Jazz live
Publié le 11 Oct 2021

Jazz & Garonne: la voix de Célia Kameni en mode festival

Écho d’une conversation à la table d’un restaurant de Marmande un jour de festival, à l’heure du déjeuner. Extrait d’échanges de point de vue entre un musicien devenu directeur artistique de Jazz et Garonne et deux acteurs, mari et femme, d’une association qui œuvre pour la reconnaissance définitive du jazz dans le patrimoine culturel vivant de la région Nouvelle Aquitaine, cette hydre géographique désormais la plus étendue du territoire national. Se posent alors deux questions majeures sous l’aiguillon d’un crû de Côte de Duras naturellement ensoleillé « Comment élargir le public du jazz en restant fidèle à l’esprit d’ouverture et la qualité intrinsèque de cette musique ? » se demandent Alain et Irène Piarou mentors d’Action Jazz. « Ne faut-il pas maintenant, pour nous musiciens, aller chercher des jeunes dans les lieux où ils se trouvent en formation, jouer là aussi hors des salles traditionnelles et pourquoi pas leur offrir des places gratuites dans nos concerts en formule d’appel » s’interroge Éric Seva, saxophoniste établi à Marmande et fondateur-directeur du festival Jazz et Garonne.

 Un concert parfois se joue sur un rien « Sans batteur à quelques jours du festival je me suis demandé s’il fallait jouer. Et puis au dernier moment on a déniche ce phénomène belge sur les conseils de Benoit. Ce jeune de 22 ans a digéré le répertoire en quelques jours et remplacé notre batteur au pied levé sans répétition aucune … » Daniel Zimmerman éternel pince sans rire dans les présentations de ses morceaux se confie sans plus de gène au public en début de concert. Quelques minutes plus tôt on l’avait aperçu pourtant, trombone tournoyant en mains,  chercher désespérément partout son bouchon d’oreille égaré en coulisse « Un petit truc de mousse plastique insignifiant peut-être pour tout un chacun. Mais sans lequel je m’imagine mal jouer juste sur scène pour atténuer le surplus de sonorisation .

Festival Jazz et Garonne, Théâtre Comédia, Marmande (47200),  8 octobre

 

 

Daniel Zimmerman (tb), Benoit Delbecque (p, cla), Rémy Sciuto (B’s), Samuel Ber (dm)

 

Damiel’Zimmerman

 

Il questionne l’audience à propos du rapport du GIEC. Mais Daniel Zimmerman lui l’affirme sans ambage d’un ton d’apparence décalé en mots simples et plutôt directs:  il ne croit plus aux promesses du « monde d’après » D’où le thème animalier affublé à ses dernières compositions, titres choisis et esprit insufflé à sa musique. Ainsi retentit La parade nuptiale du crapaud buffle avec un petit air d’orchestre de rue cuivré d’une parade de  La Nouvelle Orleans. Question démarche musicale justement choisir ses instruments pour qualifier son orchestre c’est d’ores et déjà définir un son. A cet effet le tromboniste a-t-il penché pour le grave des mouvements de houle d’un sax basse.

 

Rémy Sciuto, sax basse

Sur son instrument éléphantesque Rémy Sciuto imprime  des lignes de basses enveloppées dans des linges de souffles souples. Caractéristique également le rendu du  piano au travers des filtres de Benoit Delbecque et sa manière d’en « préparer les cordes » avec papier, bouts de bois histoire (singulière, personnelle) d’apprivoiser les dissonances. Et de dompter l’électronique  froide de ses claviers « midi » pour un drôle de  chorus en sifflement de locomotive à jet continu. Il ne reste plus au  leader tromboniste qu’à varier ses attaques d!embouchure. Et au groupe de moduler en conclusion un Volatile en decrescendo savant jusqu’à un séduisant quasi silence. Zimmerman a gagné son pari d’un jazz du monde…d’aujourd’hui.

 

Benoit Delbecque, piano preparé

 

Franck Tortiller (vib), Maxime Bertin (ts), Olga Ameltchenko (as), Joël Chausse (tp), Rachel Gabrielle (tb), Mathieu Vial Collet (g), Jérôme Arrighi (elb), Vincent Tortiller (dm) + invité : Eric Seva (ts, ss)

 

Franck Tortiller

« Je me suis aperçu récemment qu’aucun de mes musiciens n’étaient nés à l’époque où ces morceaux de Led Zeppelin ont été créés » Franck Tortiller avait déjà consacré un gros travail de réécriture à base du répertoire du légendaire groupe de hard rock lors de sa nomination à la tête de l’ONJ au milieu de la première décennie des années 2000. Avec son nouveau groupe de jeunes musiciens il revient sur les lieux de son crime jazzistique.  Et sacralise à nouveau la trace de Led Zep en gardant une trame de base, un sceau : l’énergie, les breaks à tout va, la musique mise au carré. Pourtant au bout d’arrangements (bien) pensés, denses sur le coeur même des thèmes (séquence rythmique expurgée à base d’un riff de la guitare de Jimy Page par exemple) le contenu musical  sonne aux accents du jazz, en quête d’originalité via un nouvel effort d’écriture appropriée. Sur All my love composé par Robert Plant, le chanteur, pour son fils on perçoit dès lors un délice de notes claires, métalliques,  jaillies  du vibra sur lesquelles viennent se greffer quelques guirlandes d’une trompette en mode mariachi : résultat un slow éminemment baroque! « Pour moi Led Zeo est un groupe de R&B » résume Tortiller.  Sur son travail le plus récent le vibraphoniste joue donc à fond sur les césures, les ruptures, les enchaînements ex abrupto dans les interventions de la section de cuivres, les relances de la rythmique. De quoi assimiler cette démarche à un réel effort de re-création.

