Jazz live
Publié le 1 Avr 2020

Le Village de Wallace Roney

En 1996, le trompettiste qui vient de s’éteindre à 59 ans des suites du Covid-19 signait avec “Village” son plus beau disque. Souvenirs

C’était en décembre 1996, à New York, au studio Sear Sound. Une autre époque. Révolue. Warner Bros. Records avait alloué à un jazzman un budget conséquent pour enregistrer trois jours durant un album ambitieux. Ce jazzman aimé et respecté par tous les siens, c’était Wallace Roney, un trompettiste qui avait pour héros et modèle Miles Davis, ne s’en cachait pas et, contrairement à d’autres, ne lui aura jamais manqué de respect.
Ce disque ambitieux gravé dans une ville désormais en grand danger, c’était “Village”, sans doute le meilleur Wallace Roney. Parfaitement équilibré entre ses propres compositions et celles des autres : Cole Porter (I Love You), Joe Henderson (Inner Urge), Lenny White (EBO), Chick Corea (Affinity) et son petit frère Antoine Roney (Aknaaba). A ses côtés, outre sa jeune épouse Geri Allen, Clarence Seay était à la contrebasse, lil’ brother Antoine au saxophone (et à la clarinette basse) et les toujours, oui, toujours fantastiques Chick Corea (présent sur six titres, au piano et au Fender Rhodes) et Lenny White (grand maître). Quant au budget conséquent évoqué plus haut, il avait permis au trompettiste alors âgé de 36 ans d’inviter le percussionniste Steve Berrios, un “ex” des groupes eighties de Miles, Robert Irving III, et, last but not least, Pharoah Sanders et Michael Brecker au saxophone ténor, présents l’un et l’autre sur quatre titres (mais pas ensemble).

 

La pochette de “Village”. Aux côtés de Wallace Roney, sa femme la pianiste Geri Allen et leurs deux enfants.

 

Les disques influencés par le fabuleux “Second Quintet” de son idole Miles, on ne les compte plus. Entre 1965 et 1968, Miles, Wayne Shorter, Herbie Hancock, Ron Carter et Tony Williams ont inventé un langage nouveau, pas forcément à la portée du premier venu, mais qui a changé à jamais la manière dont la musique peut circuler dans un ensemble acoustique. Wallace Roney avait tout compris, tout appris du Second Quintet de Miles, et cela s’entendait, bien sûr, dans “Village”. Mais sans qu’on s’en formalise. Bien au contraire.
Car rien dans ce disque n’était nostalgique. Les arrangements signés de sa plume (sauf celui d’Affinity, signé Corea), étaient d’une rare élégance. Tous les musiciens évoluaient au plus haut niveau. Et quand dans The Pharoah (grand moment) Wallace Roney solotait en sourdine, le fantôme de Miles, bien sûr, le regardait avec un air à la fois bienveillant et coquin, le même que celui du vrai Miles, cinq ans plus tôt, à Montreux, quand à ses côtés son admirateur n°1 le secondait pour rejouer la musique de Gil Evans sous la direction de Quincy Jones…

So long Monsieur Roney, et quitte à encore parler de votre Miles, de notre Miles, on n’oubliera jamais ce fantastique concert du “Tribute to Miles”, en 1992 au Zénith de Paris, avec Wayne [Shorter], Herbie [Hancock], Ron [Carter] et Tony [Williams], avec Miles, déjà si loin, toujours si proche. Frédéric Goaty

Photos : © Jeffrey Scales (Warner Bros. Records)