Jazz live
Publié le 8 Juil 2016

JAZZ À COUCHES : VINCENT TORTILLER QUINTET & JAMES CARTER TRIO

   Le 7 juillet, après un repérage à la répétition de la création prévue pour le lendemain, et un saut place de la République pour le concert du B.u.l.o.o. (Big Band Unique Libre & Obstiné), orchestre amateur d’une belle ferveur, le chroniqueur rejoint la Zone de Loisirs où, sur le terrain de rugby et sous chapiteau, le festival accueille pour sa trentième édition une soirée « Tête d’affiche », avec le trio du saxophoniste James Carter, et en première partie le quintette du batteur Vincent Tortiller. Le festival-phare de la Côte Chalonnaise bat son plein !

J.Carter trio     James Carter Organ Trio sur la scène de Jazz à Couches

 

VINCENT TORTILLER QUINTET « Daïda »

Vincent Tortiller (batterie), Alexandre Herichon (trompette), Joran Cariou (piano électrique, synthétiseur), Eddy Leclerc (guitare), Richard Metairon (contrebasse)

Couches, Zone de loisirs Henri Levitte, 7 juillet 2016, 20h

V.Tortiller 5tet

La présence du jeune batteur est ici plus qu’un symbole : fils du vibraphoniste Franck Tortiller, initiateur du festival, et petit-fils du très regretté Maurice « Mimi » Tortiller, vigneron-musicien et longtemps âme musicale de cette commune bourguignonne, Vincent est un musicien formé dans les meilleurs conservatoires et écoles de jazz d’Ile de France. Il a rassemblé autour de lui des partenaires de sa génération, pour jouer un jazz d’aujourd’hui, qui se reconnaît volontiers dans la musique du trompettiste Christian Scott, auquel le groupe empruntera en fin de concerts deux compositions. Les autres thèmes sont signés par le batteur, le trompettiste, et plus récemment le pianiste. La dramaturgie musicale est soignée, enchaînant exposés sereins et mises sous tension rythmique progressive, transition abruptes et échappées mélancoliques. On peut dire que ça groove, car le batteur exploite les codes du genre avec une belle énergie, et l’efficacité qu’assure des éléments de langage bien repérés. La contrebasse participe de cette intensité, mais parfois les notes graves de l’instrument se confondent avec le son, très mat, de la grosse caisse, entraînant une petite perte de lisibilité (problème de sonorisation ? Ou peut-être de réglage d’un tambour à la peau trop relâchée?). Quoi qu’il en soit, la pulsation est porteuse, et le trompettiste nous éblouit par sa pertinence musicale, son expression et sa prise de risques. Sur les exposés calmes, quand il joue dans l’aigu, l’expressivité fait un peu défaut, mais revient très vite dès que l’on revient à un registre plus grave, où le musicien parvient à tutoyer le timbre troublant du bugle. En revanche sur les improvisations up tempo, il est totalement expressif jusque dans le plus aigu. Belle découverte en somme que ce jeune trompettiste qui s’est déjà fait entendre dans le métier, musique de variété comprise. Après un solo de synthétiseur un peu corny (vieux jeu façon seventies si l’on veut), le pianiste nous étonne, au piano Fender Rhodes, en se lançant avec hardiesse dans des phrases très variées, rythmiquement risquées, et qu’il parvient pourtant à maîtriser sur le fil. Les solos du guitariste nous paraissent plus convenus, même s’ils sont de bonne facture ; le musicien nous a semblé gêné par un problème d’ampli : il en avait changé durant la balance, et malgré ce choix ne paraissait par avoir trouvé le son qu’il désirait, ce qui peut l’avoir légèrement inhibé. Au total une belle découverte d’un groupe qui sera le 19 juillet à Paris rue des Lombards, au Baiser Salé ; on l’a aussi entendu récemment à Coutances, et il a manifestement de beaux jours devant lui.

