Jazz live
Publié le 21 Juin 2021

Lille Piano(s) Festival : d’un monde à l’autre

Le festival Lillois vient de se conclure, et l'envoyé spécial de Jazz Magazine brûle d’impatience de vous raconter la journée pleine de concerts qu’il y a passé, de Vincent Peirani et François Salque au trio d’Omar Sosa en passant par celui de Yaron Herman.

Par delà les chapelles

Qui mieux que le duo riche de plus d’une décennie de complicité formé par le violoncelliste François Salque et l’accordéoniste Vincent Peirani pour illustrer l’éclectisme du festival lillois, qui a fait le pari d’une programmation où l’univers de la musique classique côtoie celui du jazz, quand il ne s’y mélange pas ?

Vis-à-vis de ces deux mondes, la Chapelle de l’Université Catholique de Lille ne faisait guère office de terrain neutre, mais son acoustique exceptionnelle à porté aux mêmes sommets ces deux instrumentistes faits pour s’entendre. Là, sous les voûtes d’un blanc de neige soulignées d’or, les accords lents et majestueux qui introduisent le Choral de Vincent Peirani prennent une ampleur solennelle et éternelle. Magique…

François Salque et Vincent Peirani au centre de l’immense chapelle de l’Université Catholique de Lille

Changement de programme : à la place du Rondo Bach de Brad Mehldau, le duo interprète finalement une Prière pour, explique François Salque, rendre hommage à cette salle unique. L’acoustique ne facilite pas la communication avec le public, mais donne à ce dialogue une puissance quasi orchestrale…et aux applaudissements enthousiastes une ampleur qui oblige Vincent Peirani à demander le calme et nous rappeler par un geste que nous n’en sommes qu’au deuxième morceau ! Le Cuba si Cuba no de Michel Portal se pare d’une couleur liturgique puis nous emporte vers une pulsation dansante et hantée avant qu’accordéon et violoncelle ne se rejoignent dans un entrelacs ou puissance épique et incertitude poignante se chassent et se poursuivent… Seul Tout Seul d’Astor Piazolla : François Salque se déchaîne, galvanisé par Vincent Peirani pour porter plus loin encore son cri du cœur, avant que le violoncelliste ne lui rende la pareille pour conclure ce qui aura été l’un des sommet du concert.

Pour conclure, un medley Hongrois à quatre mains mais trois plumes, celle de Stephane Grapelli apportant à celles de notre duo un peu de son esprit – et même un peu de l’âme de son violon qui semble surgir furtivement du clavier de Vincent Peirani. La ferveur du public nous vaudra un rappel, et un bref retour sur scène pour un ultime salut.

Comme des fous

A L’immensité de la chapelle de l’Université Catholique succède la salle Québec du Nouveau Siècle, beaucoup plus intimiste malgré un public fourni que le trio de Yaron Herman a comme enlacé dans sa musique dès les premières notes. « On essaye de suivre la musique de l’instant présent » explique le pianiste qui prévient qu’il y aura beaucoup d’improvisation ce soir. « On est comme des fous après un an de pause forcée ! » L’expression n’est pas trop forte tant le niveau auquel le trio joue ce soir est élevé.

Yaron Herman, Joe Sanders et Ziv Ravitz au sommet de leur art

Le leader élabore une introduction crépusculaire que le batteur Ziv Ravitz et le bassiste Joe Sanders écoutent avec recueillement avant d’entrer au signal du début du thème et de se fondre dans les arpèges fluides du leader. Ziv Ravitz constelle les cascades d’arpèges de Yaron Herman d’éclaboussures de cymbales, tandis que Joe Sanders ponctue leur conversations d’un premier chorus méditatif tout de notes rondes et puissantes.

C’est le batteur qui mène la danse maintenant, d’une cymbale souple et leste aux côtés d’un Joe Sanders toujours économe de notes. Yaron Herman se joint à cet échange à bâtons rompus avant d’en prendre les rennes et d’installer une légèreté lumineuse qui n’empêche pas quelques pics d’enthousiasme explosif. Regards complices au sein de la section rythmique : ces trois là sont dans un grand soir.

Plutôt que de continuer sur leur lancée, ils cassent le rythme avec une longue intro de contrebasse mi-obstinée mi-hésitante et une batterie titubante qui prend des allures d’éléphant dans un magasin de porcelaine. Le trio délaisse la légèreté du début pour montrer son versant frénétique et imprévisible à présent, mais l’écoute et l’attention au son hors-normes dont est capable le trio n’en son que plus flagrants. Mais ce qui fascine peut être le plus, c’est la palette de mille nuances d’intensités dont ils sont capable, du presque rien au climax volcanique. Le dernier morceau achève d’enfoncer le clou : c’est bien à l’un des meilleurs trios du moment que nous avons à faire.

Géométrie variable

Le dernier concert de ce deuxième jour de festival voit le retour d’Omar Sosa sur scène. « C’est notre premier concert depuis 1 an ! » s’écrie Omar Sosa. Le pianiste est bien entouré : du batteur et producteur de ses derniers disques, Steve Argüelles, Omar Sosa explique qu’il a changé sa façon de jouer. De l’autre, le harpiste, contrebassiste et clavieriste Christophe Minck, il dit que c’est l’un des meilleurs musicien qu’il a jamais entendu. Il n’en fallait pas moins pour donner vie à cette East African Journey, projet né lors d’une tournée en Afrique de l’Est voici dix ans, avec des musiciens locaux que le Covid-19 a empêché de se produire sous sa forme originale.

Steve Argüelles, Omar Sosa et Christophe Minck, en osmose

Après une entrée majestueuse, le leader invite tout de suite le public à entrer dans la pulsation tandis que ses musiciens prennent leurs postes et commencent de creuser ce sillon si particulier qui s’accommode aussi bien des accords impressionnistes du leader qu’au dense tapis tout de percussions et de basse qu’ils tissent tous les trois. Mais ce soir, ils ne sont pas seuls. Tandis que la harpe de Christophe Minck se métamorphose en kora, on voit apparaître sur un petit écran, dressé derrière le piano et face au public, des images de compagnons de route africains du leader dont les voix où les instruments se mêlent au jeu du groupe : feu l’Ethiopien Seleshe Damessae, le Kenyan Olith Ratego ou Rajery, originaire de Madagascar, sont convoqués par la technologie. Omar Sosa s’excuse pour ces images qui parfois se figent un peu, mais insiste sur l’importance de montrer le visage de ces musiciens que ces temps-ci, les masques cachent. Et le temps de ces collaborations par delà les frontières de l’espace et du temps le trio n’est plus tout à fait celui d’Omar Sosa, mais se met au service de ces compagnons de route qui ont tant marqué le leader. 

Ici, tout est affaire de cohésion, de son d’ensemble et d’économie de moyens. Et dans sa légèreté lumineuse et apaisée, la musique du trio donne l’impression de pouvoir durer toujours. Pourtant le pianiste a gardé une sidérante réserve d’énergie pour une fin en apothéose, et lâche son piano pour se précipiter au bord de la seine et entamer une danse frénétique, porté le tonnerre de battements de mains d’un public debout. Le cubain n’était pas le seul a qui la scène avait manqué…Yazid Kouloughli

 

Photos Ugo Ponte © ONL