Jazz live
Publié le 2 Fév 2015

3=2+1=1

Feu le free ? Mauvaise question ! Nous sommes au XXIe siècle : on se moque des étiquettes (ou du moins, on le devrait). Celle sur laquelle a été griffonné le mot « free » passe avec le temps, et laisse place au mot premier, celui sur lequel reposent tant d’incompréhension en France : musique (et c’est bien pire si on lui ajoute « instrumentale »). Le trio Brötzmann/Parker/Drake n’a eu de cesse de rappeler l’inanité de la question initiale de ce chapeau au cours d’une prestation donnée dans le cadre du festival Sons d’hiver.


Vendredi 30 janvier 2015, Choisi-le-Roi (94), Théâtre Paul Eluard,

Festival Sons d’hiver

1e partie : Tarbarby with special guest David Murray

David Murray (ts), Eric Revis (cb), Nasheet Waits (dm)

2e partie : Brötzmann/Drake/Parker Trio

Peter Brötzmann (cl, as, ts), William Parker (cb, gumbri, sakuhashi), Hamid Drake (dm, perc)

 

« Mais non, ya des coupes ! » lance Franck Bergerot à Fred Goaty qui s’apprêtait à servir du champagne dans un gobelet en plastique à Thierry Quenum. Coup de sonnette : Jean-Baptiste Millot vient faire un saut à la traditionnelle fête de début d’année de Jazz Magazine. « Tu fais une petite photo de groupe ? » lui propose Fred Goaty, ce que Jean-Baptiste accepte bien volontiers après, tout de même, avoir saluer l’assemblée et bu une petite coupe. Et voilà comment, après une réunion de travail (plus longue que prévue) des collaborateurs de Jazz Magazine avec leurs rédacteurs en chef, j’ai raté la première partie d’une soirée musicale où j’avais décidé de me rendre. Raison pour laquelle votre rapporteur ne peut ici évoquer la rencontre inédite entre David Murray et Tabarby (sans Orrin Evans, indisponible).

 

Heureusement, les réseaux de la RATPsont très efficaces ce soir. Je parviens donc à temps au Théâtre Paul Eluard et ne rate pas le début de la rencontre entre deux conceptions de la musique improvisée : celle portée par l’un des plus fameux représentant du kaputt-playing (dixit Peter Kowald, l’un des compagnons d’arme de Brötzmann), et l’inscription afrologique (théorisée par George Lewis) du tandem Parker/Drake. En rappelant les contextes socioculturelles et historiques dans lesquels s’inscrivent ces musiciens, je cherche à faire comprendre les raisons pour laquelle la formation me parut souvent trouver un équilibre dans l’équation 3 = 2+1 = 1.

 

Bortzmann Parker Drake

 

Loin du free expressionniste, la rythmique – et Hamid Drake plus volontiers – n’a pas hésité à naviguer d’effluves idiomatiques en saveurs stylistiques. Tout en entretenant un flux permanent, le batteur s’est ainsi ingénié à parsemer l’improvisation collective de ruptures habilement incitatrices, passant d’effets de couleurs à un swing pur et dur qui, soudain, accélère, change de tempo, passe rapidement à une rythmique plus africaine, rebondit sur un effet de trille du soliste, et le tout à l’avenant.

Cela fera bientôt cinquante ans que Peter Brötzmann a enregistré l’emblématique “Machine Gun” (1968). Son énergie, toujours puissante, a de ce fait évolué, comme on s’en doute. Elle se décline davantage en des plages apaisées, douces et mélodieuses. Les premières notes émises au début du concert, à la clarinette avec un son proche du taragot, m’évoquent quelque chose comme Sidney Bechet (à cause de l’ample vibrato et du registre) interprétant la mélodie d’un folklore imaginaire dans l’esprit du John Coltrane modal. Lorsqu’il passe au ténor, l’éruption n’est en revanche jamais très loin. Mais si le volcan gronde, le débordement de lave n’aura lieu qu’une fois – mais quelle fois ! Je me fais souvent la même réflexion au sujet de ces musiciens libertaires qui ont avancé dans l’âge : la plupart d’entre eux prouvent à chacune de leur prestation qu’ils ne sont décidément pas là par hasard. L’urgence de leur jeunesse, l’expressionnisme exacerbé, voire la colère d’antan laissent place à une sorte d’épure, de concentré musical d’un charme moins rêche, moins radical regretteront peut-être certains, mais d’une dimension spirituelle – moins dans le sens religieux du qualificatif que d’une communication d’âme à âmes – que seuls les vrais poètes portent en eux.

