Jazz live
Publié le 24 Avr 2015

De Timothée Quost à Tony Tixier, une soirée parisienne contrastée

Au Théâtre de Verre, lieu associatif en plein déménagement, le trompettiste de Timotée Quost présentait son Quostet, formation issue du CNSM. Le même soir, profitant d’un séjour au Ronnie Scott’s de Londres avec Christian Scott début avril, Tony Tixier était de retour à Paris pour un concert au Sunside.

 

Théâtre de Verre, Paris (75), le 23 avril 2015, 20h30

 

Quostet : Timothée Quost (trompette, bugle, compositions), Alexandre Labonde (cor), Loïc Vergnaux (clarinettes), Gabrilet Boyault (saxes ténor et soprano), Victor Aubert (contrebasse), Elie Martin-Charrière (batterie) + invités : Simon Girard (trombone), Rémi Fox (sax ténor).

 

En plus des nombreux disques parvenus à notre rédaction, s’ajoutent ceux qui vous sont confiés de la main à la main par de jeunes musiciens qui osent vous aborder parce qu’ils vous ont déjà repéré parmi leur public ou de parfaits inconnus encouragés par le geste des premiers. Tard dans la nuit, de retour de concert, ces disques vous ne savez pas s’il s’agit de “démos”, de maquettes, de cartes de visite destinées à la promotion du groupe et à sa prospection, de cartes-souvenir destinées à la vente à la sortie des concerts, d’authentiques productions cherchant, sinon un label, du moins un distributeur,  alors qu’avant même d’avoir été gravés sur disques, ces musiques sont déjà parvenues sur votre ordinateur sous forme de liens, de fichiers qui se disséminent sur votre disque dur, définitivement perdus faute d’être identifiables sous leurs titres souvent abscons. Les CD ont l’avantage de ce que l’on appelle encore “pochettes”, qui permet de les visualiser rapidement, plus repérables lorsqu’elles sont dotées de la tranche imprimées d’un digipack, d’un boîtier cristal ou d’un catonnage “gatefold”. Ils ne s’entassent pas moins sur votre bureau formant une pile différente de celles des disques reçus par les voies d’un distributeur, déjà livrés chez les disquaires en attente de chronique, des disques que vous avez sélectionnés pour attribution à la chronique et ceux dont vous vous êtes attribué la chronique.

 

Lorsque Timothée Quost me glissa le CD de son “Quostet” dans un couloir du CNSM, il n’était pas un inconnu pour moi… Quoique ! Dans un compte rendu du 4 décembre sur ce site, à propos d’un programme autour de Chet Baker par le chanteur Clément Brajtman et le guitariste Vladimir Médail , je parlais du « formidable Thimothée Quost, qui a le bon goût de ne pas du tout imiter Chet Baker, mais de réchauffer ce jazz cool aux braises de ces trompettistes qui se sont fait une personnalité en hésitant entre Louis Armstrong et Bix Beiderbecke, de Rex Stewart à Ruby Braff. » Pas inconnu de moi, à ceci près que, glissant son CD dans mon lecteur, je ne le reconnaissais pas. Intrigué autant que troublé, à chaque tentative, je remettrais mon écoute au lendemain, interrompu par quelque urgence (telle qu’un nouveau disque arrivé par la poste et dont la mise en rayon le lendemain, voir la veille, exigeait chronique immédiate), me promettant une écoute un peu plus attentive. Et, pour paraphraser Jean Constantin, « les critiques, ils font ça pendant des mois ! »

 

Et puis, arrive la nouvelle de ce concert au Théâtre de Verre. Et je dois dire qu’entre la perspective de rester dans mon bureau, où je passe parfois 15 heures de mes journées, face à deux haut-parleurs et une écoute en stéréo, d’une part, et cette autre perspective d’écouter des musiciens en chair et os, « ya pas photo » (expression qui en l’occurrence est doublement inepte…) Le Théâtre de Verre, je m’y étais déjà rendu le 14 novembre 2013, sur l’invitation de Tony Tixier, pour écouter le quartette de Logan Richardson. Drôle de nom pour un drôle d’endroit, nom qui fait peut-être référence au fait que l’un des murs de ce quadrilatère est vitré ou peut-être en référence à un certain esprit de pluridisciplinarité et d’ouverture de l’association Co-Arter qui préside à son existence et dont on peut lire cette profession de foi : « Nous travaillons à l’art, et avec l’art, nous travaillons à la culture pour la renouveler, la démocratiser, l’élargir, la rendre plus participative. »


