Jazz live
Publié le 7 Nov 2021

Oakland à Nevers

D’jazz Nevers, 2ème journée, c’est-à-dire le 7 novembre : du chef-d’œuvre de Jack London Martin Eden, le violoncelliste Vincent Courtois et le comédien Pierre Baux ont tiré un concert littéraire, « Oakland », avec le chanteur-récitant John Greaves et les saxophonistes Robin Fincker et Daniel Erdman. Un pari gagné !

À l’Opéra Underground de Lyon, on avait vu la version instrumentale « Love of Life » du trio Courtois-Fincker-Erdman , gravée sur disque à Oakland en juin 2019. On entendait ce soir, au théâtre de Nevers, la version « littéraire », adaptation d’extraits de Martin Eden de Jack London par le comédien Pierre Baux et le violoncelliste Vincent Courtois, avec John Greaves (voix), Robin Fincker (clarinette, sax ténor) et Daniel Erdman (sax ténor). Lumières de Thomas Costberg. Pas une mise en scène précisent les deux adaptateurs lors du rituel débat d’après-concert animé par Xavier Prévost, mais un concert mis en lumière. Pas un résumé, mais des moments, comme les morceaux d’un concert. Et un principe de fidélité : fidélité de Vincent Courtois pour les deux membres de son trio, pour Pierre Baux, pour John Greaves ; fidélité de Roger Fontanel, l’âme de D’Jazz Nevers, pour Courtois.

 

À Pierre Baux la sobriété du récit, l’interprétation, la lisibilité, l’élégance de l’adaptation en français. À John Greaves, parlée-chantée-gromelée-rugie, la part rugueuse du texte original anglais, de cette langue américaine de le Côte Ouest, la part maudite, la rudesse de l’expérience sociale, l’âme damnée de London. Aux frontières de l’interjection. Les instruments que l’on a entendu dans « Love of Life » cédent le récit aux récitants, se font commentateurs discrets, chœur tragique, savants décorateurs entre illusion et distanciation, jusqu’à ces prises de paroles résonnant à la fin des différents chapitres pour dire l’indicible que sait dire la musique, pour faire épiphanie, avec cette connivence que le trio a su tisser au fil des années.

Témoignage ému d’une spectatrice en conclusion du débat cité plus haut. Roger Fontanel rebondit. En substance : voilà, c’est ça le miracle du théâtre, le miracle de ce que l’on fait ici en musique. On pousse la porte d’une salle de théâtre ou de concert, par curiosité, et l’on tombe sur ce que l’on n’avait jamais imaginé, sur cette essentialité qui nous manquait sans que nous le sachions. Aujourd’hui, 8 novembre, il faudra choisir entre le quartette du tromboniste Daniel Zimmerman (et quel quartette ! Benoît Delbecq, Gérald Chevillon, Franck Vaillant !) au Café Charbon à 18h30, et la projection à 18h à la Médiathèque Jean-Jaurès du docu-fiction de Michel Viotte Jack London, une aventure américaine. Demain encore à 12h15 au théâtre le duo Franck Tortiller & Misja Fitzgerald-Michel, et le soir à 21h le Desert Orchestra, « douze-têtes » afro-européen de la pianiste Éve Risser. Franck Bergerot

PS: je n’ai pas lu Martin Eden et je sors d’autant plus troublé par le suicide final du héros, qu’il me renvoie au récit tout aussi prodigieux et tragique – d’une toute autre plume et pourtant tout autant clinique, celle de Nabokov dans Ada ou l’ardeur – du suicide de Lucette, se jetant également d’un navire dans la mer. Suicide qui poursuit Marc Ducret sous le titre Julie s’est noyée de son album de 1990 « Gris » à son projet “Tower” où j’en avais surpris la citation en 2012,  en passant par l’album du MegaOctet d’Andy Emler “Dreams in Tune” dont il était l’invité en 2004.