William Parker se trouve au milieu de la scène, entre Hamid Drake et Peter Brötzmann. Ne possédant pas le don d’ubiquité physique mais musicale, il se révèle de fait le lien idéal entre le souffleur et le percutant. Que ce soit à la contrebasse, au gumbri ou au sakuhashi (si ce n’était cet instrument, il y ressemblait fort), il a toujours le ton juste, l’énergie liante, l’à-propos et l’aplomb du sage. « Je ne suis qu’un médium au travers duquel passe la musique » : de tels propos, que l’on entend dans la bouche de nombreux musiciens, peuvent paraître farfelus aux cartésiens occidentaux que nous sommes bon an mal an. Même si telle n’était pas sa démarche, William Parker a incarné cet adage, faisant tomber du même coup ces lunettes qui nous rendent parfois sourdes. Ce n’est que dans l’expérimentation in vivo que l’auditeur peu saisir quelque peu le sens véritable d’une telle phrase.

 

Brotzmann Parker

 

Pour quelles raisons se déplace-t-on (doit-on se déplacer) pour écouter ce type de trio ? Pour une présence incarnée dans un Son, pour une certaine conception du temps musical, pour une énergie bien particulière, douce-amère, granuleuse (nécessairement), qui rudoie et transporte.

 

Quelques concerts à voir prochainement au Festival Sons d’hiver :

          Quatuor iXi à Ivry-sur-Seine le 10 février

          Theo Bleckmann solo à Villejuif les 11 et 12 février

          Ambrose Akinmusire Quintet puis Massacre à Créteil le 13 février

|

Feu le free ? Mauvaise question ! Nous sommes au XXIe siècle : on se moque des étiquettes (ou du moins, on le devrait). Celle sur laquelle a été griffonné le mot « free » passe avec le temps, et laisse place au mot premier, celui sur lequel reposent tant d’incompréhension en France : musique (et c’est bien pire si on lui ajoute « instrumentale »). Le trio Brötzmann/Parker/Drake n’a eu de cesse de rappeler l’inanité de la question initiale de ce chapeau au cours d’une prestation donnée dans le cadre du festival Sons d’hiver.


Vendredi 30 janvier 2015, Choisi-le-Roi (94), Théâtre Paul Eluard,

Festival Sons d’hiver

1e partie : Tarbarby with special guest David Murray

David Murray (ts), Eric Revis (cb), Nasheet Waits (dm)

2e partie : Brötzmann/Drake/Parker Trio

Peter Brötzmann (cl, as, ts), William Parker (cb, gumbri, sakuhashi), Hamid Drake (dm, perc)

 

« Mais non, ya des coupes ! » lance Franck Bergerot à Fred Goaty qui s’apprêtait à servir du champagne dans un gobelet en plastique à Thierry Quenum. Coup de sonnette : Jean-Baptiste Millot vient faire un saut à la traditionnelle fête de début d’année de Jazz Magazine. « Tu fais une petite photo de groupe ? » lui propose Fred Goaty, ce que Jean-Baptiste accepte bien volontiers après, tout de même, avoir saluer l’assemblée et bu une petite coupe. Et voilà comment, après une réunion de travail (plus longue que prévue) des collaborateurs de Jazz Magazine avec leurs rédacteurs en chef, j’ai raté la première partie d’une soirée musicale où j’avais décidé de me rendre. Raison pour laquelle votre rapporteur ne peut ici évoquer la rencontre inédite entre David Murray et Tabarby (sans Orrin Evans, indisponible).

