Jazz live
Publié le 4 Déc 2013

Tribute to Chet Baker à l'Improviste

Le chanteur Clément Brajtman chantait Chet Baker hier à la Péniche, un exercice que nous avons abordé avec beaucoup d’agacement avant de nous laisser séduire.

 


L’Improviste, quai d’Austerlitz, Paris (75), le 3 décembre 2013.


Tribute to Chet Baker: Clément Brajtman (chant), Thimothée Quost (trompette), Vladimir Médail (guitare), Boris Trouchaud (contrebasse).


Vous n’aimez pas la Tétralogie de Richard Wagner, les sonates de Mozart, Cold Sweat de James Brown, “Love Supreme” de John Coltrane, la Cathédrale de Reims, les couchers de soleil sur Ouessant, le gigot de sept heures à la marinade de tilleul de Guy Martin, Dieu… Moi, je n’ai jamais aimé Chet Baker, le chanteur, sa façon geignarde et mollassonne de faire mine de s’endormir à chaque syllabe… C’est dire que lorsque j’ai vu cette grande asperge de la lune (voir le couple sculpté par Max Ernst) de Clément Brajtman commencer à s’envoyer, titre après titre, le répertoire de Chet Baker avec la même voix et les mêmes intonations, j’ai commencé par le prendre en grippe, avec la ferme intention de le renvoyer au Musée Grévin.


Et puis, il m’a eu, le con ! Et j’écris cette chonique en réécoutant “Sings Again” de 1985 (beaucoup moins bien enregistré, hélas, que “Sings” de 1956, mais avec plus de répondant – Mickey Graillier, Riccardo Del Fra et John Engels, toutes proportions gardées, ont la bride sur le cou –, et je dois dire que le Chet des dix dernières années l’a toujours paru supérieur). Et même si j’ai tendance à grossir le trait pour amuser la galerie, je dois dire que la prestation de Clément Brajtman, avec tout ce qu’il peut y avoir de troublant dans son geste, m’a presque réconcilié avec le Chet Baker chanteur. Je me demande même si je ne préfère pas la copie à l’original… J’entends déjà les ricanements et je me mets volontiers à la place de ceux qui les émettent. Est-ce la grâce du live qui m’a choppé ? Ou me suis-je laissé abuser par une génération de faussaires formés dans les conservatoires à faire mieux que l’original ? C’est qu’en voyant – je dis bien en “voyant” autant qu’en l’écoutant –, Brajtman chanter, avec un naturel qui devrait mettre à la retraite anticipée une bonne majorité des vocalistes de jazz qui courent les clubs de la capitale, porté par la musicalité de l’intonation et du placement rythmique, j’ai été saisi par l’énergie très spéciale qu’exige ce type de chant, cet équilibre très savant entre la retenue et la projection, avec une articulation qui, peut-être plus que chez Chet m’a fait jouir des paroles d’un répertoire que je n’avais jamais jugé ainsi à l’aune de ses paroliers (là aussi toutes proportions gardées, vu ma pratique de l’anglais pas très exemplaire). Et lorsqu’il scatte, c’est un vrai musicien qui s’exprime (il est batteur dans le civil), peut-être pas avec des idées aussi claires que celles de Chet dont la qualité des phrases a toujours eu raison de mon antipathie pour son chant… mais des scatteurs au long cours de 21 ans de ce tabac-là, je n’en connais pas beaucoup.


Et puis, et ça n’a pas peu contribué à me faire succomber, ce Tribute to Chet Baker n’est pas le fait d’un chanteur, mais celui d’un groupe. Avec un trompettiste formidable, Thimothée Quost, qui a le bon goût de ne pas du tout imiter Chet Baker, mais de réchauffer ce jazz cool aux braises de ces trompettistes qui se sont fait une personnalité en hésitant entre Louis Armstrong et Bix Beiderbecke, de Rex Stewart à Ruby Braff. Si la discrétion et la parcimonie de ses interventions (du grommellement growlé à des contrepoints admirablement articulés, en passant par de superbes notes filées) sont le corollaire de leur efficacité, Vladimir Médail est lui omniprésent et c’est lui qui architecture l’ensemble avec un vocabulaire très étendu, quoique “classique” (de Jimmy Raney à Joe Pass) qui passe constamment des doigts au médiator. J’ai tardé à me faire une idée de sa personnalité, mais je retiendrai son solo sur My Funny Valentine : un lent développement en arpèges discrets sur de simples pédales qui tarde à donner lieu à un soudain déploiement s’accélérant progressivement comme peut le faire un lever de soleil en montagne annoncé par la lente progression de l’aube.


