Jazz live
Publié le 23 Juin 2022

Wolfi Jazz Festival, Jour 1 : Amazing Keystone Big Band et Kimberose

En arrivant dans l'enceinte du Fort Kléber, à Wolfisheim, il m'a semblé que cette structure belliqueuse pourrait encore vivre quelques batailles. Cet ancien fort de la Deutsches Heer a été racheté par la commune dans les années 2000, et accueille depuis douze ans maintenant le Wolfi Jazz Festival. Aujourd'hui, beaucoup de manifestations jazzistiques relèvent du combat de haute lutte. Qu'en est-il à Wolfisheim, et contre quoi s'acharnent ces amoureux du jazz ? Je tâcherai d'y répondre durant mes trois jours au front.

En première partie, l’Amazing Keystone Big Band lance l’assaut.

Ce mercredi 22 juin 2022, c’est l’Amazing Keystone Big Band qui lance l’assaut, et ouvre la douzième édition du Wolfi Jazz Festival, sur la grande scène de l’Esplanade. Les 17 musiciens fêtent eux aussi leur douzième anniversaire avec quelques compositions de Django Reinhardt. Le projet Django EXTENDED avait vu le jour il y a quelques années suite à une commande du Festival Django Reinhardt, et l’ensemble avait pu retrouver des invités de renom, comme Stochelo Rosenberg, Thomas Dutronc ou le regretté Didier Lockwood (qui n’est autre que le beau-père de David Enhco, trompettiste et membre fondateur de l’Amazing Keystone).

Ce Big Band ne manque pas d’idées, car j’avais pu le rencontrer autour du projet « We Love Ella », où Célia Kameni devait incarner Ella Fitzgerald, incarnation périlleuse qui ne m’a laissé que de vagues souvenirs. Ici, l’enjeu est tout autre : faire swinguer le jazz manouche avec une formation tout à fait originale, explorer le répertoire de Django sous toutes ses coutures, et le réinventer, pour l’étendre (« Extended ») au-delà du quintette.

 

Un solo du déchaîné Thibaud François.

 

Evidemment, par quel morceau commencer ce concert d’anthologie, sinon Djangology ? Ce standard swingue comme aucun autre, et suffit à démontrer les capacités du Big Band en matière de swing. Cette composition à quatre mains et dix-huit doigts, puisqu’imaginée avec Stéphane Grappelli, semble pouvoir vivre sans les guitares rythmiques, sans violon, sans tambour ni trompette. Ah non, il y a tout de même les tambours de Philippe Maniez, et quatre trompettes d’exception (Vincent Labarre, Thierry Seneau, Félicien Bouchot et David Enhco). Outre le swing, une autre présence se fait sentir, en quantité suffisante pour un hommage à Django : Thibaud François et son archtop. Celui-ci est généreusement intégré dans les arrangements, des arrangements parfaitement ancrés dans les années 1940, faisant écho à ceux de Stan Kenton, ou plutôt, pour rester dans l’hexagone, à l’orchestre de Christian Chevallier.

Faire goûter les compositions de Django au Big Band, c’est peut-être le plus bel hommage qu’on puisse lui faire, lui qui, adulant Duke Ellington, avait effleuré son orchestre lors d’une tournée américaine en 1946, mais avait été laissé pour compte dans les arrangements du Duke.

Cette science de l’arrangement nous est peu à peu dévoilée, comme se dévoilent les musiciens au fil des solos. Dans Troublant Boléro, on découvre l’élégant Noé Huchard, qui remplace l’habituel Fred Nardin. Un medley mêlant Impromptu, Mike et Babik offre des solos frénétiques de la part de Kenny Jeanney (saxophone), David Enhco (trompette) et Philippe Maniez (batterie).

L’ambiance change du tout au tout avec Rythmes Futur. Une composition moins connue de Django, par laquelle le Big Band veut commémorer sa curiosité. En effet, on sent ici le contact du Bop avec ce morceau complexe, véloce, que l’orchestre complexifie encore, on ne sait plus où donner de la tête, et le reste du big band reste perplexe face aux conversations très libres que mènent le guitariste, le batteur et le pianiste, sous nos oreilles ébahies. Cette fois-ci, on pourrait croire que les arrangements ont été piqués à Stravinsky, et ces pulsations de cuivres donnent envie de se lancer dans une Danse de la terre. On poursuit dans le registre bop avec Anouman, très hard bop cette fois-ci, et de remarquables solos de saxophone par Bastien Ballaz et Jon Boutellier.

 

Jon Boutellier, sur le devant de la scène.

 

Avec Belleville, on croit que c’est fini… Tête-en-l’air, ils sont 17 à avoir oublié de jouer LE morceau de Django. Celui que tout le monde connait, le somptueux Nuages. Ce concert d’ouverture se clôt sur un mystérieux solo de David Enhco, et le fantôme de Wallace Roney passe parmi nous.

 

Kimberose, une voix aux influences démultipliées.

 

(Photo Gnik DR)

 

La deuxième partie de la soirée se fera dans un tout autre registre. La jeune chanteuse française Kimberly Kitson-Mills, qu’on retrouve sous le nom de Kimberose avec une formation éponyme, composée d’un batteur (Rémi Ferbus), d’un claviériste (Timothée Bakoglu), d’un bassiste (Jérémy Louwerse), d’un guitariste (Paul Parizet) et d’une autre vocaliste (Prisca Vua), compte nous emmener, avec les compositions de son dernier album, « OUT », sur les traces de son cheminement musical. On retrouve ainsi, au fil des morceaux, des bribes de Motown des années 1960, portées par des trémolos d’orgue, puis des vagues de rock, de pop neosoul plus actuelle (The Secret), des rythmes reggae (Blah Blah), un gospel (Keep On Loving) et même des influences clairement nommées, comme la chanteuse Lauryn Hill et les Fugees, et l’ère R’n’B en général. On tape du pied, d’abord, puisque celui-ci est propulsé par les vibrations de la basse 808, qui feraient presque trembler l’Armée Impériale. Les musiciens font le show, la chanteuse arrive à faire se lever l’assemblée, qui trépigne, chante parfois, et semble plutôt emballée par la jeune chanteuse.

L’ensemble est finalement assez homogène, puisque toutes ces compositions sont reliées par un dénominateur commun, la voix de Kimberose, une voix pleine de ressources, perçante, comme celle d’Amy Winehouse, au trémolo maîtrisé, dans la tradition des chanteuses de soul.

 

Un public conquis. (Photo Gnik DR)

 

Walden Gauthier

 

 

Crédits images : Wolfi Jazz Festial (DR), Gnik (DR), Walden Gauthier