Jazz live
Publié le 16 Juil 2019

Jazz à Sète: le groove toujours recommencé…

Jazz à Sète, 24e édition. Un décor unique, public face à la grande bleue. Une programmation diversifiée qui ouvre à la découverte. Une ambiance interne apte à caresser le musicien dans un sens au poil. Un père aidée d’une fille en cheville ouvrière d’un festival qui a trouvé son public. Cette année pour débuter Louis Martinez a rappelé quel guitariste il était.

Quand le ciel sétois se moutonne de blanc en cette soirée au Théâtre de la Mer. Quand les goélands plongent du haut des gradins vers la scène striées de lumières encore päles entre chien et loup. Quand les ailes blanches des oiseaux marins croisent soudain sans savoir le pourquoi du comment un drône, ses deux loupiotes rouges encadrant le drôle d’oeil noir de sa caméra. Quand des voiliers se donnent rendez vous à l’à pic de la scène on sent bien qu’il va se passer quelque chose à Jazz à Sète.

Louis Martinez (g), Agnés Som, Elvira Skovsang (voc), Gérard Poncin (p, cla), Philippe Panel (b), Thomas Domene (dm) + invités: Stéphane Belmondo (tp, bug), Mino Cinelu (perc)

Biréli Lagrène (g), Chris Minh Doky (b), Mino Cinelu (dm, percu)

Jazz à Sète, Théâtre de la Mer, Sète (34200), 12 juillet

 

Agnès Som

 

Une musique écrite pour deux voix. Un jazz de facture legère donc prolongé à deux voix qui portent, alternativement ou combinées, c’est selon. Agnès Som la brune privilégie un rendu soft (Whenever) une certaine douceur, tandis qu’Elvira Skovsang la blonde la fait claquer ( Mauve) dans la brise qui fait, au couchant sur la mer, accélérer les mouettes dans un drôle de flux de lumière traversant le Théâtre à ciel ouvert. Lorsqu’on demande à Louis Martinez si le fait de jouer à domicile représente une forme de pression il répond par la négative « Non, au contraire. Présenter ma musique dans un tel cadre, ce n’est que du bonheur. D’autant que dans mon festival ce n’est pas si fréquent » Les compositions signées du directeur du festival illustrent un nouvel album (Influences / ASC Productions) Une musique basée sur des structures très lisibles aptes à flatter la mélodie dans toutes ses strates exprimées (vocal, trompette, piano) Sur ce concert -dans l’album pour quatre titres- l’apport de Stéphane Belmondo renforce ce trait dominant.

 

Stéphane Belmondo

Comme un prolongement du chant. Avec des couleurs sonores différenciées selon le motif. Mino Cinelu et son tambour aux couleurs arc en ciel, invité surprise, rejoint le sextet au  milieu du set. L’orchestre sonne d’autant mieux sur des rythmes soutenus. Chaloupés. Blue Land composition du pianiste Gerard Poncin lance Stéphane Belmondo sur une séquence de bugle en toute en attaque, donnant du relief à l’ensemble. Aretha, en hommage à qui l’on sait, place les deux chanteuses en duo, chant-réponses avec contrechant de Belmondo, toujours, mais colorés soul à la trompette cette fois. En chaque occasion la guitare de Louis Martinez reste dans des interventions solos tendues mais brèves, histoire sans doute de garder un effet de groupe « J’ai conçu le répertoire dans ce but, écriture musicale vouée à une expression collective »

 

Stéphane Belmondo, Louis Martinez,

Une présence qui correspond à une attente du public se manifeste en chaque occasion que Biréli (l fait partie de ces musiciens que l’on ne nome plus que par son prénom) monte sur les planches. À fortiori lorsque suite à un album il figure ici notament aux côtés de Mino Cinelu. Lui, question présence, on peut lui faire confiance, il se pose un peu là au beau milieu de deux sets de percussion. Entre batterie classique et étincelants objets de métal. Mino (lui aussi depuis Miles, Weather Report ou Marcus Miller en passant par Kenny Barron cumule essence et existence jazz déjà dans son seul prénom) (se) jouant de ces mobiles figure un Tinguely sorcier sonore des percus.

 

Mino Cinelu et ses mobiles

La formule du trio, triangulation ici on ne peut plus souple, permet au guitariste d’occuper un maximum d’espace. Avec deux trois ou mille notes au besoin. Plus l’exposition d’une myriade d’accords enchaînés, héritage ou trace de sa formation, sa culture jazz manouche (la fameuse pompe rythmique) Dans un tel contexte, un tel exercice de la liberté de faire, Chris Minh Doky représente un comparse idoine avec de la volubilité, le sens de la mise en place voire des répliques inspirées en matière d’improvisation. Charge à Mino Cinelu, son inspiration, ses idées, ses trucs, toujours en self contrôle d’aller et venir à sa guise dans le paysage musical créé. Des standards revisités globalement avec brio. Quelques moment étonnants pour ne pas dire déroutants pendant lesquels Biréli, toujours sans mot dire, comme un peu échappé du jeu collectif, évolue un peu seul, dans son monde, « perché » dirait-on aujourd’hui – sous le regard fixe  mi-interrogatif mi-amusé de Chris Minh Doky à l’arrêt, enlaçant sa contrebasse.