Drôle d’ouverture, au 17 rue de la Chapelle, où il faut connaître un code pour se faire ouvrir une porte métallique automatique donnant accès à une longue cour d’immeuble au fond de laquelle se trouve le dit Théâtre de Verre. Drôle d’ouverture, qui pourrait être le motif poussant cette association à déménager (en fait motif immobilier, me dit-on) pour rouvrir le 3 mai dans un nouveau lieu, 12 rue Henri Ribière. Autrement dit, je débarque en plein déménagement, dans une salle parsemé de siège disparates comme rescapés d’un dépôt d’encombrant et qui me rappelle, en plus vaste, le Studio des Islettes, où les étudiants du CNSM avaient élu domicile voici plus de quinze ans : on venait y écouter le trio de Matthieu Donarier ou le Zigh Band où se côtoyaient Médéric Collignon, Alban Darche, Olivier Py (tiens, il est l’invité admirable de Rugosités sur le disque de Quost, ce soir remplacé par un Rémy Fox plus expressionniste), Daniel Zimmermann, Jean-Philippe Morel, etc… Aujourd’hui, hors des locaux de l’institution, avec ainsi la possibilité de se confronter à une scène parisienne plus vaste, une autre génération d’étudiants du CNSM fréquente tous les jeudis au Théâtre de Verre les soirées Marabout du collectif Selflesness. Une réalité en deux mots dans la bouche de Thimotée Quost… Mais silence, le concert commence.


Et je ne regrette pas d’être là. L’écriture de Timothée Quost est dense. Pas de temps mort, mais une activité de tous les instants sur le terrain de l’orchestration, des distributions de rôles et de timbres, des scénarios et de leurs constructions, de l’écriture mélodique et de la polyphonie, de la déclinaison de tous ces ingrédients en terme d’harmonie, de rythme et de prise de parole individuelle. Contrairement au disque qui prend l’auditeur par les sentiments avec une introduction en douceur que l’on retrouvera en fin de concert (Welcome to the Abyss), le Quotest aborde son public de manière frontale, avec des clameurs et des hurlements. Mais que crient-ils ? Ils épellent l
e nom de John Cage auquel nous apprendrons qu’est dédié cet Amour en Cage : ample fanfare de cuivres sur une torrent de clarinette et de grandes ponctuations de batteries, puis égorgement de saxophone me ramenant à mes premiers concerts de free jazz au début des années 70… On ne s’en tiendra pas là. Si l’on retrouve ici une fraîcheur perdue d’une free music qui a trop souvent tourné au tic nerveux, la plume de Timothée Quost et le vocabulaire de ses comparses relèvent d’un art du développement et de la cohérence assimilant, sans sombrer dans le collage d’une série d’“a la manière de”, les techniques de composition du siècle passé en les associant à l’élan de l’improvisation. Et Timothée Quost ? Le comparerai-je toujours à Bix, Rex et Ruby ? Certes, non, et les noms qui me viennent désormais à l’esprit vont désormais de Shorty Rogers (mais plus pour l’analogie aux premiers essais sériels du trio Rogers-Jimmy Giuffre-Shelly Manne) à Dave Douglas en passant par Don Cherry, Bill Dixon ou Jimmy Owens. Mais avec un fond qu’aura mis en évidence son hommage décalé à Chet.


Mais l’heure tourne, les bureaux de Jazzmag m’attendent et il me faut dire quelques mots du concert de Tony Tixier pour lequel je quitte comme un voleur le Théâtre de Verre dont c’était la dernière soirée dans ce lieu.


Sunside, Paris (75), le 23 avril, 22h30.

 

Tony Tixier (piano), Joachim Govin (contrebasse), Fred Pasqua (batterie).

 

Je m’attarde dans l’entrée du Sunside avec le Philippe Soirat, omniprésent batteur de l’ombre, parce qu’il est de ceux  grandis dans la tradition des standards et des clubs, formé par des milliers de sets nocturnes, sur lesquel ont pu compter tant Lee Konitz (souvenir d’un miraculeux quoiqu’impromptu concert en trio avec Riccardo Del Fra au Petit Journal Montparnasse) que Samy Thiébault sur son récent “Feast of Friends”. Il m’annonce la sortie à la rentrée prochaine de son premier disque en leader, après 30 ans de carrière parisienne ! Rendez-vous en septembre sur le site du Paris Jazz Underground qui lui a ouvert son label. Tony Tixier nous rejoint, désolé de nous voir arriver alors qu’il a joué toutes ses compositions dans le premier set. Il faut dire que le trio qu’il présente n’a pas d’existence régulière depuis que le pianiste vit à New York où l’on peut l’entendre avec Burniss Earl Travis et Guilhem Flouzat, Joe Martin ou Harish Raghavan et Craig Weinrib, etc. Et si Joachim Govin est un vieux complice (autrefois en tandem avec Ghilhem Flouzat au sein du septette qui nous fit remarquer Tixier en 2009 sur “Parallel Worlds”), Fred Pasqua est un premier contact.

