Jazz live
Publié le 21 Juin 2019

Distribution des prix au CNSM

Hier, comme chaque année en juin, le département jazz du Conservatoire national de musique et de danse de Paris (CNSMDP) remettait ses prix. Ces 19 et 20 juin, à raison de quatre candidats par jour, nous avons assisté aux épreuves les conditionnant…

…sauf à une, une mauvaise correspondance de trains m’ayant fait loupé l’audition du premier candidat, le guitariste Aurélien Holl qui présentait un programme autour de Duke Ellington. Il est évidemment délicat de rendre compte de telles épreuves au risque de se substituer aux – ou de remettre en cause les – décisions d’un jury, celui-ci étant constitué de la chanteuse Elise Caron, du batteur Sangoma Everett, du contrebassiste Claude Tchamitchian, sous la direction du guitariste Serge Lazarévitch. Mais nous ne pouvons nous contenter de la mosaïque ci-dessus réunissant les quatre candidats ayant obtenus leur Prix avec mentions très bien à l’unanimité avec félicitations du jury (selon la nomenclature en cours dans les conservatoires), et taire nos impressions, constats, informations tirées de ces deux journées.

En commençant par préciser que chacun des candidats se présentait moins comme instrumentiste que comme directeur et arrangeur d’un projet orchestral selon le format instrumental de son choix, recruté pour certains au-delà du département jazz (le saxophoniste Simon Corneille avait ainsi fait appel à un quatuor de cordes du département classique pour une suite ambitieuse, le guitariste Benjamin Garson faisant carrément sensation à la Gibson électrique auprès de Simon Corneille, Hugo Van Rechem et Pierre-Marie Lapprand, alors qu’il est connu dans la maison comme guitariste classique…). Seul le contrebassiste Sylvain Fournet-Fayas présentait une formule orchestrale conventionnelle soliste-rythmique (certes à géométrie variable, du duo avec son jeune frère, brillant altiste, Gaëtan Fournet-Fayas au quintette) selon le format exposé-improvisation-exposé, mettant ainsi l’accent sur une virtuosité hors du commun, évoquant l’héritage de NHOP et Miroslav Vitous, et contrastant avec la profondeur et le positionnement plus orchestraux de Juan Villaroel (déjà cité par le passé dans ces pages) au sein de l’orchestre à deux batterie plus congas du batteur David Paycha. On retiendra encore quelques noms : celui également déjà mentionné dans ces pages du tout jeune pianiste Noé Huchard, toujours un peu plus épanoui à chaque fois que nous l’entendons, Cyril Galamini qui combine les capacités de souplesse et de truculence du trombone…

Mais nous citerons en priorité les quatre “Très Bien à l’unanimité avec félicitations du jury” de cette remise de prix. Hugo Van Rechem (violon et mandoline électrique) proposa une seule, longue et fascinante suite pour un orchestre à géométrie variable (du duo à 23 musiciens dont deux vocalistes), alternant nappes sonores suspendues et modules répétitifs portés à la transe par quatre pupitres de percussions articulés autour de la batterie de Théo Moutou (encore un qui eut déjà droit à citation dans ces pages et qui fut l’un des instrumentistes les plus remarqués de ces deux jours).

Sur un répertoire totalement imprévisible, le ténor Pierre-Marie Lapprand dirigea, , un set direct et ramassé sur lui-même comme s’il jouait en club, à la tête d’un quintette vif et pénétrant comme un pack de rugby montant à l’essai : Hector Lena-Schroll (trompette), Benjamin Garson (guitare électrique), Etienne Renard (contrebasse), Timothée Garson (batterie).

À la tête d’une rythmique, d’un double pupitre “brass & woodwinds” (sans trompette ni autre saxophone que son propre alto), plus une harpe ingénieusement assimilée, Guillaume Guedin fit preuve d’un remarquable sens de la couleur, de la forme et du discours orchestral, partant d’une admirable transposition à la lettre du Requiem de Lennie Tristano pour nous entrainer vers des paysages n’appartenant qu’à lui.

Déjà remarqué lors d’un intermède en duo avec le violon d’Hugo Rechem dont il avait contribué à charpenter la suite, le pianiste Yessaï Karapetian livra un véritable bouquet final avec pour artificiers Romain Didier (trompette, bugle), Mounir Sefsouf (sax alto), Pierre-Mari Lapprand (sax ténor), Hugo Van Rechem (mandoline électrique), Marc Karapetian (basse électrique), Théo Moutou (batterie). Renversant… presque trop pyrotechnique à mon goût pour connaître déjà au pianiste des registres plus nuancés, mais dans ce contexte un peu festif d’une fin d’année scolaire, avec la nécessité de convaincre un jury, le tout nourri de modes, de rythmes et de vocabulaires instrumentaux d’Arménie, plus, au milieu de ce set pétaradant, une perle inspirée des collectages de chants de labour arméniens (horovel, ce qu’en français, on appelle briolage) collectés par l’ethnomusicologue Komitas, et dont il proposa de poignantes variations en duo avec Mounir Sefsouf.

Pour conclure en résonnance à ce bruit qui court et que je commentais déjà dans une précédente intervention dans ces pages, selon lequel les classes de jazz formateraient les musiciens, de quoi parle-t-on ici ? À quel format commun ces huit groupes si distincts les uns des autres se rapporteraient-ils ? Serait-ce cette maîtrise instrumentale qui relèverait du format, ou plus exactement ce niveau de maîtrise (comme nous invite à le corriger la différence de nature que peut prendre cette maîtrise entre un Villaroel et un Fournet-Fayas) ? Serait-ce l’aisance qu’ils ont tous acquise sur les rythmes “composés” (mais pour des usages si diversifiés) ? Ne s’agirait-il pas ici plutôt de déformatage au regard de ce que proposent au grand public programmateurs et médias, en un temps où la musique est si mal aimée des grands acteurs culturels tant qu’elle n’est pas réduite aux formats de l’accord parfait, de la ritournelle ou de la boucle de huit mesures maxi, le plus souvent asservis au travail au texte et / ou à l’image ? La musique en conserve où le “live” n’est plus que la reproduction sonore approximative de boucles et de refrains qu’élaborent des artistes onanistes seuls devant leurs écrans et leurs claviers, dans la solitude du studio, c’est ainsi qu’elle sera célébrée ce soir sur France Culture dans la “spéciale Fête de la musique” de La Dispute d’Arnaud Laporte qui entretient avec l’abstraction musicale (entendons par là musique sans paroles qu’on ne peut par siffloter sous la douche) à peu près le même rapport que le premier couillon avec la peinture abstraite.

Allons, ce soir, Sortons les binious ! Ce soir justement, Riccardo Del Fra et ses anciens étudiants du CNSM – Antoine Martin (sax alto), Melvin Marquez (sax ténor), Carl-Henri Morisset (piano) et Nicolas Fox (batterie) sortiront les leurs en direct de Radio France pour deux morceaux au cours du concert du soir spécial Fête de la musique entre 20h et 22h. Franck Bergerot