Jazz live
Publié le 24 Sep 2022

LES ÉMOUVANTES 2022, première escale

Après deux années altérées par la pandémie, le festival ‘Les ÉMOUVANTES’ retrouve son régime de croisière. En 2020, c’étaient des effectifs réduits autour des programmes initialement prévus, programmes que nous avions retrouvés au complet en 2021, dans un nouveau lieu d’accueil, le Conservatoire Pierre Barbizet

Lieu où nous sommes à nouveau cette année, pour une programmation titrée ‘Voyageurs de l’Imaginaire’, concoctée par Claude Tchamitchian, créateur du festival avec Françoise Bastianelli et leur label ‘émouvance’. Bel intitulé qui ouvre l’espace vers tous les horizons

Dans ce programme les mythes du passé croisent le message crypté d’une œuvre majeure pour quatuor à cordes, un hymne aux grandeurs et décadences états-uniennes, un puzzle collectif pour évoquer quelques femmes décisives, et des chemins musicaux vers la littérature.

Arrivé trop tard pour faire quelques photos de Marc Ducret avec le quatuor pendant la balance, le chroniqueur renonce à déranger la phalange des quatre cordes pendant qu’elle peaufine ses interprétations, et le retardataire se replie vers le seul bistrot survivant du quartier, au milieu d’une nuée de fast food et autres kebabs : un vrai lieu vivant….

Puis c’est le retour en face, au Conservatoire, pour la balance, et le concert, du duo Naïri

CLAUDE TCHAMITCHIAN «Naïri»

Catherine Delaunay (clarinette), Claude Tchamitchian (contrebasse et compositions)

Marseille, Conservatoire Pierre Barbizet, 22 septembre 2022, 19h

Naïri, c’est l’antique nom de l’Arménie. Le projet de Claude Tchamitchian, c’est de faire revivre l’imaginaire d’un territoire (celui de ses origines), comme le firent les aèdes du lieu, du côté de l’antique Urartu, plusieurs siècles avant les aèdes de la Grèce présocratique que furent Hésiode et Homère. Musique riche de nuances, d’emportements et d’expressivité extrême. Musique d’un récit métaphorique qui transcrit toutes les strates de l’histoire. Pas une œuvre à thèse, ou à programme : une libre plongée dans un imaginaire, celui d’un peuple autant que d’un musicien qui compose, interprète et improvise. Ce devait être un trio, avec le guitariste Pierrick Hardi, comme ils l’avaient déjà présenté sur scène depuis plus d’un an. Mais le guitariste a eu un problème de santé aigu et soudain qui, la veille du concert, le mettait dans l’incapacité physique de jouer.

Alors nous écoutons Naïri en duo : Claude Tchamitchian nous embarque dans ses lignes de basse, ses timbres hétérodoxes, nuances et foucades confondues ; Catherine Delaunay nous captive par des phrases d’une douceur et d’une richesse de timbre confondantes. Puis elle part dans une expressivité exacerbée, c’est presque une folie, et dans ces débordements qui nous transportent elle ne cède jamais une once de musicalité, un parcelle de justesse : magnifique !

QUATUOR BÉLA & MARC DUCRET «Suite Lyrique électrique»

Frédéric Aurier & Julien Dieudegard (violons), Julian Boutin (alto), Luc Dedreuil (violoncelle), Marc Ducret (guitare électrique, composition, improvisation)

Marseille, Conservatoire Pierre Barbizet, 22 septembre 2022, 21h

Grande impatience chez moi de découvrir cette aventure musicale : je devais l’écouter en concert, le 4 mars dernier, à l’Arrosoir de Chalon-sur-Saône, mais la veille je fus hospitalisé en urgence…. Consolation : cette musique a été donnée 15 jours plus tard à Lyon et, si je ne pouvais y être, l’Ami Bergerot qui s’y trouvait en fit dans ces colonnes un compte-rendu détaillé et éclairant

https://www.jazzmagazine.com/jazzlive/suite-lyrique-dalban-berg-codes-et-decodages-par-marc-ducret-et-le-quatuor-bela/

Je ne vais pas vous narrer par le menu ce que j’ai écouté à Marseille, mais je vous livrerai simplement quelques impressions. Après une fine présentation, non dénuée d’humour, qui nous retraçait la genèse de cette œuvre musicale, amoureuse et cryptée, du compositeur à une femme mariée dont il s’était épris, Marc Ducret, guitare en main, nous parla des correspondances entre les noms, les initiales, et les compatibilités des êtres. Jusqu’à rapprocher, comme il l’avait fait à Lyon, le patronyme de la dédicataire, Hanna Fuchs, de la Foxy Lady de Jimi Hendrix…. dont il nous joue une bribe. La passion des mystérieux codages, qui enchantent le guitariste, est bien présente dans la Suite Lyrique d’Alban Berg, et c’est le ressort de cette aventure, qui consiste à présenter cette musique en miroir d’autres univers musicaux et artistiques. Ce quatuor est une musique que j’ai écoutée de longtemps, et je l’avais réécoutée récemment, pour le rendez-vous manqué de Chalon-sur-Saône, et aussi peu de jours avant le concert des Émouvantes. L’interprétation du Quatuor Béla est d’une finesse et d’une force qui m’ont épaté. Que de vie(s) dans cette musique qui est, comme aime à le dire un de mes amis, ‘pétrie d’émotions contradictoires’. À cet univers musical crypté Marc Ducret ajoute, enchaînées à la fin de l’œuvre, une série de petites formes, écrites par ses soins, qui semblent elles-aussi relever d’un encodage mystérieux. Guitare en main il dialogue avec les membres du quatuor : violoncelle seul, violoncelle et alto, trio avec un seul violon, trio sans alto, puis tutti…. C’est d’une extrême densité musicale, la sensation et l’émotion sont tout aussi denses. On aimerait connaître tous les arcanes de ces fragments additionnels, qui sont probablement chargés d’autres cryptages, saturés d’autres sens. Et Marc Ducret enchaîne en nous lisant l’une des lettres d’Alban Berg à Hanna Fuchs, qui avoue le secret de ce quatuor comme message d’amour. C’est très, très émouvant. Et très beau !

Xavier Prévost 

À suivre dans les colonnes voisines avec l’Ami Bergerot