 

Cuivres pour Led Zep

 

 

Célia Kameni (vic), Alfio Origlio (p, cla ), Michel Molines (b), Zaza Desiderio (dm)

Théâtre Comédia, 9 octobre

 

Célia Kaméni

 Elle manifeste toutes les antiennes d’un art vocal classique au bon sens du terme, celui d’une chanteuse de jazz que l’on découvre en live: poser les mots, qualifier les phrases, savoir les colorer à bon escient, les personnaliser dès lors que l’on aborde un standard. Ainsi Célia Kameni démontrer-elle sa capacité à s’approprier  Norvégian Wood, chanson iconique made in Beatles, en s’appuyant notamment sur un travail de percussions très subtil de Zaza Desiderio. La chanteuse formée au Conservatoire de Lyon agit sur le grain de sa voix, les écarts de tessiture entre grave et aigu, les mutations nécessaires dans le volume des flux histoire de varier les climats. Ce qui ne l’empêche nullement de prendre des risques sur la transformation radicale d’une mélodie archi reconnue telle  une version de Caravan d’Ellington/Juan Tisol. Elle y griffe des intonations, des accents portant au delà du scat habituel. Sans doute bénéficie-t-elle à cet égard du beau boulot pianistique d’Alfio Origlio.

 

Alfio Origlio

 

Le pianiste de Grenoble, dépasse la seule notion d’accompagnement d’une chanteuse. Il  appose sa pierre en savants décalages d’accords, en recherche de fils rouges harmoniques inédits. Action dynamique d’allumeur de feux qui, au total, fait décoller le trio. Dès lors la voix, ses colorations multiples, sa présence vient en démarque personnelle pour No love dying de Gregory Porter finement exploré aussi bien que pour une visite inédite de ce Blues indolent de Jeanne Moreau, voire dans une version très soul du Purple Haze de Jimy Hendrix. Aussi lorsqu’en aparté au sortir du concert Célia Kaméni avouait in fine une certaine fatigue de sa voix suite à deux sets très intenses la veille au Sunside plus un bœuf inopiné dans un autre club parisien, on n’était pas obligé de la croire sur parole…

 

Juan Carmona (g) El Bochi (elb), Isidro Suarez (perc), Domingo Patricio (fl, cla)

 

Juan Carmona, Isidoro Suarez

Il est assis seul, guitare à la main, un peu perdu au beau milieu de la scène sous des éclairages tamisés. Et déclare d’une voix neutre, sans micro en guise d’avant propos musical « Pour ce récital je m’inspire d’un disque enregistré en Chine l’an passé Perla del oriente »  Juan Carmona ouvre un livre de guitare flamenca dans ses palos, ses gammes les plus classiques, doté de beaucoup d’ornementation sur mille notes accrochées aux vibrations des cordes nylon. Fin du premier acte. Et puis vient l’heure de l’apport de percussions, basse, synthé et même flûte sans pour autant basculer dans une transgression notable. Juste un supplément de couleurs vives dans les canons du flamenco (bulerías, tango, seguiryia etc..) Enfin intervient la silhouette noire, tournoyante, jaillit la danse, volent les pas sous les talons surélevés du bailador de Cordoue, art offert de la gestuelle piquée d’une élégance masculine sublimée. Et par ce corps mis en mouvement sous le souffle de la musique gitane on dirait soudain la cette litanie des temps comptés, de la métrique par la tradition obligée soudain suspendue. Simplement au bout du bout de l’action des musiciens tournant autour de la guitare, il manque en cette nuit automnale « la chispa » l’étincelle qui normalement, miracle flamenco,  met le feu à l’ouïe. À l’âme.

 

Airelle Besson (to), Lionel Suarez (acc)

Église, Fourques sur Garonne (47200) ,10 octobre

 

Lionel Suarez, lumières sacrées…

Ils jouent en acoustique pure sous la voûte de la coquette église plantée en bord du canal. Un tél décor, un pareil contexte sonore ça vous change la texture de la musique. Sans sono, en réverbération naturelle une trompette sonne différemment. L’accordéon en notes démultipliées   occupe lui l’espace de pierres  d’une plénitude spécifique.  Hallelujah ! pour  le jazz ainsi célébré par le duo. Faut-il vraiment ajouter que dans l’échange, l’écoute partagée, les regards aussi, percent une complicité, une entente mutuelle certaines. D’un vrai dialogue par souffles interposés, partagés, il s’agit bel et bien. D’une conversation dans laquelle les notes ont valeur de mots tellement on sent en arrière plan des histoires contées par la musique.  Histoires simples, immédiatement accessibles pour une musique servie sur place…en présenciel. Sans histoires. Au naturel du tango, du swing, d’un brin de musette qui sait. De plaisir pour sûr. Au final, deux bis réclamés plus tard jazz ou pas la messe est dite pour le festival lot e garonnais. Lionel Suarez et Airelle Besson quittent la nef en célébrants ravis.

 

Airelle Besson, sacraliser un duo…

 

Robert Latxague