Jazz live
Publié le 26 Nov 2022

Annick Tangorra Alain Jean-Marie dans TIME FOR A CRY

Après la Soirée de rentrée Grands Formats mercredi dernier, on retrouve la chaleur et l’intimité du Petit Duc pour un duo piano-chant, toujours dans le cadre de l'opération JAZZ SUR LA VILLE qui se termine bientôt...

ANNICK TANGORRA & ALAIN JEAN-MARIE

TIME FOR A CRY

Après la Soirée Rentrée Grands Formats mercredi dernier, on retrouve la chaleur et l’intimité du Petit Duc avec cette fois Myriam Daups pour présenter un duo piano-voix, celui d’Annick Tangora et d’Alain Jean-Marie dans ce Time for Cry qui correspond à un album, sorti cette année, en février, sur le label AZTEC. L’album enregistré dans une église profitait de la réverbération naturelle du lieu, favorisant une certaine exaltation, précisait la chanteuse.

J’avais quitté le pianiste dans un autre duo Interplay avec le contrebassiste Diego Imbert, hommage au grand Bill Evans. Mais je n’avais jamais entendu en live la chanteuse Annick Tangorra qui pour son Springtime avec Mario Canonge, croisait déjà Alain Jean-Marie ami du pianiste Martiniquais.

Faut il présenter Alain Jean-Marie? Un sacré pedigree : bopper accompli, son Biguine reflections qui remonte déjà à 1992 mit plus en avant ses racines caribéennes jamais oubliées, alors qu’il influença nombre pianistes post bop. Révélant ses racines antillaises dans un jeu nuancé, jamais folklorique, il redonnait son sens à la biguine. Loin, reconnaissons le, du tube de Cole Porter Begin the Beguine popularisé par le clarinettiste Artie Shaw en 1937. Preuve qu’Alain Jean-Marie arriva à embrasser plusieurs mondes en un style propre. Il s’affirme comme pianiste soucieux du toucher qu’il a net et subtil, du timbre et de la couleur. Du swing aussi qu’il pratique avec autant d’élégance qu’il a de pudeur et de discrétion.

Le duo va jouer le programme de l’album dans le désordre en ajoutant quelques titres, soit un bouquet offrande de 11 pièces, effluves d’un jazz aimé, un rien nostalgique, sans aucune volonté démonstrative ni virtuosité affichée.

Ce duo favorise l’intime et la proximité, le pianiste ne joue pas fort, c’est un pianiste de club, il s’écoute volontiers dans cette ambiance décontractée, même si lui ne l’est pas. On en profite pour se rapprocher et l’entendre ainsi swinguer sans brillance forcée. De la nuance et la profondeur que ne contrarie pas une certaine vigueur : ses accords plaqués scandent la mélodie avec fermeté, sans hésitation aucune. Il est concentré sur son clavier, ne relevant pas le nez, comme s’il recommençait à chaque titre, remettant tout en jeu.

Il me semble que la chanteuse le suit sur la même ligne, attentive à cet échange, calant ses paroles, comme en liberté surveillée, s’accordant au rythme, à la pulsation, aux décalages. D’autant que le pianiste introduit et clôt chaque thème, commente la ligne de chant, reprend, répète certains motifs.

S’ils reprennent des standards, ce sera avec une fidélité distanciée. La mélodie existe déjà, il ne faut pas la déstructurer de trop, mais la jouer comme on la ressent. Le timide et plus que réservé pianiste imprime une vigueur peu commune, une ardente fièvre à des compositions aussi connotées que le sombre “I Cover The Waterfront” ou encore le boléro “Yesterdays” qui pour moi sont indissociables de Billie Holiday qui imposait une dramaturgie intense. Intime et lyrique dans son déroulé, Annick Tangora en donne des versions plus lumineuses . Entraînée par le tempo plus rapide du piano clair et dégagé, elle ne sculpte pas autant les mots mais réussit à épouser les contours de cette mélodie avec chaleur,  avec une énonciation qui ne s’embarrasse pas de fioritures même quand elle scate. Annick Tangora a ce lyrisme propre au « musical », liant la force des émotions à des sons accueillants, ouverts. Les chansons ne sont plus des drames.

De sa voix de mezzo soprano, claire et chaude, elle pose  ses propres mots sur les musiques originales du pianiste dans “Time For A Cry”, “Morning Haze”, “Back To Agadir”, “Sundays I Love You” (It’s a lazy afternoon, répète t-elle sensuellement). La continuité sereine de cet album de la maturité se ressent en concert. A l’exception des compositions du pianiste sur lesquelles elle a écrit des mots, très personnels forcément, il s’agit moins d’un auto-portrait qu’un miroir tendu aux spectateurs/auditeurs.

 Annick Tangorra est solaire, évitant tensions et crispations. Il faut la voir s’éclater sur les chansons brésiliennes de Tom Jobim ou sur le “Carinhoso” de Pixinguinha, ce choro samba des années 30 qui imprime à une polka européenne des rythmes syncopés et déjà une forme d’improvisation. Elle chaloupe d’aise sur ces mélodies sud-américaines.

Le concert ne sera donc pas tout à fait un remède à la nostalgie mais à la mélancolie.

Pourtant, en fin de concert quand Myriam et Annick essaient de recueillir les impressions du pianiste, il avouera que ses airs ne sont pas très gais, qu’il tente de les enrober, de mettre du chocolat autour de l’amertume. Ce sont des morceaux prétextes, des instantanés musicaux, moments vécus traduits en notes qu’ il aime voir relevés des paroles de Tangorra (dixit) plus explicites.

Tout est dit…

Sophie Chambon