Jazz live
Publié le 5 Nov 2018

Omar Sosa et Yilian Canizares, “un langage commun”

Avant leurs concerts événement au Bal Blomet de Paris, la chanteuse et violioniste et le pianiste cubains se sont livrés à Jazz Magazine.

Jazz Magazine En écoutant votre album, “Aguas”, on a l’impression d’assister à une conversation entre deux amis : comment avez vous commencé à travailler ensemble ?

Omar Sosa Je suis allé à un concert de Yilian et j’ai été impressionné par sa sensibilité, son approche musicale et sa dimension spirituelle. Elle était magnifique sur scène ! Et je n’avais pas ressenti ça en voyant quelqu’un sur scène depuis longtemps. Je suis resté après le concert pour lui proposer qu’on travaille ensemble. Quelques semaines plus tard, on s’est vraiment rencontrés pour la première fois. On a découvert qu’on avait un langage commun. Je crois que c’était l’une des démarches créatives les plus sincères que nous avons connue, sans règles, sans qu’aucun de nous ne prenne le contrôle. Nous avons laissé les choses se faire, et en très peu de temps : quatre jours d’écriture et de répétitions, et quatre jours en studio. Mais entre les deux, nous avons mangé de très bonnes choses et bu du très bon vin ! [Rires.]

Yilian Canizares J’ai grandi avec la musique d’Omar, qui était pour moi comme une référence, et je n’avais jamais imaginé que je pourrais travailler avec lui un jour ! Derrière cet album, il y a vraiment cette connexion ancestrale entre lui et moi, mais aussi une connexion artistique, car nous aimons les mêmes choses, et ça va bien au-delà de notre complémentarité musicale : c’est une philosophie de vie commune.

Omar Sosa Yilian et moi pratiquons l’animisme, et nous sommes constamment en dialogue avec nos ancêtres. L’idée était de faire une musique contemplative, pas démonstrative. L’important, c’était de laisser de l’espace pour faire ressortir la beauté de chacune des mélodies qu’on entend sur le disque. Mais il reste toujours cette dimension afro-cubaine dans notre musique. Notre rôle c’est de transmettre ce message de paix, de beauté, d’unité et d’amour à ceux qui nous écoutent.

Qu’est-ce que votre rencontre a changé à votre musique ?

Yilian Canizares Pour moi c’était un apprentissage exceptionnel ! Mais Omar, même s’il a déjà beaucoup fait, m’a laissé beaucoup de place pour m’exprimer, sans jamais me faire sentir comme si j’étais son élève. Il me disait que l’on apprendrait l’un de l’autre.

Omar Sosa Nous avons vraiment fait les choses ensemble. À travers la musique, on a pu entrer en contact avec une dimension spirituelle, recevoir et transmettre le message de nos ancêtres. En retour, on se nourrit la réaction du public à ce que nous leur avons transmis. Ça n’est pas toujours ce à quoi on s’attendait, il y a du pour et du contre. Mais lorsqu’on transmet de l’amour, on en reçoit forcément en retour – sinon, quelqu’un n’est pas sincère dans l’échange…

Yilian Canizares Nous avons eu assez de courage pour transmettre notre message tel que nous le souhaitions, sans nous soucier de l’avis des magazines ou des labels. Nous respectons l’opinion de chacun, et nous espérons qu’il sera entendu. Voilà pourquoi nous sommes très contents de ce disque, car quoiqu’il arrive, nous avons accompli notre mission.

Omar Sosa Beaucoup de gens vivent dans cette peur d’être rejetés s’ils se montrent tels qu’ils sont. Il faut arriver à s’aimer soi-même, et pour cela il faut d’abord être honnête avec soi-même. J’ai hâte de voir ce que sera ce projet dans deux ans, parce qu’après seulement quelques semaines, il a déjà tellement évolué qu’on pourrait presque refaire l’enregistrement de façon totalement différente !

