Jazz live
Publié le 19 Mar 2018

Orthez: Eric Seva et Emile Parisien pour un Jazz Naturel

25e édition du Festival jazz Naturel à Orthez (64 300). Malgré quelques secousses en amont à la tête de la tranquille cité béarnaise des bords du Gave de Pau, le courant a fini par passer live dans le jazz éclectique savamment éclairant d'Eric Seva et Emile Parisien. Puis en éclairs au travers des flux plus électriques de Tom Ibarra, juvénile guitariste apprenti héros lancé tout de go sous les projecteurs.

Une heure de concert déjà. Intense. Emile Parisien, accroupi sax soprano en mains écarquille ses yeux derrière des lunettes d’étudiant sage. Face à lui, comme en contre plongée Manu Codja électrise un solo dans le vertige du haut du manche de sa guitare. Soudain, sous ses doigts, pressants tendue au max, une corde casse net…Emile, ébahi n’en sourit que davantage.

Eric Seva (bars, ss, ssn), Christophe Cravero (p, elp, cla, vln), Christophe Walleme (b), elb), Manu Galvin (g), Stéphane Huchard (dm), Harrison Kennedy (voc, bjo, hca)

Tom Ibarra elg), Jeff Mercadié (ts), Antoine Vidal (elb), Auxane Cartigny (cla, p), Pierre Lucbert (dm)

Emile Parisien (ss), Roberto Negro (p), Manu Codjia (elg), Simon Tailleu (b), Mario Costa (dm)

Festival Jazz Naturel, Théâtre Francis Plantey, Orthez (64300),  15-18 mars

Préparer, mettre en place un festival de jazz et plus si affinité -in et off compris- ancré une fin d’hiver humidissime dans une petite ville de moins dé dix mille habitants, n’est pas forcément chose naturelle. Ni situation naturellement aisée. Jacques Canet, avec son équipe y fait face vaillamment tant bien que mal depuis des années. Sauf que la vingt cinquième édition s’annonçait plus complexe encore. Au début de l’été passé la municipalité  de la ville avait du déposer les armes au bout d’une guerre interne aussi destructrice que picrocholine. Démission, élection, piège à sons…Conséquences en cascade: budget resté sur le temps en l’air, décisions sur le programme repoussées, contrats suspendus « Il a fallu faire avec…mais j’ai vécu des moments de haute incertitude. Au final, vis à vis du public, ces points d’interrogation ont sans doute  doute pesé in fine… »

 

Eric Seva & Harrison Kennedy, body and blues en noir et blanc photo Martin Stahl

Le directeur du festival béarnais ainsi pris dans un courant de blues en bord du Gave de Pau qui arrose sa ville n’en avait pourtant programmé le projet d’Eric Seva à dessein. Simplement la nature même du travail du saxophoniste installé à Marmande l’avait séduit de longue date. Et sur la scène du petit théâtre orthézien les noces rejouées du blues et du jazz ont trouvé un écho brillant. Une part de cette réussite tient à Harrison Kennedy. Sa personnalité, son chanter vrai, l’épaisseur de sa voix, sa présence, bref le naturel affiché de son blues ancre le produit musical dans le terrain qui convient. Ainsi ça le fait bel et bien. Et Body and blues sonne plus vrai encore. Lorsqu’il place les accents de son chant profond sur Miniscropique Blues, un If you go gorgé de soul voire l’histoire poignante d’une jeune esclave brulée vive au Québec en 1734 (Jolie Marie-Angélique), le natif d’Hamilton (Ontario, Canada) fait vivre les racines de cette musique multicolore. Les musiciens de l’orchestre  réunis à cet effet par Eric Seva servent aussi parfaitement le propos. Question de savoir faire instrumental pour chacun (avec une adéquation totale au propos de la part de la guitare de Manu Galvin en particulier), de culture musicale assumée en commun, d’envie de tremper sa plume dans une écriture en noir et blanc surement aussi. Et voilà sans doute poindre pas le moindre des paradoxes de pouvoir, pour le public comme pour les acquéreurs du chouette CD (Body and Blues, #LesZ’ArtsdeGaronne/ L’Autre Distribution) goûter à ce pan inédit de la Great Black Music…de la part d’un band tout ce qui il y a de plus hexagonal. Eric Seva a eu l’intuition fine de revitaliser cet épisode d’histoire au travers d’un filtre personnel. Et le talent de le réaliser en un paysage musical attrayant. Sans fausse note.

