Jazz live
Publié le 8 Août 2018

Marciac: jazz free, swing, funk pour chasser l’orage

Soirée SPEDIDAM au chapiteau de Marciac. Orchestres et musiciens français en trois tableaux. Histoire d'illustrer une histoire du jazz de Fletcher Henderson à Weather Report et Joe Zawinul en passant par des traces de 'free" qui mènent à de musiciens de vingt ans. Bien d'aujourd'hui.

20h 30. On s’affaire  soudain à ranger les parasols dressés backstage pour abriter les musiciens en coulisse. A Marciac la canicule a pris fin ce matin. Mais au sommet de la nacelle déployée tout là haut, le petit anémomètre annonce du vent fort. Rumeur d’alerte orange. Coup de froid et coup de chaud en simultané. 22 h: le big band swing a démarré. Sur une introduction du piano la toile du chapiteau vrombit comme un jour de course auto sur le circuit de Nogaro presque voisin. Musiciens et public lèvent les yeux. Ce ne sera in fine qu’une grosse averse en point d’orgue sur Marciac…

Flash Pig: Adrien Sanchez (ts), Maxime Sanchez (p), Florent Nisse (b), Gautier Garrigue (dm)

Umlaut Big Band: Brice Prichard, Gabriel Levasseur, Louis Lauren (tp), , Fidel Fourneyron, Michael Ball (tb), Pierre Antoine Badarroux (as, direction), Benjamin Doutessier, Antoine Tri Hoang, Geoffroy Gessier, Pierre Borel (cl, s), Bruno Ruder (P), Romain Villemein (g, bjo), Sebastien Beliah (b), Antonin Verbal (dm)

Emile Parisien (ss), Vincent Peirani (acc) File Under Zawinul: Manu Codjia (elg), Tony Peelman (elp, synthé, cla), Linley Marthe (elb), Mino Cinelu, Aziz Sahmaoui (perc, voc), Paco Séry (dm)

Jazz In Marciac, Chapiteau, Marciac (32230), 7 aout

Adrien Sanchez, Flash Pig

Une longue, longue dérive de notes à quatre instruments conjugués, l’un avançant dans l’élan de l’autre. Le piano occupe tout de suite beaucoup d’espace, qui trace un fil rouge harmonique. Très vite pourtant le ténor, reprend l’initiative. Reprend l’offensive, son saturé, tendu comme en écho de cris d’un mal vivre. « Yeux doux » titre paradoxal exprime d’abord une énorme libération d’énergie. Le public pris à la gorge, tangue un peu. Les frères Sanchez, issus de Toulouse la métropole voisine avant de migrer vers Paris pour vivre (de) leur musique, jouent dans différentes formations « Mais Flash Pig reste notre groupe, notre vivier de jazz » Au total, à l’écoute de ce groupe de jeunes musiciens qui sortira un second album au printemps prochain, on sent un contraste entre des séquences (Spasme) très « free » -ils citent Ornette Coleman, Don Cherry ou Dewey Redman parmi leurs sources- et d’autres au contraire très construites, homogènes (No head, occasion d’un solo de ténor brillant ou Octobre, beau thème très accompli dans son architecture) En toute occasion Flash Pig démontre une volonté d’équilibre dans la distribution des rôles entre les différents instruments.

Constat: on n’a pas tellement l’habitude d’entendre les saxophonistes Antony Tri Hoang, Benjamin Dousteyssier   (dernière version de l’ONJ) ni même Bruno Ruder (label Fugitive)  pianiste du Umlaut Big Band attaquer ainsi de front un répertoire middle jazz aux colorations de l’entre deux guerres. Ou d’enfiler un costard cravate pour jouer du jazz. Le leader Pierre-Antoine Badarroux  a bossé dur sur des arrangements de compositions de Fletcher Henderson, Amstrong et surtout Don Redman, dénichant même aux passage des titres inédits. « Je dois dire que pour se plonger dans de telles compositions, de telles textures de morceaux il faut d’abord y penser, puis se mettre au boulot. Car ce n’est pas si évident… » avoue le pianiste. Le son de chaque instrument, la découpe très carrée des thèmes, le jeu en section: l’effet masse, la sonorité globale du big band part d’un travail de canevas impressionnant sur des mailles de notes et de phrases tricotées très serrées. Effet swing pur jus garanti.

 

Paco Séry, Emile Parisien, Linley Marthe

« J’ai joué cinq ans avec Joe dans les différentes versions de son Syndicate. Paco, également bien sur… » raconte Linley Marthe, offrant au passage un grand sourire pour éclairer ces souvenirs. Ce groupe finalement peu habituel dans les festivals donne l’occasion d’entendre le bassiste mauricien au naturel, très à l’aise dans son élément, véloce, férocement funky sur sa basse, apte à enjamber en souplesse toute sortes de mesures, quel que soit le nombre de temps requis. Cannonbal, Gibraltar, deux thèmes fétiches de l’époque Weather Report font intervenir dans la danse -c’est le cas de le dire- Paco Séry, complice du même orchestre, avec l’appui de Mino Cinelu, d’évidence lui aussi ravi de revivre ces temps forts thématiques du « Bulletin Météo » de Zawinul-Shorter. Intéressant dès lors de voir intervenir Emile Parisien dans un pareil contexte. Pas de référence obligée au sax soprano de Mister Wayne, le maître, pour autant. Le saxophoniste élevé dans l’écurie (jazzistique) de Marciac joue, si l’on peut dire, sa partition. Une fougue toujours sans égal, un élan maintenu tout au long de ses interventions. Et pour faire la différence, pour creuser son sillon il lance ces sons tenus, ce souffle épais du soprano jusqu’au bout des aigües qui, chez lui, font signature. Emile Parisien, faisant fi du poids du terreau, toujours fait pousser son jazz du jour. Au présent. Dans ce même contexte la sonorité de l’accordéon en contrepoint des claviers de Tony Peelman, de la guitare lame de rasoir de Manu Codjia -lui aussi intensément dans le bain- peut relever d’une certaine incongruité. Vincent Peirani dans ce spectre musical, certes se place moins en avant. A l’évidence pourtant, toujours à l’écoute, il surligne ou souligne les mélodies incroyables de Joe Zawinul, de celles qui pénètrent inexorablement jusque au fond du cerveau (Scarlett woman)  Il relance avec à propos. Et pour aborder Madagascar, l’on a quand même droit, en une superbe introduction, au duo retrouvé, sax soprano/accordéon en mode album de photos d’impro partagée. Complices. De quoi souffler (!!!) un peu pour Emile Parisien, promoteur créateur du projet. Car autant le dire clairement, lorsque Paco Séry et Mino Cinelu s’avisent sans permission du leader de prendre le pouvoir du rythme (Badia) toute autre affaire cessante… » A ces moments je me sentais comme un demi offensif cherchant loin devant sur le terrain ses deux avants de pointe… » rigolait après coup le sax en chef.

 

 

 

Mino Cinelu

 

Seul regret: Salif Keita, invité d’honneur de l’orchestre n’est pas apparu sur scène dans la nuit de Marciac n’offrant plus, alors,  qu’orages de nature musicale….

 

 

Robert Latxague