Crédit Franck Socha / MDC

Le thème de l’eau est au centre de ce disque. Et c’est un thème que vous, Omar, aviez déjà exploré dans votre musique [avec Seikou Keita, NDR]. Qu’est ce qu’il représente pour vous deux ?

Yilian Canizares Beaucoup de choses ! Pour commencer, c’est l’élément le plus fondamental de la vie. Dans la tradition cubaine, l’eau est représentée par deux déesses : Oshun, la déesse des rivières, des lacs, des femmes, et Yemayá, la mère du monde, qui représente la pluie et la mer. En tant que Cubains, elle représente aussi cette distance qui nous sépare de notre terre d’origine. L’eau peut prendre la forme de ce qui l’entoure comme elle peut être incroyablement destructrice. Enfin, nous voulions que tout ceux qui écoutent cet album se posent cette question : que sommes-nous en train de faire à notre propre monde ? Que sommes nous en train de faire à cet élément fondamental qu’est l’eau ? Elle est souvent polluée dans le mépris le plus total, surtout dans notre pays… “Aguas”, c’est donc tout ça.

Omar Sosa On ne se préoccupe de l’eau qu’à partir du moment où elle vient à manquer… J’ai des enfants, et l’une des choses à laquelle je pense le plus, c’est au monde qu’on va leur laisser. L’eau qui est sur cette table devant nous, nous n’avons même pas eu à la payer. Mais qu’en sera t-il dans vingt ans ? Nous sommes des artistes conscients de la nécessité de préserver la seule chose que nous avons : la planète.

Yilian Canizares Aucun artiste qui se respecte ne peut rester indifférent aux problèmes écologiques et politiques de notre temps. Nous avons une responsabilité en tant qu’êtres humains. Et nous avons le pouvoir de changer les choses, ou du moins de faire réfléchir sur ces questions. C’est ce que nous essayons de faire, en toute humilité.

Votre album est un mélange subtil d’acoustique et d’électronique. Un petit avant goût de votre concert au Bal Blomet les 12 et 13 novembre prochain ?

Yilian Canizares On reprend ces éléments sur scène effectivement ! Mais nous serons aussi accompagnés par le grand Gustavo Ovalles aux percussions. Il faut vraiment venir le voir jouer, c’est une expérience unique ! Il y aura aussi du piano acoustique, des claviers, du violon, et de l’électronique. L’album est très calme, avec beaucoup d’espace, et on retrouve ça sur scène, mais nous y apporterons aussi le feu cubain ! Cette passion est un aspect très important de la culture cubaine, et elle ressort vraiment sur scène. On a vraiment hâte de partager notre musique avec le public parisien ! •

 

Le Concert

Les 12 et 13 novembre au Bal Blomet (Paris)

Réservations ici

Crédit Franck Socha / MDC

Le CD

Quatre ans après leur rencontre, le célèbre pianiste et la jeune et brillante chanteuse et violoniste signent avec “Aguas” un disque réjouissant qui surprend par ses sonorités.

 

“Aguas” fait partie de ces disques qui témoignent d’une rencontre artistique comme il en existe peu. Au delà de leurs nombreux points communs – origines, pratique spirituelle et goûts artistiques –, cet album est peut-être la meilleure preuve de la complicité que partagent Omar Sosa et Yilian Canizares. L’atmosphère intimiste qui s’en dégage, ni triste ni mélancolique, n’est rompue que par certains morceaux qui font entendre un tempo plus soutenu ou une couleur différente (la deuxième partie de O Le Le et Sanzara). La musique cubaine est tout aussi riche dans ce son épuré et contemplatif que dans les envolées passionnées qu’on lui connaît d’habitude. Cette complicité artistique et humaine transparaît aussi par une instrumentation qui fait savamment dialoguer l’acoustique et l’électr(on)ique (Dos Bendiciones), grâce à un travail des textures qui sert parfaitement le ton du disque. On ne peut qu’imaginer que ce projet, dans ses moments les plus poétiques comme les plus passionnés, s’exprimera de la plus belle des façons en live. • YK

“Aguas”, Music Development Company, déjà dans les bacs.