Jazz live
Publié le 5 Avr 2019

FESTIVAL BANLIEUES BLEUES, 3 avril : poing levé !

Musiques de révolte et de rébellion mercredi soir à la Dynamo de Pantin, avec l’association de deux groupes qui ont en commun de s’insurger contre l’injustice et l’oppression.

EXPÉKA TRIO

Casey (rap), Célia Wa (voix, flûte, percussion), Sonny Troupé (voix, tambour Ka)

Pantin, La Dynamo, 3 avril 2019, 20h30

Le trio est né d’une convergence en duo : le rap de Casey, Martiniquaise aux textes incendiaires, et le tambour Ka, instrument traditionnel de la Guadeloupe, cultivé amoureusement par Sonny Troupé, largement connu aussi dans le champ du jazz (avec son propre quartette, et ses collaborations avec Lisa Simone, Jacques Schwarz-Bart, Kenny Garrett, David Murray, Alain Jean-Marie….). Duo complété par la voix et la flûte de Célia Wa, musicienne guadeloupéenne qui assume son art dans l’engagement : ce qui donne un trio explosif.

Dès le début, la couleur est annoncée : «Ma vie est rivée à un sac de sucre». Les textes-coups de poing parlent de l’esclavage, la prosodie est forte, les mots sont anguleux, la diction est parfaite. Tambour, flûte et voix scandent ce chant de révolte avec force. Plus tard, après une longue intro où Sonny Troupé fait gronder et chanter le tambour, le trio évoque la Martinique chère à Casey dans Chez Moi. Puis la flûte reprend, timbre grave et lenteur de procession, avant que voix et tambour ne conduisent à un crescendo paroxystique. Pour conclure le concert, «c’est moi qui sais où j’ai mal, et ce que ça me fait», en une sorte de litanie laïque, persiste et signe, éloquemment, le message, en parfaite musicalité, dans les règles de l’Art.

REBELLION(S)

Sylvain Rifflet (saxophone ténor, composition), Jon Irabagon (saxophones alto & sopranino, composition), Sébastien Boisseau (contrebasse), Jim Black (batterie)

Pantin, La Dynamo, 3 avril 2019, 22h

Le projet repose sur la confrontation de grands discours de rébellion avec une musique qui porte ce message, avec ses colères et ses espoirs. Sur le fabuleux discours d’André Malraux lors du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon, en 1964, le saxophone de Sylvain Rifflet épouse les inflexions de la voix de Malraux, dont la prosodie est comme un chant psalmodié, à quoi la musique répond en mélodie, contrechant, contrepoint…. Dès cette première séquence on comprend que le défi valait d’être tenté. Sur le discours suivant, celui de la toute jeune Greta Thunberg à la COP24 en 2018, le sopranino de Jon Irabagon se déchaîne en un flot vertigineux qui respire l’urgence autant que la colère. Dans son adresse au public Sylvain Rifflet, qui a choisi ce texte ainsi que le premier, précise qu’au moment de la conception du projet la jeune Suédoise n’était pas encore la star des media que tous s’arrachent…. Pour la suite, c’est un choix de Sébastien Boisseau et une célèbre chanson traditionnelle irlandaise, Factory Girl. Les paroles sont absentes mais le groupe joue la mélodie dans un esprit qui me rappelle le Liberation Music Orchestra et son exaltation instrumentale des chants de la résistance espagnole au franquisme. La basse de Sébastien Boisseau et la batterie de Jim Black rivalisent de pertinence, entre constructions lyriques et explosions de bruit et de fureur. Puis l’on revient à la voix enregistrée, celle de Paul Robeson témoignant en 1956 devant la commission des activités anti-américaines : la musique lui fait écho, entre éclats de free music et thématique segmentée. Vient ensuite la harangue d’Olympe de Gouges pour la déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, en 1791 : Jeanne Added, sur une séquence préenregistrée, lui prête sa voix, une voix qui est déjà musique en elle-même, avec son timbre inimitable, cette scansion envoûtante et la ferveur qui sublime le propos. En prélude, les instrumentistes avaient donné, individuellement et collectivement, une même force, tantôt sereine, tantôt explosive. Il y eut ensuite un contrechant au texte, avant que la voix de Jeanne Added, électroniquement traitée, n’étende encore musicalement le propos, entre mélancolie et virulence.

Après une intro tendue de la basse et de la batterie, le dernier texte convoqué sera un mélange de différents discours d’Emma González invectivant Donald Trump et la National Rifle Association après la tuerie de Parkland en Floride. Là encore, la colère gronde, et la détermination envahit l’espace sonore. Belle réussite que ce projet thématique ambitieux qui a su éviter l’embûche de la musique à programme en concevant un objet artistique vigoureusement militant.

Merci au festival Banlieues Bleues de nous avoir offert, avec ces deux parties de soirée, ces musiques puissantes qui retentissent comme un réconfort en ces temps de tiédeur !

Xavier Prévost