Jazz live
Publié le 21 Fév 2019

Dynamo de Pantin : KEPLER et THE BRIDGE #10, ANTICHAMBER MUSIC

 

Soirée contrastée à La Dynamo de Pantin, entre la plus que lente et très écrite musique du trio Kepler et la prestation totalement improvisée d’Antichamber Music

 

KEPLER

Juilen Pontvianne (clarinette, saxophone ténor), Adrien Sanchez (saxophone ténor, synthétiseur), Maxime Sanchez (piano, synthétiseur)

Pantin, La Dynamo, 18 février 2019, 20h30

La parti pris est assumé : lenteur et apparente douceur. Du synthétiseur proviennent des sons d’orgue sur des accords serrés, et les voix/voies des anches s’y mêlent en volutes mesurées, ténues, subtiles, d’une intensité vive parce que retenue. Mon esprit s’égare. Je pense à La Plus que lente de Debussy (qui n’était pas si lente….), à Johannes Kepler l’astronome dont les découvertes en astronomie et en optique cohabitaient dans son esprit avec la conviction que le cœur était une pompe qui attisait dans notre corps la flamme de la vie (au moment même où William Harvey mettait en évidence la circulation sanguine). Je pense aussi à Vladimir Jankélévitch : bref je pense à tous ces moments où l’exactitude de la science et de la musique se dissolvent dans la poésie. Les pièces sont courtes, ce qui augmente encore leur densité, les lignes se croisent et l’écoute mutuelle est manifeste, comme une cérémonie secrète. Après un cycle harmonique très serré et très sombre, au piano, qui me fait penser à Silence de Charlie Haden, les deux saxophones développent un entrelacs sophistiqué qui me rappelle la musique anglaise de l’âge baroque. L’esprit et l’oreille voyagent, nous sommes embarqués. Soudain, sous un thème lyrique et faussement simple joué par les souffleurs, le piano s’anime dans des intervalles très tendus qui me font songer au Paul Bley des années 60 : je n’étais pas loin, c’est une composition de Paul Motian, qui fut son partenaire à cette grande époque. Et le concert revient pour sa conclusion aux compositions des membres du trio, qui constituent le répertoire. Pari osé, assumé, pari gagnant : un disque est déjà disponible sur en téléchargement sur les pateformes, et un vinyle paraîtra sous peu chez Onzeheureonze (https://www.facebook.com/Onze.Heures.Onze).

 

ANTICHAMBER MUSIC, The Bridge #10

Claudi Solal (voix), Katherine Young (basson, électronique), Lou Mallozzi (platines, électronique), Benoît Delbecq (piano)

Pantin, La Dynamo, 18 février 2019, 22h

C’est le match retour d’une première manche donnée à Chicago en 2015 (à l’époque la violoncelliste Tomeka Reid occupait la place aujourd’hui dévolue à Lou Mallozzi). La musique est inspirée par un recueil de poèmes de jeunesse de James Joyce, Chamber Music. Des fragments de ces poèmes surgiront en cours de concerts, mêlés à des textes (en anglais et en français) de Claudia Solal. Après huit concerts dans toute la France, et avant les dernières escales à Lyon, Poitiers et Brest, le groupe offrait à Pantin son rendez-vous du pourtour parisien. Comme souvent lors des concerts de musique improvisée, on commence pianissimo, chacun(e) prend ses marques, lance un son, un timbre, une phrase, une impulsion ou un impact expressif. Le jeu se met en place : prises de paroles successives ou simultanées, prises de risques souvent, prises de bec, de pouvoir ou de tête jamais. L’improvisation fonctionne à l’empathie, au partage, à l’interaction et au rebond. Quand la voix de Claudia file dans l’aigu, le basson répond de sons graves , traités et percussifs. Des platines et machines surgissent, par vagues lentes ou impulsions paroxystiques, de nouveaux paysages où le piano va se poser, méditatif ou mutin. De ces intermittences surgit régulièrement une sorte d’effet choral, qui bientôt va se dissoudre dans de nouvelles escapades. On est sur le fil, mais bientôt c’est le fil qui se déroule, fil d’Ariane pour nous guider ? Ou pour nous perdre, qui sait…. On est en pleine pensée magique. De la voix s’échappe le mot unpredictable ; imprévisible, comme l’événement qui advient dans l’instant : la fin du concert. La magie ne nous a pas lâchés. Nous étions pris, nous sommes rendus à nous-même, assez comblés il faut le dire. Dans le premier poème de Joyce ces mots : «There’s music along the river, For Love wanders there ». Peut-être la clé du mystère.

Xavier Prévost