 

JAMES CARTER ORGAN TRIO « Djando Unchained »

James Carter (saxophones ténor, alto & soprano), Gerard Gibbs (orgue), Alex White (batterie)

Couches, Zone de loisirs Henri Levitte, 7 juillet 2016, 21h30

 

J.Carter affute ses sax

Pendant la balance, et alors que les ingénieurs du son s’occupent de l’orgue et de la batterie, James Carter affûte ses sax

 

   James Carter revient à Django, dont il avait déjà abordé la musique voici plus de quinze ans pour le disque « Chasin’ the Gypsy ». Cette fois la relecture est sur le mode groovy, et même parfois churchy, avec orgue Hammond, transes et emportement extatiques. Ses partenaires entrent dans son jeu avec un évident plaisir : exposé sage ou intro exogène, et parfois carrément free, avant d’aborder le matériau thématique ; ascension vers l’incandescence avant un passage, en douceur ou de manière abrupte, à une autre soliste (l’organiste, le batteur) : le schéma se répète, et il a lassé deux jours plus tôt l’Ami Franck Bergerot (voir la chronique dans ces mêmes pages). Quant à moi, cet esprit joueur me ravit, et je marche : ce panorama des possibles du (des) saxophone(s) me réjouit. Envolée parkérienne à l’alto, growl texan, slap hyper précis pour « effet Spike Jones », ou soudain moelleux de ténor langoureux, tout me va. Quand, au début du concert, un Minor Swing très soulful se voit gratifier d’un chorus de soprano qui nous emmène vers les My Favorite Things de Coltrane, je biche. Quand l’alto entre en dialogue furieux avec la batterie, je kiffe. Quand Anouman glisse vers la frénésie hot, je craque ; et ainsi de suite. Serais-je bon public ? Je ne sais si j’ai cette réputation, mais en tout cas je ne boude pas mon plaisir. Et puis l’extraordinaire maîtrise instrumentale et musicale de James Carter, assumée jusqu’à l’autodérision, me ravit. Entendre Manoir de mes rêves , version « remix » selon l’aveu du saxophoniste, avec citations de On Green Dolphin Street et tendances soul jazz (renforcées par l’organiste qui s’ingénie à utiliser à ce moment-là les jeux les moins usités de son instrument), tout cela n’en finit pas de me séduire. Il faudra finalement attendre le rappel, après une ovation nourrie du public debout, et une version très paisible de Nuages, pour que la lassitude puisse être envisagée : mais le concert était fini, et les musiciens avaient avant cela donné tant d’énergique générosité que je ne puis leur en vouloir de cette relative tiédeur conclusive.

Xavier Prévost|   Le 7 juillet, après un repérage à la répétition de la création prévue pour le lendemain, et un saut place de la République pour le concert du B.u.l.o.o. (Big Band Unique Libre & Obstiné), orchestre amateur d’une belle ferveur, le chroniqueur rejoint la Zone de Loisirs où, sur le terrain de rugby et sous chapiteau, le festival accueille pour sa trentième édition une soirée « Tête d’affiche », avec le trio du saxophoniste James Carter, et en première partie le quintette du batteur Vincent Tortiller. Le festival-phare de la Côte Chalonnaise bat son plein !

J.Carter trio     James Carter Organ Trio sur la scène de Jazz à Couches

 

VINCENT TORTILLER QUINTET « Daïda »

Vincent Tortiller (batterie), Alexandre Herichon (trompette), Joran Cariou (piano électrique, synthétiseur), Eddy Leclerc (guitare), Richard Metairon (contrebasse)