Je ne dirai rien de la contrebasse de Boris Trouchaud, affectée d’un fort enrouement auquel remédiera une prompte visite chez le luthier, mais soyez certains qu’il a contribué au charme de cette soirée sur la Péniche l’Improviste dont le nouvel emplacement sur le quai d’Austerlitz nous ferait presque regretter le quai de l’Oise tant il est vrai que la cherchant avec notre nouveau collaborateur Jean-François Mondot qui m’accompagnait hier (totalement conquis), nous sommes passés devant sans la voir et avons marché d’Austerlitz à la Grande Bibliothèque avant de revenir sur nos pas pour la trouver à hauteur de l’Institut de la mode, entre les docks d’Austerlitz et le pont Charles de Gaulle. On y entendra ce mercredi 4 décembre le guitariste Romain Pilon invité du quintette de la pianiste et chanteuse Raphaëlle Atlan , ce vendredi 6 le Bounce Trio  (le ténor Toine Thys, l’organiste Matthieu Marthouret, le batteur Gauthier Garrigue) et ce dimanche 8 le nouveau Kami Quintet (le tromboniste Bastien Ballaz, le saxophoniste Julien Soro, le pianiste électrique Jozef Dumoulin, le bassiste Guillaume Ruellan et le batteur Rafaël Kœrner).

 

Quant à Vladimir Medail pourra l’entendre en quartette le 14 décembre à l’Harmonie Café (35 boulevard de Magenta), avec la chanteuse Mathilde, le clarinettiste Basse Corentin Giniaux et Alexandre Perrot, le 18 décembre au restaurant Les Petites Gouttes (en face du 38 rue Pajol) en duo avec Clément Brajtman et le 21 décembre au 38 Riv’ (38 rue de Rivoli) avec les mêmes Mathilde, Brajtman et Perrot.

 

Franck Bergerot


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Le chanteur Clément Brajtman chantait Chet Baker hier à la Péniche, un exercice que nous avons abordé avec beaucoup d’agacement avant de nous laisser séduire.

 


L’Improviste, quai d’Austerlitz, Paris (75), le 3 décembre 2013.


Tribute to Chet Baker: Clément Brajtman (chant), Thimothée Quost (trompette), Vladimir Médail (guitare), Boris Trouchaud (contrebasse).


Vous n’aimez pas la Tétralogie de Richard Wagner, les sonates de Mozart, Cold Sweat de James Brown, “Love Supreme” de John Coltrane, la Cathédrale de Reims, les couchers de soleil sur Ouessant, le gigot de sept heures à la marinade de tilleul de Guy Martin, Dieu… Moi, je n’ai jamais aimé Chet Baker, le chanteur, sa façon geignarde et mollassonne de faire mine de s’endormir à chaque syllabe… C’est dire que lorsque j’ai vu cette grande asperge de la lune (voir le couple sculpté par Max Ernst) de Clément Brajtman commencer à s’envoyer, titre après titre, le répertoire de Chet Baker avec la même voix et les mêmes intonations, j’ai commencé par le prendre en grippe, avec la ferme intention de le renvoyer au Musée Grévin.