Du Bireli dans le texte

 

Biréli

 

Christian Mc Bride (b. elb), Patricia Rushen (p, cla), Alyson Williams (voc), Ron Blake (ts), DJ Logic, Jah Sundance Lake (plat)

Fred Pallem & Le Sacre du Tympan : Fred Pallem (elb), Guillaume Magne (elg), Frédéric Escoffier (elp, cla), Jérémie Piazza (dm), Sylvain Bardiau, Fabrice Martinez (tp), Mathias Malher (tb), Lisa Spada, Dom Farkas (voc)

Jazz à Sète, Théâtre de la Mer, Sète (34200), 13 juillet

 

Christian Mc Bride

 

Les deux DJ se mettent en place. Tout de suite aux platines ils lancent le rythme binaire, appuyé, lourd, lancinant. Avec en base un tel marqueur de tempo, nul besoin de batterie. Les trois autres musiciens rentrent en scène un(e) par un (e). Et lorsqu’au final de ce show initial réglé á l’avance le leader, bassiste, apporte sa pierre de touche le beat typiquement funky a pris ses aises. Son rythme de croisière. N’était là guitare de Wa Wa Watson on peut avoir en tête le souvenir des syncopes obsédantes des Head Hunters d’Herbie Hancok. Tout y concourt: slap de basse, riffs accrocheurs, découpe en scat de la voix, plus Patricia Rushen, dans le rōle de deus ex machina au féminin pour célébrer ce drôle de mouvement perpétuel d’un rythme qui, toujours, va de l’avant, comme tiré par le discours du sax ténor. Spirit of joy, musique et texte positifs annoncés tel quel par le bassiste:  la pianiste  débusque alors un des ces chorus très ferme, tendu.

 

Allison Williams

In a sentimental modo introduit la voix d’Allyson Williams, épisode court de feeling courant à fleur de peau. Décolle ainsi le souffle du ténor, traits marqués de tellement d’émotion qu’ils tirent un sourire à Mc Bride, lequel passe sans heurt mais avec un maximum d’effet de la basse électrique à la contrebasse. Le Make  it funky mythique de James Brown met définitivement le feu aux poudres. Ça descend des gradins pour danser au pied de la scène. Les deux DJ seuls sur scène en introduction du thème montent le volume de leurs platines et appareillage électronique mutés en chaudière nucléaire. Lorsque la bande les rejoint dans un volume désormais poussé á fond, limite assourdissant, on touche alors à du James Brown version pimentée plus hot encore. On se plaît à oser imaginer dans ce décor de rêve, horizon d’eau calme au dessous du célèbre Cimetière Marin de la ville, l’équipage des voiliers blancs illuminés ancrés à la verticale de la scène, danser soudain sous l’avalanche de notes en coup de canon. Et voir Paul Valéry réveillé par l’écho amplifié la nuit dans sa ville noter à la main sur un de ses carnets “Le groove, le groove toujours recommencé…”

 

Jah Sundance Lake, DJ Logic, platines en feu continu

Il nous revient aussi cett phrase de Louis Martínez justifiant sa programmation “ À Sète nous voulons faire découvrir des musiques qui peuvent rassembler le public, l’étonner également” Cette version des talents de Christian Mc Bride, loin des climats hier de Joshua Redman ou même Pat Metheny, mais puisant directement à la source action directe soul de la Great Black Music représente une saisissante illustration de l’option choisie.

 

Fred Pallem

 

Il n’est pas si facile de passer sur scène après pareille tornade noire. La big bande du Sacre du Tympan a pourtant du, su, relever le défi. Et paradoxalement en empruntant le même sentier de la guerre pure soul music. Génératrice de mêmes vibrations. Dans une orchestration pourtant plus sophistiquée, un spectre musical très élaborée, moins coup de poing à l’estomac et plus bas si affinités. La base rythmique, toujours essentielle, s’affiche majoritairement binaire dans l’impulsion, comme tournée vers l’espace piste de danse. Univers sonore black music peuplé de syncopes et breaks caractéristique de cette époque seventies. Isaac Hayes, Curtis Mayfield, James Brown encore ou même Quincy Jones se retrouvent convoqués dans des airs, des chansons revisités à cet effet. En mode big band tonitruant, très haut volume sonore là encore sous la houlette d’un leader arrangeur dirigeant la machine de la basse et du geste dans un look d’epoque mais plutôt lunette noire façon Blues Brothers. La musique procède d’effets de masses distillées, sur l’ensemble de l’orchestre ou en cellules, pôle rythmique et section de cuivres. Efficacité garantie. L’ecriture de Fred Pallem coule très précise, très cadrée dans l’execution.

 

 

Lisa Spada , Dom Farkas, à deux voix

Les deux voix, Dom Farkas puis Lisa Spada, donnent un grain supplémentaire, une marque de rondeur également. Ainsi Do your thing (Isaac Hayes) puis Home is where the hatred is (Gil Scott Heron) aussitôt enchaîné donnent ainsi le ton d’une soul lente, relâchée, feeling épais sous les riffs de cuivre très sentis (Fabrice Martínez, contrechants experts au bugle en particulier) 

Le Théâtre de la Mer, à minuit passé, de ces moments d’appaiselents, en avait bien besoin.  

D’ailleurs les voiliers blancs étaient déjà partis mouiller en d’autres lieux.

 

 

Voiliers blancs dans la grande bleue

 

Robert Latxague