 

Heureusement, les réseaux de la RATPsont très efficaces ce soir. Je parviens donc à temps au Théâtre Paul Eluard et ne rate pas le début de la rencontre entre deux conceptions de la musique improvisée : celle portée par l’un des plus fameux représentant du kaputt-playing (dixit Peter Kowald, l’un des compagnons d’arme de Brötzmann), et l’inscription afrologique (théorisée par George Lewis) du tandem Parker/Drake. En rappelant les contextes socioculturelles et historiques dans lesquels s’inscrivent ces musiciens, je cherche à faire comprendre les raisons pour laquelle la formation me parut souvent trouver un équilibre dans l’équation 3 = 2+1 = 1.

 

Bortzmann Parker Drake

 

Loin du free expressionniste, la rythmique – et Hamid Drake plus volontiers – n’a pas hésité à naviguer d’effluves idiomatiques en saveurs stylistiques. Tout en entretenant un flux permanent, le batteur s’est ainsi ingénié à parsemer l’improvisation collective de ruptures habilement incitatrices, passant d’effets de couleurs à un swing pur et dur qui, soudain, accélère, change de tempo, passe rapidement à une rythmique plus africaine, rebondit sur un effet de trille du soliste, et le tout à l’avenant.

Cela fera bientôt cinquante ans que Peter Brötzmann a enregistré l’emblématique “Machine Gun” (1968). Son énergie, toujours puissante, a de ce fait évolué, comme on s’en doute. Elle se décline davantage en des plages apaisées, douces et mélodieuses. Les premières notes émises au début du concert, à la clarinette avec un son proche du taragot, m’évoquent quelque chose comme Sidney Bechet (à cause de l’ample vibrato et du registre) interprétant la mélodie d’un folklore imaginaire dans l’esprit du John Coltrane modal. Lorsqu’il passe au ténor, l’éruption n’est en revanche jamais très loin. Mais si le volcan gronde, le débordement de lave n’aura lieu qu’une fois – mais quelle fois ! Je me fais souvent la même réflexion au sujet de ces musiciens libertaires qui ont avancé dans l’âge : la plupart d’entre eux prouvent à chacune de leur prestation qu’ils ne sont décidément pas là par hasard. L’urgence de leur jeunesse, l’expressionnisme exacerbé, voire la colère d’antan laissent place à une sorte d’épure, de concentré musical d’un charme moins rêche, moins radical regretteront peut-être certains, mais d’une dimension spirituelle – moins dans le sens religieux du qualificatif que d’une communication d’âme à âmes – que seuls les vrais poètes portent en eux.

William Parker se trouve au milieu de la scène, entre Hamid Drake et Peter Brötzmann. Ne possédant pas le don d’ubiquité physique mais musicale, il se révèle de fait le lien idéal entre le souffleur et le percutant. Que ce soit à la contrebasse, au gumbri ou au sakuhashi (si ce n’était cet instrument, il y ressemblait fort), il a toujours le ton juste, l’énergie liante, l’à-propos et l’aplomb du sage. « Je ne suis qu’un médium au travers duquel passe la musique » : de tels propos, que l’on entend dans la bouche de nombreux musiciens, peuvent paraître farfelus aux cartésiens occidentaux que nous sommes bon an mal an. Même si telle n’était pas sa démarche, William Parker a incarné cet adage, faisant tomber du même coup ces lunettes qui nous rendent parfois sourdes. Ce n’est que dans l’expérimentation in vivo que l’auditeur peu saisir quelque peu le sens véritable d’une telle phrase.

 

Brotzmann Parker

 

Pour quelles raisons se déplace-t-on (doit-on se déplacer) pour écouter ce type de trio ? Pour une présence incarnée dans un Son, pour une certaine conception du temps musical, pour une énergie bien particulière, douce-amère, granuleuse (nécessairement), qui rudoie et transporte.