Et puis, il m’a eu, le con ! Et j’écris cette chonique en réécoutant “Sings Again” de 1985 (beaucoup moins bien enregistré, hélas, que “Sings” de 1956, mais avec plus de répondant – Mickey Graillier, Riccardo Del Fra et John Engels, toutes proportions gardées, ont la bride sur le cou –, et je dois dire que le Chet des dix dernières années l’a toujours paru supérieur). Et même si j’ai tendance à grossir le trait pour amuser la galerie, je dois dire que la prestation de Clément Brajtman, avec tout ce qu’il peut y avoir de troublant dans son geste, m’a presque réconcilié avec le Chet Baker chanteur. Je me demande même si je ne préfère pas la copie à l’original… J’entends déjà les ricanements et je me mets volontiers à la place de ceux qui les émettent. Est-ce la grâce du live qui m’a choppé ? Ou me suis-je laissé abuser par une génération de faussaires formés dans les conservatoires à faire mieux que l’original ? C’est qu’en voyant – je dis bien en “voyant” autant qu’en l’écoutant –, Brajtman chanter, avec un naturel qui devrait mettre à la retraite anticipée une bonne majorité des vocalistes de jazz qui courent les clubs de la capitale, porté par la musicalité de l’intonation et du placement rythmique, j’ai été saisi par l’énergie très spéciale qu’exige ce type de chant, cet équilibre très savant entre la retenue et la projection, avec une articulation qui, peut-être plus que chez Chet m’a fait jouir des paroles d’un répertoire que je n’avais jamais jugé ainsi à l’aune de ses paroliers (là aussi toutes proportions gardées, vu ma pratique de l’anglais pas très exemplaire). Et lorsqu’il scatte, c’est un vrai musicien qui s’exprime (il est batteur dans le civil), peut-être pas avec des idées aussi claires que celles de Chet dont la qualité des phrases a toujours eu raison de mon antipathie pour son chant… mais des scatteurs au long cours de 21 ans de ce tabac-là, je n’en connais pas beaucoup.


Et puis, et ça n’a pas peu contribué à me faire succomber, ce Tribute to Chet Baker n’est pas le fait d’un chanteur, mais celui d’un groupe. Avec un trompettiste formidable, Thimothée Quost, qui a le bon goût de ne pas du tout imiter Chet Baker, mais de réchauffer ce jazz cool aux braises de ces trompettistes qui se sont fait une personnalité en hésitant entre Louis Armstrong et Bix Beiderbecke, de Rex Stewart à Ruby Braff. Si la discrétion et la parcimonie de ses interventions (du grommellement growlé à des contrepoints admirablement articulés, en passant par de superbes notes filées) sont le corollaire de leur efficacité, Vladimir Médail est lui omniprésent et c’est lui qui architecture l’ensemble avec un vocabulaire très étendu, quoique “classique” (de Jimmy Raney à Joe Pass) qui passe constamment des doigts au médiator. J’ai tardé à me faire une idée de sa personnalité, mais je retiendrai son solo sur My Funny Valentine : un lent développement en arpèges discrets sur de simples pédales qui tarde à donner lieu à un soudain déploiement s’accélérant progressivement comme peut le faire un lever de soleil en montagne annoncé par la lente progression de l’aube.


Je ne dirai rien de la contrebasse de Boris Trouchaud, affectée d’un fort enrouement auquel remédiera une prompte visite chez le luthier, mais soyez certains qu’il a contribué au charme de cette soirée sur la Péniche l’Improviste dont le nouvel emplacement sur le quai d’Austerlitz nous ferait presque regretter le quai de l’Oise tant il est vrai que la cherchant avec notre nouveau collaborateur Jean-François Mondot qui m’accompagnait hier (totalement conquis), nous sommes passés devant sans la voir et avons marché d’Austerlitz à la Grande Bibliothèque avant de revenir sur nos pas pour la trouver à hauteur de l’Institut de la mode, entre les docks d’Austerlitz et le pont Charles de Gaulle. On y entendra ce mercredi 4 décembre le guitariste Romain Pilon invité du quintette de la pianiste et chanteuse Raphaëlle Atlan , ce vendredi 6 le Bounce Trio  (le ténor Toine Thys, l’organiste Matthieu Marthouret, le batteur Gauthier Garrigue) et ce dimanche 8 le nouveau Kami Quintet (le tromboniste Bastien Ballaz, le saxophoniste Julien Soro, le pianiste électrique Jozef Dumoulin, le bassiste Guillaume Ruellan et le batteur Rafaël Kœrner).

 

Quant à Vladimir Medail pourra l’entendre en quartette le 14 décembre à l’Harmonie Café (35 boulevard de Magenta), avec la chanteuse Mathilde, le clarinettiste Basse Corentin Giniaux et Alexandre Perrot, le 18 décembre au restaurant Les Petites Gouttes (en face du 38 rue Pajol) en duo avec Clément Brajtman et le 21 décembre au 38 Riv’ (38 rue de Rivoli) avec les mêmes Mathilde, Brajtman et Perrot.

