Jazz live
Publié le 25 Sep 2020

Laurent de Wilde, le jeudi c’est la vie

Moins que ses trente ans de trio, le pianiste d’ici, natif de Washington, DC, et dont le cœur balance depuis toujours entre New York et Paris a surtout fêté son retour à la musique live au Bal Blomet. Et ce fut effectivement une leçon de vie.

Paris, Bal Blomet, aux alentours de 20 heures. « C’est complet ! – Ah bon ?! Complet, complet ? Même pour deux personnes ? – Oui oui. C’est vraiment complet, désolé. » Déception et surprise se lisent sur les visages. Suivies d’un sourire solidaire : « Remarquez, c’est bien hein… » Oui, c’est bien, c’est beau, c’est même émouvant. Les gens, les amoureux du jazz ont envie de musique vivante. Alors ils viennent, et respectent tous parfaitement les gestes barrières, chacun son petit rectangle bleu ciel sur la bouche et le nez, qu’on soulève discrètement, assis, pour boire à la santé d’un.e ami.e, et des musiciens, sans qui la vie ressemblerait à un long fleuve trop tranquille. Sous les masques, les sourires.

Hier soir, Laurent de Wilde et son trio étaient de retour au Bal Blomet pour leur deuxième Jeudi de Jazz Magazine. (Dans le monde d’avant, Monk était à l’honneur, “The New Monk Trio” venait de sortir, et c’était bien magnifique.) Les Jeudi Jazzmag reprennent, donc, et ce n’est pas sans émotion qu’Edward, pardon, Edouard Rencker accueille le public, micro en main, laissant vite la place au pianiste du soir – qui, mazette, fêtera ses 60 ans le 19 décembre prochain : time flies comme on dit dans son pays natal –, au contrebassiste du soir, Bruno Rousselet (« qui, dixit son boss, fait rimer précision et profondeur »), et au batteur du soir, Donald Kontomanou, qui chaque fois nous éblouit lui aussi par sa précision et sa profondeur.
Laurent de Wilde et son trio ? Pas seulement, car rapidement Guillaume Perret s’est joint à la fête, avec « son vieux saxophone trouvé dans un placard », dixit, toujours, le maître de cérémonie. Son beau biniou ressemblait pourtant à un modèle flambant neuf – je ne suis pas spécialiste, mais quand même. Qu’importe : Guillaume Perret transforma ce triumvirat en carré d’as, et le plaisir fut décuplé.

 

Laurent de Wilde, Guillaume Perret, Bruno Rousselet et Donald Kontomanou sur la scène du Bal Blomet.

 

Pour une fois, Monk resta dans les nuages, over the clouds pour reprendre le titre d’un des plus beaux disques de Laurent de Wilde ; l’heure était à la réinvention des compos persos presque vintage. Comme celle, dansante, oui, dansante, évoquant ce lieu de culte profane où la proximité est de mise, et où la musique, mieux qu’un satané virus, circule naturellement (The Club, extrait de “The Present”, 2006). Comme celle-ci, aussi, écrite en confinement, libre mais enchaîné (« Heureusement on avait Netflix, et le Franprix était ouvert », précise, malicieux, le pianiste). Titre de la compo confinée : Chains.
Moment d’émotion, venu assez vite dans la soirée, comme pour rappeler qu’on ne maîtrise rien, ou presque, que la lumière ne s’éteint jamais au bon moment : I Miss You Dad, ballade à fleur de peau dédiée au père disparu, et qui mérite d’ores et déjà de figurer en tête du songbook perso du pianiste. Magnifique.

 

Guillaume Perret.

Avec Guillaume Perret, que l’on se réjouissait d’entendre « à poil » (Laurent de Wilde, rappelant que son guest du soir avait laissé at home ses effets électroniques, ses loupiotes rouges et ses fumigènes), l’alchimie nous bluffa, comme si ce groupe jouait depuis des lustres. Grand bonheur que de goûter la sonorité subtile et puissante de Perret, son phrasé sinueux et précis, l’absence totale de frime et de “plans” dans son jeu : ainsi mise à nue, la vérité a du bon. Surtout quand au détour d’une impro enfiévrée il cite un tube de Duke Ellington (Caravan) ou Footprints de Wayne Shorter.
On se souviendra longtemps, aussi, du swinguant reggae final, One For Ernie (pour le merveilleux guitariste jamaïcain Ernest Ranglin, avec lequel De Wilde a tourné deux ans), et bien sûr d’Edward K, encore plus vintage (1997 !) et en hommage au Duke – le nouveau surnom, soi dit en passant, du boss de Jazz & Cie).
Bref, ce premier Jeudi Jazzmag du monde d’après nous combla de bonheur, et en ces temps difficiles, c’est toujours ça de pris. Merci messieurs.