Jazz live
Publié le 14 Avr 2020

Pascal Groffe : le bassiste qui chauffait Marcel

Sale temps pour les contrebassistes : après Andy Gonzalez et le même jour que Jymie Merritt, disparaissait le 10 Avril dernier Pascal Groffe. Moins historique, mais une figure attachante de la musique française, jazz mais pas que…

Peu connu du monde du jazz, mais figure de ce que l’on appelle “le métier”, Pascal Groffe était né le 14 Mars 1925, petit-fils de chansonnier et fils de musicien. Initié au piano à l’âge de sept ans, puis passé à la guitare, il avait déserté la mécanique pour la profession musicale lorsqu’à la Libération il trouva une place de guitariste dans le big band du trompettiste Alex Renard. Dans une France en liesse, le métier ne manquait ni de bals ni de galas et, de fil en aiguille, au sein de l’orchestre de l’accordéoniste Louis Ledrich, qui à l’époque jouait swing, il se vit proposer la contrebasse, le temps d’une pause, par le titulaire du pupitre, un certain “La Lune” (ainsi surnommé, car il s’y trouvait souvent)… Une pause qui dura toute une vie, à commencer par l’orchestre de Tony Murena au Mirliton* où Didi Duprat lui céda son pupitre de guitare et où rencontra Marcel Azzola, qui ne tarda pas à l’engager… comme contrebassiste. Et si son curicululm vitae est émaillé de grands noms (Barbara, Brassens, Montand), le compagnon de sa vie aura été Marcel, des studios, où tous deux s’épaulèrent pour résister à la vulgarité des directeurs artistique dès qu’il s’agissait d’accordéon, au rythme effréné des tournées des bals.


Mais donnons la parole à Marcel Azzola à qui l’on demandait de citer les contrebassistes avec lesquels il avait joué : « J’ai joué souvent avec Michelot, toujours avec beaucoup de plaisir, avec Guy Pedersen… Plus tard, j’ai rejoint le duo de Patrice Caratini et Marc Fosset. Sur “Paris Musette”, vous m’avez fait jouer avec Jean-Philippe Viret, Yves Torchinsky… C’était très bien, très ouvert. Mais il y a surtout eu un certain Pascal Groffe, qui était une sorte de Michelot, mais timide, jamais reconnu à sa juste valeur. Pascal, le guitariste Didi Duprat et le batteur Roger Paraboschi furent le premier noyau dur de mon orchestre de bal. En studio, j’ai souvent cherché à reconstituer ce noyau dur. Les directeurs artistiques nous pressaient à enregistrer des titres à la chaîne, sans arrangements. Il fallait se jeter à l’eau. Heureusement, Didi était une vraie chaudière. Il nous stimulait en combinant ses accords aux formidables ligne de basse de Pascal. Et avec Paraboschi, ça roupillait pas ! Le manque d’exigence des directeurs artistiques faisait enrager Pascal dont les compétences d’arrangeur nous tiraient souvent d’embarras. Il pouvait prendre la guitare, ou le piano et nous avons cosigné de nombreux titres ensemble : Pichenette, Bistro Musette, Love In Brazil (où il faisait même les chœurs avec Lina Bossatti, ma pianiste), Simple et musette, Interrogation… »

Pascal Groffe est mort à 95 ans, dans le confinement, sans ses amis de Trébeurden (Côtes d’Armor) dont il était citoyen d’honneur et où le batteur Joël Caruana et le flûtiste Jean-Mathias Pétri venait souvent lui rendre visite pour lui faire raconter sa longue vie et lui faire ressortir sa basse. Ce sont eux qui nous ont appris la triste nouvelle : « Nous perdons un artiste hors pair, avec un “cœur gros comme ça” et un implacable humour. Dès que possible, nous irons, avec toutes celles et ceux qui le souhaitent, disperser ses cendres, comme il l’a demandé, au son de la musique qu’il aimait tant. » Franck Bergerot

* Extrait d’une interview de Marcel Azzola : « Le Mirliton, près du métro Villiers, passage Geoffoy Didelot, n’était pas un bal musette, c’était le dancing de Tony Murena, qu’il avait acheté en 1949. Tony jouait de l’accordéon, du bandonéon. Il y avait Didi à l’orchestre, Jacques Isra (dit “Le Curé”, “Le Clergyman”) à la batterie et Pascal Groffe à la basse. C’est l’orchestre que j’ai utilisé au début, mais à l’époque pas mal d’accordéonistes ont utilisé cette rythmique, parce que ça tournait bien… »«