Jazz live
Publié le 26 Juin 2018

Le “Tout Monde” de Paul Robeson au Quai Branly

Aujourd’hui, 26 juin au Musée du Quai Branly, s’ouvrait l’exposition Un homme du “Tout-monde” consacrée à Paul Robeson, figure majeure de la communauté afro-américaine, acteur, chanteur, militant de la cause noire, de l’anticolonialisme et de l’anti-fascisme. Franck Bergerot l’a visitée pour vous.

Né dans les dernières années du XIXe siècle (1898) d’un ancien esclave évadé, Paul Robeson aura multiplié les combats sur tous les terrains jusqu’à sa mort en 1976. Remplaçant occasionnellement son père à l’heure du prêche à l’église où celui-ci est pasteur, il se fait très tôt remarquer tant pour ses capacités sportives (notamment dans le domaine du football) que pour ses qualités de chanteur, d’acteur et d’orateur. Après des études de droit, s’il renonce rapidement à la carrière d’avocat, sa voix de baryton basse et sa stature également grandioses témoigneront de la Harlem Renaissance, sur scène dans la pièce The Emperor Jones d’Eugene O’Neill, à l’écran dans Body and Soul du réalisateur noir Oscar Micheaux, à la radio et sur disque dans le répertoire des spirituals…

« Pourquoi une exposition au Quai Branly ? » s’interrogeait un passant considérant perplexe l’affiche à l’entrée du musée. La question n’est pas sotte si l’on sait que ses collaborations artistiques ne sont pas exemptes de clichés “oncletomistes” auxquels le condamneront souvent ses contributions à l’écran (tel le fameux film Showboat de 1936 dont il n’aura de cesse par la suite de gommer de résiduels relents racistes les paroles de la chanson Old Man River lors d’interprétations ultérieures). Et si l’on considère que son interprétation des spirituals d’une emphase toute européenne (il chantera également à l’opéra) est peu appréciée des amateurs de musique noire. Mais l’on ne saurait séparer cette carrière artistique de l’engagement qui en fut bientôt le corollaire et qui en fit, par-delà la figure de porte-parole du monde noir américain, cet homme du “Tout Monde”, expression que la commissaire d’exposition Sarah Frioux-Salgas emprunte à Edouard Glissant. Et si celle-ci place son travail dans la continuité de ses précédentes expositions dans ce même lieu (Présence Africaine, une tribune, un mouvement, un réseau en 2009, L’Atlantique noir de Nancy Cunard en 2014), on l’inscrira dans le sillage de Le Siècle du jazz (2009) et The Color Line, les artistes africains-américains et la ségrégation (2016).

L’engagement politique de Paul Robeson se dessine à Londres où il séjourne dans les années 1930. Il y joue le rôle d’Othello dans la pièce de Shakespeare et celui de Toussaint Louverture dans celle de l’auteur C.L.R. James de Trinidad, y fait la connaissance de nombreux militants anti-impérialistes qui l’inciteront à visiter l’Union Soviétique en 1934, puis à se rendre en Espagne soutenir les Républicains espagnols. Son activisme anti-raciste, pro-syndical, pro-communiste, au sein du mouvement des non-alignés, et ses bonnes relations avec la Russie stalinienne, lui vaudront les foudres de l’administration maccarthyste et la confiscation de son passeport de 1950 à 1958.

C’est cette multiplicité de facettes que Sarah Frioux-Salgas met en lumière en donnant à voir et entendre photos, affiches, tracts, coupures de presse, transcriptions de citations, documents audio-visuels dont une émouvante visite aux mineurs écossais dans les années 1930 et la captation longtemps censurée par les autorités soviétiques de son récital moscovite de 1949 pour les 150 ans de la naissance de Pouchkine au cours duquel, ayant découvert le sort réservé aux Juifs par le régime communiste, il interpréta de manière impromptue en yiddish le chant des partisans du Ghetto de Varsovie Zot Nit Keynmol. • Franck Bergerot