Jazz live
Publié le 16 Nov 2018

D’Jazz Nevers (2) : Foltz-Mouratoglou, Flament, Dada(da), Corneloup

Suite et fins de mes pérégrinations dans la cité ducale, avec une journée de mercredi particulièrement riche en émotions.

Jean-Marc Foltz & Philippe Mouratoglou : “Legends of the Fall”

Jean-Marc Foltz est alsacien ; Philippe Mouratoglou, pour sa part, est d’origine grecque et porte un patronyme turc. Pourtant, ces deux-là ont le regard rivé vers l’Ouest, du côté de l’Amérique des grands espaces, territoire entre réalité et fantasmes dont l’imaginaire résonne forcément quelque part en chacun de nous. Cordes d’acier de la guitare folk égrainant leurs arpèges en open tuning, clarinette élevant son chant poignant dans une atmosphère nimbée de silence : c’est à un voyage intime, mélancolique et envoûtant que nous convie ce duo hors norme, qui publie d’ailleurs ces jours-ci « Nowaten (celui qui écoute) », magnifique nouvel album en compagnie du percusionniste Henri-Charles Caget et du batteur Ramon Lopez. En conclusion, deux reprises de Robert Johnson issues du répertoire de l’album « Steady Rollin’ Man » (avec Bruno Chevillon à la contrebasse), chantées avec sobriété par le guitariste : un Come On in My Kitchen subtilement réharmonisé, et un Malted Milk à voix nu, avec un contrechant de clarinette pour seul accompagnement. Tout simplement poignant.

Benjamin Flament “Farmers”

Entre autres nombreuses qualités, Benjamin Flament se trouve être neversois. Rien d’étonnant donc à ce que le festival lui donne l’opportunité de créer ce nouveau projet, le premier sous son nom de ce jeune percusionniste qui s’illustra entre autres, dans l’orchestre Radiation 10, le trio Metal-O-Phone ou encore le projet Mechanics de Sylvain Rifflet. Sur la scène du théâtre municipal trône un set de sa création, patiemment agencé au fil des années, où les éléments de batterie jouxtent les cloches, les lamelles de métal et autres objets chinés à droit à gauche. Un instrument à la fonction autant mélodique que rythmique, que le leader a complété par une orchestration atypique : couleurs cuivrées du trombone et de l’euphonium d’Aloïs Benoît (grand expert ès sourdines), le violoncelle tout-terrain d’Olivier Koundouno et la guitare volontiers abrasive de Sylvain Choinier. Le répertoire original puise ses origines dans des sources ethnomusicologiques, tels les work songs afro-américains, pour les passer à travers des filtres minimalistes, électro, post-rock ou même métal, qui en font ressortir le caractère brut et puissamment émotionnel. Un son de groupe cradingue comme un vieux blues, une transe rythmique débordante de ferveur : Farmers s’affirme dès ce premier concert comme une magnifique réussite.

Roberto Negro “Dada(da)”

Si les changements de sidemen sont monnaie courante dans le jazz, au gré des disponibilités et des empêchements des uns et des autres, il est en revanche beaucoup plus rare de devoir remplacer le leader d’un groupe. C’est pourtant à cette situation inédite qu’a été confronté D’Jazz Nevers cette année : requis par la naissance de sa fille Rossella (on le félicite au passage), Roberto Negro ne pouvait en effet assurer la date prévue de son projet Dadada, avec Émile Parisien au saxophone et Michele Rabbia à la batterie et à l’électronique. Qu’à cella ne tienne : Roger Fontanel, directeur du festival, et Marion Piras, agente du groupe, décident de maintenir le concert en remplaçant le pianiste par… le guitariste Manu Codja ! Si le répertoire signé Negro demeure le même, la musique s’en trouve évidemment radicalement modifiée : là où le Dadada originel semblait relever d’une esthétique chambriste typiquement européenne, la six-cordes électrique volontiers frisellienne de Codja conférait à ce Dada(da) (ainsi rebaptisé par les musiciens) des airs de downtown new-yorkais, évoquant par moment le légendaire trio de Paul Motian, et à d’autres le groupe Naked City de John Zorn. Le jeu de soprano toujours poignant de Parisien et les bruissements organiques et synthétiques de Rabia font le reste, transformant cette prestation impromptue en un précieux moment de fraîcheur et de spontanéité, de ceux qu’on ne retrouve que trop rarement dans le circuit si bien organisé des festivals de jazz.

François Corneloup Quintet : « Révolut!on »

Comme son vieux comparse Franck Tortiller – qui se produira vendredi au festival avec son tout nouveau Collectiv –, François Corneloup a choisi de renouveler son inspiration au contact de la nouvelle génération. Parmi les jeunes musiciens qu’il a recruté pour ce quintette créé au printemps à l’Europajazz Le Mans (voir vidéo ici) figure justement Vincent Tortiller (fils de), batteur vingtenaire sous influences jazz, rock, électro ou hip-hop, aux côtés de la basse électrique sèche et nerveuse de Joachim Florent et du trombone brûlant et bluesy de Simon Girard, à l’enthousiasme communicatif. Comme pour contrebalancer toute cette ardeur juvénile par un peu d’expérience et de sagesse, le saxophoniste baryton a également convoqué sa complice Sophia Domancich, offiçiant avec brio au Fender Rhodes dans un style quasi hancockien qu’on ne lui connaissait pas. Tantôt brûlante et fébrile, tantôt plus contemplative, la musique n’est peut-être pas révolutionnaire à proprement parler (peut-on encore l’être en 2018 ?), mais n’en convainc pas moins d’emblée par un engagement de tous les instants, une communion intergénérationnelle qui faisait plaisir à voir et surtout à entendre.

Pascal Rozat

Photos : Maxim François