 

Franck Bergerot


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Le chanteur Clément Brajtman chantait Chet Baker hier à la Péniche, un exercice que nous avons abordé avec beaucoup d’agacement avant de nous laisser séduire.

 


L’Improviste, quai d’Austerlitz, Paris (75), le 3 décembre 2013.


Tribute to Chet Baker: Clément Brajtman (chant), Thimothée Quost (trompette), Vladimir Médail (guitare), Boris Trouchaud (contrebasse).


Vous n’aimez pas la Tétralogie de Richard Wagner, les sonates de Mozart, Cold Sweat de James Brown, “Love Supreme” de John Coltrane, la Cathédrale de Reims, les couchers de soleil sur Ouessant, le gigot de sept heures à la marinade de tilleul de Guy Martin, Dieu… Moi, je n’ai jamais aimé Chet Baker, le chanteur, sa façon geignarde et mollassonne de faire mine de s’endormir à chaque syllabe… C’est dire que lorsque j’ai vu cette grande asperge de la lune (voir le couple sculpté par Max Ernst) de Clément Brajtman commencer à s’envoyer, titre après titre, le répertoire de Chet Baker avec la même voix et les mêmes intonations, j’ai commencé par le prendre en grippe, avec la ferme intention de le renvoyer au Musée Grévin.


Et puis, il m’a eu, le con ! Et j’écris cette chonique en réécoutant “Sings Again” de 1985 (beaucoup moins bien enregistré, hélas, que “Sings” de 1956, mais avec plus de répondant – Mickey Graillier, Riccardo Del Fra et John Engels, toutes proportions gardées, ont la bride sur le cou –, et je dois dire que le Chet des dix dernières années l’a toujours paru supérieur). Et même si j’ai tendance à grossir le trait pour amuser la galerie, je dois dire que la prestation de Clément Brajtman, avec tout ce qu’il peut y avoir de troublant dans son geste, m’a presque réconcilié avec le Chet Baker chanteur. Je me demande même si je ne préfère pas la copie à l’original… J’entends déjà les ricanements et je me mets volontiers à la place de ceux qui les émettent. Est-ce la grâce du live qui m’a choppé ? Ou me suis-je laissé abuser par une génération de faussaires formés dans les conservatoires à faire mieux que l’original ? C’est qu’en voyant – je dis bien en “voyant” autant qu’en l’écoutant –, Brajtman chanter, avec un naturel qui devrait mettre à la retraite anticipée une bonne majorité des vocalistes de jazz qui courent les clubs de la capitale, porté par la musicalité de l’intonation et du placement rythmique, j’ai été saisi par l’énergie très spéciale qu’exige ce type de chant, cet équilibre très savant entre la retenue et la projection, avec une articulation qui, peut-être plus que chez Chet m’a fait jouir des paroles d’un répertoire que je n’avais jamais jugé ainsi à l’aune de ses paroliers (là aussi toutes proportions gardées, vu ma pratique de l’anglais pas très exemplaire). Et lorsqu’il scatte, c’est un vrai musicien qui s’exprime (il est batteur dans le civil), peut-être pas avec des idées aussi claires que celles de Chet dont la qualité des phrases a toujours eu raison de mon antipathie pour son chant… mais des scatteurs au long cours de 21 ans de ce tabac-là, je n’en connais pas beaucoup.


Et puis, et ça n’a pas peu contribué à me faire succomber, ce Tribute to Chet Baker n’est pas le fait d’un chanteur, mais celui d’un groupe. Avec un trompettiste formidable, Thimothée Quost, qui a le bon goût de ne pas du tout imiter Chet Baker, mais de réchauffer ce jazz cool aux braises de ces trompettistes qui se sont fait une personnalité en hésitant entre Louis Armstrong et Bix Beiderbecke, de Rex Stewart à Ruby Braff. Si la discrétion et la parcimonie de ses interventions (du grommellement growlé à des contrepoints admirablement articulés, en passant par de superbes notes filées) sont le corollaire de leur efficacité, Vladimir Médail est lui omniprésent et c’est lui qui architecture l’ensemble avec un vocabulaire très étendu, quoique “classique” (de Jimmy Raney à Joe Pass) qui passe constamment des doigts au médiator. J’ai tardé à me faire une idée de sa personnalité, mais je retiendrai son solo sur My Funny Valentine : un lent développement en arpèges discrets sur de simples pédales qui tarde à donner lieu à un soudain déploiement s’accélérant progressivement comme peut le faire un lever de soleil en montagne annoncé par la lente progression de l’aube.