 

Il ne leur mène pas la vie facile en attaquant par Con Alma (dédicace impromptue à Xavier Feygerolles qui vient d’entrer dans le club, producteur de son trio “Dream Pursuit” avec Burniss Earl Travis et Justin Brown) pour enchaîner avec le premier titre (original) au programme. On n’y verra que du feu, sinon une certaine surprise de notre part à le voir tirer différents tiroirs à la suite de l’évocation de la composition de Dizzy, tiroirs dont Joachim Govin s’empare sans timidité. Qu’il se joigne aux longues lignes de basse obligées du pianiste, qu’il installe un groove, qu’il joue la walking ou des appuis épars et asymétriques, il est de ces bassistes qui ne courent pas le manche, tout au service de la quadruple profondeur timbrale, harmonique, mélodique et rythmique. La présence de Fred Pasqua n’est ni à la hauteur des batteurs que l’on a pu entendre avec Tixier ni de ses propres prestations entendues dans les contextes plus rodés où il est toujours très apprécié, mais il fait bonne figure, avec une grande liberté d’initiative. On entendra une reprise du peu joué Milestones de 1947, labyrinthe harmonique que Tony Tixier habite avec la fièvre d’une espèce de Bud Powell post-moderne, une composition (la première de sa plume) de Joachim Govin (à découvrir sur une prochaine publication Fresh Sound) et un All the Things You Are (brève mais sublime intro du piano seul) enchaîné à The Eye of the Hurricane d’Herbie Hancock. Le set est déjà fini qu’on n’a pas eu le temps de voir passer – rien d’inutile, beaucoup d’inédit, de la hauteur de vue jusque dans les fragilités de ce trio impromptu – et Tony invite à un troisième set, peut-être avec Logan Richadson, que je déserte lâchement pour tenter de rattraper quelques heures de sommeil. Franck Bergerot

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Au Théâtre de Verre, lieu associatif en plein déménagement, le trompettiste de Timotée Quost présentait son Quostet, formation issue du CNSM. Le même soir, profitant d’un séjour au Ronnie Scott’s de Londres avec Christian Scott début avril, Tony Tixier était de retour à Paris pour un concert au Sunside.

 

Théâtre de Verre, Paris (75), le 23 avril 2015, 20h30

 

Quostet : Timothée Quost (trompette, bugle, compositions), Alexandre Labonde (cor), Loïc Vergnaux (clarinettes), Gabrilet Boyault (saxes ténor et soprano), Victor Aubert (contrebasse), Elie Martin-Charrière (batterie) + invités : Simon Girard (trombone), Rémi Fox (sax ténor).

 

En plus des nombreux disques parvenus à notre rédaction, s’ajoutent ceux qui vous sont confiés de la main à la main par de jeunes musiciens qui osent vous aborder parce qu’ils vous ont déjà repéré parmi leur public ou de parfaits inconnus encouragés par le geste des premiers. Tard dans la nuit, de retour de concert, ces disques vous ne savez pas s’il s’agit de “démos”, de maquettes, de cartes de visite destinées à la promotion du groupe et à sa prospection, de cartes-souvenir destinées à la vente à la sortie des concerts, d’authentiques productions cherchant, sinon un label, du moins un distributeur,  alors qu’avant même d’avoir été gravés sur disques, ces musiques sont déjà parvenues sur votre ordinateur sous forme de liens, de fichiers qui se disséminent sur votre disque dur, définitivement perdus faute d’être identifiables sous leurs titres souvent abscons. Les CD ont l’avantage de ce que l’on appelle encore “pochettes”, qui permet de les visualiser rapidement, plus repérables lorsqu’elles sont dotées de la tranche imprimées d’un digipack, d’un boîtier cristal ou d’un catonnage “gatefold”. Ils ne s’entassent pas moins sur votre bureau formant une pile différente de celles des disques reçus par les voies d’un distributeur, déjà livrés chez les disquaires en attente de chronique, des disques que vous avez sélectionnés pour attribution à la chronique et ceux dont vous vous êtes attribué la chronique.

 

Lorsque Timothée Quost me glissa le CD de son “Quostet” dans un couloir du CNSM, il n’était pas un inconnu pour moi… Quoique ! Dans un compte rendu du 4 décembre sur ce site, à propos d’un programme autour de Chet Baker par le chanteur Clément Brajtman et le guitariste Vladimir Médail , je parlais du « formidable Thimothée Quost, qui a le bon goût de ne pas du tout imiter Chet Baker, mais de réchauffer ce jazz cool aux braises de ces trompettistes qui se sont fait une personnalité en hésitant entre Louis Armstrong et Bix Beiderbecke, de Rex Stewart à Ruby Braff. » Pas inconnu de moi, à ceci près que, glissant son CD dans mon lecteur, je ne le reconnaissais pas. Intrigué autant que troublé, à chaque tentative, je remettrais mon écoute au lendemain, interrompu par quelque urgence (telle qu’un nouveau disque arrivé par la poste et dont la mise en rayon le lendemain, voir la veille, exigeait chronique immédiate), me promettant une écoute un peu plus attentive. Et, pour paraphraser Jean Constantin, « les critiques, ils font ça pendant des mois ! »

