Jazz live
Publié le 6 Août 2015

Vague de Jazz, les joyeux utopistes vous saluent bien

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Treizième édition du festival vendéen animé par Jacques-Henri Béchieau et son infatigable équipe de bénévoles. Avec la détermination farouche de ceux qui n’aiment rien tant que donner la parole à la musique – la vraie, l’actuelle, la vivante –, ces joyeux utopistes ont fini par installer le jazz qui n’a pas froid au yeux dans les têtes et les cœurs. Cette année, Médéric Collignon, Eve Risser, Leïla Martial, Vincent Peirani, Emile Parisien, Théo et Vincent Ceccaldi figuraient, entre autres, parmi leurs indispensables porte-voix.


« Vague de Jazz, ç’a toujours été une expérience, il y a des choses qui plaisent et qui ne plaisent pas, et on verra… » Du Jacques-Henri Béchieau dans le texte ! Ce septuagénaire militant et passionné ne “lâche rien”, comme on dit un peu trivialement aujourd’hui. Après treize ans passés à déployer une énergie hors du commun pour que son pays natal vibre aux sons du jazz sur le vif, il ose à peine le dire, lui le modeste qui n’a pourtant pas sa langue dans sa poche : quelque chose de fort commence à prendre racine en terre vendéenne. Le goût du public pour un jazz qui sort des sentiers battus est chaque année plus prononcé. Le public, son public rêve d’un jazz qui échappe à toute logique marketing, toute préoccupation mercantile. Il rêve d’un jazz qui s’invente là, sous ses yeux, et qui rappelle à qui veut bien l’entendre que le jazz, justement, n’est peut-être jamais aussi “jazz” que quand les ronchons nostalgiques lâchent mollement, ou vertement (c’est selon) que « ça, ce n’est pas du jazz… Le “vrai” jazz, c’est autre chose ». Ils n’ont pas entièrement tort : le jazz, oui, c’est autre chose. Ce sera toujours autre chose


Les héroïnes et les héros de la saga Vague de Jazz sont-ils tous des “vrais” musiciens de jazz ? Peu nous chaut. Car ce qui nous importe vraiment, dans cette histoire, c’est leur vérité, leur authenticité. Entre Les Sables-d’Olonne, Longeville-Sur-Mer et Mareuil-Sur-Lay, les trois épicentres du Jazz précisément Vague, tous les musiciens amoureusement conviés par Jacques-Henri Béchieau à partager leurs élans créatifs avec le public sont vrais. Ce ne sont pas des acteurs, ni des poseurs, encore moins des tricheurs. Depuis treize ans, certains ont même fini par élire domicile à Vague de Jazz. Non pas qu’ils aient acheté une maison au bord de la mer ou planté leur caravane au camping du coin. Elire domicile à Vague de Jazz, c’est comme laisser son cœur à San Francisco – o.k., ce n’est pas demain la veille que Tony Bennett risque de venir chanter en duo avec Lady Gaga à l’espace Culturel du Clouzy… –, c’est tomber le masque pour un public toujours plus curieux, toujours plus attentif. Un public dont le degré d’exigence se confond avec soif de liberté.


On commence à venir d’ailleurs pour se laisser emporter par Vague de Jazz, car on sait, on sent – les vrais jazzfans ont du flair… – que tout y est possible. Et ce tout tient à presque rien, à la force fragile des artistes, à leur hyper-sensibilité qui, il faut bien l’avouer, est nettement plus perceptible ici. Même au Jardin du Tribunal quand le soleil a tiré sa révérence et que l’on croise les bras pour se protéger du frais ! Même quand le bruit des couteaux et des fourchettes – miam, miam – manquent d’être samplé par les machines de la chanteuse à robe à pois (Leïla Martial, lire plus bas)…


Cette année, rigueurs du bouclage obligent, l’envoyé spécial a manqué Thomas de Pourquery et son Supersonic (Sun Ra lôôôvely…), le Ravel façon Andy Emler, Joëlle Léandre, et encore Elise Caron dans le Magnetic Ensemble. Mince alors. En revanche, dès le jeudi 30 juillet, aux alentours de 18 h 30 et de Mareuil-Sur-Lay, voilà que Vincent Peirani et Emile Parisien, sans tambours ni trompette ni sono – ah comme c’est beau la musique acoustique ! –, lui refont le coup du duo au dessus du volcan. Un volcan qui ne cracherait pas un torrent de lave en fusion mais des idées en pagaille. Avant que le concert ne commence, le proprio des vignobles Mourat nous décrit les vins que nous tarderons pas à déguster. Le rosé est fruité, dit-il, avec un goût de pamplemousse et de poivre. Je retrouve ce mélange de douce amertume et d’épice dans le son du soprano d’Emile Parisien, musicien habité s’il en est. Elle s’accorde parfaitement les nourritures célestes que nous sert Vincent Peirani : sa cuisine à lui est posée sur ses genoux, c’est un accordéon dit-on. C’est curieux, quand ce type en joue, j’ai l’impression d’écouter un autre instrument, inouï, qui sous ses doigts se serait affranchi de toute forme de rigueur mécanique. Le fantôme de Sidney Bechet nous adresse un sourire pendant Egyptian Fantasy, qu’il partage, n’en doutons pas, avec Franz Schubert (Schubertauster) et Duke Ellington (Dancers In Love). Emile Parisien semble battre des ailes quand il improvise – et effectivement, il s’envole. Mon Vague de Jazz à moi commence bien.


Au Jardin du Tribunal des “Sables-D’O”, le vendredi soir, les deux chipies de Donkey Monkey jouent gratuitement pour un public, là aussi, toujours plus réceptif. Ils attendent du jazz, n’ont même pas peur du free, et les voilà qui goûtent sans se faire prier la pop dada-décalée-jazzée d’Eve Risser (piano mutin) et de Yuko Oshima (batterie gingerbakerienne).


