Jazz live
Publié le 4 Fév 2023

Le quartet bien ajusté d’ Arnaud Dolmen

Artiste en résidence actuellement à la Dynamo de Pantin (93), le batteur Arnaud Dolmen est en tournée avec son quartet, au Petit Duc à Aix ce vendredi 3 février et à Vitrolles (Charlie Jazz) le lendemain. Nous profitons de l’aubaine pour découvrir ce musicien en live...

Adjusting   ARNAUD DOLMEN QUARTET

Arnaud Dolmen (batterie), Léonardo Montana (piano), Samuel F’hima ( contrebasse), Francesco Geminiani (saxophone ténor)

Artiste  en résidence actuellement à la Dynamo de Pantin (93), le batteur  Arnaud Dolmen, en tournée avec son quartet, est à Aix ce vendredi 3 février et à Vitrolles (Charlie Jazz) le lendemain. Nous profitons de l’aubaine pour le découvrir en quartet, après le CD où il évoluait dans une orchestration plus étoffée. Une autre écoute…

Si Arnaud Dolmen s’est illustré comme un sideman essentiel, dès 2017, il s’affirme avec un premier CD en leader Tonbé Lévé dont on entendra un thème  fort bien choisi “Expérience one” qui résume les sentiments du batteur devenu compositeur.

Ce soir, le Petit Duc accueille en formation resserrée le programme du second CD Adjusting, sorti au début de 2022 sur le label Gaya Music, dont l’idée lui vint aors qu’il était en résidence à l’excellent club du Comptoir à Fontenay-sous-bois (94) . Cet album valut au Saintannais d’origine d’être nommé Révélation de l’année aux Victoires du Jazz 2022, considéré comme l’un des 3 meilleurs batteurs de jazz en France par Jazzmagazine .

C’est toujours une grande surprise pour qui n’est pas vraiment au fait des musiques caribéennes que la découverte d’une matière  aussi mouvante, éruptive. Je me souviens cependant du concert le plus déroutant et spontané des soirées de Jazzèbre 2019, le Reflets denses de Sonny Troupé, “un reflet si dense qu’il en devient une autre réalité”.

Arnaud Dolmen a la même ambition que son ami -dont le père lui a appris les fondements du gwo ka, celle de rafraîchir la musique de son île, la Guadeloupe, en mettant en valeur les vibrations du cru, les rythmes et rituels africains. Il dispose pour ce faire d’un groupe solide qui éprouve un évident plaisir à être sur scène, tourne à plein régime et donne généreusement une musique libre, en expansion, axée sur le chant, la danse. Ces quatre musiciens jouent ensemble et ce n’est pas une formule. Arnaud Dolmen essaie de (se) surprendre, de trouver une nouvelle voie pour approfondir ses recherches sur un traditionnalisme progressif, sans frontières, à la suite de Gérard Lockel qui a collecté des thèmes propres, comme Alan Lomax pour le blues, ou Bartok pour les folklores. Le quartet attaque d’ailleurs le set par un hommage à cette musique gwoka avec “Graj ou Toumblak”, deux rythmes spécifiques, juxtaposés à deux et quatre temps. Ce qui est tout de suite remarquable dans le jeu du batteur, c’est ce mélange détonant de puissance et de douceur et il n’aura pas besoin ce soir d’ardentes frappes sur tambour ka, toujours spectaculaire. Justement Arnaud Dolmen est à mille lieues de l’esbroufe : si le gwo ka est une musique, le blues des Antillais, le Ka n’est qu’un instrument! Arnaud Dolmen a le groove au bout des doigts et un esprit joueur selon les rythmes, figures, codes et carrures de cette musique. Il mène la danse avec un set de batterie plutôt simple, usant principalement des baguettes qu’il fait claquer d’une frappe continue, sèche. On admire la souplesse et fermeté du toucher, la précision des attaques, la subtilité des nuances.

L’enchevêtrement des rythmes est calculé, hybridant des mélopées africaines à un « jazz vif » aux audaces harmoniques. Un déséquilibre voulu parfois, celui de la danse, épouse les imprévus qu’il sait utiliser, en amateur de ce métissage des cultures qui produit un inattendu créolisé comme l’écrivait Edouard Glissant.

On est à mille lieues des images folklorisantes de ces lointains territoires ultramarins, des clichés exotiques facilement racoleurs.

