Jazz live
Publié le 19 Avr 2020

Henry Grimes, deuxième disparition

Contrebassiste dont la discographie commence avec Lee Konitz en 1957 avant de s’apparenter à une histoire du free jazz des années 1960, Henry Grimes avait disparu une première fois en 1968, passant pour mort. Il vient de succomber au Covid-19.

Né à Philadelphie le 3 novembre 1935, il avait commencé par le violon à 12 ans, tâté du tuba, du cor anglais et de la percussion, avant de choisir la contrebasse. Diplômé du Jules Mastbaum Vocational/Technical School près de Philadelphie, il étudie à la Juilliard School avec le contrebassiste Fred Zimmermann, figure du New York Philharmonic. Il se fait entendre à partir de 1957 auprès d’Anita O’Day, Tony Scott, Gerry Mulligan (tant au sein de l’octette que du quartette des retrouvailles avec Chet Baker). Au festival de Newport 1958, il est omniprésent, du grand orchestre de Benny Goodman au quintette de Tony Scott, en passant par les trios de Lee Konitz, Sonny Rollins et Thelonious Monk. La même année, en août, il est au Half Note avec Warne Marsh, Lennie Tristano et Paul Motian. L’année suivante, on le découvre en Europe avec le trio de Sonny Rollins.

Mais à partir de 1961, tout en continuant à se prêter au “jazz straight ahead” (Shirley Scott, Jerome Richardson, Roy Haynes, McCoy Tyner, Bill Barron), on le voit adhérer à la New Thing dont il devient l’un des contrebassistes les plus demandés, d’abord avec Cecil Taylor (“Into the Hot” avec le batteur Sunny Murray qui deviendra un partenaire régulier), puis Don Cherry (quartette de Rollins avec Billy Higgins, ou quartettes avec Ed Blackwelll et Gato Barbieri ou Phaorah Sanders), Steve Lacy et Roswell Rudd, Albert Ayler, Archie Shepp, Frank Wright, Pharoah Sanders. Si fin 1965, il enregistre enfin un album sous nom (“The Call” ESP), en trio avec le clarinettiste Perry Robinson et le batteur Tom Price, tout en restant un sideman recherché, souvent dans des formules à deux contrebasses, courantes à l’époque, notamment avec Cecil Taylor (“Unit Structures” et “Conquistador”) où, face à Alan Silva s’envolant dans les superstructures, il assure les fondements, rôle dans lequel il s’inscrivait dans la tradition mingusienne, à tel point que Mingus lui-même fit appel à lui en mai 1962 au Birdland, les discographes ne sachant pas auquel des deux attribuer la contrebasse du saxophoniste Shafi Hadi sur les faces de Septembre 1957 (“The Rarest on Debut – Mingus Newly Discovered” Debut)

Sa dernière apparition discographiée dans les années 1960 est au Village Vanguard, en décembre 1966, avec les frères Ayler, le violoniste Michel Samson, le batteur Beaver Harris et l’autre contrebassiste Bill Folwell. En 1967, il disparaît et passe pour mort. Il est retrouvé en 2002 grâce aux recherches d’un travailleur social. Parvenu en Californie, il aurait endommagé son instrument et vécu de petits boulots jusqu’à mener une existence erratique de sans domicile fixe. William Parker lui offre l’une de ses contrebasses et l’accueille au printemps 2003 à New York à son Vision Festival. Il reprend alors ses activités tant comme leader (dès 2004 en trio avec David Murray et Hamid Drake, “Live at the Kerava Jazz Festival ”, Ayler) qu’en sideman, notamment avec le guitariste Marc Ribot (dès 2005, “Spiritual Unity”, PI Recordings), puis avec le saxophoniste Bill McHenry (“Us Free – Fish Stories”, Fresh Sound, 2006), joignant volontiers la voix à la contrebasse sur des poèmes de son crû. Sur son dernier enregistrement sous son nom, il jouait en solo contrebasse et son premier instrument, le violon (“The Tone of Wonder”, Uncool, 2014). Franck Bergerot