A Longeville-Sur-Mer, le samedi matin dans le Marais Poitevin, c’est concert en barque et impro au fil de l’eau. Cette année, Théo (violon) et Valentin (violoncelle), alias les frères Ceccaldi, sont parés pour la petite aventure. Quelques minutes après leur départ, au bord d’une rive, à droite après le premier pont, un Médo des Marais (plus connu sous le nom de Médéric Collignon) les attend
de pied ferme, son saxhorn rieur et virtuose prêt à distiller ses notes cuivrées. Ça chante, ça phrase, ça siffle : on se marre bien dans le marais.


Au départ et à l’arrivée, une MC pas comme les autres avait elle aussi fait sonner sa voix : Leïla Martial, qu’on retrouve quelques heures plus tard à l’Espace Culturel du Clouzy, sur la petite scène qui fait face au bar, pour une petite trentaine de minutes d’improvisations “en chanté”. « Comme c’est étrange, il me semble que j’ai rêvé pendant tout ce temps », commence-t-elle par dire. C’est ce qui est écrit sur un kakemono accroché au mur, juste derrière elle. Elle l’a découvert en même temps que nous, en posant le pied sur scène. Du don d’appropriation… Très vite, ces mots changent de couleurs dans sa bouche, se dilatent et/ou s’étirent, perdent de leur sens pour en trouver un autre, puis un autre, et encore un autre… Elle ne chante plus en français mais en… langues, ou en esperanto interstellaire si vous préférez. Elle swingue, elle groove, elle dérape, elle contrôle, elle scatte sans clichés, elle crie, chuchote, triture comme il faut les boutons de ses pédales d’effets, et toujours avec le sourire, jamais dans la souffrance. Cette demoiselle de Rochefort (plutôt Françoise, la brune, pas Catherine) est née sous le signe des jets-mots – vous savez, ces mots que le commun des mortels a sur le bout de la langue mais qui ne sortent jamais prendre l’air, hé bien, Leïla, elle l’a, le chic pour les faire danser sur nos tympans. Elle termine actuellement son deuxième disque. Pas de doute : il va filer un sacré coup de vieux à “Dance Floor”, son premier d’il y a cinq ans. C’est bien.


Le lendemain, au même endroit, au beau matin, elle a remis ça avec Valentin Ceccaldi. Encore un duo ?! Oui, les improvisateurs aiment les duos. Mais cette fois, du Fauré, du Purcell (« Let me, let me freeze… », ne me dites pas que vous ne connaissez pas) et même du Ceccaldi sont au programme. Plus cadrés les duettistes ? Pas une seule seconde. Veillant à capter la beauté fugace du moindre son, mais toujours prêts à se larguer les amarres. Eux aussi, à leur manière, sont en quête d’un folklore imaginaire, comme leurs illustres prédécesseurs. Tiens, revoilà le grand-frère, Théo, qui s’imisce comme si de rien n’était dans la conversation. Grand moment de remue-méninges à trois.


Au pied levé, les Frères Ceccaldi et Florian Stache, trois éminents membres du Tricollectif (www.tricollectif.fr), ont remplacé Big, le duo entre Fred Galiay, basse électrique, et Edward Perraud, batterie. [Fred Galiay a hélas contracté une méningite à pneumocoques, il est actuellement en soin intensifs et nous croisons tous les doigts pour qu’il se rétablisse au plus vite.] A eux trois, avec leurs jeux de cordes et de tambours mêlés, ils ont mis du baume au cœur à tout le monde. Les improvisateur libres peuvent aussi être généreux et chaleureux : ils nous en ont donné la preuve.


S’il est un autre héros des temps modernes qui nous malaxe le nerf auditif avec maestria depuis des lustres, c’est bien Médéric Collignon (fraîchement nommé professeur au CNSM : félicitations). Avec Elise Dabrowski (contrebasse) et Edward Perraud, il a littéralement fait chavirer de bonheur fou l’Espace Culturel du Clouzy. Cet homme fait musique de tout – de son biniou, of course, mais aussi d’un piano et de cannettes de boissons pétillantes –, il est comme possédé par l’esprit d’Hermeto Pascoal, puissamment virtuose, radical hilare, hurleur musical, improvisateur-né. Après ces jubilatoires moments d’improvisation sans filet, les douceurs exquises du trio reformé de Yes Is A Pleasant Country – Bruno Ruder au piano, Vincent Lê Quand aux saxophones, Jeanne Added au chant – parurent presque trop sages à d’aucun(e)s. Pourtant, revoir ainsi la nouvelle pop star en mode pause (l’impressionnante tournée française de Jeanne Added reprendra de plus belle en septembre) se frayer à pas feutrés un chemin dans cette petite forêt de sons subtils a malgré tout de quoi laisser rêveur : des chanteuses capables de passer en douceur d’un monde à l’autre, sans rien renier de leur art, on n’en connaît somme toute assez peu. Jeanne Added sera-t-elle de Vague de Jazz 2016 ? Parions plutôt sur un retour triomphal en 2017.

En attendant, souhaitons bon vent à ce festival décidément pas comme les autres, qui, d’années en années, marque toujours plus précisément son territoire, sans pour autant demander leurs papiers aux citoyens du monde qui font toute sa richesse. Pourvu que ça dure, pourvu qu’il dure.


