Jazz live
Publié le 23 Oct 2013

Dave Weckl, André Ceccarelli et Loïc Pontieux sur le Rocher de Palmer

Yamaha Europe célébrait dimanche dernier à Cenon (33) les 30 années de collaboration entre la firme nippone et le batteur Dave Weckl. Pour la seule étape française d’une tournée de six dates européennes, les organisateurs avaient choisi de réunir autour du batteur américain deux stars françaises de la batterie, le talentueux Loïc Pontieux et l’immense André Ceccarelli. La soirée s’est articulée en trois parties : un trio acoustique mené par « Dédé » le vétéran, un autre plus électrique conduit par Pontieux autour de la guitare de Jean-Marie Ecay, et après un court entracte, une prestation solo/clinic de maître Weckl.

 

André Ceccarelli (dm), Diego Imbert (b),Baptiste Trotignon (p)
Loïc Pontieux (dm), Kevin Reveyrand (b), Jean-Marie Ecay (g)
Dave Weckl (dm+seq)
 
Chargé de présenter les membres successifs d’un plateau prestigieux, c’est Nicolas Filiatreau (ex-chef de produits batterie Yamaha en france, aujourd’hui consultant et lui-même batteur actif sur la scène jazz pop) qui a endossé le rôle de Monsieur Loyal, en alternance avec François Roy, responsable Yamaha Europe. Tant qu’on y est, précisons que les trois batteurs jouaient sur la nouvelle série Live Custom, chacun avec une configuration et des réglages différents. 
 
Et c’est donc le trio d’André Ceccarelli qui a ouvert la soirée. Placé sur le côté droit de la scène, celui-ci se dirige modestement vers sa batterie, sans chichis, saluant son public d’un sourire presque timide, déjà concentré sur la musique à mesure que ses partenaires s’installent à leur instrument. Le batteur lance alors aux balais le motif rythmique de la composition City Ground qui figure sur son merveilleux album Ultimo. Elle sera le prétexte à un tour de chauffe en douceur, histoire de rentrer progressivement dans un son et une énergie tous deux contenus. Faisant preuve du bon goût qu’on lui connaît, l’ingénieur du son Bertrand Amable opte pour un son quasi-acoustique sans gonfler les décibels, ce qui force d’emblée l’écoute et la concentration du public. Suivra une version d’Old Devil MoonBaptiste Trotignon affirme de plus en plus d’idées, et le trio peut alors développer davantage d’interactivité. Footprints offre un véhicule encore plus ouvert (ou vert, ou bleu, c’est comme on  veut…) et le trio tourne maintenant à plein régime. Le contrebassiste Diego Imbert, physiquement et musicalement placé au cœur de la formation, se montre tout aussi réactif aux propositions de Ceccarelli qu’à celles du pianiste et fait preuve d’une très belle qualité d’écoute. Écoute et interaction, voilà deux mots clés chez ces trois musiciens, et aux oreilles de votre chroniqueur, cette entrée en matière constituera le sommet de la soirée en terme de musicalité. Et, d’ailleurs, un comble pour le par-terre de spécialistes venus s’en mettre plein les yeux et les oreilles : pas de solo de batterie non accompagné ! C’est que plus rien n’est à prouver depuis longtemps chez cet immense monsieur de la batterie, par contre, énormément de musique à faire encore et encore…  « Alors là, d’accord ! » se serait exclamé l’inimitable Jacky Bernard ( !). « Trop classe, Dédé ! » laissera échapper à l’issue de la prestation Nicolas Filiatreau, en bon fan de la première heure (forcément). 
 
Deuxième plateau : c’est le côté gauche qui s’illumine à présent pour mettre en valeur le trio Ecay/Reveyrand/Pontieux. Soulignons que le guitariste et le batteur se connaissent et se « pratiquent » depuis toujours (ils ont fait les 400 coups ensemble chez Lockwood ou chez Nougaro, entre autres…). Kevin Reveyrand est une addition plus récente, mais il a su prendre le train en marche et faire ses marques avec talent, énergie et professionnalisme. La musique se fait donc plus électrique et binaire, basée sur des compositions de Jean-Marie Ecay, anciennes (Good Luck Brother) ou plus récentes (sur des mesures impaires à 7/8 ou 11/8!). Les pieds des nombreux batteurs de la salle s’arrêtent de frapper le sol, et ce sont désormais leurs doigts qui s’agitent pour compter le nombre de temps par mesure, l’air concentré et le sourcil froncé ! « S’il ne l’avait pas annoncé au micro, j’aurais toujours pas repéré la métrique ! » avouera un apprenti drummer au bar après le concert. En ce qui me concerne, avoir l’occasion de voir jouer Jean-Marie Ecay est toujours une bonne nouvelle : le son, les phrases, le feeling, le placement rythmique, la polyvalence, la fraîcheur… tout y est ! Ce gars-là n’a absolument rien à envier aux stars américaines ou autres, et trouverait naturellement sa place chez Steely Dan, Sting ou Chris Potter. Il l’a déjà chez Billy Cobham, Didier Lockwood, Richard Galiano et plus récemment, Térez Montcalm. Excusez du peu ! Chez Loïc Pontieux, ce qui « frappe » en premier c’est le naturel  : tout semble couler de source au service du morceau joué. Esthétiquement, on peut dire qu’il prépare en quelque sorte l’arrivée de Dave Weckl. Non pas qu’il cherche à l’imiter, mais on sent que le vocabulaire de l’américain a été étudié et assimilé par le français, comme une bonne partie des batteurs de sa génération. Il faut reconnaître, comme le souligne au micro Filiatreau dans son franc-parler, que « Quand Dave Weckl est arrivé au milieu des années 80, on a tous ramassé! ». 
 
