Miklos Lukas — il ne risque pas de tomber dans les clichés tant son instrumentation est atypique et tant l’identité de son répertoire original est forte. Schriefel est sans doute le plus en vue des vocalistes allemands et sa capacité à modeler son timbre flexible du grave à l’aigu et du chant avec paroles au scat le plus débridé trouve dans les deux instruments qui le flanquent un répondant poétique et dynamique d’une originalité incomparable.

Le lendemain, c’est le quintet du guitariste Gabor Gado qui débute la soirée. Ceux qui ont connu Gado lors de son séjour en France voici une décennie ne le reconnaîtraient pas. Toujours très « out », son jeu se nourrit aujourd’hui de Bach et sa formation comprend, outre un sax ténor, un hautbois qui donne à l’ensemble une coloration particulièrement originale. Tantôt planante, tantôt free, puisant dans le baroque comme chez Coltrane, la musique de ce doux iconoclaste est un régal et ses solos toujours aventureux sont des modèles de construction tout en réservant moult surprises. Dans une veine plus ethnique, le quartet de Mihaly Borbely propose un jazz solidement charpenté traversé de rythmes et de mélodies d’Europe de l’Est où l’improvisation occupe une place centrale. Outre le fougueux leader, on y remarque le jeu virtuose d’un tout jeune pianiste fort prometteur: Aron Talas.

Un autre musicien allemand — le clarinettiste-basse Rudi Mahall — en invité du Grencso Open Collective venait confirmer la solidité du lien qui unit les musiciens Magyars et Germains. Tantôt free tantôt lyrique, et surtout toujours ouverte, la musique du sextet réuni par le saxophoniste/flûtiste Istvan Grencso est également un bon exemple de collaboration intergénérationnelle puisque le leader et son bassiste pourraient être les pères du pianiste et du batteur.

Le dernier soir débutait en grande formation avec le Modern Art Orchestra, solide big band de notoriété nationale, capable de traiter en nuances et en vigueur les répertoires les plus divers. Quand l’orchestre est rejoint par Tony Lakatos (qui, pour sa part, a fait l’essentiel de sa carrière à l’étranger — entre autres en Allemagne), la tension monte nettement et l’on a l’occasion d’apprécier le jeu  flamboyant d’un ténor qui se produit finalement assez rarement à l’ouest du continent.

Suivait un duo aux antipodes de la précédente phalange : voix et guitare, voguant entre jazz et pop avec une constante inventivité et un sens aigu de la dynamique et de l’interaction. Veronika Harcsa (voc) et Balint Gyemant (g) apportèrent une bouffée de fraîcheur et d’énergie à cette dernière série de concerts proposés par BMC à l’occasion de la conférence de l’EJN. Et c’est le Tercett de l’altiste Viktor Toth qui vint clore cette soirée. Ce trio avec sax évolue dans une veine rollinsienne où se mêlent standards et compos dans une coulée d’énergie d’une belle sincérité. Rien de fondamentalement novateur ici, mais un niveau de jouage et une vigueur dans l’interaction qui placent indéniablement cette formation à un niveau européen, voire international.

Soit un panorama tout à fait réjouissant de ce qui se fait en matière de jazz contemporain dans un pays dont on n’entend pas assez parler dans l’Hexagone. Thierry Quénum

 

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La grand-messe de l’Europe Jazz Network — association qui rassemble plus d’une centaine de festivals et de lieux de diffusion musicale européens — se tient chaque année dans une ville différente, dont le membre local co-participe à l’organisation de l’événement. Cette année c’était au tour de Budapest et, ayant été invité à assister à l’événement, c’était pour moi l’occasion d’entendre de près nombre de musiciens hongrois qu’on ne connaît guère en France qu’à travers leur discographie sur le label BMC (Budapest Music Center).

C’est justement le magnifique édifice qu’occupe le label en plein centre ville (club + salle de quelque 200 places + studio d’enregistrement + bureaux…) qui accueille la « conférence » 2015, dont chaque soirée est consacrée à des showcases de musiciens du cru. Pour commencer, le quartet de Mihaly Dresch, un des ténors les plus en vue sur les rives du Danube. Sonorité puissante, débit lyrique  qui contraste avec le phrasé plus aérien du cymbalum de Miklos Lukas : le groupe ne sonne de toute évidence comme aucun autre en Europe sans pour autant forcer le trait sur le pittoresque magyar. Quand Dresch troque son ténor pour une flûte à bec plus pastorale, c’est clairement la tradition hongroise qui prend le dessus, même si le drive de la rythmique et le déboulé du cymbalum affirment la permanence de la pulsion jazz. Il y a chez ces  musiciens une capacité à fusionner les styles qu’on n’a sans doute pas encore assez explorée de ce côté de l’ancien « rideau de fer » et qui mérite amplement  de retenir notre intérêt. Loin des  fusions de la world musique commerciale, Dresch et ses acolytes nous ramènent, sans passéisme, à un état du jazz où le jeu collectif primait, et ce sans que l’approche stylistique soit le moins du monde figée ou entachée de clichés.