PS : Dans la presse quotidienne locale, on dit de plus en plus souvent du bien de l’« utopie totale » concoctée par Jacques-Henri Béchieau, Florence Saby-Hérault et leurs compagnons de route (Christian, Jean-Luc, Jean-Paul, Marianne, Christine, Chonchon…), sans oublier le maître sonorisateur, Boris Darley, qui aime la musique – et nos oreilles. Voilà qui n’est pas sans nous réjouir

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Treizième édition du festival vendéen animé par Jacques-Henri Béchieau et son infatigable équipe de bénévoles. Avec la détermination farouche de ceux qui n’aiment rien tant que donner la parole à la musique – la vraie, l’actuelle, la vivante –, ces joyeux utopistes ont fini par installer le jazz qui n’a pas froid au yeux dans les têtes et les cœurs. Cette année, Médéric Collignon, Eve Risser, Leïla Martial, Vincent Peirani, Emile Parisien, Théo et Vincent Ceccaldi figuraient, entre autres, parmi leurs indispensables porte-voix.


« Vague de Jazz, ç’a toujours été une expérience, il y a des choses qui plaisent et qui ne plaisent pas, et on verra… » Du Jacques-Henri Béchieau dans le texte ! Ce septuagénaire militant et passionné ne “lâche rien”, comme on dit un peu trivialement aujourd’hui. Après treize ans passés à déployer une énergie hors du commun pour que son pays natal vibre aux sons du jazz sur le vif, il ose à peine le dire, lui le modeste qui n’a pourtant pas sa langue dans sa poche : quelque chose de fort commence à prendre racine en terre vendéenne. Le goût du public pour un jazz qui sort des sentiers battus est chaque année plus prononcé. Le public, son public rêve d’un jazz qui échappe à toute logique marketing, toute préoccupation mercantile. Il rêve d’un jazz qui s’invente là, sous ses yeux, et qui rappelle à qui veut bien l’entendre que le jazz, justement, n’est peut-être jamais aussi “jazz” que quand les ronchons nostalgiques lâchent mollement, ou vertement (c’est selon) que « ça, ce n’est pas du jazz… Le “vrai” jazz, c’est autre chose ». Ils n’ont pas entièrement tort : le jazz, oui, c’est autre chose. Ce sera toujours autre chose


Les héroïnes et les héros de la saga Vague de Jazz sont-ils tous des “vrais” musiciens de jazz ? Peu nous chaut. Car ce qui nous importe vraiment, dans cette histoire, c’est leur vérité, leur authenticité. Entre Les Sables-d’Olonne, Longeville-Sur-Mer et Mareuil-Sur-Lay, les trois épicentres du Jazz précisément Vague, tous les musiciens amoureusement conviés par Jacques-Henri Béchieau à partager leurs élans créatifs avec le public sont vrais. Ce ne sont pas des acteurs, ni des poseurs, encore moins des tricheurs. Depuis treize ans, certains ont même fini par élire domicile à Vague de Jazz. Non pas qu’ils aient acheté une maison au bord de la mer ou planté leur caravane au camping du coin. Elire domicile à Vague de Jazz, c’est comme laisser son cœur à San Francisco – o.k., ce n’est pas demain la veille que Tony Bennett risque de venir chanter en duo avec Lady Gaga à l’espace Culturel du Clouzy… –, c’est tomber le masque pour un public toujours plus curieux, toujours plus attentif. Un public dont le degré d’exigence se confond avec soif de liberté.


On commence à venir d’ailleurs pour se laisser emporter par Vague de Jazz, car on sait, on sent – les vrais jazzfans ont du flair… – que tout y est possible. Et ce tout tient à presque rien, à la force fragile des artistes, à leur hyper-sensibilité qui, il faut bien l’avouer, est nettement plus perceptible ici. Même au Jardin du Tribunal quand le soleil a tiré sa révérence et que l’on croise les bras pour se protéger du frais ! Même quand le bruit des couteaux et des fourchettes – miam, miam – manquent d’être samplé par les machines de la chanteuse à robe à pois (Leïla Martial, lire plus bas)…


Cette année, rigueurs du bouclage obligent, l’envoyé spécial a manqué Thomas de Pourquery et son Supersonic (Sun Ra lôôôvely…), le Ravel façon Andy Emler, Joëlle Léandre, et encore Elise Caron dans le Magnetic Ensemble. Mince alors. En revanche, dès le jeudi 30 juillet, aux alentours de 18 h 30 et de Mareuil-Sur-Lay, voilà que Vincent Peirani et Emile Parisien, sans tambours ni trompette ni sono – ah comme c’est beau la musique acoustique ! –, lui refont le coup du duo au dessus du volcan. Un volcan qui ne cracherait pas un torrent de lave en fusion mais des idées en pagaille. Avant que le concert ne commence, le proprio des vignobles Mourat nous décrit les vins que nous tarderons pas à déguster. Le rosé est fruité, dit-il, avec un goût de pamplemousse et de poivre. Je retrouve ce mélange de douce amertume et d’épice dans le son du soprano d’Emile Parisien, musicien habité s’il en est. Elle s’accorde parfaitement les nourritures célestes que nous sert Vincent Peirani : sa cuisine à lui est posée sur ses genoux, c’est un accordéon dit-on. C’est curieux, quand ce type en joue, j’ai l’impression d’écouter un autre instrument, inouï, qui sous ses doigts se serait affranchi de toute forme de rigueur mécanique. Le fantôme de Sidney Bechet nous adresse un sourire pendant Egyptian Fantasy, qu’il partage, n’en doutons pas, avec Franz Schubert (Schubertauster) et Duke Ellington (Dancers In Love). Emile Parisien semble battre des ailes quand il improvise – et effectivement, il s’envole. Mon Vague de Jazz à moi commence bien.


Au Jardin du Tribunal des “Sables-D’O”, le vendredi soir, les deux chipies de Donkey Monkey jouent gratuitement pour un public, là aussi, toujours plus réceptif. Ils attendent du jazz, n’ont même pas peur du free, et les voilà qui goûtent sans se faire prier la pop dada-décalée-jazzée d’Eve Risser (piano mutin) et de Yuko Oshima (batterie gingerbakerienne).