Couches, Zone de loisirs Henri Levitte, 7 juillet 2016, 20h

V.Tortiller 5tet

La présence du jeune batteur est ici plus qu’un symbole : fils du vibraphoniste Franck Tortiller, initiateur du festival, et petit-fils du très regretté Maurice « Mimi » Tortiller, vigneron-musicien et longtemps âme musicale de cette commune bourguignonne, Vincent est un musicien formé dans les meilleurs conservatoires et écoles de jazz d’Ile de France. Il a rassemblé autour de lui des partenaires de sa génération, pour jouer un jazz d’aujourd’hui, qui se reconnaît volontiers dans la musique du trompettiste Christian Scott, auquel le groupe empruntera en fin de concerts deux compositions. Les autres thèmes sont signés par le batteur, le trompettiste, et plus récemment le pianiste. La dramaturgie musicale est soignée, enchaînant exposés sereins et mises sous tension rythmique progressive, transition abruptes et échappées mélancoliques. On peut dire que ça groove, car le batteur exploite les codes du genre avec une belle énergie, et l’efficacité qu’assure des éléments de langage bien repérés. La contrebasse participe de cette intensité, mais parfois les notes graves de l’instrument se confondent avec le son, très mat, de la grosse caisse, entraînant une petite perte de lisibilité (problème de sonorisation ? Ou peut-être de réglage d’un tambour à la peau trop relâchée?). Quoi qu’il en soit, la pulsation est porteuse, et le trompettiste nous éblouit par sa pertinence musicale, son expression et sa prise de risques. Sur les exposés calmes, quand il joue dans l’aigu, l’expressivité fait un peu défaut, mais revient très vite dès que l’on revient à un registre plus grave, où le musicien parvient à tutoyer le timbre troublant du bugle. En revanche sur les improvisations up tempo, il est totalement expressif jusque dans le plus aigu. Belle découverte en somme que ce jeune trompettiste qui s’est déjà fait entendre dans le métier, musique de variété comprise. Après un solo de synthétiseur un peu corny (vieux jeu façon seventies si l’on veut), le pianiste nous étonne, au piano Fender Rhodes, en se lançant avec hardiesse dans des phrases très variées, rythmiquement risquées, et qu’il parvient pourtant à maîtriser sur le fil. Les solos du guitariste nous paraissent plus convenus, même s’ils sont de bonne facture ; le musicien nous a semblé gêné par un problème d’ampli : il en avait changé durant la balance, et malgré ce choix ne paraissait par avoir trouvé le son qu’il désirait, ce qui peut l’avoir légèrement inhibé. Au total une belle découverte d’un groupe qui sera le 19 juillet à Paris rue des Lombards, au Baiser Salé ; on l’a aussi entendu récemment à Coutances, et il a manifestement de beaux jours devant lui.

 

JAMES CARTER ORGAN TRIO « Djando Unchained »

James Carter (saxophones ténor, alto & soprano), Gerard Gibbs (orgue), Alex White (batterie)

Couches, Zone de loisirs Henri Levitte, 7 juillet 2016, 21h30

 

J.Carter affute ses sax

Pendant la balance, et alors que les ingénieurs du son s’occupent de l’orgue et de la batterie, James Carter affûte ses sax

 

   James Carter revient à Django, dont il avait déjà abordé la musique voici plus de quinze ans pour le disque « Chasin’ the Gypsy ». Cette fois la relecture est sur le mode groovy, et même parfois churchy, avec orgue Hammond, transes et emportement extatiques. Ses partenaires entrent dans son jeu avec un évident plaisir : exposé sage ou intro exogène, et parfois carrément free, avant d’aborder le matériau thématique ; ascension vers l’incandescence avant un passage, en douceur ou de manière abrupte, à une autre soliste (l’organiste, le batteur) : le schéma se répète, et il a lassé deux jours plus tôt l’Ami Franck Bergerot (voir la chronique dans ces mêmes pages). Quant à moi, cet esprit joueur me ravit, et je marche : ce panorama des possibles du (des) saxophone(s) me réjouit. Envolée parkérienne à l’alto, growl texan, slap hyper précis pour « effet Spike Jones », ou soudain moelleux de ténor langoureux, tout me va. Quand, au début du concert, un Minor Swing très soulful se voit gratifier d’un chorus de soprano qui nous emmène vers les My Favorite Things de Coltrane, je biche. Quand l’alto entre en dialogue furieux avec la batterie, je kiffe. Quand Anouman glisse vers la frénésie hot, je craque ; et ainsi de suite. Serais-je bon public ? Je ne sais si j’ai cette réputation, mais en tout cas je ne boude pas mon plaisir. Et puis l’extraordinaire maîtrise instrumentale et musicale de James Carter, assumée jusqu’à l’autodérision, me ravit. Entendre Manoir de mes rêves , version « remix » selon l’aveu du saxophoniste, avec citations de On Green Dolphin Street et tendances soul jazz (renforcées par l’organiste qui s’ingénie à utiliser à ce moment-là les jeux les moins usités de son instrument), tout cela n’en finit pas de me séduire. Il faudra finalement attendre le rappel, après une ovation nourrie du public debout, et une version très paisible de Nuages, pour que la lassitude puisse être envisagée : mais le concert était fini, et les musiciens avaient avant cela donné tant d’énergique générosité que je ne puis leur en vouloir de cette relative tiédeur conclusive.

