Jazz live
Publié le 5 Fév 2023

ÉRIC LE LANN : premier set au Sunside

Premier set car le chroniqueur banlieusard a joué de malchance : aucun RER ce week-end à la gare de sa commune (chose qu’il ignorait la veille quand il a acheté son billet de concert sur le site du club), et pour partir l’obligation de marcher jusqu’à la commune voisine via des paysages peu engageants, surtout vers 20h

Et pour le retour, qui s’annonce épique (voir en fin de chronique) l’obligation de partir à la fin du premier set pour être assuré de rentrer dans ses pénates

ÉRIC LE LANN & le trio de NOÉ HUCHARD

Éric Le Lann (trompette), Noé Huchard (piano), Clément Daldosso (contrebasse), Élie Martin-Charrière (batterie)

Paris, Sunside, 4 février 2023, 21h30

La salle est pleine. Je ne suis pas le seul à qui la présence du trompettiste dans les clubs parisiens a manqué. Le concert commence par deux thèmes d’Éric, qu’il avait enregistrés en 1996 dans l’ancien Duc des Lombards (celui de Didier Nouyrigat), pour le disque «Today I Fell in Love». C’est d’ailleurs le titre éponyme qui ouvre la soirée. Et, même si l’atmosphère est plutôt funky, on y retrouve la furtive allusion au Blue in Green de Bill Evans pour Miles Davis. La sonorité du trompettiste a toujours ce côté légèrement ensorcelé, où l’éclat du cuivre se mêle à des harmoniques dans le médium, gage d’expressivité : c’est une trompette qui parle. Et elle nous raconte des histoires. Le thème suivant, Le bleu d’Hortense, issu du même disque, nous entraîne up tempo, la trompette est volubile, et le pianiste s’offre un beau moment d’effervescence, avant un échange de 4/4 entre le batteur et le leader. Le titre suivant nous confirme dans le souvenir du disque déjà cité, car il y figurait : c’est l’incontournable My Funny Valentine. Dans l’intro en solo du pianiste, hors-thème, et presque hors-grille, on devine, par un trait furtif, ce dont il est question. Éric Le Lann ne cherche pas à faire oublier les versions historiques de Chet Baker (et deux ans plus tard de Miles Davis). Il joue sa propre partition, même s’il a l’histoire en tête. C’est intense. Après son improvisation accompagnée par le trio, il nous offre un stop chorus qui fait résonner en moi, je ne sais pourquoi, le souvenir de l’intro (et de la coda) d’Armstrong en 1928 pour West End Blues. Est-ce un hasard si le titre suivant s’ouvre aussi par la trompette seule, avec la très belle intro de Charlie Parker pour Parker’s Mood ? Le Lann explore toutes les ressources de l’idiome, et dans son solo Noé Huchard fait montre d’une connaissance approfondie de ce que firent quelques générations de pianistes sur cette grille si simple en apparence, et si pleine de ressources. Puis ce sera un emprunt à Chopin, le 4ème Prélude Op. 28, d’abord en douceur, tendance Jane B. de Gainsbourg (enrichi de feeling bien sûr), avant de tourner à l’émeute autour d’un piano free et d’une batterie déchaînée ; et le trompettiste n’est pas en reste…. Dans son livre Scorpion ascendant Belon (c’était aussi le titre d’une de ses compositions enregistrée en 1991) publié récemment, Éric Le Lann écrit ceci : «L’improvisation, le jazz, c’est se surprendre et surprendre les musiciens de l’orchestre idéalement ! C’est une musique interactive. Les rencontres en jazz me paraissent primordiales si on veut garder la fraîcheur, l’envie de faire de nouvelles phrases….». Ce livre est une très belle évocation de cette musique, et de ceux qui la font.

Pour annoncer la fin du set, comme à la grande époque, The Theme, avec rituellement un solo de batterie qui a le bon goût de porter en permanence les singularités du thème.

C’est là que le chroniqueur doit, à grand regret, quitter le club pour un parcours du combattant vers le 9-3 un jour de RER supprimés pour travaux (c’est récurrent depuis 2 ans !). Une chance : ce samedi la ligne 4 du métro ne s’est pas interrompue (comme souvent) peu après 22h. C’est ensuite à Gare du Nord la ligne 5, jusqu’à Bobigny, et là le bus 303 est pris d’assaut (en raison de l’absence de RER ‘E’ dans cette direction). Et le vieux chroniqueur, comprimé comme une sardine, accroché à une rampe horizontale trop haute pour ses articulations, afin d’échapper aux freinages brutaux et aux virages mouvementés, renonce à aller jusqu’à son but ; et il quittera le bus 2 kilomètres avant son domicile, préférant marcher un peu pour soulager son pauvre dos. Eh oui, l’activité d’amateur banlieusard, jazzzophile et noctambule, est pleine d’embûches, mais bon sang, quelle belle musique !

Xavier Prévost