A Longeville-Sur-Mer, le samedi matin dans le Marais Poitevin, c’est concert en barque et impro au fil de l’eau. Cette année, Théo (violon) et Valentin (violoncelle), alias les frères Ceccaldi, sont parés pour la petite aventure. Quelques minutes après leur départ, au bord d’une rive, à droite après le premier pont, un Médo des Marais (plus connu sous le nom de Médéric Collignon) les attend
de pied ferme, son saxhorn rieur et virtuose prêt à distiller ses notes cuivrées. Ça chante, ça phrase, ça siffle : on se marre bien dans le marais.


Au départ et à l’arrivée, une MC pas comme les autres avait elle aussi fait sonner sa voix : Leïla Martial, qu’on retrouve quelques heures plus tard à l’Espace Culturel du Clouzy, sur la petite scène qui fait face au bar, pour une petite trentaine de minutes d’improvisations “en chanté”. « Comme c’est étrange, il me semble que j’ai rêvé pendant tout ce temps », commence-t-elle par dire. C’est ce qui est écrit sur un kakemono accroché au mur, juste derrière elle. Elle l’a découvert en même temps que nous, en posant le pied sur scène. Du don d’appropriation… Très vite, ces mots changent de couleurs dans sa bouche, se dilatent et/ou s’étirent, perdent de leur sens pour en trouver un autre, puis un autre, et encore un autre… Elle ne chante plus en français mais en… langues, ou en esperanto interstellaire si vous préférez. Elle swingue, elle groove, elle dérape, elle contrôle, elle scatte sans clichés, elle crie, chuchote, triture comme il faut les boutons de ses pédales d’effets, et toujours avec le sourire, jamais dans la souffrance. Cette demoiselle de Rochefort (plutôt Françoise, la brune, pas Catherine) est née sous le signe des jets-mots – vous savez, ces mots que le commun des mortels a sur le bout de la langue mais qui ne sortent jamais prendre l’air, hé bien, Leïla, elle l’a, le chic pour les faire danser sur nos tympans. Elle termine actuellement son deuxième disque. Pas de doute : il va filer un sacré coup de vieux à “Dance Floor”, son premier d’il y a cinq ans. C’est bien.


Le lendemain, au même endroit, au beau matin, elle a remis ça avec Valentin Ceccaldi. Encore un duo ?! Oui, les improvisateurs aiment les duos. Mais cette fois, du Fauré, du Purcell (« Let me, let me freeze… », ne me dites pas que vous ne connaissez pas) et même du Ceccaldi sont au programme. Plus cadrés les duettistes ? Pas une seule seconde. Veillant à capter la beauté fugace du moindre son, mais toujours prêts à se larguer les amarres. Eux aussi, à leur manière, sont en quête d’un folklore imaginaire, comme leurs illustres prédécesseurs. Tiens, revoilà le grand-frère, Théo, qui s’imisce comme si de rien n’était dans la conversation. Grand moment de remue-méninges à trois.


Au pied levé, les Frères Ceccaldi et Florian Stache, trois éminents membres du Tricollectif (www.tricollectif.fr), ont remplacé Big, le duo entre Fred Galiay, basse électrique, et Edward Perraud, batterie. [Fred Galiay a hélas contracté une méningite à pneumocoques, il est actuellement en soin intensifs et nous croisons tous les doigts pour qu’il se rétablisse au plus vite.] A eux trois, avec leurs jeux de cordes et de tambours mêlés, ils ont mis du baume au cœur à tout le monde. Les improvisateur libres peuvent aussi être généreux et chaleureux : ils nous en ont donné la preuve.


S’il est un autre héros des temps modernes qui nous malaxe le nerf auditif avec maestria depuis des lustres, c’est bien Médéric Collignon (fraîchement nommé professeur au CNSM : félicitations). Avec Elise Dabrowski (contrebasse) et Edward Perraud, il a littéralement fait chavirer de bonheur fou l’Espace Culturel du Clouzy. Cet homme fait musique de tout – de son biniou, of course, mais aussi d’un piano et de cannettes de boissons pétillantes –, il est comme possédé par l’esprit d’Hermeto Pascoal, puissamment virtuose, radical hilare, hurleur musical, improvisateur-né. Après ces jubilatoires moments d’improvisation sans filet, les douceurs exquises du trio reformé de Yes Is A Pleasant Country – Bruno Ruder au piano, Vincent Lê Quand aux saxophones, Jeanne Added au chant – parurent presque trop sages à d’aucun(e)s. Pourtant, revoir ainsi la nouvelle pop star en mode pause (l’impressionnante tournée française de Jeanne Added reprendra de plus belle en septembre) se frayer à pas feutrés un chemin dans cette petite forêt de sons subtils a malgré tout de quoi laisser rêveur : des chanteuses capables de passer en douceur d’un monde à l’autre, sans rien renier de leur art, on n’en connaît somme toute assez peu. Jeanne Added sera-t-elle de Vague de Jazz 2016 ? Parions plutôt sur un retour triomphal en 2017.

En attendant, souhaitons bon vent à ce festival décidément pas comme les autres, qui, d’années en années, marque toujours plus précisément son territoire, sans pour autant demander leurs papiers aux citoyens du monde qui font toute sa richesse. Pourvu que ça dure, pourvu qu’il dure.


