Jazz live
Publié le 28 Jan 2019

Luigi Grasso, Robin McKelle, Hugh Coltman… 1, 2, 3 Jazzmag !

Hier 26 janvier, à Paris au Trianon, Jazz Magazine a définitivement ancré son festival annuel dans le paysage parisien avec le nonette de Luigi Grasso, le quartette de Robin McKelle et l’octette d’Hugh Coltman.

Avec évidemment en Monsieur Loyal, élégamment chapeauté, Frédéric Goaty, directeur de la rédaction de Jazz Magazine qui ouvre ce quatrième Festival Jazz Magazine (le troisième dans la somptueuse et très historique salle du Trianon) par un bel hommage à Michel Legrand dont nos radios ont annoncé la mort le matin même. D’autres intermèdes lui permettront d’inviter Edouard Rencker, le directeur de la publication, à rappeler les motivations qui l’ont poussé à créer le Jazz Magazine Festival en 2016,  d’évoquer la vie de Jazz Magazine qui tient le cap sans faillir dans la tempête que traverse la presse, avec une nouvelle formule, le trompettiste Ambrose Akinmusire en couverture, les Chocs de l’année, une célébration de l’année 1959…  et encore d’autres sujets sur l’Histoire et l’Actualité que le public de la soirée découvre dans le hall en avant-première. Pour l’heure, voici Luigi Grasso et une édition spéciale de sa Greenwich session, formation résidente du Sunset.

The Luigi Grasso Greenwich session

Luigi Grasso (composition, direction, as, bars), Malo Mazurié (tp), Armand Dubois (cor), Emilien Veret (cl, bcl), Thomas Gomez (as), Balthazar Naturel (ts, cor anglais), Laurent Courthaliac (p), Géraud Portal (b), Lucio Tomasi (dm). Invité : Mario Ponce-Enrile (voc).

Ouverture intimiste, histoire de faire retomber le brouhaha d’un début de concert, Luigi Grasso et Emilien Veret dialoguent comme à la chambre, en un duo boisé qui évoque tout autant la rencontre d’Harry Carney et Barney Bigard que Michel Portal interprétant Johannes Brahms. Mais à peine le public est-il remis de sa surprise, que Grasso a lancé son Mariposas Mambo. Il a vingt minutes pour convaincre et c’est d’une bride ferme et d’une cravache experte que – nervosité et souplesse – il tient et stimule son fringuant nonette à l’instrumentation insolite, avec cor anglais, cor d’harmonie et  clarinettes. On pense au nonette de Miles et à Gil Evans, notamment lorsqu’il ouvre un out chorus d’une splendide fusée ascendante, mais c’est plus souvent Tad Dameron, sa science du voicing et son intérêt pour l’impressionnisme musical français qui viennent à l’esprit. Grasso invitera le crooner Mario Ponce-Enrile à chanter un vibrant What’s New avant de provoquer – belle introduction minguso-hadenniene de Géraud Portal – le tintamarre de sirènes et klaxons de Taksim Olaganüstü Hal (souvenir d’un séjour stambouliote entre charme des nuits orientales et affrontements de la place Taksim). Il renvoie tout à la fois aux tone parallels ellingtoniens et aux explosions stravinskiennes du big band de Dizzy Gillespie. De Dizzy, Luigi Grasso a l’énergie dans la direction d’orchestre, les lunettes à grosse monture et le béret (qu’il porte d’ailleurs plutôt à la Monk). Son alto assume l’héritage parkérien avec une flamme et une “exactitude” qui font vibrer même les meilleurs connaisseurs, avec une stratification stylistique qui personnifie le style “Grasso” où l’on croit entendre du Jackie McLean et peut-être même de l’Ornette Coleman et de l’Eric Dolphy. Pressé par le temps, il laissera son baryton s’emballer dans un dernier solo hors d’haleine digne d’une fin de Grand Prix.