 

Et puis, arrive la nouvelle de ce concert au Théâtre de Verre. Et je dois dire qu’entre la perspective de rester dans mon bureau, où je passe parfois 15 heures de mes journées, face à deux haut-parleurs et une écoute en stéréo, d’une part, et cette autre perspective d’écouter des musiciens en chair et os, « ya pas photo » (expression qui en l’occurrence est doublement inepte…) Le Théâtre de Verre, je m’y étais déjà rendu le 14 novembre 2013, sur l’invitation de Tony Tixier, pour écouter le quartette de Logan Richardson. Drôle de nom pour un drôle d’endroit, nom qui fait peut-être référence au fait que l’un des murs de ce quadrilatère est vitré ou peut-être en référence à un certain esprit de pluridisciplinarité et d’ouverture de l’association Co-Arter qui préside à son existence et dont on peut lire cette profession de foi : « Nous travaillons à l’art, et avec l’art, nous travaillons à la culture pour la renouveler, la démocratiser, l’élargir, la rendre plus participative. »


Drôle d’ouverture, au 17 rue de la Chapelle, où il faut connaître un code pour se faire ouvrir une porte métallique automatique donnant accès à une longue cour d’immeuble au fond de laquelle se trouve le dit Théâtre de Verre. Drôle d’ouverture, qui pourrait être le motif poussant cette association à déménager (en fait motif immobilier, me dit-on) pour rouvrir le 3 mai dans un nouveau lieu, 12 rue Henri Ribière. Autrement dit, je débarque en plein déménagement, dans une salle parsemé de siège disparates comme rescapés d’un dépôt d’encombrant et qui me rappelle, en plus vaste, le Studio des Islettes, où les étudiants du CNSM avaient élu domicile voici plus de quinze ans : on venait y écouter le trio de Matthieu Donarier ou le Zigh Band où se côtoyaient Médéric Collignon, Alban Darche, Olivier Py (tiens, il est l’invité admirable de Rugosités sur le disque de Quost, ce soir remplacé par un Rémy Fox plus expressionniste), Daniel Zimmermann, Jean-Philippe Morel, etc… Aujourd’hui, hors des locaux de l’institution, avec ainsi la possibilité de se confronter à une scène parisienne plus vaste, une autre génération d’étudiants du CNSM fréquente tous les jeudis au Théâtre de Verre les soirées Marabout du collectif Selflesness. Une réalité en deux mots dans la bouche de Thimotée Quost… Mais silence, le concert commence.


Et je ne regrette pas d’être là. L’écriture de Timothée Quost est dense. Pas de temps mort, mais une activité de tous les instants sur le terrain de l’orchestration, des distributions de rôles et de timbres, des scénarios et de leurs constructions, de l’écriture mélodique et de la polyphonie, de la déclinaison de tous ces ingrédients en terme d’harmonie, de rythme et de prise de parole individuelle. Contrairement au disque qui prend l’auditeur par les sentiments avec une introduction en douceur que l’on retrouvera en fin de concert (Welcome to the Abyss), le Quotest aborde son public de manière frontale, avec des clameurs et des hurlements. Mais que crient-ils ? Ils épellent l
e nom de John Cage auquel nous apprendrons qu’est dédié cet Amour en Cage : ample fanfare de cuivres sur une torrent de clarinette et de grandes ponctuations de batteries, puis égorgement de saxophone me ramenant à mes premiers concerts de free jazz au début des années 70… On ne s’en tiendra pas là. Si l’on retrouve ici une fraîcheur perdue d’une free music qui a trop souvent tourné au tic nerveux, la plume de Timothée Quost et le vocabulaire de ses comparses relèvent d’un art du développement et de la cohérence assimilant, sans sombrer dans le collage d’une série d’“a la manière de”, les techniques de composition du siècle passé en les associant à l’élan de l’improvisation. Et Timothée Quost ? Le comparerai-je toujours à Bix, Rex et Ruby ? Certes, non, et les noms qui me viennent désormais à l’esprit vont désormais de Shorty Rogers (mais plus pour l’analogie aux premiers essais sériels du trio Rogers-Jimmy Giuffre-Shelly Manne) à Dave Douglas en passant par Don Cherry, Bill Dixon ou Jimmy Owens. Mais avec un fond qu’aura mis en évidence son hommage décalé à Chet.


Mais l’heure tourne, les bureaux de Jazzmag m’attendent et il me faut dire quelques mots du concert de Tony Tixier pour lequel je quitte comme un voleur le Théâtre de Verre dont c’était la dernière soirée dans ce lieu.


Sunside, Paris (75), le 23 avril, 22h30.

 

Tony Tixier (piano), Joachim Govin (contrebasse), Fred Pasqua (batterie).