Le second groupe, mené par le pianiste vétéran Bela Szakcsy Lakatos — autre habitué du label BMC —, est plus convenu, ne serait–ce  que parce qu’il reprend des classiques d’Ornette Coleman et de McCoy Tyner ou rend un hommage, « à la hongroise », à Weather Report avec comme invité Christophe Monniot. BMC a souvent mis en avant de fructueuses collaborations entre musiciens français et hongrois, mais ici bien que tous les protagonistes soient des virtuoses on ne voit pas trop en quoi cette formation est représentative de la scène locale.

Quant au trio Platypus, du chanteur allemand Michael Schiefel complété par son compatriote Jörg Brinkmann au violoncelle — et au sein duquel on retrouve le cymbalum de Miklos Lukas — il ne risque pas de tomber dans les clichés tant son instrumentation est atypique et tant l’identité de son répertoire original est forte. Schriefel est sans doute le plus en vue des vocalistes allemands et sa capacité à modeler son timbre flexible du grave à l’aigu et du chant avec paroles au scat le plus débridé trouve dans les deux instruments qui le flanquent un répondant poétique et dynamique d’une originalité incomparable.

Le lendemain, c’est le quintet du guitariste Gabor Gado qui débute la soirée. Ceux qui ont connu Gado lors de son séjour en France voici une décennie ne le reconnaîtraient pas. Toujours très « out », son jeu se nourrit aujourd’hui de Bach et sa formation comprend, outre un sax ténor, un hautbois qui donne à l’ensemble une coloration particulièrement originale. Tantôt planante, tantôt free, puisant dans le baroque comme chez Coltrane, la musique de ce doux iconoclaste est un régal et ses solos toujours aventureux sont des modèles de construction tout en réservant moult surprises. Dans une veine plus ethnique, le quartet de Mihaly Borbely propose un jazz solidement charpenté traversé de rythmes et de mélodies d’Europe de l’Est où l’improvisation occupe une place centrale. Outre le fougueux leader, on y remarque le jeu virtuose d’un tout jeune pianiste fort prometteur: Aron Talas.

Un autre musicien allemand — le clarinettiste-basse Rudi Mahall — en invité du Grencso Open Collective venait confirmer la solidité du lien qui unit les musiciens Magyars et Germains. Tantôt free tantôt lyrique, et surtout toujours ouverte, la musique du sextet réuni par le saxophoniste/flûtiste Istvan Grencso est également un bon exemple de collaboration intergénérationnelle puisque le leader et son bassiste pourraient être les pères du pianiste et du batteur.

Le dernier soir débutait en grande formation avec le Modern Art Orchestra, solide big band de notoriété nationale, capable de traiter en nuances et en vigueur les répertoires les plus divers. Quand l’orchestre est rejoint par Tony Lakatos (qui, pour sa part, a fait l’essentiel de sa carrière à l’étranger — entre autres en Allemagne), la tension monte nettement et l’on a l’occasion d’apprécier le jeu  flamboyant d’un ténor qui se produit finalement assez rarement à l’ouest du continent.

Suivait un duo aux antipodes de la précédente phalange : voix et guitare, voguant entre jazz et pop avec une constante inventivité et un sens aigu de la dynamique et de l’interaction. Veronika Harcsa (voc) et Balint Gyemant (g) apportèrent une bouffée de fraîcheur et d’énergie à cette dernière série de concerts proposés par BMC à l’occasion de la conférence de l’EJN. Et c’est le Tercett de l’altiste Viktor Toth qui vint clore cette soirée. Ce trio avec sax évolue dans une veine rollinsienne où se mêlent standards et compos dans une coulée d’énergie d’une belle sincérité. Rien de fondamentalement novateur ici, mais un niveau de jouage et une vigueur dans l’interaction qui placent indéniablement cette formation à un niveau européen, voire international.

Soit un panorama tout à fait réjouissant de ce qui se fait en matière de jazz contemporain dans un pays dont on n’entend pas assez parler dans l’Hexagone. Thierry Quénum