Alors justement, après le dernier changement de plateau, voilà enfin le moment tant attendu des batteurs, assez jeunes et en tous cas majoritaires dans la salle : Dave Weckl, détendu mais déjà concentré s’installe derrière sa batterie placée au milieu de la scène (après tout, c’est SA soirée, SON anniversaire de 30 années de collaboration avec Yamaha, non mais!). Pour sa première prise contact avec son public, il précise que, non entouré d’autres musiciens, il va essayer de faire de la musique tout seul ! Élégante entrée en matière avant que de se lancer dans un solo construit en plusieurs parties, vitrine des différents aspects de son jeu : jeu aux doigts, aux balais, rubato coloré, installation progressive de différents grooves et de leurs développements, tourneries latino-funk avec clave rhumba etc…  S’en suivent quelques explications d’ordre technique et quelques suggestions d’exercices, histoire que chacun sorte de la salle avec des devoirs pour les prochaines semaines, les prochains mois pour certains. Dans son discours, Weckl cherche apparemment à casser l’image du batteur cérébral et perfectionniste qu’on a pu lui accoler : il parle plutôt du corps comme point de départ. Il dira par exemple que c’est le geste, l’ampleur du mouvement qui l’aide à diviser l’espace entre les notes, et non pas un comptage crispé. À cet égard, la technique Moeller lui paraît idéale pour jouer souple et en place. Concernant le placement des éléments de la batterie, il préconise là aussi une manière la plus naturelle et organique possible : l’idée est de fermer tout simplement les yeux et de s’imaginer l’emplacement le plus évident d’un élément, tout en faisant le geste de le jouer.  Simplicité, bon sens, efficacité !
 
Vient ensuite le temps des questions dans la salle. C’est un jeune batteur, Pierre de Chabannes, très à l’aise en anglais qui monte sur scène pour s’improviser traducteur à la dernière seconde, ce qui a permis d’éviter bon nombre d’approximations, de contre-sens, voire de séchage pur et dur. Petite parenthèse à ce sujet : en tant que musicien et angliciste, j’ai toujours été stupé
fié de voir à quel point le fait d’avoir un traducteur compétent pour ce genre d’évènement (c’est à dire bilingue ET musicien!) soit si souvent négligé ou improvisé à la va-vite. La déperdition des informations entre l’intervenant et ce que les auditeurs en récupèrent est la plupart du temps affligeante ! Fin de la parenthèse.
Bref échantillon : « Lorsque vous découvrez un morceau nouveau, comment faites-vous pour trouver rapidement la partie de batterie qui va sonner et fonctionner tout de suite ? ». C’est juste l’affaire de trois ou quatre décennies d’expérience, me disait une petite voix dans ma tête ! La réponse de Weckl sera quand-même plus éclairante : « A l’écoute du morceau, j’essaie de me chanter la partie de batterie que j’aurais envie d’entendre sur ce titre. Je ne soulignerai jamais assez l’importance de pouvoir chanter une partie de batterie, et l’intention qu’on y met. » Pour illustrer son propos, il se met alors à chanter le même groove, une première fois de manière neutre, et une deuxième de façon plus habitée. La différence saute alors aux oreilles !
« Comment vous situez-vous quant à l’usage de la double pédale ? ». « Tout d’abord, je dois dire que je ne suis pas un monstre de la double pédale, je laisse ça à d’autres, comme Thomas Lang ! Mais si je l’utilise, c’est plus à la recherche de puissance que de vitesse. » Et il s’exécute à montrer le même plan dans les deux cas de figure.
« Pouvez-vous nous remontrer le passage où vous avez joué ce fill en réponse à une clave jouée sur la cloche? ». Il s’exécute, mais s’avère avare d’explications sur ce coup-là : « Il faudra demander à quelqu’un d’autre de vous expliquer le doigté, je ne le connais pas moi-même, je joue ça en me chantant le fill par rapport à la clave. » M’houais… soit ! Il se fait tard, et il faut bien mener la soirée à sa conclusion. Dernière prestation sur une séquence flamboyante latino-funk où Dave donne l’assaut final et sort l’artillerie lourde . Là, le discours est manifestement calibré, répété, fait pour en mettre plein la vue. C’est du lourd, donc, et le tabac (mérité) est assuré.
 
Au moment où les gens commençaient à quitter leur place, des étoiles plein les yeux, MC Filiatreau les ravise et leur conseille de rester un peu car ça serait dommage de ne pas voir les trois grands batteurs de la soirée réunis, non ? Petite cerise sur le gâteau, donc, ces quelques minutes improvisées avec les trois protagonistes de la soirée. Le ton est donné par Ceccarelli qui lance un groove au balais. On sent immédiatement l’écoute et le respect de leur ainé chez Pontieux et surtout Weckl, et par souci de sobriété, les trois batteurs se cantonneront aux balais pour un échange tout en subtilité, sans aucune esbroufe ou tirage de bourre. Quitte à aller à l’encontre du feu d’artifice final frimeur et démonstratif qu’attendait peut-être (certainement) une bonne partie du public. « Comme quoi, y a pas que les baguettes ! » lancera Weckl à la fin. Une manière élégante de se dire au revoir au lieu de s’agresser les tympans. Là aussi, grande classe !
 
A la sortie du concert, j’allai retrouver avec plaisir au bar quelques uns des musiciens bordelais qui avaient impressionné mes jeunes oreilles d’ado quelques 20 ans auparavant : le saxophoniste Hervé Fourticq, le bassiste Dominique Bonadei, les batteurs Philippe Valentine, Mickey Fourcade et  Pascal Legrand. Quant à mon pote Didier Ottaviani, batteur aussi élégant et musical que discret et cultivé, il me confiait en souriant que de tout ce qu’on avait entendu ce soir, c’était quand-même Dédé Ceccarelli qu’il avait préféré en terme de musicalité. Tiens, encore elle… J’opine du chef. Manifestement ce soir là, Weckl, Ceccarelli et Pontieux s’étaient donné le mot !
 