PS : Dans la presse quotidienne locale, on dit de plus en plus souvent du bien de l’« utopie totale » concoctée par Jacques-Henri Béchieau, Florence Saby-Hérault et leurs compagnons de route (Christian, Jean-Luc, Jean-Paul, Marianne, Christine, Chonchon…), sans oublier le maître sonorisateur, Boris Darley, qui aime la musique – et nos oreilles. Voilà qui n’est pas sans nous réjouir

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Treizième édition du festival vendéen animé par Jacques-Henri Béchieau et son infatigable équipe de bénévoles. Avec la détermination farouche de ceux qui n’aiment rien tant que donner la parole à la musique – la vraie, l’actuelle, la vivante –, ces joyeux utopistes ont fini par installer le jazz qui n’a pas froid au yeux dans les têtes et les cœurs. Cette année, Médéric Collignon, Eve Risser, Leïla Martial, Vincent Peirani, Emile Parisien, Théo et Vincent Ceccaldi figuraient, entre autres, parmi leurs indispensables porte-voix.


« Vague de Jazz, ç’a toujours été une expérience, il y a des choses qui plaisent et qui ne plaisent pas, et on verra… » Du Jacques-Henri Béchieau dans le texte ! Ce septuagénaire militant et passionné ne “lâche rien”, comme on dit un peu trivialement aujourd’hui. Après treize ans passés à déployer une énergie hors du commun pour que son pays natal vibre aux sons du jazz sur le vif, il ose à peine le dire, lui le modeste qui n’a pourtant pas sa langue dans sa poche : quelque chose de fort commence à prendre racine en terre vendéenne. Le goût du public pour un jazz qui sort des sentiers battus est chaque année plus prononcé. Le public, son public rêve d’un jazz qui échappe à toute logique marketing, toute préoccupation mercantile. Il rêve d’un jazz qui s’invente là, sous ses yeux, et qui rappelle à qui veut bien l’entendre que le jazz, justement, n’est peut-être jamais aussi “jazz” que quand les ronchons nostalgiques lâchent mollement, ou vertement (c’est selon) que « ça, ce n’est pas du jazz… Le “vrai” jazz, c’est autre chose ». Ils n’ont pas entièrement tort : le jazz, oui, c’est autre chose. Ce sera toujours autre chose


Les héroïnes et les héros de la saga Vague de Jazz sont-ils tous des “vrais” musiciens de jazz ? Peu nous chaut. Car ce qui nous importe vraiment, dans cette histoire, c’est leur vérité, leur authenticité. Entre Les Sables-d’Olonne, Longeville-Sur-Mer et Mareuil-Sur-Lay, les trois épicentres du Jazz précisément Vague, tous les musiciens amoureusement conviés par Jacques-Henri Béchieau à partager leurs élans créatifs avec le public sont vrais. Ce ne sont pas des acteurs, ni des poseurs, encore moins des tricheurs. Depuis treize ans, certains ont même fini par élire domicile à Vague de Jazz. Non pas qu’ils aient acheté une maison au bord de la mer ou planté leur caravane au camping du coin. Elire domicile à Vague de Jazz, c’est comme laisser son cœur à San Francisco – o.k., ce n’est pas demain la veille que Tony Bennett risque de venir chanter en duo avec Lady Gaga à l’espace Culturel du Clouzy… –, c’est tomber le masque pour un public toujours plus curieux, toujours plus attentif. Un public dont le degré d’exigence se confond avec soif de liberté.


On commence à venir d’ailleurs pour se laisser emporter par Vague de Jazz, car on sait, on sent – les vrais jazzfans ont du flair… – que tout y est possible. Et ce tout tient à presque rien, à la force fragile des artistes, à leur hyper-sensibilité qui, il faut bien l’avouer, est nettement plus perceptible ici. Même au Jardin du Tribunal quand le soleil a tiré sa révérence et que l’on croise les bras pour se protéger du frais ! Même quand le bruit des couteaux et des fourchettes – miam, miam – manquent d’être samplé par les machines de la chanteuse à robe à pois (Leïla Martial, lire plus bas)…


Cette année, rigueurs du bouclage obligent, l’envoyé spécial a manqué Thomas de Pourquery et son Supersonic (Sun Ra lôôôvely…), le Ravel façon Andy Emler, Joëlle Léandre, et encore Elise Caron dans le Magnetic Ensemble. Mince alors. En revanche, dès le jeudi 30 juillet, aux alentours de 18 h 30 et de Mareuil-Sur-Lay, voilà que Vincent Peirani et Emile Parisien, sans tambours ni trompette ni sono – ah comme c’est beau la musique acoustique ! –, lui refont le coup du duo au dessus du volcan. Un volcan qui ne cracherait pas un torrent de lave en fusion mais des idées en pagaille. Avant que le concert ne commence, le proprio des vignobles Mourat nous décrit les vins que nous tarderons pas à déguster. Le rosé est fruité, dit-il, avec un goût de pamplemousse et de poivre. Je retrouve ce mélange de douce amertume et d’épice dans le son du soprano d’Emile Parisien, musicien habité s’il en est. Elle s’accorde parfaitement les nourritures célestes que nous sert Vincent Peirani : sa cuisine à lui est posée sur ses genoux, c’est un accordéon dit-on. C’est curieux, quand ce type en joue, j’ai l’impression d’écouter un autre instrument, inouï, qui sous ses doigts se serait affranchi de toute forme de rigueur mécanique. Le fantôme de Sidney Bechet nous adresse un sourire pendant Egyptian Fantasy, qu’il partage, n’en doutons pas, avec Franz Schubert (Schubertauster) et Duke Ellington (Dancers In Love). Emile Parisien semble battre des ailes quand il improvise – et effectivement, il s’envole. Mon Vague de Jazz à moi commence bien.


Au Jardin du Tribunal des “Sables-D’O”, le vendredi soir, les deux chipies de Donkey Monkey jouent gratuitement pour un public, là aussi, toujours plus réceptif. Ils attendent du jazz, n’ont même pas peur du free, et les voilà qui goûtent sans se faire prier la pop dada-décalée-jazzée d’Eve Risser (piano mutin) et de Yuko Oshima (batterie gingerbakerienne).