 

Je m’attarde dans l’entrée du Sunside avec le Philippe Soirat, omniprésent batteur de l’ombre, parce qu’il est de ceux  grandis dans la tradition des standards et des clubs, formé par des milliers de sets nocturnes, sur lesquel ont pu compter tant Lee Konitz (souvenir d’un miraculeux quoiqu’impromptu concert en trio avec Riccardo Del Fra au Petit Journal Montparnasse) que Samy Thiébault sur son récent “Feast of Friends”. Il m’annonce la sortie à la rentrée prochaine de son premier disque en leader, après 30 ans de carrière parisienne ! Rendez-vous en septembre sur le site du Paris Jazz Underground qui lui a ouvert son label. Tony Tixier nous rejoint, désolé de nous voir arriver alors qu’il a joué toutes ses compositions dans le premier set. Il faut dire que le trio qu’il présente n’a pas d’existence régulière depuis que le pianiste vit à New York où l’on peut l’entendre avec Burniss Earl Travis et Guilhem Flouzat, Joe Martin ou Harish Raghavan et Craig Weinrib, etc. Et si Joachim Govin est un vieux complice (autrefois en tandem avec Ghilhem Flouzat au sein du septette qui nous fit remarquer Tixier en 2009 sur “Parallel Worlds”), Fred Pasqua est un premier contact.

 

Il ne leur mène pas la vie facile en attaquant par Con Alma (dédicace impromptue à Xavier Feygerolles qui vient d’entrer dans le club, producteur de son trio “Dream Pursuit” avec Burniss Earl Travis et Justin Brown) pour enchaîner avec le premier titre (original) au programme. On n’y verra que du feu, sinon une certaine surprise de notre part à le voir tirer différents tiroirs à la suite de l’évocation de la composition de Dizzy, tiroirs dont Joachim Govin s’empare sans timidité. Qu’il se joigne aux longues lignes de basse obligées du pianiste, qu’il installe un groove, qu’il joue la walking ou des appuis épars et asymétriques, il est de ces bassistes qui ne courent pas le manche, tout au service de la quadruple profondeur timbrale, harmonique, mélodique et rythmique. La présence de Fred Pasqua n’est ni à la hauteur des batteurs que l’on a pu entendre avec Tixier ni de ses propres prestations entendues dans les contextes plus rodés où il est toujours très apprécié, mais il fait bonne figure, avec une grande liberté d’initiative. On entendra une reprise du peu joué Milestones de 1947, labyrinthe harmonique que Tony Tixier habite avec la fièvre d’une espèce de Bud Powell post-moderne, une composition (la première de sa plume) de Joachim Govin (à découvrir sur une prochaine publication Fresh Sound) et un All the Things You Are (brève mais sublime intro du piano seul) enchaîné à The Eye of the Hurricane d’Herbie Hancock. Le set est déjà fini qu’on n’a pas eu le temps de voir passer – rien d’inutile, beaucoup d’inédit, de la hauteur de vue jusque dans les fragilités de ce trio impromptu – et Tony invite à un troisième set, peut-être avec Logan Richadson, que je déserte lâchement pour tenter de rattraper quelques heures de sommeil. Franck Bergerot

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Au Théâtre de Verre, lieu associatif en plein déménagement, le trompettiste de Timotée Quost présentait son Quostet, formation issue du CNSM. Le même soir, profitant d’un séjour au Ronnie Scott’s de Londres avec Christian Scott début avril, Tony Tixier était de retour à Paris pour un concert au Sunside.

 

Théâtre de Verre, Paris (75), le 23 avril 2015, 20h30

 

Quostet : Timothée Quost (trompette, bugle, compositions), Alexandre Labonde (cor), Loïc Vergnaux (clarinettes), Gabrilet Boyault (saxes ténor et soprano), Victor Aubert (contrebasse), Elie Martin-Charrière (batterie) + invités : Simon Girard (trombone), Rémi Fox (sax ténor).

 

En plus des nombreux disques parvenus à notre rédaction, s’ajoutent ceux qui vous sont confiés de la main à la main par de jeunes musiciens qui osent vous aborder parce qu’ils vous ont déjà repéré parmi leur public ou de parfaits inconnus encouragés par le geste des premiers. Tard dans la nuit, de retour de concert, ces disques vous ne savez pas s’il s’agit de “démos”, de maquettes, de cartes de visite destinées à la promotion du groupe et à sa prospection, de cartes-souvenir destinées à la vente à la sortie des concerts, d’authentiques productions cherchant, sinon un label, du moins un distributeur,  alors qu’avant même d’avoir été gravés sur disques, ces musiques sont déjà parvenues sur votre ordinateur sous forme de liens, de fichiers qui se disséminent sur votre disque dur, définitivement perdus faute d’être identifiables sous leurs titres souvent abscons. Les CD ont l’avantage de ce que l’on appelle encore “pochettes”, qui permet de les visualiser rapidement, plus repérables lorsqu’elles sont dotées de la tranche imprimées d’un digipack, d’un boîtier cristal ou d’un catonnage “gatefold”. Ils ne s’entassent pas moins sur votre bureau formant une pile différente de celles des disques reçus par les voies d’un distributeur, déjà livrés chez les disquaires en attente de chronique, des disques que vous avez sélectionnés pour attribution à la chronique et ceux dont vous vous êtes attribué la chronique.