Pascal Ségala
 

 

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Yamaha Europe célébrait dimanche dernier à Cenon (33) les 30 années de collaboration entre la firme nippone et le batteur Dave Weckl. Pour la seule étape française d’une tournée de six dates européennes, les organisateurs avaient choisi de réunir autour du batteur américain deux stars françaises de la batterie, le talentueux Loïc Pontieux et l’immense André Ceccarelli. La soirée s’est articulée en trois parties : un trio acoustique mené par « Dédé » le vétéran, un autre plus électrique conduit par Pontieux autour de la guitare de Jean-Marie Ecay, et après un court entracte, une prestation solo/clinic de maître Weckl.

 

André Ceccarelli (dm), Diego Imbert (b),Baptiste Trotignon (p)
Loïc Pontieux (dm), Kevin Reveyrand (b), Jean-Marie Ecay (g)
Dave Weckl (dm+seq)
 
Chargé de présenter les membres successifs d’un plateau prestigieux, c’est Nicolas Filiatreau (ex-chef de produits batterie Yamaha en france, aujourd’hui consultant et lui-même batteur actif sur la scène jazz pop) qui a endossé le rôle de Monsieur Loyal, en alternance avec François Roy, responsable Yamaha Europe. Tant qu’on y est, précisons que les trois batteurs jouaient sur la nouvelle série Live Custom, chacun avec une configuration et des réglages différents. 
 
Et c’est donc le trio d’André Ceccarelli qui a ouvert la soirée. Placé sur le côté droit de la scène, celui-ci se dirige modestement vers sa batterie, sans chichis, saluant son public d’un sourire presque timide, déjà concentré sur la musique à mesure que ses partenaires s’installent à leur instrument. Le batteur lance alors aux balais le motif rythmique de la composition City Ground qui figure sur son merveilleux album Ultimo. Elle sera le prétexte à un tour de chauffe en douceur, histoire de rentrer progressivement dans un son et une énergie tous deux contenus. Faisant preuve du bon goût qu’on lui connaît, l’ingénieur du son Bertrand Amable opte pour un son quasi-acoustique sans gonfler les décibels, ce qui force d’emblée l’écoute et la concentration du public. Suivra une version d’Old Devil MoonBaptiste Trotignon affirme de plus en plus d’idées, et le trio peut alors développer davantage d’interactivité. Footprints offre un véhicule encore plus ouvert (ou vert, ou bleu, c’est comme on  veut…) et le trio tourne maintenant à plein régime. Le contrebassiste Diego Imbert, physiquement et musicalement placé au cœur de la formation, se montre tout aussi réactif aux propositions de Ceccarelli qu’à celles du pianiste et fait preuve d’une très belle qualité d’écoute. Écoute et interaction, voilà deux mots clés chez ces trois musiciens, et aux oreilles de votre chroniqueur, cette entrée en matière constituera le sommet de la soirée en terme de musicalité. Et, d’ailleurs, un comble pour le par-terre de spécialistes venus s’en mettre plein les yeux et les oreilles : pas de solo de batterie non accompagné ! C’est que plus rien n’est à prouver depuis longtemps chez cet immense monsieur de la batterie, par contre, énormément de musique à faire encore et encore…  « Alors là, d’accord ! » se serait exclamé l’inimitable Jacky Bernard ( !). « Trop classe, Dédé ! » laissera échapper à l’issue de la prestation Nicolas Filiatreau, en bon fan de la première heure (forcément). 
 
Deuxième plateau : c’est le côté gauche qui s’illumine à présent pour mettre en valeur le trio Ecay/Reveyrand/Pontieux. Soulignons que le guitariste et le batteur se connaissent et se « pratiquent » depuis toujours (ils ont fait les 400 coups ensemble chez Lockwood ou chez Nougaro, entre autres…). Kevin Reveyrand est une addition plus récente, mais il a su prendre le train en marche et faire ses marques avec talent, énergie et professionnalisme. La musique se fait donc plus électrique et binaire, basée sur des compositions de Jean-Marie Ecay, anciennes (Good Luck Brother) ou plus récentes (sur des mesures impaires à 7/8 ou 11/8!). Les pieds des nombreux batteurs de la salle s’arrêtent de frapper le sol, et ce sont désormais leurs doigts qui s’agitent pour compter le nombre de temps par mesure, l’air concentré et le sourcil froncé ! « S’il ne l’avait pas annoncé au micro, j’aurais toujours pas repéré la métrique ! » avouera un apprenti drummer au bar après le concert. En ce qui me concerne, avoir l’occasion de voir jouer Jean-Marie Ecay est toujours une bonne nouvelle : le son, les phrases, le feeling, le placement rythmique, la polyvalence, la fraîcheur… tout y est ! Ce gars-là n’a absolument rien à envier aux stars américaines ou autres, et trouverait naturellement sa place chez Steely Dan, Sting ou Chris Potter. Il l’a déjà chez Billy Cobham, Didier Lockwood, Richard Galiano et plus récemment, Térez Montcalm. Excusez du peu ! Chez Loïc Pontieux, ce qui « frappe » en premier c’est le naturel  : tout semble couler de source au service du morceau joué. Esthétiquement, on peut dire qu’il prépare en quelque sorte l’arrivée de Dave Weckl. Non pas qu’il cherche à l’imiter, mais on sent que le vocabulaire de l’américain a été étudié et assimilé par le français, comme une bonne partie des batteurs de sa génération. Il faut reconnaître, comme le souligne au micro Filiatreau dans son franc-parler, que « Quand Dave Weckl est arrivé au milieu des années 80, on a tous ramassé! ». 
 