 

Quelques concerts à voir prochainement au Festival Sons d’hiver :

          Quatuor iXi à Ivry-sur-Seine le 10 février

          Theo Bleckmann solo à Villejuif les 11 et 12 février

          Ambrose Akinmusire Quintet puis Massacre à Créteil le 13 février

|

Feu le free ? Mauvaise question ! Nous sommes au XXIe siècle : on se moque des étiquettes (ou du moins, on le devrait). Celle sur laquelle a été griffonné le mot « free » passe avec le temps, et laisse place au mot premier, celui sur lequel reposent tant d’incompréhension en France : musique (et c’est bien pire si on lui ajoute « instrumentale »). Le trio Brötzmann/Parker/Drake n’a eu de cesse de rappeler l’inanité de la question initiale de ce chapeau au cours d’une prestation donnée dans le cadre du festival Sons d’hiver.


Vendredi 30 janvier 2015, Choisi-le-Roi (94), Théâtre Paul Eluard,

Festival Sons d’hiver

1e partie : Tarbarby with special guest David Murray

David Murray (ts), Eric Revis (cb), Nasheet Waits (dm)

2e partie : Brötzmann/Drake/Parker Trio

Peter Brötzmann (cl, as, ts), William Parker (cb, gumbri, sakuhashi), Hamid Drake (dm, perc)

 

« Mais non, ya des coupes ! » lance Franck Bergerot à Fred Goaty qui s’apprêtait à servir du champagne dans un gobelet en plastique à Thierry Quenum. Coup de sonnette : Jean-Baptiste Millot vient faire un saut à la traditionnelle fête de début d’année de Jazz Magazine. « Tu fais une petite photo de groupe ? » lui propose Fred Goaty, ce que Jean-Baptiste accepte bien volontiers après, tout de même, avoir saluer l’assemblée et bu une petite coupe. Et voilà comment, après une réunion de travail (plus longue que prévue) des collaborateurs de Jazz Magazine avec leurs rédacteurs en chef, j’ai raté la première partie d’une soirée musicale où j’avais décidé de me rendre. Raison pour laquelle votre rapporteur ne peut ici évoquer la rencontre inédite entre David Murray et Tabarby (sans Orrin Evans, indisponible).

 

Heureusement, les réseaux de la RATPsont très efficaces ce soir. Je parviens donc à temps au Théâtre Paul Eluard et ne rate pas le début de la rencontre entre deux conceptions de la musique improvisée : celle portée par l’un des plus fameux représentant du kaputt-playing (dixit Peter Kowald, l’un des compagnons d’arme de Brötzmann), et l’inscription afrologique (théorisée par George Lewis) du tandem Parker/Drake. En rappelant les contextes socioculturelles et historiques dans lesquels s’inscrivent ces musiciens, je cherche à faire comprendre les raisons pour laquelle la formation me parut souvent trouver un équilibre dans l’équation 3 = 2+1 = 1.

 

Bortzmann Parker Drake

 

Loin du free expressionniste, la rythmique – et Hamid Drake plus volontiers – n’a pas hésité à naviguer d’effluves idiomatiques en saveurs stylistiques. Tout en entretenant un flux permanent, le batteur s’est ainsi ingénié à parsemer l’improvisation collective de ruptures habilement incitatrices, passant d’effets de couleurs à un swing pur et dur qui, soudain, accélère, change de tempo, passe rapidement à une rythmique plus africaine, rebondit sur un effet de trille du soliste, et le tout à l’avenant.

Cela fera bientôt cinquante ans que Peter Brötzmann a enregistré l’emblématique “Machine Gun” (1968). Son énergie, toujours puissante, a de ce fait évolué, comme on s’en doute. Elle se décline davantage en des plages apaisées, douces et mélodieuses. Les premières notes émises au début du concert, à la clarinette avec un son proche du taragot, m’évoquent quelque chose comme Sidney Bechet (à cause de l’ample vibrato et du registre) interprétant la mélodie d’un folklore imaginaire dans l’esprit du John Coltrane modal. Lorsqu’il passe au ténor, l’éruption n’est en revanche jamais très loin. Mais si le volcan gronde, le débordement de lave n’aura lieu qu’une fois – mais quelle fois ! Je me fais souvent la même réflexion au sujet de ces musiciens libertaires qui ont avancé dans l’âge : la plupart d’entre eux prouvent à chacune de leur prestation qu’ils ne sont décidément pas là par hasard. L’urgence de leur jeunesse, l’expressionnisme exacerbé, voire la colère d’antan laissent place à une sorte d’épure, de concentré musical d’un charme moins rêche, moins radical regretteront peut-être certains, mais d’une dimension spirituelle – moins dans le sens religieux du qualificatif que d’une communication d’âme à âmes – que seuls les vrais poètes portent en eux.