Xavier Prévost|   Le 7 juillet, après un repérage à la répétition de la création prévue pour le lendemain, et un saut place de la République pour le concert du B.u.l.o.o. (Big Band Unique Libre & Obstiné), orchestre amateur d’une belle ferveur, le chroniqueur rejoint la Zone de Loisirs où, sur le terrain de rugby et sous chapiteau, le festival accueille pour sa trentième édition une soirée « Tête d’affiche », avec le trio du saxophoniste James Carter, et en première partie le quintette du batteur Vincent Tortiller. Le festival-phare de la Côte Chalonnaise bat son plein !

J.Carter trio     James Carter Organ Trio sur la scène de Jazz à Couches

 

VINCENT TORTILLER QUINTET « Daïda »

Vincent Tortiller (batterie), Alexandre Herichon (trompette), Joran Cariou (piano électrique, synthétiseur), Eddy Leclerc (guitare), Richard Metairon (contrebasse)

Couches, Zone de loisirs Henri Levitte, 7 juillet 2016, 20h

V.Tortiller 5tet

La présence du jeune batteur est ici plus qu’un symbole : fils du vibraphoniste Franck Tortiller, initiateur du festival, et petit-fils du très regretté Maurice « Mimi » Tortiller, vigneron-musicien et longtemps âme musicale de cette commune bourguignonne, Vincent est un musicien formé dans les meilleurs conservatoires et écoles de jazz d’Ile de France. Il a rassemblé autour de lui des partenaires de sa génération, pour jouer un jazz d’aujourd’hui, qui se reconnaît volontiers dans la musique du trompettiste Christian Scott, auquel le groupe empruntera en fin de concerts deux compositions. Les autres thèmes sont signés par le batteur, le trompettiste, et plus récemment le pianiste. La dramaturgie musicale est soignée, enchaînant exposés sereins et mises sous tension rythmique progressive, transition abruptes et échappées mélancoliques. On peut dire que ça groove, car le batteur exploite les codes du genre avec une belle énergie, et l’efficacité qu’assure des éléments de langage bien repérés. La contrebasse participe de cette intensité, mais parfois les notes graves de l’instrument se confondent avec le son, très mat, de la grosse caisse, entraînant une petite perte de lisibilité (problème de sonorisation ? Ou peut-être de réglage d’un tambour à la peau trop relâchée?). Quoi qu’il en soit, la pulsation est porteuse, et le trompettiste nous éblouit par sa pertinence musicale, son expression et sa prise de risques. Sur les exposés calmes, quand il joue dans l’aigu, l’expressivité fait un peu défaut, mais revient très vite dès que l’on revient à un registre plus grave, où le musicien parvient à tutoyer le timbre troublant du bugle. En revanche sur les improvisations up tempo, il est totalement expressif jusque dans le plus aigu. Belle découverte en somme que ce jeune trompettiste qui s’est déjà fait entendre dans le métier, musique de variété comprise. Après un solo de synthétiseur un peu corny (vieux jeu façon seventies si l’on veut), le pianiste nous étonne, au piano Fender Rhodes, en se lançant avec hardiesse dans des phrases très variées, rythmiquement risquées, et qu’il parvient pourtant à maîtriser sur le fil. Les solos du guitariste nous paraissent plus convenus, même s’ils sont de bonne facture ; le musicien nous a semblé gêné par un problème d’ampli : il en avait changé durant la balance, et malgré ce choix ne paraissait par avoir trouvé le son qu’il désirait, ce qui peut l’avoir légèrement inhibé. Au total une belle découverte d’un groupe qui sera le 19 juillet à Paris rue des Lombards, au Baiser Salé ; on l’a aussi entendu récemment à Coutances, et il a manifestement de beaux jours devant lui.