Alors justement, après le dernier changement de plateau, voilà enfin le moment tant attendu des batteurs, assez jeunes et en tous cas majoritaires dans la salle : Dave Weckl, détendu mais déjà concentré s’installe derrière sa batterie placée au milieu de la scène (après tout, c’est SA soirée, SON anniversaire de 30 années de collaboration avec Yamaha, non mais!). Pour sa première prise contact avec son public, il précise que, non entouré d’autres musiciens, il va essayer de faire de la musique tout seul ! Élégante entrée en matière avant que de se lancer dans un solo construit en plusieurs parties, vitrine des différents aspects de son jeu : jeu aux doigts, aux balais, rubato coloré, installation progressive de différents grooves et de leurs développements, tourneries latino-funk avec clave rhumba etc…  S’en suivent quelques explications d’ordre technique et quelques suggestions d’exercices, histoire que chacun sorte de la salle avec des devoirs pour les prochaines semaines, les prochains mois pour certains. Dans son discours, Weckl cherche apparemment à casser l’image du batteur cérébral et perfectionniste qu’on a pu lui accoler : il parle plutôt du corps comme point de départ. Il dira par exemple que c’est le geste, l’ampleur du mouvement qui l’aide à diviser l’espace entre les notes, et non pas un comptage crispé. À cet égard, la technique Moeller lui paraît idéale pour jouer souple et en place. Concernant le placement des éléments de la batterie, il préconise là aussi une manière la plus naturelle et organique possible : l’idée est de fermer tout simplement les yeux et de s’imaginer l’emplacement le plus évident d’un élément, tout en faisant le geste de le jouer.  Simplicité, bon sens, efficacité !
 
Vient ensuite le temps des questions dans la salle. C’est un jeune batteur, Pierre de Chabannes, très à l’aise en anglais qui monte sur scène pour s’improviser traducteur à la dernière seconde, ce qui a permis d’éviter bon nombre d’approximations, de contre-sens, voire de séchage pur et dur. Petite parenthèse à ce sujet : en tant que musicien et angliciste, j’ai toujours été stupé
fié de voir à quel point le fait d’avoir un traducteur compétent pour ce genre d’évènement (c’est à dire bilingue ET musicien!) soit si souvent négligé ou improvisé à la va-vite. La déperdition des informations entre l’intervenant et ce que les auditeurs en récupèrent est la plupart du temps affligeante ! Fin de la parenthèse.
Bref échantillon : « Lorsque vous découvrez un morceau nouveau, comment faites-vous pour trouver rapidement la partie de batterie qui va sonner et fonctionner tout de suite ? ». C’est juste l’affaire de trois ou quatre décennies d’expérience, me disait une petite voix dans ma tête ! La réponse de Weckl sera quand-même plus éclairante : « A l’écoute du morceau, j’essaie de me chanter la partie de batterie que j’aurais envie d’entendre sur ce titre. Je ne soulignerai jamais assez l’importance de pouvoir chanter une partie de batterie, et l’intention qu’on y met. » Pour illustrer son propos, il se met alors à chanter le même groove, une première fois de manière neutre, et une deuxième de façon plus habitée. La différence saute alors aux oreilles !
« Comment vous situez-vous quant à l’usage de la double pédale ? ». « Tout d’abord, je dois dire que je ne suis pas un monstre de la double pédale, je laisse ça à d’autres, comme Thomas Lang ! Mais si je l’utilise, c’est plus à la recherche de puissance que de vitesse. » Et il s’exécute à montrer le même plan dans les deux cas de figure.
« Pouvez-vous nous remontrer le passage où vous avez joué ce fill en réponse à une clave jouée sur la cloche? ». Il s’exécute, mais s’avère avare d’explications sur ce coup-là : « Il faudra demander à quelqu’un d’autre de vous expliquer le doigté, je ne le connais pas moi-même, je joue ça en me chantant le fill par rapport à la clave. » M’houais… soit ! Il se fait tard, et il faut bien mener la soirée à sa conclusion. Dernière prestation sur une séquence flamboyante latino-funk où Dave donne l’assaut final et sort l’artillerie lourde . Là, le discours est manifestement calibré, répété, fait pour en mettre plein la vue. C’est du lourd, donc, et le tabac (mérité) est assuré.
 
Au moment où les gens commençaient à quitter leur place, des étoiles plein les yeux, MC Filiatreau les ravise et leur conseille de rester un peu car ça serait dommage de ne pas voir les trois grands batteurs de la soirée réunis, non ? Petite cerise sur le gâteau, donc, ces quelques minutes improvisées avec les trois protagonistes de la soirée. Le ton est donné par Ceccarelli qui lance un groove au balais. On sent immédiatement l’écoute et le respect de leur ainé chez Pontieux et surtout Weckl, et par souci de sobriété, les trois batteurs se cantonneront aux balais pour un échange tout en subtilité, sans aucune esbroufe ou tirage de bourre. Quitte à aller à l’encontre du feu d’artifice final frimeur et démonstratif qu’attendait peut-être (certainement) une bonne partie du public. « Comme quoi, y a pas que les baguettes ! » lancera Weckl à la fin. Une manière élégante de se dire au revoir au lieu de s’agresser les tympans. Là aussi, grande classe !
 
A la sortie du concert, j’allai retrouver avec plaisir au bar quelques uns des musiciens bordelais qui avaient impressionné mes jeunes oreilles d’ado quelques 20 ans auparavant : le saxophoniste Hervé Fourticq, le bassiste Dominique Bonadei, les batteurs Philippe Valentine, Mickey Fourcade et  Pascal Legrand. Quant à mon pote Didier Ottaviani, batteur aussi élégant et musical que discret et cultivé, il me confiait en souriant que de tout ce qu’on avait entendu ce soir, c’était quand-même Dédé Ceccarelli qu’il avait préféré en terme de musicalité. Tiens, encore elle… J’opine du chef. Manifestement ce soir là, Weckl, Ceccarelli et Pontieux s’étaient donné le mot !
 