William Parker se trouve au milieu de la scène, entre Hamid Drake et Peter Brötzmann. Ne possédant pas le don d’ubiquité physique mais musicale, il se révèle de fait le lien idéal entre le souffleur et le percutant. Que ce soit à la contrebasse, au gumbri ou au sakuhashi (si ce n’était cet instrument, il y ressemblait fort), il a toujours le ton juste, l’énergie liante, l’à-propos et l’aplomb du sage. « Je ne suis qu’un médium au travers duquel passe la musique » : de tels propos, que l’on entend dans la bouche de nombreux musiciens, peuvent paraître farfelus aux cartésiens occidentaux que nous sommes bon an mal an. Même si telle n’était pas sa démarche, William Parker a incarné cet adage, faisant tomber du même coup ces lunettes qui nous rendent parfois sourdes. Ce n’est que dans l’expérimentation in vivo que l’auditeur peu saisir quelque peu le sens véritable d’une telle phrase.

 

Brotzmann Parker

 

Pour quelles raisons se déplace-t-on (doit-on se déplacer) pour écouter ce type de trio ? Pour une présence incarnée dans un Son, pour une certaine conception du temps musical, pour une énergie bien particulière, douce-amère, granuleuse (nécessairement), qui rudoie et transporte.

 

Quelques concerts à voir prochainement au Festival Sons d’hiver :

          Quatuor iXi à Ivry-sur-Seine le 10 février

          Theo Bleckmann solo à Villejuif les 11 et 12 février

          Ambrose Akinmusire Quintet puis Massacre à Créteil le 13 février

|

Feu le free ? Mauvaise question ! Nous sommes au XXIe siècle : on se moque des étiquettes (ou du moins, on le devrait). Celle sur laquelle a été griffonné le mot « free » passe avec le temps, et laisse place au mot premier, celui sur lequel reposent tant d’incompréhension en France : musique (et c’est bien pire si on lui ajoute « instrumentale »). Le trio Brötzmann/Parker/Drake n’a eu de cesse de rappeler l’inanité de la question initiale de ce chapeau au cours d’une prestation donnée dans le cadre du festival Sons d’hiver.


Vendredi 30 janvier 2015, Choisi-le-Roi (94), Théâtre Paul Eluard,

Festival Sons d’hiver

1e partie : Tarbarby with special guest David Murray

David Murray (ts), Eric Revis (cb), Nasheet Waits (dm)

2e partie : Brötzmann/Drake/Parker Trio

Peter Brötzmann (cl, as, ts), William Parker (cb, gumbri, sakuhashi), Hamid Drake (dm, perc)

 

« Mais non, ya des coupes ! » lance Franck Bergerot à Fred Goaty qui s’apprêtait à servir du champagne dans un gobelet en plastique à Thierry Quenum. Coup de sonnette : Jean-Baptiste Millot vient faire un saut à la traditionnelle fête de début d’année de Jazz Magazine. « Tu fais une petite photo de groupe ? » lui propose Fred Goaty, ce que Jean-Baptiste accepte bien volontiers après, tout de même, avoir saluer l’assemblée et bu une petite coupe. Et voilà comment, après une réunion de travail (plus longue que prévue) des collaborateurs de Jazz Magazine avec leurs rédacteurs en chef, j’ai raté la première partie d’une soirée musicale où j’avais décidé de me rendre. Raison pour laquelle votre rapporteur ne peut ici évoquer la rencontre inédite entre David Murray et Tabarby (sans Orrin Evans, indisponible).

