Jazz live
Publié le 17 Août 2019

Malguénac, 2ème soir : un certaine biodiversité

Une table ronde sur les oiseaux, une transgression orchestrale de l’héritage stevecolemanien, un duo de “transe-new groove”, un trio impromptu, un brass band hip hop : pinson des arbres, Nautilis, Bakos, Craig Taborn, Brass Against, tel était le visage de la biodiversité musicale hier à Malguénac.

On le rappelait hier, le Festival de Malguénac a pour nom premier “Arts des villes, Art des champs”, sous-titré “Jazz et alentours”. Plus un thème annuel, cette année “Oiseaux”. Comme chaque année, un débat s’organise sur le sujet de l’édition et, de 19h à 19h30, on a parlé oiseaux. Débat très informel, où ne se retrouve généralement qu’une dizaine de personnes, tandis que les queues s’allongent devant les stands de restauration. Démarrage timide, souvenirs personnels, évocations, témoignages, émotions, une promenade en forêt, une hirondelle demandant l’ouverture d’une porte de grange où elle a son nid, les accents régionaux du pinson des arbres, la grâce des “mumurations” d’étourneaux (joli nom pour désigner leurs vols groupés), la fragilité de la biodiversité rapportée aux souvenirs d’enfance et de lance-pierres des plus anciens et de la rétribution à la prise pour lutter contre les dégâts dans les vergers, le remembrement et la disparition des espèces…

Et le jazz dans tout ça ? La liberté de l’improvisateur survolant les barres de mesures, s’affranchissant de la gravité exercée par les harmonies et cette grosse déception de découvrir que le surnom de Bird (en fait, d’abord Yardbird) n’ait pas été inspiré par ses facultés de voltige musicale, mais par une vulgaire histoire de volaille ramassé sur la route et par son appétit pour le poulet frit…

Ayant évoqué le caractère hyper-polyphonique du ramage et la difficulté pour le non initié à en déchiffrer les composantes, l’écoute du programme Evergreen composé par Nicolas Pointard pour Nautilis dont il est le batteur, m’a rappelé cette phrase que l’ethno-musicologue Simha Arom prononça en ouverture d’une conférence donnée au Département jazz du CNSM de Paris sur la musique des Pygmées : « L’Afrique a horreur de l’homophonie. » D’homophonie, on en n’entendit guère, au cours du concert de cet ensemble brestois à géométrie variable fondé sous l’impulsion du clarinettiste Christophe Rocher, ou alors de façon ponctuelle à l’arrière-plan des chassés croisés des voix individuelles, dont le sonorisateur Sylvain Thévenard attaché à cette formation, soigna la lisibilité. Où l’on peut lire l’influence de Steve Coleman et de sa descendance européenne (le collectif Hask avec Benoît Delbecq, Guillaume Orti, Stéphane Payen, Geffroy de Masure, Frédéric Briet membre fondateur de Nautilis, plus la bande franco-belge d’Octurn…), particulièrement prégnante parmi les membres de cette formation. La présence parmi eux, dans cette nouvelle mouture nouvelle, d’éléments étrangers à la formation initiale bouscule ici cependant les habitudes, poétise les intentions, amplifie les contrastes, notamment entre les zébrures époustouflantes de Nicolas Peoc’h (as) et l’art de la lenteur et du presque rien cultivé par Julien Pontvianne (ts, cl), Philippe Champion (tp) tempérant à l’inverse, du côté des cuivres, les phrasés folâtres de Matthias Mahler, magnifiques chaos générés par Antonin Rayon (p) bousculant les découpes millimétrées du compositeur-batteur, de part et d’autre d’une Hélène Labarrière magistrale dans sa façon tenir l’orchestre en délicate balance entre discipline du tempo et lâcher prise jusqu’à l’explosif. Moment de grâce, le pas de deux de Christophe Rocher à la clarinette basse avec l’électronique de Vincent Sauve, en ouverture d’un final brassy, où une homophonie festive et débridée ringardisait ma citation de Simha Arom.

L’impatience était grande de savoir ce que Craig Taborn – programmé en duo avec Dave King retenu Outre-Atlantique pour un problème de santé –, avait bien pu concocter avec Chris Potter et Ferenc Nemeth, qui à l’affiche la veille, avaient accepté son invitation. À l’opposé du trio du batteur avec Potter et Gilad Hekselman, très démonstratif, Craig Taborn (piano, Fender, clavier et électronique) les a entrainés sur le terrain de la simplicité, commençant par une composition impromptue, puis une reprise de Geri Allen, une longue suite au cœur de laquelle Potter citerait Le Sacre du Printemps… le tout dans une pure recherche d’espace mélodique, d’onirisme sonore, de lignes claires et de pastels bleus nuit, la musicalité pour chacun réduite à l’essentiel.

Sous le chapiteau extérieur battu d’une pluie tenace, Bakos – le duo du bassiste électrique Benoît Lugué et du batteur Tao Ehrlich (tous deux jouant également du clavier et de l’électronique) – jouait les intermèdes exutoires et la transition avec la puissance de feu de Brass Against, formation new-yorkaise protestataire puisant dans le répertoire et l’énergie du rock et du hip hop (de Rage Against The Machine à Black Sabbath), cuivres roboratifs, rythmique au marteau-pilon, chanteuse survoltée, cabriolant parmi les musiciens et projetant sa rage à l’adresse de l’Amérique de Trump.

Ce soir samedi 17, le “Jazz et alentours” de Malguénac sera plus “alentours”, comme d’habitude pour une dernière journée plus festive et conviviale qui commencera par le traditionnel vide-grenier dès 9h dans les rues du bourg, le dixieland déjanté des Nouilles Hors Lignes à 17h au bar Ty Lou, une démonstration de claquettes et lindy hop à 18h30 au chapiteau, puis enchaînement des plateaux de la Salle Claude Nougaro et des intermèdes sous chapiteau avec le fanfare afro-jazz béninoise Gangbe Brass Band (20h15), le rock garage breton de Smooth Motion (22h30), le rock’n’roll de l’Electric Bazar Cie (22h15) et le punk-rock de Zarboth (minuit).

Dimanche atterrissage en douceur avec deux balades ornithologiques à 10h et 14h, le duo blues-soul de Sophia Tahi et Pierrick Biffot, la traditionnelle sessions irlandaise accompagnant le concours de palets sur planche et, à 18h, une “confiture de musiciens”. Franck Bergerot