Robin McKelle (voc), Jonathan Thomas (p, Fender Rhodes, cla), Reggie Washington (b, elb), James Williams (dm).

Robin McKelle embarque immédiatement son public en puisant dans le répertoire de son dernier disque “Melodic Canvas” qui a pu aussi donner l’impression d’un concert en deux temps. Le premier mettant en valeur la parolière-compositrice engagée, telle qu’elle s’est affranchie des lourdeurs de la production pop au profit d’un rapport plus direct avec son orchestre, mais où l’on pouvait aussi regretter sur scène l’équilibre trouvé en studio avec les accompagnateurs de ce dernier album. En effet, la puissance de la sonorisation tend à aplanir les nuances et à uniformiser la richesse du répertoire sur lequel sa rythmique du moment a tendance à surjouer. Dans un second temps, sa reprise de Swing Low Sweet Chariot faisant office de pivot, le concert change de braquet, avec un rythmique plus funky, plus incisive, plus solidaire (Reggie Washington et Jonathan Thomas passant respectivement à la basse électrique et aux claviers), et un répertoire plus r’n’b qui fait se lever un public d’ailleurs déjà conquis et qui contredit donc nos réserves de début de concert.

Hugh Coltman (voc, g), Jérôme Etcheberry (tp), Jerry Edwards (tb), Frédéric Couderc (cl, bars, slide saxophone), Freddy Koella (g), Gaël Rakotondrabe (p, cla), Didier Havet (sousaphone), Raphaël Chassin (dm). Invités : Robin McKelle (voc), Luigi Grasso (as).

Une présence scénique entre rocker un peu dingue et chanteur de cabaret, un sens théâtral de la scène, un répertoire tout en nuance servi par une voix chaleureuse, à la fois tendre et énergique… et un orchestre. Où l’on ne sent pas de césure entre le noyau dur, fruit d’un long compagnonnage – Freddy Koella, guitariste et producteur, Raphaël Chassin le batteur qui a su couler ses grooves dans le parfum néo-orléanais du disque “Who’s Happy”, Gaël Rakotondrabe le pianiste-organiste dont les phrasés déjantés semblent calqués sur l’allure dégingandée du chanteur – et la section des vents arrangée par Pierre Bertrand avec une belle malice, Frédéric Couderc disposant d’une palette esthétique qui reflète sa panoplie instrumentale (pourtant ici réduite à la clarinette, au baryton et à l’étonnant slide saxophone), Jérôme Etcheberry portant l’ombre de Louis Armstrong et ses héritiers directs sur le spectacle, Jerry Edwards magnifiant la vieille tradition tailgate du trombone à coulisse louisianais. Ces deux sections de l’orchestre s’articule autour de basses en walking ou à deux temps, dont on se dit « mais qui donc peut jouer ça avec autant d’aisance sur un sousaphone. » jusqu’au moment où l’on reconnaît Didier Havet. Et oui, ça ne pouvait être que lui ! Hugh Coltman chante avec eux, parmi eux, pouffant de rire à un coup de growl tellement vrai de Jerry Edwards, se saisissant d’un projecteur pour accompagner à bout de bras la rentrée par le fond de la salle de la trompette d’Etcheberry, s’isolant en duo avec son vieil ami Koella ou se penchant sur les claviers de Rakotondrabe, invitant tour à tour Robin McKelle et Luigi Grasso, pour des apparitions qu’il a suffisamment pensées en amont du concert pour mettre ses hôtes en valeur. La finesse le dispute à la générosité, l’énergie et à la précision, l’humour à l’engagement, jusqu’à ce final où chacun sort à la suite du chanteur, laissant au pianiste le soin de clore le concert.

Les feux de la rampe se sont éteints, on s’attarde au bar du Trianon pour un dernier verre et l’on se donne rendez-vous à l’an prochain. Entre-temps, Jazz Magazine aura publié onze nouveaux numéros et fêté ses 65 ans . • François Marinot