Je ne dirai rien de la contrebasse de Boris Trouchaud, affectée d’un fort enrouement auquel remédiera une prompte visite chez le luthier, mais soyez certains qu’il a contribué au charme de cette soirée sur la Péniche l’Improviste dont le nouvel emplacement sur le quai d’Austerlitz nous ferait presque regretter le quai de l’Oise tant il est vrai que la cherchant avec notre nouveau collaborateur Jean-François Mondot qui m’accompagnait hier (totalement conquis), nous sommes passés devant sans la voir et avons marché d’Austerlitz à la Grande Bibliothèque avant de revenir sur nos pas pour la trouver à hauteur de l’Institut de la mode, entre les docks d’Austerlitz et le pont Charles de Gaulle. On y entendra ce mercredi 4 décembre le guitariste Romain Pilon invité du quintette de la pianiste et chanteuse Raphaëlle Atlan , ce vendredi 6 le Bounce Trio  (le ténor Toine Thys, l’organiste Matthieu Marthouret, le batteur Gauthier Garrigue) et ce dimanche 8 le nouveau Kami Quintet (le tromboniste Bastien Ballaz, le saxophoniste Julien Soro, le pianiste électrique Jozef Dumoulin, le bassiste Guillaume Ruellan et le batteur Rafaël Kœrner).

 

Quant à Vladimir Medail pourra l’entendre en quartette le 14 décembre à l’Harmonie Café (35 boulevard de Magenta), avec la chanteuse Mathilde, le clarinettiste Basse Corentin Giniaux et Alexandre Perrot, le 18 décembre au restaurant Les Petites Gouttes (en face du 38 rue Pajol) en duo avec Clément Brajtman et le 21 décembre au 38 Riv’ (38 rue de Rivoli) avec les mêmes Mathilde, Brajtman et Perrot.

 

Franck Bergerot


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Le chanteur Clément Brajtman chantait Chet Baker hier à la Péniche, un exercice que nous avons abordé avec beaucoup d’agacement avant de nous laisser séduire.

 


L’Improviste, quai d’Austerlitz, Paris (75), le 3 décembre 2013.


Tribute to Chet Baker: Clément Brajtman (chant), Thimothée Quost (trompette), Vladimir Médail (guitare), Boris Trouchaud (contrebasse).


Vous n’aimez pas la Tétralogie de Richard Wagner, les sonates de Mozart, Cold Sweat de James Brown, “Love Supreme” de John Coltrane, la Cathédrale de Reims, les couchers de soleil sur Ouessant, le gigot de sept heures à la marinade de tilleul de Guy Martin, Dieu… Moi, je n’ai jamais aimé Chet Baker, le chanteur, sa façon geignarde et mollassonne de faire mine de s’endormir à chaque syllabe… C’est dire que lorsque j’ai vu cette grande asperge de la lune (voir le couple sculpté par Max Ernst) de Clément Brajtman commencer à s’envoyer, titre après titre, le répertoire de Chet Baker avec la même voix et les mêmes intonations, j’ai commencé par le prendre en grippe, avec la ferme intention de le renvoyer au Musée Grévin.