Pascal Ségala
 

 

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Yamaha Europe célébrait dimanche dernier à Cenon (33) les 30 années de collaboration entre la firme nippone et le batteur Dave Weckl. Pour la seule étape française d’une tournée de six dates européennes, les organisateurs avaient choisi de réunir autour du batteur américain deux stars françaises de la batterie, le talentueux Loïc Pontieux et l’immense André Ceccarelli. La soirée s’est articulée en trois parties : un trio acoustique mené par « Dédé » le vétéran, un autre plus électrique conduit par Pontieux autour de la guitare de Jean-Marie Ecay, et après un court entracte, une prestation solo/clinic de maître Weckl.

 

André Ceccarelli (dm), Diego Imbert (b),Baptiste Trotignon (p)
Loïc Pontieux (dm), Kevin Reveyrand (b), Jean-Marie Ecay (g)
Dave Weckl (dm+seq)
 
Chargé de présenter les membres successifs d’un plateau prestigieux, c’est Nicolas Filiatreau (ex-chef de produits batterie Yamaha en france, aujourd’hui consultant et lui-même batteur actif sur la scène jazz pop) qui a endossé le rôle de Monsieur Loyal, en alternance avec François Roy, responsable Yamaha Europe. Tant qu’on y est, précisons que les trois batteurs jouaient sur la nouvelle série Live Custom, chacun avec une configuration et des réglages différents. 
 
Et c’est donc le trio d’André Ceccarelli qui a ouvert la soirée. Placé sur le côté droit de la scène, celui-ci se dirige modestement vers sa batterie, sans chichis, saluant son public d’un sourire presque timide, déjà concentré sur la musique à mesure que ses partenaires s’installent à leur instrument. Le batteur lance alors aux balais le motif rythmique de la composition City Ground qui figure sur son merveilleux album Ultimo. Elle sera le prétexte à un tour de chauffe en douceur, histoire de rentrer progressivement dans un son et une énergie tous deux contenus. Faisant preuve du bon goût qu’on lui connaît, l’ingénieur du son Bertrand Amable opte pour un son quasi-acoustique sans gonfler les décibels, ce qui force d’emblée l’écoute et la concentration du public. Suivra une version d’Old Devil MoonBaptiste Trotignon affirme de plus en plus d’idées, et le trio peut alors développer davantage d’interactivité. Footprints offre un véhicule encore plus ouvert (ou vert, ou bleu, c’est comme on  veut…) et le trio tourne maintenant à plein régime. Le contrebassiste Diego Imbert, physiquement et musicalement placé au cœur de la formation, se montre tout aussi réactif aux propositions de Ceccarelli qu’à celles du pianiste et fait preuve d’une très belle qualité d’écoute. Écoute et interaction, voilà deux mots clés chez ces trois musiciens, et aux oreilles de votre chroniqueur, cette entrée en matière constituera le sommet de la soirée en terme de musicalité. Et, d’ailleurs, un comble pour le par-terre de spécialistes venus s’en mettre plein les yeux et les oreilles : pas de solo de batterie non accompagné ! C’est que plus rien n’est à prouver depuis longtemps chez cet immense monsieur de la batterie, par contre, énormément de musique à faire encore et encore…  « Alors là, d’accord ! » se serait exclamé l’inimitable Jacky Bernard ( !). « Trop classe, Dédé ! » laissera échapper à l’issue de la prestation Nicolas Filiatreau, en bon fan de la première heure (forcément). 
 
Deuxième plateau : c’est le côté gauche qui s’illumine à présent pour mettre en valeur le trio Ecay/Reveyrand/Pontieux. Soulignons que le guitariste et le batteur se connaissent et se « pratiquent » depuis toujours (ils ont fait les 400 coups ensemble chez Lockwood ou chez Nougaro, entre autres…). Kevin Reveyrand est une addition plus récente, mais il a su prendre le train en marche et faire ses marques avec talent, énergie et professionnalisme. La musique se fait donc plus électrique et binaire, basée sur des compositions de Jean-Marie Ecay, anciennes (Good Luck Brother) ou plus récentes (sur des mesures impaires à 7/8 ou 11/8!). Les pieds des nombreux batteurs de la salle s’arrêtent de frapper le sol, et ce sont désormais leurs doigts qui s’agitent pour compter le nombre de temps par mesure, l’air concentré et le sourcil froncé ! « S’il ne l’avait pas annoncé au micro, j’aurais toujours pas repéré la métrique ! » avouera un apprenti drummer au bar après le concert. En ce qui me concerne, avoir l’occasion de voir jouer Jean-Marie Ecay est toujours une bonne nouvelle : le son, les phrases, le feeling, le placement rythmique, la polyvalence, la fraîcheur… tout y est ! Ce gars-là n’a absolument rien à envier aux stars américaines ou autres, et trouverait naturellement sa place chez Steely Dan, Sting ou Chris Potter. Il l’a déjà chez Billy Cobham, Didier Lockwood, Richard Galiano et plus récemment, Térez Montcalm. Excusez du peu ! Chez Loïc Pontieux, ce qui « frappe » en premier c’est le naturel  : tout semble couler de source au service du morceau joué. Esthétiquement, on peut dire qu’il prépare en quelque sorte l’arrivée de Dave Weckl. Non pas qu’il cherche à l’imiter, mais on sent que le vocabulaire de l’américain a été étudié et assimilé par le français, comme une bonne partie des batteurs de sa génération. Il faut reconnaître, comme le souligne au micro Filiatreau dans son franc-parler, que « Quand Dave Weckl est arrivé au milieu des années 80, on a tous ramassé! ». 
 