 

Harrison Kennedy, bluesman de l’Ontario photo Martin Stahl

Il n’a pas vingt ans. Il y a deux ans déjà pourtant on le pointait déjà comme un guitariste phénomène. Tom Ibarra, lauréat de nombreux Tremplins d’orchestres a reçu cette année une récompense apte à le faire briller davantage encore (à Londres un Award du meilleur jeune artiste européen catégorie Jazz) Brillant donc il l’est. On le voit à son image accouplée sur scène à celle de Marcus Miller, Richard Bona ou même Sylvain Luc. Vient de sortir en auto-production  son second album déjà (Sparkling) Et le voilà propulsé sur nombre de scène à la tête de son nouveau groupe à l’occasion d’une tournée de pas moins de quarante dates en France et en Europe. Beau phrasé sur le manche, coulé, précis, net dans ses phrases en accord comme dans les articulations Une sonorité claire, et des accents qui le relient aux prestations sur le même instrument de Georges Benson, Mike Stern, voire Jef Beck ou Pat Metheny. Le soutien de son groupe de musiciens d’une même génération de cadets de la galaxie électrique lui permet de sortir, un remake du jazz fusion façon 80’s qui avait révélé nombre de ses modèles. Sur la scène du bien nommé Festival Jazz Naturel les thèmes exposés -« je ne suis pas très doué pour donner des titres à mes comps » avoue-t-il avec beaucoup de sincérité- collent parfaitement à pareille filiation. Un bon moyen de se faire connaître et reconnaître. Reste pour avancer sinon durer à sortir de ces seules traces. Et construire son propre monde de guitare et de contenu musical personnel. Bref tendre vers une ambition musicale en vraie dimension. Le fait d’avoir été à l’école de Didier Lockwood (auquel il a rendu hommage non sans émotion) avec quelques uns de ses comparses actuels au CMDL pourrait bien figurer un point de départ. Et une référence à garder en mémoire vive.

 

Tom Ibarra, sous les sunlights tout de go photo Martin Stahl

Emile Parisien lui aussi sorti des cadets de Gascogne du Jazz, matière étudiée sax en main au collège de Marciac, figura au départ tel un jazz phénomène. Sfumato (CD www.actmusic.com) toujours d’actualité sur les scènes hexagonales permet de pointer l’évolution, la profondeur de sa trace musicale depuis l’éclosion en terre gersoise. A l’instar de ses ainés Martial Solal ou Bernard Lubat spécialistes du genre il soigne l’intitulé de ses thèmes. Et laisse suffisamment d’espace aux musiciens pour en nourrir le contenu. Ainsi faut-il noter le parti pris judicieux de placer les solos de guitare de Manu Codjia -en phases de tension/détente étagées- dans le cadre d’un trio avec basse-batterie (travail toujours très peaufiné même s’il n’apparait pas toujours projeté en premier plan de la part de Simon Tailleu et Mario Costa) De même le rôle dévolu à Roberto Gato confère au piano une place prépondérante à l’image de celui de Danilo Perez dans le quartet de Wayne Shorter…toute comparaison excessive bue. Intros longues, relances ou soli en mode de boost ou d’apaisement question intensité donnée à la musique. A ce propos, les versions des thèmes sonnent de manière diffèrente, c’est à noter également selon que le clavier dans l’orchestre se trouve tenu par Joachim Kuhn ou Roberto Negro Ce dernier, plutôt dans le rôle de remplaçant ne manque pas pourtant de s’impliquer totalement dans le propos, y apportant notamment une forte empreinte de tonalité rythmique (Le Clown tueur) La silhouette, le contour, les ombres portées d’Emile Parisien nourrissent sa peinture jazzistique de par la présence prégnante de son instrument. Produit musical certifié issu des sonorités du soprano, du timbre de cuivre qui n’appartiennent qu’à lui. Son design jazz résonne toujours, dans le calme (rare) ou la tempête sonore (fréquente) que cet Arlequin un tantinet désarticulé déclenche au bout de sa gymnastique frénetique (gymnopédie saxuelle ?) Alors, peut-être faut-il voir simplement dans pareil mouvement perpétuel créatif la marque d’une fragilité à dépasser. Celle que l’on ressent sur le fil du rasoir de l’improvisation comme bataille  entre le ying de l’équilibre et le yang du déséquilibre musical. Ce jeu, pareille joute exacerbée expliquerait pourquoi à la fin du concert, ce sont surtout des enfants (de l’Ecole de Musique ?) qui viennent recueillir son autographe, tous impressionnés, sur le billet d’entrée du concert.

 

Emile Parisien, soprano vigilant

Emotion encore, émotion toujours: en introduction au concert du samedi le public de Jazz Naturel a pu bénéficier d’une séquence hommage à Didier Lockwood très récemment disparu. Le temps de la projection d’une galerie de photos portraits dus aux photographes Alain Nouvel, Francis de Moro et Sébastien Arnouts ont résonné les notes reconnaissables entre mille de son violon sur un thème de la bo des Valseuses signées Stéphane Grappelli. Didier Lockwood avait joué lors de trois éditions du festival. Le public  orthézien s’en est souvenu.

 

Robert Latxague