Jazz live
Publié le 17 Juin 2019

Jazz en VF, acte III: toutes les bonnes choses ont une fin

Dernière ligne droite du marathon Jazz en VF. Trois concerts pour l'impossible conclusion de ce week-end qui aura tenu toutes ses promesses.

Tout le monde dehors, et direction l’auditorium de la Cité de la Musique pour la deuxième série (si vous avez suivi) de trois concerts qui clôtureront ce week-end Jazz en VF. C’est moins grand que la Grande Salle Pierre Boulez d’hier soir, mais on ne peut s’empêcher de se dire que c’est quand même un gros morceau, ce à quoi une voix nous répond : « c’est pour mieux accueillir le plateau gargantuesque d’Eve Risser et son groupe White Desert, mon enfant. »

 

La scène semble faire des kilomètres de profondeur et s’étaler sur 3 étages : piano à queue, flûte, basson, trompette, trombone, saxophones alto ténor et basse, clarinette basse, guitare, basse, batterie et percussions ! De cet ensemble immense s’élève un nuage de sons bruissants qui évoluera bientôt en une longue suite poétique et presque ravélienne, construite avec mille précautions jusqu’à prendre une ampleur cinématographique. Le second morceau est une furieuse fuite en avant musicale aux allures Zorniennes, qui a pour elle la folie d’un orchestre à la fois débridé et déstructuré et parfaitement huilé. Le plus fou dans tout cela étant la variété des modes de jeux et des sonorités qu’Eve Risser et ses musiciens arrivent à produire ; mention spéciale à Julien Desprez, qui a exposé en une intro plus de façons de faire sonner une guitare que la plupart des gens ne peuvent sans doute l’imaginer. D’une main de fer dans un gant de velours, la batteuse Yuko Oshima, avec l’aide de Fanny Lasfargues à la basse, tient tout cela en swinguant comme c’est pas permis.

Tout ce monde échafaude des grattes-ciel musicaux et joue à les faire vaciller, mais rien n’arrête leur ascension vers les nuages. Avant qu’on ai eu le temps de dire ouf, ces 45 minutes de set sont terminées

La scène semble  presque rétrécir lorsque le quartette d’Airelle Besson monte sur scène : c’est son (très) grand retour, un an jour pour jour après son dernier concert. Son jeu de trompette n’a visiblement rien perdu de sa superbe, et elle tisse un doux dialogue avec Isabelle Sorling, tandis que Benjamin Moussay et Fabrice Moreau, chacun à leur façon, leur dessinent l’arrière plan d’un paysage spacieux et mystérieux.
Mais plus tard l’ensemble s’intensifie et se fait plus rythmé. Riffs, breaks, solo, applaudissements ! encouragés par Airelle Besson d’un geste de la main. La voix d’Isabelle Sorling, à travers ses pédales d’effets, se fait instrument et rivalise avec la trompette, quand elle ne survole la musique pour mieux s’y poser le temps de quelques paroles avant de reprendre son envol. Le temps d’un unisson avec le fendre Rhodes de Moussay ou la voix d’Isabelle Sorling, la trompettiste semble quant à elle prolonger le travail sur les timbres proposé par Ève Risser juste avant.

Dernier concert, et la barre a déjà été placée très haut. Mais Thomas de Pourquery arrive sur scène comme à la maison : blazer en haut, sarouel en bas, énergie en barres dedans.

A peine le concert commencé, Edward Perraud est tout simplement déchaîné. Même lors des passages plus calmes, difficile de ne pas voir en lui un savant fou en pleine recherche et dont la présence scénique, du fond de la salle, rivalise avec celle de Thomas de Pourquery, qui n’est pourtant pas le plus facile à qui se frotter sur ce terrain-là. Devant, il faut voir et entendre les soufflants, Fabrice Martinez et Laurent Bardainne, pour se rendre compte de ce qu’il se produit sous nos yeux, tandis que tout le groupe semble entrer en fusion.

Mais Thomas de Pourquery c’est aussi une voix dont, comme on vous le rapportait dans un précédent compte rendu, il sait se servir en chanson comme pour susurrer des mots doux au public entre les morceaux. La gestuelle grandiose du refrain de Sons of Love, scandé par les trois frontmen fait sourire l’assistance. Mais rira bien qui rira le dernier, car bientôt c’est à notre tour de participer sur le refrain du prochain morceau, Simple Forces. La première tentative du public, molle comme le nougat vendu au pied du parc de la Villette, ne convainc pas nos musiciens. C’est que le public n’a plus un gramme de sucre dans le sang avec ces concerts qui s’enchaînent et ne laissent pas le temps de manger ! Coup de gueule, on s’y reprend et cette fois, ça y est, le morceau peut commencer. Et la boucle est bouclée : la scène semble une dernière fois changer de taille alors qu’elle s’étend à toute la salle.

Ce n’est qu’au sortir de la salle qu’on se rendra compte que ça y est, c’en est terminé de ce week-end Jazz en VF. Déjà. « Y a-t-il un jazz français » ? Il y a en tous cas du jazz en France, et il s’est hissé sans mal aussi haut que les noms les plus prestigieux qui ont fait l’honneur de leur venue à la Philharmonie-Cité de la Musique jusqu’ici. On remet ça l’année prochaine ? •Yazid Kouloughli