Alors justement, après le dernier changement de plateau, voilà enfin le moment tant attendu des batteurs, assez jeunes et en tous cas majoritaires dans la salle : Dave Weckl, détendu mais déjà concentré s’installe derrière sa batterie placée au milieu de la scène (après tout, c’est SA soirée, SON anniversaire de 30 années de collaboration avec Yamaha, non mais!). Pour sa première prise contact avec son public, il précise que, non entouré d’autres musiciens, il va essayer de faire de la musique tout seul ! Élégante entrée en matière avant que de se lancer dans un solo construit en plusieurs parties, vitrine des différents aspects de son jeu : jeu aux doigts, aux balais, rubato coloré, installation progressive de différents grooves et de leurs développements, tourneries latino-funk avec clave rhumba etc…  S’en suivent quelques explications d’ordre technique et quelques suggestions d’exercices, histoire que chacun sorte de la salle avec des devoirs pour les prochaines semaines, les prochains mois pour certains. Dans son discours, Weckl cherche apparemment à casser l’image du batteur cérébral et perfectionniste qu’on a pu lui accoler : il parle plutôt du corps comme point de départ. Il dira par exemple que c’est le geste, l’ampleur du mouvement qui l’aide à diviser l’espace entre les notes, et non pas un comptage crispé. À cet égard, la technique Moeller lui paraît idéale pour jouer souple et en place. Concernant le placement des éléments de la batterie, il préconise là aussi une manière la plus naturelle et organique possible : l’idée est de fermer tout simplement les yeux et de s’imaginer l’emplacement le plus évident d’un élément, tout en faisant le geste de le jouer.  Simplicité, bon sens, efficacité !
 
Vient ensuite le temps des questions dans la salle. C’est un jeune batteur, Pierre de Chabannes, très à l’aise en anglais qui monte sur scène pour s’improviser traducteur à la dernière seconde, ce qui a permis d’éviter bon nombre d’approximations, de contre-sens, voire de séchage pur et dur. Petite parenthèse à ce sujet : en tant que musicien et angliciste, j’ai toujours été stupé
fié de voir à quel point le fait d’avoir un traducteur compétent pour ce genre d’évènement (c’est à dire bilingue ET musicien!) soit si souvent négligé ou improvisé à la va-vite. La déperdition des informations entre l’intervenant et ce que les auditeurs en récupèrent est la plupart du temps affligeante ! Fin de la parenthèse.
Bref échantillon : « Lorsque vous découvrez un morceau nouveau, comment faites-vous pour trouver rapidement la partie de batterie qui va sonner et fonctionner tout de suite ? ». C’est juste l’affaire de trois ou quatre décennies d’expérience, me disait une petite voix dans ma tête ! La réponse de Weckl sera quand-même plus éclairante : « A l’écoute du morceau, j’essaie de me chanter la partie de batterie que j’aurais envie d’entendre sur ce titre. Je ne soulignerai jamais assez l’importance de pouvoir chanter une partie de batterie, et l’intention qu’on y met. » Pour illustrer son propos, il se met alors à chanter le même groove, une première fois de manière neutre, et une deuxième de façon plus habitée. La différence saute alors aux oreilles !
« Comment vous situez-vous quant à l’usage de la double pédale ? ». « Tout d’abord, je dois dire que je ne suis pas un monstre de la double pédale, je laisse ça à d’autres, comme Thomas Lang ! Mais si je l’utilise, c’est plus à la recherche de puissance que de vitesse. » Et il s’exécute à montrer le même plan dans les deux cas de figure.
« Pouvez-vous nous remontrer le passage où vous avez joué ce fill en réponse à une clave jouée sur la cloche? ». Il s’exécute, mais s’avère avare d’explications sur ce coup-là : « Il faudra demander à quelqu’un d’autre de vous expliquer le doigté, je ne le connais pas moi-même, je joue ça en me chantant le fill par rapport à la clave. » M’houais… soit ! Il se fait tard, et il faut bien mener la soirée à sa conclusion. Dernière prestation sur une séquence flamboyante latino-funk où Dave donne l’assaut final et sort l’artillerie lourde . Là, le discours est manifestement calibré, répété, fait pour en mettre plein la vue. C’est du lourd, donc, et le tabac (mérité) est assuré.
 
Au moment où les gens commençaient à quitter leur place, des étoiles plein les yeux, MC Filiatreau les ravise et leur conseille de rester un peu car ça serait dommage de ne pas voir les trois grands batteurs de la soirée réunis, non ? Petite cerise sur le gâteau, donc, ces quelques minutes improvisées avec les trois protagonistes de la soirée. Le ton est donné par Ceccarelli qui lance un groove au balais. On sent immédiatement l’écoute et le respect de leur ainé chez Pontieux et surtout Weckl, et par souci de sobriété, les trois batteurs se cantonneront aux balais pour un échange tout en subtilité, sans aucune esbroufe ou tirage de bourre. Quitte à aller à l’encontre du feu d’artifice final frimeur et démonstratif qu’attendait peut-être (certainement) une bonne partie du public. « Comme quoi, y a pas que les baguettes ! » lancera Weckl à la fin. Une manière élégante de se dire au revoir au lieu de s’agresser les tympans. Là aussi, grande classe !
 
A la sortie du concert, j’allai retrouver avec plaisir au bar quelques uns des musiciens bordelais qui avaient impressionné mes jeunes oreilles d’ado quelques 20 ans auparavant : le saxophoniste Hervé Fourticq, le bassiste Dominique Bonadei, les batteurs Philippe Valentine, Mickey Fourcade et  Pascal Legrand. Quant à mon pote Didier Ottaviani, batteur aussi élégant et musical que discret et cultivé, il me confiait en souriant que de tout ce qu’on avait entendu ce soir, c’était quand-même Dédé Ceccarelli qu’il avait préféré en terme de musicalité. Tiens, encore elle… J’opine du chef. Manifestement ce soir là, Weckl, Ceccarelli et Pontieux s’étaient donné le mot !
 