A Longeville-Sur-Mer, le samedi matin dans le Marais Poitevin, c’est concert en barque et impro au fil de l’eau. Cette année, Théo (violon) et Valentin (violoncelle), alias les frères Ceccaldi, sont parés pour la petite aventure. Quelques minutes après leur départ, au bord d’une rive, à droite après le premier pont, un Médo des Marais (plus connu sous le nom de Médéric Collignon) les attend
de pied ferme, son saxhorn rieur et virtuose prêt à distiller ses notes cuivrées. Ça chante, ça phrase, ça siffle : on se marre bien dans le marais.


Au départ et à l’arrivée, une MC pas comme les autres avait elle aussi fait sonner sa voix : Leïla Martial, qu’on retrouve quelques heures plus tard à l’Espace Culturel du Clouzy, sur la petite scène qui fait face au bar, pour une petite trentaine de minutes d’improvisations “en chanté”. « Comme c’est étrange, il me semble que j’ai rêvé pendant tout ce temps », commence-t-elle par dire. C’est ce qui est écrit sur un kakemono accroché au mur, juste derrière elle. Elle l’a découvert en même temps que nous, en posant le pied sur scène. Du don d’appropriation… Très vite, ces mots changent de couleurs dans sa bouche, se dilatent et/ou s’étirent, perdent de leur sens pour en trouver un autre, puis un autre, et encore un autre… Elle ne chante plus en français mais en… langues, ou en esperanto interstellaire si vous préférez. Elle swingue, elle groove, elle dérape, elle contrôle, elle scatte sans clichés, elle crie, chuchote, triture comme il faut les boutons de ses pédales d’effets, et toujours avec le sourire, jamais dans la souffrance. Cette demoiselle de Rochefort (plutôt Françoise, la brune, pas Catherine) est née sous le signe des jets-mots – vous savez, ces mots que le commun des mortels a sur le bout de la langue mais qui ne sortent jamais prendre l’air, hé bien, Leïla, elle l’a, le chic pour les faire danser sur nos tympans. Elle termine actuellement son deuxième disque. Pas de doute : il va filer un sacré coup de vieux à “Dance Floor”, son premier d’il y a cinq ans. C’est bien.


Le lendemain, au même endroit, au beau matin, elle a remis ça avec Valentin Ceccaldi. Encore un duo ?! Oui, les improvisateurs aiment les duos. Mais cette fois, du Fauré, du Purcell (« Let me, let me freeze… », ne me dites pas que vous ne connaissez pas) et même du Ceccaldi sont au programme. Plus cadrés les duettistes ? Pas une seule seconde. Veillant à capter la beauté fugace du moindre son, mais toujours prêts à se larguer les amarres. Eux aussi, à leur manière, sont en quête d’un folklore imaginaire, comme leurs illustres prédécesseurs. Tiens, revoilà le grand-frère, Théo, qui s’imisce comme si de rien n’était dans la conversation. Grand moment de remue-méninges à trois.


Au pied levé, les Frères Ceccaldi et Florian Stache, trois éminents membres du Tricollectif (www.tricollectif.fr), ont remplacé Big, le duo entre Fred Galiay, basse électrique, et Edward Perraud, batterie. [Fred Galiay a hélas contracté une méningite à pneumocoques, il est actuellement en soin intensifs et nous croisons tous les doigts pour qu’il se rétablisse au plus vite.] A eux trois, avec leurs jeux de cordes et de tambours mêlés, ils ont mis du baume au cœur à tout le monde. Les improvisateur libres peuvent aussi être généreux et chaleureux : ils nous en ont donné la preuve.


S’il est un autre héros des temps modernes qui nous malaxe le nerf auditif avec maestria depuis des lustres, c’est bien Médéric Collignon (fraîchement nommé professeur au CNSM : félicitations). Avec Elise Dabrowski (contrebasse) et Edward Perraud, il a littéralement fait chavirer de bonheur fou l’Espace Culturel du Clouzy. Cet homme fait musique de tout – de son biniou, of course, mais aussi d’un piano et de cannettes de boissons pétillantes –, il est comme possédé par l’esprit d’Hermeto Pascoal, puissamment virtuose, radical hilare, hurleur musical, improvisateur-né. Après ces jubilatoires moments d’improvisation sans filet, les douceurs exquises du trio reformé de Yes Is A Pleasant Country – Bruno Ruder au piano, Vincent Lê Quand aux saxophones, Jeanne Added au chant – parurent presque trop sages à d’aucun(e)s. Pourtant, revoir ainsi la nouvelle pop star en mode pause (l’impressionnante tournée française de Jeanne Added reprendra de plus belle en septembre) se frayer à pas feutrés un chemin dans cette petite forêt de sons subtils a malgré tout de quoi laisser rêveur : des chanteuses capables de passer en douceur d’un monde à l’autre, sans rien renier de leur art, on n’en connaît somme toute assez peu. Jeanne Added sera-t-elle de Vague de Jazz 2016 ? Parions plutôt sur un retour triomphal en 2017.

En attendant, souhaitons bon vent à ce festival décidément pas comme les autres, qui, d’années en années, marque toujours plus précisément son territoire, sans pour autant demander leurs papiers aux citoyens du monde qui font toute sa richesse. Pourvu que ça dure, pourvu qu’il dure.