Il confiera à Myriam Daups qui débriefe avec lui à la fin du concert que s’il aime les batteurs, Max Roach et Brian Blade aujourd’hui, ce n’est pas la batterie qu’il écoute en premier dans la musique. Pas étonnant dans la bouche d’un virtuose qui précise s’intéresser aux batteurs capables de jouer de la guitare ou du piano. Myriam a en effet souligné tout l’intérêt très singulier d’une batterie mélodique en miroir avec la rythmique, inversant les rôles, jouant avec les contrepoints saxophone/piano, très souvent en osmose. Affirmant les potentialités harmoniques de son instrument, Arnaud Dolmen donne t-il une couleur nouvelle, imprime t-il une autre façon de jouer de son instrument en s’adaptant à l’imprévu, car ce sont « les déséquilibres de la vie qui donnent de la force », sans se déconnecter de ce monde bruyant et complexe? L’une des belles mélodies est d’ailleurs “Cavernet”, “un jazz des cavernes”, référence à l’allégorie de Platon mais aussi à cette plongée inexorable dans le web. Dans cette composition, le sax chante des motifs répétitifs en écho au bourdon du piano.

N’oublions pas de rappeler au passage que le Petit Duc se singularise depuis la pandémie, en proposant en même temps que le concert live du soir une webtv pour ceux et celles qui ne peuvent être sur place. Sans possibilité de réentendre en streaming.

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ADJUSTING? Un titre qui résume le projet. Poésie et souffle dans ce concert qui ne dresse aucun bilan- Arnaud Dolmen est beaucoup trop jeune mais il fait le point dans une suite de 8 ou 9 compositions qui ont une grande cohérence, narrant de petites histoires, dédiées par exemple aux enfants (“Ti Moun Gaya”). Certains titres appartiennent déjà à l’univers des musiques de films, soulignées par des images d’océan. Arnaud Dolmen a d’ailleurs travaillé sur une série de Damien Chazelle sur Netflix The Eddy. Gageons qu’on le retrouvera bientôt sur ces musiques particulières.

Il se pose beaucoup de questions, ce fils de Guadeloupéens, né à Bar le Duc qui garde vivaces ses origines créoles, réglant son pas dans le pas de ses ainés. Le rappel du concert sera d’ailleurs “Les Oublié.e.s”, en hommage à toutes ces figures disparues dont deux saxophonistes des années cinquante, injustement méconnus, Emilien Antile et Robert Mavounzy. C’est qu’ il n’oublie pas ses racines, ses repères et dans “Hey Cousin”, si ses parents sont Guadeloupéens, il rend hommage à l’île voisine, la Martinique dont son grand-père est originaire, du Lamentin. Le nom de Dolmen en atteste, alors qu’il avait plus à voir pour moi avec des alignements celtes. Cliquetis des baguettes et piano ostinato imitent le ruissellement des gouttes de pluie tropicale. C’est une mazurka créole ( inspirée de la danse polonaise d’origine et de rythmes de danse bèlè de l’île), jazzifiée avec un doux saxophone souffleur auquel Arnaud Dolmen ajoute quelques vocalises.

Quand survient la délicate ballade “Ka Sa Té Ké Bay” ( littéralement « Qu’est ce que cela aurait donné… entendant, si j’étais resté en Guadeloupe?), le jeu épuré du groupe explore ses questionnements en musique. La batterie imprime la mélodie avec des éclats lumineux teintés de mélancolie.

Citons encore ce “Gap” évocateur qui démarre le Cd, mais que le groupe jouera ce soir en conclusion,  décrivant ce décalage qui fait qu’en une ou deux heures d’avion, le paysage et la vie changent radicalement! Une composition qui finit en crescendo évoquant la transe haïtienne. L’un des titres de l’album  n’est il pas chanté par une prêtresse vaudoue, Moonlight Benjamin? Sorcier des rythmes, le batteur songeait-il aux esprits frappeurs des cérémonies rituelles, lui qui introduit aussi le bouladjel dans sa musique, percussions corporelles lors des veillées funèbres? La répétition incantatoire, envoûtante, étonnamment calibrée engendre une fièvre communicative  à laquelle participent pleinement le saxophoniste ténor qui ne passe jamais en force, le pianiste très percussif et le contrebassiste gardien du tempo. Tous trois partagent une certaine sobriété dans leur jouage, loin des  divers effets souvent pratiqués aujourd’hui.

Cet auto-portrait en creux révèle une musique très accessible, plus subtile qu’il n’y paraît. Le public venu très nombreux a apprécié ce chant des origines qui intègre magnifiquement le jazz si souvent réputé cérébral. Alors qu’il n’a jamais fait que s’adapter à la vie qui va, avec les nécessaires mouvements de résistance, comme dans ce “SQN” (Sine qua non) où biguine et jazz bop s’entrelacent amoureusement. Ce n’est plus le temps du jazz et de la java mais d’une improvisation permanente où tous sont attentifs à ce qui advient et se transforme dans l’instant. Renouvelant à défaut de le créer un concept autour de l’ajustement, tout un art en somme.

Sophie Chambon