 

Heureusement, les réseaux de la RATPsont très efficaces ce soir. Je parviens donc à temps au Théâtre Paul Eluard et ne rate pas le début de la rencontre entre deux conceptions de la musique improvisée : celle portée par l’un des plus fameux représentant du kaputt-playing (dixit Peter Kowald, l’un des compagnons d’arme de Brötzmann), et l’inscription afrologique (théorisée par George Lewis) du tandem Parker/Drake. En rappelant les contextes socioculturelles et historiques dans lesquels s’inscrivent ces musiciens, je cherche à faire comprendre les raisons pour laquelle la formation me parut souvent trouver un équilibre dans l’équation 3 = 2+1 = 1.

 

Bortzmann Parker Drake

 

Loin du free expressionniste, la rythmique – et Hamid Drake plus volontiers – n’a pas hésité à naviguer d’effluves idiomatiques en saveurs stylistiques. Tout en entretenant un flux permanent, le batteur s’est ainsi ingénié à parsemer l’improvisation collective de ruptures habilement incitatrices, passant d’effets de couleurs à un swing pur et dur qui, soudain, accélère, change de tempo, passe rapidement à une rythmique plus africaine, rebondit sur un effet de trille du soliste, et le tout à l’avenant.

Cela fera bientôt cinquante ans que Peter Brötzmann a enregistré l’emblématique “Machine Gun” (1968). Son énergie, toujours puissante, a de ce fait évolué, comme on s’en doute. Elle se décline davantage en des plages apaisées, douces et mélodieuses. Les premières notes émises au début du concert, à la clarinette avec un son proche du taragot, m’évoquent quelque chose comme Sidney Bechet (à cause de l’ample vibrato et du registre) interprétant la mélodie d’un folklore imaginaire dans l’esprit du John Coltrane modal. Lorsqu’il passe au ténor, l’éruption n’est en revanche jamais très loin. Mais si le volcan gronde, le débordement de lave n’aura lieu qu’une fois – mais quelle fois ! Je me fais souvent la même réflexion au sujet de ces musiciens libertaires qui ont avancé dans l’âge : la plupart d’entre eux prouvent à chacune de leur prestation qu’ils ne sont décidément pas là par hasard. L’urgence de leur jeunesse, l’expressionnisme exacerbé, voire la colère d’antan laissent place à une sorte d’épure, de concentré musical d’un charme moins rêche, moins radical regretteront peut-être certains, mais d’une dimension spirituelle – moins dans le sens religieux du qualificatif que d’une communication d’âme à âmes – que seuls les vrais poètes portent en eux.

William Parker se trouve au milieu de la scène, entre Hamid Drake et Peter Brötzmann. Ne possédant pas le don d’ubiquité physique mais musicale, il se révèle de fait le lien idéal entre le souffleur et le percutant. Que ce soit à la contrebasse, au gumbri ou au sakuhashi (si ce n’était cet instrument, il y ressemblait fort), il a toujours le ton juste, l’énergie liante, l’à-propos et l’aplomb du sage. « Je ne suis qu’un médium au travers duquel passe la musique » : de tels propos, que l’on entend dans la bouche de nombreux musiciens, peuvent paraître farfelus aux cartésiens occidentaux que nous sommes bon an mal an. Même si telle n’était pas sa démarche, William Parker a incarné cet adage, faisant tomber du même coup ces lunettes qui nous rendent parfois sourdes. Ce n’est que dans l’expérimentation in vivo que l’auditeur peu saisir quelque peu le sens véritable d’une telle phrase.

 

Brotzmann Parker

 

Pour quelles raisons se déplace-t-on (doit-on se déplacer) pour écouter ce type de trio ? Pour une présence incarnée dans un Son, pour une certaine conception du temps musical, pour une énergie bien particulière, douce-amère, granuleuse (nécessairement), qui rudoie et transporte.

 

Quelques concerts à voir prochainement au Festival Sons d’hiver :

          Quatuor iXi à Ivry-sur-Seine le 10 février

          Theo Bleckmann solo à Villejuif les 11 et 12 février

          Ambrose Akinmusire Quintet puis Massacre à Créteil le 13 février