Pascal Ségala
 

 

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Yamaha Europe célébrait dimanche dernier à Cenon (33) les 30 années de collaboration entre la firme nippone et le batteur Dave Weckl. Pour la seule étape française d’une tournée de six dates européennes, les organisateurs avaient choisi de réunir autour du batteur américain deux stars françaises de la batterie, le talentueux Loïc Pontieux et l’immense André Ceccarelli. La soirée s’est articulée en trois parties : un trio acoustique mené par « Dédé » le vétéran, un autre plus électrique conduit par Pontieux autour de la guitare de Jean-Marie Ecay, et après un court entracte, une prestation solo/clinic de maître Weckl.

 

André Ceccarelli (dm), Diego Imbert (b),Baptiste Trotignon (p)
Loïc Pontieux (dm), Kevin Reveyrand (b), Jean-Marie Ecay (g)
Dave Weckl (dm+seq)
 
Chargé de présenter les membres successifs d’un plateau prestigieux, c’est Nicolas Filiatreau (ex-chef de produits batterie Yamaha en france, aujourd’hui consultant et lui-même batteur actif sur la scène jazz pop) qui a endossé le rôle de Monsieur Loyal, en alternance avec François Roy, responsable Yamaha Europe. Tant qu’on y est, précisons que les trois batteurs jouaient sur la nouvelle série Live Custom, chacun avec une configuration et des réglages différents. 
 
Et c’est donc le trio d’André Ceccarelli qui a ouvert la soirée. Placé sur le côté droit de la scène, celui-ci se dirige modestement vers sa batterie, sans chichis, saluant son public d’un sourire presque timide, déjà concentré sur la musique à mesure que ses partenaires s’installent à leur instrument. Le batteur lance alors aux balais le motif rythmique de la composition City Ground qui figure sur son merveilleux album Ultimo. Elle sera le prétexte à un tour de chauffe en douceur, histoire de rentrer progressivement dans un son et une énergie tous deux contenus. Faisant preuve du bon goût qu’on lui connaît, l’ingénieur du son Bertrand Amable opte pour un son quasi-acoustique sans gonfler les décibels, ce qui force d’emblée l’écoute et la concentration du public. Suivra une version d’Old Devil MoonBaptiste Trotignon affirme de plus en plus d’idées, et le trio peut alors développer davantage d’interactivité. Footprints offre un véhicule encore plus ouvert (ou vert, ou bleu, c’est comme on  veut…) et le trio tourne maintenant à plein régime. Le contrebassiste Diego Imbert, physiquement et musicalement placé au cœur de la formation, se montre tout aussi réactif aux propositions de Ceccarelli qu’à celles du pianiste et fait preuve d’une très belle qualité d’écoute. Écoute et interaction, voilà deux mots clés chez ces trois musiciens, et aux oreilles de votre chroniqueur, cette entrée en matière constituera le sommet de la soirée en terme de musicalité. Et, d’ailleurs, un comble pour le par-terre de spécialistes venus s’en mettre plein les yeux et les oreilles : pas de solo de batterie non accompagné ! C’est que plus rien n’est à prouver depuis longtemps chez cet immense monsieur de la batterie, par contre, énormément de musique à faire encore et encore…  « Alors là, d’accord ! » se serait exclamé l’inimitable Jacky Bernard ( !). « Trop classe, Dédé ! » laissera échapper à l’issue de la prestation Nicolas Filiatreau, en bon fan de la première heure (forcément). 
 
Deuxième plateau : c’est le côté gauche qui s’illumine à présent pour mettre en valeur le trio Ecay/Reveyrand/Pontieux. Soulignons que le guitariste et le batteur se connaissent et se « pratiquent » depuis toujours (ils ont fait les 400 coups ensemble chez Lockwood ou chez Nougaro, entre autres…). Kevin Reveyrand est une addition plus récente, mais il a su prendre le train en marche et faire ses marques avec talent, énergie et professionnalisme. La musique se fait donc plus électrique et binaire, basée sur des compositions de Jean-Marie Ecay, anciennes (Good Luck Brother) ou plus récentes (sur des mesures impaires à 7/8 ou 11/8!). Les pieds des nombreux batteurs de la salle s’arrêtent de frapper le sol, et ce sont désormais leurs doigts qui s’agitent pour compter le nombre de temps par mesure, l’air concentré et le sourcil froncé ! « S’il ne l’avait pas annoncé au micro, j’aurais toujours pas repéré la métrique ! » avouera un apprenti drummer au bar après le concert. En ce qui me concerne, avoir l’occasion de voir jouer Jean-Marie Ecay est toujours une bonne nouvelle : le son, les phrases, le feeling, le placement rythmique, la polyvalence, la fraîcheur… tout y est ! Ce gars-là n’a absolument rien à envier aux stars américaines ou autres, et trouverait naturellement sa place chez Steely Dan, Sting ou Chris Potter. Il l’a déjà chez Billy Cobham, Didier Lockwood, Richard Galiano et plus récemment, Térez Montcalm. Excusez du peu ! Chez Loïc Pontieux, ce qui « frappe » en premier c’est le naturel  : tout semble couler de source au service du morceau joué. Esthétiquement, on peut dire qu’il prépare en quelque sorte l’arrivée de Dave Weckl. Non pas qu’il cherche à l’imiter, mais on sent que le vocabulaire de l’américain a été étudié et assimilé par le français, comme une bonne partie des batteurs de sa génération. Il faut reconnaître, comme le souligne au micro Filiatreau dans son franc-parler, que « Quand Dave Weckl est arrivé au milieu des années 80, on a tous ramassé! ». 
 