Et puis, il m’a eu, le con ! Et j’écris cette chonique en réécoutant “Sings Again” de 1985 (beaucoup moins bien enregistré, hélas, que “Sings” de 1956, mais avec plus de répondant – Mickey Graillier, Riccardo Del Fra et John Engels, toutes proportions gardées, ont la bride sur le cou –, et je dois dire que le Chet des dix dernières années l’a toujours paru supérieur). Et même si j’ai tendance à grossir le trait pour amuser la galerie, je dois dire que la prestation de Clément Brajtman, avec tout ce qu’il peut y avoir de troublant dans son geste, m’a presque réconcilié avec le Chet Baker chanteur. Je me demande même si je ne préfère pas la copie à l’original… J’entends déjà les ricanements et je me mets volontiers à la place de ceux qui les émettent. Est-ce la grâce du live qui m’a choppé ? Ou me suis-je laissé abuser par une génération de faussaires formés dans les conservatoires à faire mieux que l’original ? C’est qu’en voyant – je dis bien en “voyant” autant qu’en l’écoutant –, Brajtman chanter, avec un naturel qui devrait mettre à la retraite anticipée une bonne majorité des vocalistes de jazz qui courent les clubs de la capitale, porté par la musicalité de l’intonation et du placement rythmique, j’ai été saisi par l’énergie très spéciale qu’exige ce type de chant, cet équilibre très savant entre la retenue et la projection, avec une articulation qui, peut-être plus que chez Chet m’a fait jouir des paroles d’un répertoire que je n’avais jamais jugé ainsi à l’aune de ses paroliers (là aussi toutes proportions gardées, vu ma pratique de l’anglais pas très exemplaire). Et lorsqu’il scatte, c’est un vrai musicien qui s’exprime (il est batteur dans le civil), peut-être pas avec des idées aussi claires que celles de Chet dont la qualité des phrases a toujours eu raison de mon antipathie pour son chant… mais des scatteurs au long cours de 21 ans de ce tabac-là, je n’en connais pas beaucoup.


Et puis, et ça n’a pas peu contribué à me faire succomber, ce Tribute to Chet Baker n’est pas le fait d’un chanteur, mais celui d’un groupe. Avec un trompettiste formidable, Thimothée Quost, qui a le bon goût de ne pas du tout imiter Chet Baker, mais de réchauffer ce jazz cool aux braises de ces trompettistes qui se sont fait une personnalité en hésitant entre Louis Armstrong et Bix Beiderbecke, de Rex Stewart à Ruby Braff. Si la discrétion et la parcimonie de ses interventions (du grommellement growlé à des contrepoints admirablement articulés, en passant par de superbes notes filées) sont le corollaire de leur efficacité, Vladimir Médail est lui omniprésent et c’est lui qui architecture l’ensemble avec un vocabulaire très étendu, quoique “classique” (de Jimmy Raney à Joe Pass) qui passe constamment des doigts au médiator. J’ai tardé à me faire une idée de sa personnalité, mais je retiendrai son solo sur My Funny Valentine : un lent développement en arpèges discrets sur de simples pédales qui tarde à donner lieu à un soudain déploiement s’accélérant progressivement comme peut le faire un lever de soleil en montagne annoncé par la lente progression de l’aube.


Je ne dirai rien de la contrebasse de Boris Trouchaud, affectée d’un fort enrouement auquel remédiera une prompte visite chez le luthier, mais soyez certains qu’il a contribué au charme de cette soirée sur la Péniche l’Improviste dont le nouvel emplacement sur le quai d’Austerlitz nous ferait presque regretter le quai de l’Oise tant il est vrai que la cherchant avec notre nouveau collaborateur Jean-François Mondot qui m’accompagnait hier (totalement conquis), nous sommes passés devant sans la voir et avons marché d’Austerlitz à la Grande Bibliothèque avant de revenir sur nos pas pour la trouver à hauteur de l’Institut de la mode, entre les docks d’Austerlitz et le pont Charles de Gaulle. On y entendra ce mercredi 4 décembre le guitariste Romain Pilon invité du quintette de la pianiste et chanteuse Raphaëlle Atlan , ce vendredi 6 le Bounce Trio  (le ténor Toine Thys, l’organiste Matthieu Marthouret, le batteur Gauthier Garrigue) et ce dimanche 8 le nouveau Kami Quintet (le tromboniste Bastien Ballaz, le saxophoniste Julien Soro, le pianiste électrique Jozef Dumoulin, le bassiste Guillaume Ruellan et le batteur Rafaël Kœrner).

 

Quant à Vladimir Medail pourra l’entendre en quartette le 14 décembre à l’Harmonie Café (35 boulevard de Magenta), avec la chanteuse Mathilde, le clarinettiste Basse Corentin Giniaux et Alexandre Perrot, le 18 décembre au restaurant Les Petites Gouttes (en face du 38 rue Pajol) en duo avec Clément Brajtman et le 21 décembre au 38 Riv’ (38 rue de Rivoli) avec les mêmes Mathilde, Brajtman et Perrot.

 

Franck Bergerot