 

Lorsque Timothée Quost me glissa le CD de son “Quostet” dans un couloir du CNSM, il n’était pas un inconnu pour moi… Quoique ! Dans un compte rendu du 4 décembre sur ce site, à propos d’un programme autour de Chet Baker par le chanteur Clément Brajtman et le guitariste Vladimir Médail , je parlais du « formidable Thimothée Quost, qui a le bon goût de ne pas du tout imiter Chet Baker, mais de réchauffer ce jazz cool aux braises de ces trompettistes qui se sont fait une personnalité en hésitant entre Louis Armstrong et Bix Beiderbecke, de Rex Stewart à Ruby Braff. » Pas inconnu de moi, à ceci près que, glissant son CD dans mon lecteur, je ne le reconnaissais pas. Intrigué autant que troublé, à chaque tentative, je remettrais mon écoute au lendemain, interrompu par quelque urgence (telle qu’un nouveau disque arrivé par la poste et dont la mise en rayon le lendemain, voir la veille, exigeait chronique immédiate), me promettant une écoute un peu plus attentive. Et, pour paraphraser Jean Constantin, « les critiques, ils font ça pendant des mois ! »

 

Et puis, arrive la nouvelle de ce concert au Théâtre de Verre. Et je dois dire qu’entre la perspective de rester dans mon bureau, où je passe parfois 15 heures de mes journées, face à deux haut-parleurs et une écoute en stéréo, d’une part, et cette autre perspective d’écouter des musiciens en chair et os, « ya pas photo » (expression qui en l’occurrence est doublement inepte…) Le Théâtre de Verre, je m’y étais déjà rendu le 14 novembre 2013, sur l’invitation de Tony Tixier, pour écouter le quartette de Logan Richardson. Drôle de nom pour un drôle d’endroit, nom qui fait peut-être référence au fait que l’un des murs de ce quadrilatère est vitré ou peut-être en référence à un certain esprit de pluridisciplinarité et d’ouverture de l’association Co-Arter qui préside à son existence et dont on peut lire cette profession de foi : « Nous travaillons à l’art, et avec l’art, nous travaillons à la culture pour la renouveler, la démocratiser, l’élargir, la rendre plus participative. »


Drôle d’ouverture, au 17 rue de la Chapelle, où il faut connaître un code pour se faire ouvrir une porte métallique automatique donnant accès à une longue cour d’immeuble au fond de laquelle se trouve le dit Théâtre de Verre. Drôle d’ouverture, qui pourrait être le motif poussant cette association à déménager (en fait motif immobilier, me dit-on) pour rouvrir le 3 mai dans un nouveau lieu, 12 rue Henri Ribière. Autrement dit, je débarque en plein déménagement, dans une salle parsemé de siège disparates comme rescapés d’un dépôt d’encombrant et qui me rappelle, en plus vaste, le Studio des Islettes, où les étudiants du CNSM avaient élu domicile voici plus de quinze ans : on venait y écouter le trio de Matthieu Donarier ou le Zigh Band où se côtoyaient Médéric Collignon, Alban Darche, Olivier Py (tiens, il est l’invité admirable de Rugosités sur le disque de Quost, ce soir remplacé par un Rémy Fox plus expressionniste), Daniel Zimmermann, Jean-Philippe Morel, etc… Aujourd’hui, hors des locaux de l’institution, avec ainsi la possibilité de se confronter à une scène parisienne plus vaste, une autre génération d’étudiants du CNSM fréquente tous les jeudis au Théâtre de Verre les soirées Marabout du collectif Selflesness. Une réalité en deux mots dans la bouche de Thimotée Quost… Mais silence, le concert commence.