 

JAMES CARTER ORGAN TRIO « Djando Unchained »

James Carter (saxophones ténor, alto & soprano), Gerard Gibbs (orgue), Alex White (batterie)

Couches, Zone de loisirs Henri Levitte, 7 juillet 2016, 21h30

 

J.Carter affute ses sax

Pendant la balance, et alors que les ingénieurs du son s’occupent de l’orgue et de la batterie, James Carter affûte ses sax

 

   James Carter revient à Django, dont il avait déjà abordé la musique voici plus de quinze ans pour le disque « Chasin’ the Gypsy ». Cette fois la relecture est sur le mode groovy, et même parfois churchy, avec orgue Hammond, transes et emportement extatiques. Ses partenaires entrent dans son jeu avec un évident plaisir : exposé sage ou intro exogène, et parfois carrément free, avant d’aborder le matériau thématique ; ascension vers l’incandescence avant un passage, en douceur ou de manière abrupte, à une autre soliste (l’organiste, le batteur) : le schéma se répète, et il a lassé deux jours plus tôt l’Ami Franck Bergerot (voir la chronique dans ces mêmes pages). Quant à moi, cet esprit joueur me ravit, et je marche : ce panorama des possibles du (des) saxophone(s) me réjouit. Envolée parkérienne à l’alto, growl texan, slap hyper précis pour « effet Spike Jones », ou soudain moelleux de ténor langoureux, tout me va. Quand, au début du concert, un Minor Swing très soulful se voit gratifier d’un chorus de soprano qui nous emmène vers les My Favorite Things de Coltrane, je biche. Quand l’alto entre en dialogue furieux avec la batterie, je kiffe. Quand Anouman glisse vers la frénésie hot, je craque ; et ainsi de suite. Serais-je bon public ? Je ne sais si j’ai cette réputation, mais en tout cas je ne boude pas mon plaisir. Et puis l’extraordinaire maîtrise instrumentale et musicale de James Carter, assumée jusqu’à l’autodérision, me ravit. Entendre Manoir de mes rêves , version « remix » selon l’aveu du saxophoniste, avec citations de On Green Dolphin Street et tendances soul jazz (renforcées par l’organiste qui s’ingénie à utiliser à ce moment-là les jeux les moins usités de son instrument), tout cela n’en finit pas de me séduire. Il faudra finalement attendre le rappel, après une ovation nourrie du public debout, et une version très paisible de Nuages, pour que la lassitude puisse être envisagée : mais le concert était fini, et les musiciens avaient avant cela donné tant d’énergique générosité que je ne puis leur en vouloir de cette relative tiédeur conclusive.

Xavier Prévost|   Le 7 juillet, après un repérage à la répétition de la création prévue pour le lendemain, et un saut place de la République pour le concert du B.u.l.o.o. (Big Band Unique Libre & Obstiné), orchestre amateur d’une belle ferveur, le chroniqueur rejoint la Zone de Loisirs où, sur le terrain de rugby et sous chapiteau, le festival accueille pour sa trentième édition une soirée « Tête d’affiche », avec le trio du saxophoniste James Carter, et en première partie le quintette du batteur Vincent Tortiller. Le festival-phare de la Côte Chalonnaise bat son plein !

J.Carter trio     James Carter Organ Trio sur la scène de Jazz à Couches

 

VINCENT TORTILLER QUINTET « Daïda »

Vincent Tortiller (batterie), Alexandre Herichon (trompette), Joran Cariou (piano électrique, synthétiseur), Eddy Leclerc (guitare), Richard Metairon (contrebasse)