PS : Dans la presse quotidienne locale, on dit de plus en plus souvent du bien de l’« utopie totale » concoctée par Jacques-Henri Béchieau, Florence Saby-Hérault et leurs compagnons de route (Christian, Jean-Luc, Jean-Paul, Marianne, Christine, Chonchon…), sans oublier le maître sonorisateur, Boris Darley, qui aime la musique – et nos oreilles. Voilà qui n’est pas sans nous réjouir

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Treizième édition du festival vendéen animé par Jacques-Henri Béchieau et son infatigable équipe de bénévoles. Avec la détermination farouche de ceux qui n’aiment rien tant que donner la parole à la musique – la vraie, l’actuelle, la vivante –, ces joyeux utopistes ont fini par installer le jazz qui n’a pas froid au yeux dans les têtes et les cœurs. Cette année, Médéric Collignon, Eve Risser, Leïla Martial, Vincent Peirani, Emile Parisien, Théo et Vincent Ceccaldi figuraient, entre autres, parmi leurs indispensables porte-voix.


« Vague de Jazz, ç’a toujours été une expérience, il y a des choses qui plaisent et qui ne plaisent pas, et on verra… » Du Jacques-Henri Béchieau dans le texte ! Ce septuagénaire militant et passionné ne “lâche rien”, comme on dit un peu trivialement aujourd’hui. Après treize ans passés à déployer une énergie hors du commun pour que son pays natal vibre aux sons du jazz sur le vif, il ose à peine le dire, lui le modeste qui n’a pourtant pas sa langue dans sa poche : quelque chose de fort commence à prendre racine en terre vendéenne. Le goût du public pour un jazz qui sort des sentiers battus est chaque année plus prononcé. Le public, son public rêve d’un jazz qui échappe à toute logique marketing, toute préoccupation mercantile. Il rêve d’un jazz qui s’invente là, sous ses yeux, et qui rappelle à qui veut bien l’entendre que le jazz, justement, n’est peut-être jamais aussi “jazz” que quand les ronchons nostalgiques lâchent mollement, ou vertement (c’est selon) que « ça, ce n’est pas du jazz… Le “vrai” jazz, c’est autre chose ». Ils n’ont pas entièrement tort : le jazz, oui, c’est autre chose. Ce sera toujours autre chose


Les héroïnes et les héros de la saga Vague de Jazz sont-ils tous des “vrais” musiciens de jazz ? Peu nous chaut. Car ce qui nous importe vraiment, dans cette histoire, c’est leur vérité, leur authenticité. Entre Les Sables-d’Olonne, Longeville-Sur-Mer et Mareuil-Sur-Lay, les trois épicentres du Jazz précisément Vague, tous les musiciens amoureusement conviés par Jacques-Henri Béchieau à partager leurs élans créatifs avec le public sont vrais. Ce ne sont pas des acteurs, ni des poseurs, encore moins des tricheurs. Depuis treize ans, certains ont même fini par élire domicile à Vague de Jazz. Non pas qu’ils aient acheté une maison au bord de la mer ou planté leur caravane au camping du coin. Elire domicile à Vague de Jazz, c’est comme laisser son cœur à San Francisco – o.k., ce n’est pas demain la veille que Tony Bennett risque de venir chanter en duo avec Lady Gaga à l’espace Culturel du Clouzy… –, c’est tomber le masque pour un public toujours plus curieux, toujours plus attentif. Un public dont le degré d’exigence se confond avec soif de liberté.


On commence à venir d’ailleurs pour se laisser emporter par Vague de Jazz, car on sait, on sent – les vrais jazzfans ont du flair… – que tout y est possible. Et ce tout tient à presque rien, à la force fragile des artistes, à leur hyper-sensibilité qui, il faut bien l’avouer, est nettement plus perceptible ici. Même au Jardin du Tribunal quand le soleil a tiré sa révérence et que l’on croise les bras pour se protéger du frais ! Même quand le bruit des couteaux et des fourchettes – miam, miam – manquent d’être samplé par les machines de la chanteuse à robe à pois (Leïla Martial, lire plus bas)…


Cette année, rigueurs du bouclage obligent, l’envoyé spécial a manqué Thomas de Pourquery et son Supersonic (Sun Ra lôôôvely…), le Ravel façon Andy Emler, Joëlle Léandre, et encore Elise Caron dans le Magnetic Ensemble. Mince alors. En revanche, dès le jeudi 30 juillet, aux alentours de 18 h 30 et de Mareuil-Sur-Lay, voilà que Vincent Peirani et Emile Parisien, sans tambours ni trompette ni sono – ah comme c’est beau la musique acoustique ! –, lui refont le coup du duo au dessus du volcan. Un volcan qui ne cracherait pas un torrent de lave en fusion mais des idées en pagaille. Avant que le concert ne commence, le proprio des vignobles Mourat nous décrit les vins que nous tarderons pas à déguster. Le rosé est fruité, dit-il, avec un goût de pamplemousse et de poivre. Je retrouve ce mélange de douce amertume et d’épice dans le son du soprano d’Emile Parisien, musicien habité s’il en est. Elle s’accorde parfaitement les nourritures célestes que nous sert Vincent Peirani : sa cuisine à lui est posée sur ses genoux, c’est un accordéon dit-on. C’est curieux, quand ce type en joue, j’ai l’impression d’écouter un autre instrument, inouï, qui sous ses doigts se serait affranchi de toute forme de rigueur mécanique. Le fantôme de Sidney Bechet nous adresse un sourire pendant Egyptian Fantasy, qu’il partage, n’en doutons pas, avec Franz Schubert (Schubertauster) et Duke Ellington (Dancers In Love). Emile Parisien semble battre des ailes quand il improvise – et effectivement, il s’envole. Mon Vague de Jazz à moi commence bien.


Au Jardin du Tribunal des “Sables-D’O”, le vendredi soir, les deux chipies de Donkey Monkey jouent gratuitement pour un public, là aussi, toujours plus réceptif. Ils attendent du jazz, n’ont même pas peur du free, et les voilà qui goûtent sans se faire prier la pop dada-décalée-jazzée d’Eve Risser (piano mutin) et de Yuko Oshima (batterie gingerbakerienne).