Et je ne regrette pas d’être là. L’écriture de Timothée Quost est dense. Pas de temps mort, mais une activité de tous les instants sur le terrain de l’orchestration, des distributions de rôles et de timbres, des scénarios et de leurs constructions, de l’écriture mélodique et de la polyphonie, de la déclinaison de tous ces ingrédients en terme d’harmonie, de rythme et de prise de parole individuelle. Contrairement au disque qui prend l’auditeur par les sentiments avec une introduction en douceur que l’on retrouvera en fin de concert (Welcome to the Abyss), le Quotest aborde son public de manière frontale, avec des clameurs et des hurlements. Mais que crient-ils ? Ils épellent l
e nom de John Cage auquel nous apprendrons qu’est dédié cet Amour en Cage : ample fanfare de cuivres sur une torrent de clarinette et de grandes ponctuations de batteries, puis égorgement de saxophone me ramenant à mes premiers concerts de free jazz au début des années 70… On ne s’en tiendra pas là. Si l’on retrouve ici une fraîcheur perdue d’une free music qui a trop souvent tourné au tic nerveux, la plume de Timothée Quost et le vocabulaire de ses comparses relèvent d’un art du développement et de la cohérence assimilant, sans sombrer dans le collage d’une série d’“a la manière de”, les techniques de composition du siècle passé en les associant à l’élan de l’improvisation. Et Timothée Quost ? Le comparerai-je toujours à Bix, Rex et Ruby ? Certes, non, et les noms qui me viennent désormais à l’esprit vont désormais de Shorty Rogers (mais plus pour l’analogie aux premiers essais sériels du trio Rogers-Jimmy Giuffre-Shelly Manne) à Dave Douglas en passant par Don Cherry, Bill Dixon ou Jimmy Owens. Mais avec un fond qu’aura mis en évidence son hommage décalé à Chet.


Mais l’heure tourne, les bureaux de Jazzmag m’attendent et il me faut dire quelques mots du concert de Tony Tixier pour lequel je quitte comme un voleur le Théâtre de Verre dont c’était la dernière soirée dans ce lieu.


Sunside, Paris (75), le 23 avril, 22h30.

 

Tony Tixier (piano), Joachim Govin (contrebasse), Fred Pasqua (batterie).

 

Je m’attarde dans l’entrée du Sunside avec le Philippe Soirat, omniprésent batteur de l’ombre, parce qu’il est de ceux  grandis dans la tradition des standards et des clubs, formé par des milliers de sets nocturnes, sur lesquel ont pu compter tant Lee Konitz (souvenir d’un miraculeux quoiqu’impromptu concert en trio avec Riccardo Del Fra au Petit Journal Montparnasse) que Samy Thiébault sur son récent “Feast of Friends”. Il m’annonce la sortie à la rentrée prochaine de son premier disque en leader, après 30 ans de carrière parisienne ! Rendez-vous en septembre sur le site du Paris Jazz Underground qui lui a ouvert son label. Tony Tixier nous rejoint, désolé de nous voir arriver alors qu’il a joué toutes ses compositions dans le premier set. Il faut dire que le trio qu’il présente n’a pas d’existence régulière depuis que le pianiste vit à New York où l’on peut l’entendre avec Burniss Earl Travis et Guilhem Flouzat, Joe Martin ou Harish Raghavan et Craig Weinrib, etc. Et si Joachim Govin est un vieux complice (autrefois en tandem avec Ghilhem Flouzat au sein du septette qui nous fit remarquer Tixier en 2009 sur “Parallel Worlds”), Fred Pasqua est un premier contact.

 

Il ne leur mène pas la vie facile en attaquant par Con Alma (dédicace impromptue à Xavier Feygerolles qui vient d’entrer dans le club, producteur de son trio “Dream Pursuit” avec Burniss Earl Travis et Justin Brown) pour enchaîner avec le premier titre (original) au programme. On n’y verra que du feu, sinon une certaine surprise de notre part à le voir tirer différents tiroirs à la suite de l’évocation de la composition de Dizzy, tiroirs dont Joachim Govin s’empare sans timidité. Qu’il se joigne aux longues lignes de basse obligées du pianiste, qu’il installe un groove, qu’il joue la walking ou des appuis épars et asymétriques, il est de ces bassistes qui ne courent pas le manche, tout au service de la quadruple profondeur timbrale, harmonique, mélodique et rythmique. La présence de Fred Pasqua n’est ni à la hauteur des batteurs que l’on a pu entendre avec Tixier ni de ses propres prestations entendues dans les contextes plus rodés où il est toujours très apprécié, mais il fait bonne figure, avec une grande liberté d’initiative. On entendra une reprise du peu joué Milestones de 1947, labyrinthe harmonique que Tony Tixier habite avec la fièvre d’une espèce de Bud Powell post-moderne, une composition (la première de sa plume) de Joachim Govin (à découvrir sur une prochaine publication Fresh Sound) et un All the Things You Are (brève mais sublime intro du piano seul) enchaîné à The Eye of the Hurricane d’Herbie Hancock. Le set est déjà fini qu’on n’a pas eu le temps de voir passer – rien d’inutile, beaucoup d’inédit, de la hauteur de vue jusque dans les fragilités de ce trio impromptu – et Tony invite à un troisième set, peut-être avec Logan Richadson, que je déserte lâchement pour tenter de rattraper quelques heures de sommeil. Franck Bergerot

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Au Théâtre de Verre, lieu associatif en plein déménagement, le trompettiste de Timotée Quost présentait son Quostet, formation issue du CNSM. Le même soir, profitant d’un séjour au Ronnie Scott’s de Londres avec Christian Scott début avril, Tony Tixier était de retour à Paris pour un concert au Sunside.