Alors justement, après le dernier changement de plateau, voilà enfin le moment tant attendu des batteurs, assez jeunes et en tous cas majoritaires dans la salle : Dave Weckl, détendu mais déjà concentré s’installe derrière sa batterie placée au milieu de la scène (après tout, c’est SA soirée, SON anniversaire de 30 années de collaboration avec Yamaha, non mais!). Pour sa première prise contact avec son public, il précise que, non entouré d’autres musiciens, il va essayer de faire de la musique tout seul ! Élégante entrée en matière avant que de se lancer dans un solo construit en plusieurs parties, vitrine des différents aspects de son jeu : jeu aux doigts, aux balais, rubato coloré, installation progressive de différents grooves et de leurs développements, tourneries latino-funk avec clave rhumba etc…  S’en suivent quelques explications d’ordre technique et quelques suggestions d’exercices, histoire que chacun sorte de la salle avec des devoirs pour les prochaines semaines, les prochains mois pour certains. Dans son discours, Weckl cherche apparemment à casser l’image du batteur cérébral et perfectionniste qu’on a pu lui accoler : il parle plutôt du corps comme point de départ. Il dira par exemple que c’est le geste, l’ampleur du mouvement qui l’aide à diviser l’espace entre les notes, et non pas un comptage crispé. À cet égard, la technique Moeller lui paraît idéale pour jouer souple et en place. Concernant le placement des éléments de la batterie, il préconise là aussi une manière la plus naturelle et organique possible : l’idée est de fermer tout simplement les yeux et de s’imaginer l’emplacement le plus évident d’un élément, tout en faisant le geste de le jouer.  Simplicité, bon sens, efficacité !
 
Vient ensuite le temps des questions dans la salle. C’est un jeune batteur, Pierre de Chabannes, très à l’aise en anglais qui monte sur scène pour s’improviser traducteur à la dernière seconde, ce qui a permis d’éviter bon nombre d’approximations, de contre-sens, voire de séchage pur et dur. Petite parenthèse à ce sujet : en tant que musicien et angliciste, j’ai toujours été stupé
fié de voir à quel point le fait d’avoir un traducteur compétent pour ce genre d’évènement (c’est à dire bilingue ET musicien!) soit si souvent négligé ou improvisé à la va-vite. La déperdition des informations entre l’intervenant et ce que les auditeurs en récupèrent est la plupart du temps affligeante ! Fin de la parenthèse.
Bref échantillon : « Lorsque vous découvrez un morceau nouveau, comment faites-vous pour trouver rapidement la partie de batterie qui va sonner et fonctionner tout de suite ? ». C’est juste l’affaire de trois ou quatre décennies d’expérience, me disait une petite voix dans ma tête ! La réponse de Weckl sera quand-même plus éclairante : « A l’écoute du morceau, j’essaie de me chanter la partie de batterie que j’aurais envie d’entendre sur ce titre. Je ne soulignerai jamais assez l’importance de pouvoir chanter une partie de batterie, et l’intention qu’on y met. » Pour illustrer son propos, il se met alors à chanter le même groove, une première fois de manière neutre, et une deuxième de façon plus habitée. La différence saute alors aux oreilles !
« Comment vous situez-vous quant à l’usage de la double pédale ? ». « Tout d’abord, je dois dire que je ne suis pas un monstre de la double pédale, je laisse ça à d’autres, comme Thomas Lang ! Mais si je l’utilise, c’est plus à la recherche de puissance que de vitesse. » Et il s’exécute à montrer le même plan dans les deux cas de figure.
« Pouvez-vous nous remontrer le passage où vous avez joué ce fill en réponse à une clave jouée sur la cloche? ». Il s’exécute, mais s’avère avare d’explications sur ce coup-là : « Il faudra demander à quelqu’un d’autre de vous expliquer le doigté, je ne le connais pas moi-même, je joue ça en me chantant le fill par rapport à la clave. » M’houais… soit ! Il se fait tard, et il faut bien mener la soirée à sa conclusion. Dernière prestation sur une séquence flamboyante latino-funk où Dave donne l’assaut final et sort l’artillerie lourde . Là, le discours est manifestement calibré, répété, fait pour en mettre plein la vue. C’est du lourd, donc, et le tabac (mérité) est assuré.
 
Au moment où les gens commençaient à quitter leur place, des étoiles plein les yeux, MC Filiatreau les ravise et leur conseille de rester un peu car ça serait dommage de ne pas voir les trois grands batteurs de la soirée réunis, non ? Petite cerise sur le gâteau, donc, ces quelques minutes improvisées avec les trois protagonistes de la soirée. Le ton est donné par Ceccarelli qui lance un groove au balais. On sent immédiatement l’écoute et le respect de leur ainé chez Pontieux et surtout Weckl, et par souci de sobriété, les trois batteurs se cantonneront aux balais pour un échange tout en subtilité, sans aucune esbroufe ou tirage de bourre. Quitte à aller à l’encontre du feu d’artifice final frimeur et démonstratif qu’attendait peut-être (certainement) une bonne partie du public. « Comme quoi, y a pas que les baguettes ! » lancera Weckl à la fin. Une manière élégante de se dire au revoir au lieu de s’agresser les tympans. Là aussi, grande classe !
 
A la sortie du concert, j’allai retrouver avec plaisir au bar quelques uns des musiciens bordelais qui avaient impressionné mes jeunes oreilles d’ado quelques 20 ans auparavant : le saxophoniste Hervé Fourticq, le bassiste Dominique Bonadei, les batteurs Philippe Valentine, Mickey Fourcade et  Pascal Legrand. Quant à mon pote Didier Ottaviani, batteur aussi élégant et musical que discret et cultivé, il me confiait en souriant que de tout ce qu’on avait entendu ce soir, c’était quand-même Dédé Ceccarelli qu’il avait préféré en terme de musicalité. Tiens, encore elle… J’opine du chef. Manifestement ce soir là, Weckl, Ceccarelli et Pontieux s’étaient donné le mot !
 
Pascal Ségala