Couches, Zone de loisirs Henri Levitte, 7 juillet 2016, 20h

V.Tortiller 5tet

La présence du jeune batteur est ici plus qu’un symbole : fils du vibraphoniste Franck Tortiller, initiateur du festival, et petit-fils du très regretté Maurice « Mimi » Tortiller, vigneron-musicien et longtemps âme musicale de cette commune bourguignonne, Vincent est un musicien formé dans les meilleurs conservatoires et écoles de jazz d’Ile de France. Il a rassemblé autour de lui des partenaires de sa génération, pour jouer un jazz d’aujourd’hui, qui se reconnaît volontiers dans la musique du trompettiste Christian Scott, auquel le groupe empruntera en fin de concerts deux compositions. Les autres thèmes sont signés par le batteur, le trompettiste, et plus récemment le pianiste. La dramaturgie musicale est soignée, enchaînant exposés sereins et mises sous tension rythmique progressive, transition abruptes et échappées mélancoliques. On peut dire que ça groove, car le batteur exploite les codes du genre avec une belle énergie, et l’efficacité qu’assure des éléments de langage bien repérés. La contrebasse participe de cette intensité, mais parfois les notes graves de l’instrument se confondent avec le son, très mat, de la grosse caisse, entraînant une petite perte de lisibilité (problème de sonorisation ? Ou peut-être de réglage d’un tambour à la peau trop relâchée?). Quoi qu’il en soit, la pulsation est porteuse, et le trompettiste nous éblouit par sa pertinence musicale, son expression et sa prise de risques. Sur les exposés calmes, quand il joue dans l’aigu, l’expressivité fait un peu défaut, mais revient très vite dès que l’on revient à un registre plus grave, où le musicien parvient à tutoyer le timbre troublant du bugle. En revanche sur les improvisations up tempo, il est totalement expressif jusque dans le plus aigu. Belle découverte en somme que ce jeune trompettiste qui s’est déjà fait entendre dans le métier, musique de variété comprise. Après un solo de synthétiseur un peu corny (vieux jeu façon seventies si l’on veut), le pianiste nous étonne, au piano Fender Rhodes, en se lançant avec hardiesse dans des phrases très variées, rythmiquement risquées, et qu’il parvient pourtant à maîtriser sur le fil. Les solos du guitariste nous paraissent plus convenus, même s’ils sont de bonne facture ; le musicien nous a semblé gêné par un problème d’ampli : il en avait changé durant la balance, et malgré ce choix ne paraissait par avoir trouvé le son qu’il désirait, ce qui peut l’avoir légèrement inhibé. Au total une belle découverte d’un groupe qui sera le 19 juillet à Paris rue des Lombards, au Baiser Salé ; on l’a aussi entendu récemment à Coutances, et il a manifestement de beaux jours devant lui.

 

JAMES CARTER ORGAN TRIO « Djando Unchained »

James Carter (saxophones ténor, alto & soprano), Gerard Gibbs (orgue), Alex White (batterie)

Couches, Zone de loisirs Henri Levitte, 7 juillet 2016, 21h30

 

J.Carter affute ses sax

Pendant la balance, et alors que les ingénieurs du son s’occupent de l’orgue et de la batterie, James Carter affûte ses sax

 

   James Carter revient à Django, dont il avait déjà abordé la musique voici plus de quinze ans pour le disque « Chasin’ the Gypsy ». Cette fois la relecture est sur le mode groovy, et même parfois churchy, avec orgue Hammond, transes et emportement extatiques. Ses partenaires entrent dans son jeu avec un évident plaisir : exposé sage ou intro exogène, et parfois carrément free, avant d’aborder le matériau thématique ; ascension vers l’incandescence avant un passage, en douceur ou de manière abrupte, à une autre soliste (l’organiste, le batteur) : le schéma se répète, et il a lassé deux jours plus tôt l’Ami Franck Bergerot (voir la chronique dans ces mêmes pages). Quant à moi, cet esprit joueur me ravit, et je marche : ce panorama des possibles du (des) saxophone(s) me réjouit. Envolée parkérienne à l’alto, growl texan, slap hyper précis pour « effet Spike Jones », ou soudain moelleux de ténor langoureux, tout me va. Quand, au début du concert, un Minor Swing très soulful se voit gratifier d’un chorus de soprano qui nous emmène vers les My Favorite Things de Coltrane, je biche. Quand l’alto entre en dialogue furieux avec la batterie, je kiffe. Quand Anouman glisse vers la frénésie hot, je craque ; et ainsi de suite. Serais-je bon public ? Je ne sais si j’ai cette réputation, mais en tout cas je ne boude pas mon plaisir. Et puis l’extraordinaire maîtrise instrumentale et musicale de James Carter, assumée jusqu’à l’autodérision, me ravit. Entendre Manoir de mes rêves , version « remix » selon l’aveu du saxophoniste, avec citations de On Green Dolphin Street et tendances soul jazz (renforcées par l’organiste qui s’ingénie à utiliser à ce moment-là les jeux les moins usités de son instrument), tout cela n’en finit pas de me séduire. Il faudra finalement attendre le rappel, après une ovation nourrie du public debout, et une version très paisible de Nuages, pour que la lassitude puisse être envisagée : mais le concert était fini, et les musiciens avaient avant cela donné tant d’énergique générosité que je ne puis leur en vouloir de cette relative tiédeur conclusive.

Xavier Prévost