A Longeville-Sur-Mer, le samedi matin dans le Marais Poitevin, c’est concert en barque et impro au fil de l’eau. Cette année, Théo (violon) et Valentin (violoncelle), alias les frères Ceccaldi, sont parés pour la petite aventure. Quelques minutes après leur départ, au bord d’une rive, à droite après le premier pont, un Médo des Marais (plus connu sous le nom de Médéric Collignon) les attend
de pied ferme, son saxhorn rieur et virtuose prêt à distiller ses notes cuivrées. Ça chante, ça phrase, ça siffle : on se marre bien dans le marais.


Au départ et à l’arrivée, une MC pas comme les autres avait elle aussi fait sonner sa voix : Leïla Martial, qu’on retrouve quelques heures plus tard à l’Espace Culturel du Clouzy, sur la petite scène qui fait face au bar, pour une petite trentaine de minutes d’improvisations “en chanté”. « Comme c’est étrange, il me semble que j’ai rêvé pendant tout ce temps », commence-t-elle par dire. C’est ce qui est écrit sur un kakemono accroché au mur, juste derrière elle. Elle l’a découvert en même temps que nous, en posant le pied sur scène. Du don d’appropriation… Très vite, ces mots changent de couleurs dans sa bouche, se dilatent et/ou s’étirent, perdent de leur sens pour en trouver un autre, puis un autre, et encore un autre… Elle ne chante plus en français mais en… langues, ou en esperanto interstellaire si vous préférez. Elle swingue, elle groove, elle dérape, elle contrôle, elle scatte sans clichés, elle crie, chuchote, triture comme il faut les boutons de ses pédales d’effets, et toujours avec le sourire, jamais dans la souffrance. Cette demoiselle de Rochefort (plutôt Françoise, la brune, pas Catherine) est née sous le signe des jets-mots – vous savez, ces mots que le commun des mortels a sur le bout de la langue mais qui ne sortent jamais prendre l’air, hé bien, Leïla, elle l’a, le chic pour les faire danser sur nos tympans. Elle termine actuellement son deuxième disque. Pas de doute : il va filer un sacré coup de vieux à “Dance Floor”, son premier d’il y a cinq ans. C’est bien.


Le lendemain, au même endroit, au beau matin, elle a remis ça avec Valentin Ceccaldi. Encore un duo ?! Oui, les improvisateurs aiment les duos. Mais cette fois, du Fauré, du Purcell (« Let me, let me freeze… », ne me dites pas que vous ne connaissez pas) et même du Ceccaldi sont au programme. Plus cadrés les duettistes ? Pas une seule seconde. Veillant à capter la beauté fugace du moindre son, mais toujours prêts à se larguer les amarres. Eux aussi, à leur manière, sont en quête d’un folklore imaginaire, comme leurs illustres prédécesseurs. Tiens, revoilà le grand-frère, Théo, qui s’imisce comme si de rien n’était dans la conversation. Grand moment de remue-méninges à trois.


Au pied levé, les Frères Ceccaldi et Florian Stache, trois éminents membres du Tricollectif (www.tricollectif.fr), ont remplacé Big, le duo entre Fred Galiay, basse électrique, et Edward Perraud, batterie. [Fred Galiay a hélas contracté une méningite à pneumocoques, il est actuellement en soin intensifs et nous croisons tous les doigts pour qu’il se rétablisse au plus vite.] A eux trois, avec leurs jeux de cordes et de tambours mêlés, ils ont mis du baume au cœur à tout le monde. Les improvisateur libres peuvent aussi être généreux et chaleureux : ils nous en ont donné la preuve.


S’il est un autre héros des temps modernes qui nous malaxe le nerf auditif avec maestria depuis des lustres, c’est bien Médéric Collignon (fraîchement nommé professeur au CNSM : félicitations). Avec Elise Dabrowski (contrebasse) et Edward Perraud, il a littéralement fait chavirer de bonheur fou l’Espace Culturel du Clouzy. Cet homme fait musique de tout – de son biniou, of course, mais aussi d’un piano et de cannettes de boissons pétillantes –, il est comme possédé par l’esprit d’Hermeto Pascoal, puissamment virtuose, radical hilare, hurleur musical, improvisateur-né. Après ces jubilatoires moments d’improvisation sans filet, les douceurs exquises du trio reformé de Yes Is A Pleasant Country – Bruno Ruder au piano, Vincent Lê Quand aux saxophones, Jeanne Added au chant – parurent presque trop sages à d’aucun(e)s. Pourtant, revoir ainsi la nouvelle pop star en mode pause (l’impressionnante tournée française de Jeanne Added reprendra de plus belle en septembre) se frayer à pas feutrés un chemin dans cette petite forêt de sons subtils a malgré tout de quoi laisser rêveur : des chanteuses capables de passer en douceur d’un monde à l’autre, sans rien renier de leur art, on n’en connaît somme toute assez peu. Jeanne Added sera-t-elle de Vague de Jazz 2016 ? Parions plutôt sur un retour triomphal en 2017.

En attendant, souhaitons bon vent à ce festival décidément pas comme les autres, qui, d’années en années, marque toujours plus précisément son territoire, sans pour autant demander leurs papiers aux citoyens du monde qui font toute sa richesse. Pourvu que ça dure, pourvu qu’il dure.


PS : Dans la presse quotidienne locale, on dit de plus en plus souvent du bien de l’« utopie totale » concoctée par Jacques-Henri Béchieau, Florence Saby-Hérault et leurs compagnons de route (Christian, Jean-Luc, Jean-Paul, Marianne, Christine, Chonchon…), sans oublier le maître sonorisateur, Boris Darley, qui aime la musique – et nos oreilles. Voilà qui n’est pas sans nous réjouir