 

Théâtre de Verre, Paris (75), le 23 avril 2015, 20h30

 

Quostet : Timothée Quost (trompette, bugle, compositions), Alexandre Labonde (cor), Loïc Vergnaux (clarinettes), Gabrilet Boyault (saxes ténor et soprano), Victor Aubert (contrebasse), Elie Martin-Charrière (batterie) + invités : Simon Girard (trombone), Rémi Fox (sax ténor).

 

En plus des nombreux disques parvenus à notre rédaction, s’ajoutent ceux qui vous sont confiés de la main à la main par de jeunes musiciens qui osent vous aborder parce qu’ils vous ont déjà repéré parmi leur public ou de parfaits inconnus encouragés par le geste des premiers. Tard dans la nuit, de retour de concert, ces disques vous ne savez pas s’il s’agit de “démos”, de maquettes, de cartes de visite destinées à la promotion du groupe et à sa prospection, de cartes-souvenir destinées à la vente à la sortie des concerts, d’authentiques productions cherchant, sinon un label, du moins un distributeur,  alors qu’avant même d’avoir été gravés sur disques, ces musiques sont déjà parvenues sur votre ordinateur sous forme de liens, de fichiers qui se disséminent sur votre disque dur, définitivement perdus faute d’être identifiables sous leurs titres souvent abscons. Les CD ont l’avantage de ce que l’on appelle encore “pochettes”, qui permet de les visualiser rapidement, plus repérables lorsqu’elles sont dotées de la tranche imprimées d’un digipack, d’un boîtier cristal ou d’un catonnage “gatefold”. Ils ne s’entassent pas moins sur votre bureau formant une pile différente de celles des disques reçus par les voies d’un distributeur, déjà livrés chez les disquaires en attente de chronique, des disques que vous avez sélectionnés pour attribution à la chronique et ceux dont vous vous êtes attribué la chronique.

 

Lorsque Timothée Quost me glissa le CD de son “Quostet” dans un couloir du CNSM, il n’était pas un inconnu pour moi… Quoique ! Dans un compte rendu du 4 décembre sur ce site, à propos d’un programme autour de Chet Baker par le chanteur Clément Brajtman et le guitariste Vladimir Médail , je parlais du « formidable Thimothée Quost, qui a le bon goût de ne pas du tout imiter Chet Baker, mais de réchauffer ce jazz cool aux braises de ces trompettistes qui se sont fait une personnalité en hésitant entre Louis Armstrong et Bix Beiderbecke, de Rex Stewart à Ruby Braff. » Pas inconnu de moi, à ceci près que, glissant son CD dans mon lecteur, je ne le reconnaissais pas. Intrigué autant que troublé, à chaque tentative, je remettrais mon écoute au lendemain, interrompu par quelque urgence (telle qu’un nouveau disque arrivé par la poste et dont la mise en rayon le lendemain, voir la veille, exigeait chronique immédiate), me promettant une écoute un peu plus attentive. Et, pour paraphraser Jean Constantin, « les critiques, ils font ça pendant des mois ! »

 

Et puis, arrive la nouvelle de ce concert au Théâtre de Verre. Et je dois dire qu’entre la perspective de rester dans mon bureau, où je passe parfois 15 heures de mes journées, face à deux haut-parleurs et une écoute en stéréo, d’une part, et cette autre perspective d’écouter des musiciens en chair et os, « ya pas photo » (expression qui en l’occurrence est doublement inepte…) Le Théâtre de Verre, je m’y étais déjà rendu le 14 novembre 2013, sur l’invitation de Tony Tixier, pour écouter le quartette de Logan Richardson. Drôle de nom pour un drôle d’endroit, nom qui fait peut-être référence au fait que l’un des murs de ce quadrilatère est vitré ou peut-être en référence à un certain esprit de pluridisciplinarité et d’ouverture de l’association Co-Arter qui préside à son existence et dont on peut lire cette profession de foi : « Nous travaillons à l’art, et avec l’art, nous travaillons à la culture pour la renouveler, la démocratiser, l’élargir, la rendre plus participative. »


Drôle d’ouverture, au 17 rue de la Chapelle, où il faut connaître un code pour se faire ouvrir une porte métallique automatique donnant accès à une longue cour d’immeuble au fond de laquelle se trouve le dit Théâtre de Verre. Drôle d’ouverture, qui pourrait être le motif poussant cette association à déménager (en fait motif immobilier, me dit-on) pour rouvrir le 3 mai dans un nouveau lieu, 12 rue Henri Ribière. Autrement dit, je débarque en plein déménagement, dans une salle parsemé de siège disparates comme rescapés d’un dépôt d’encombrant et qui me rappelle, en plus vaste, le Studio des Islettes, où les étudiants du CNSM avaient élu domicile voici plus de quinze ans : on venait y écouter le trio de Matthieu Donarier ou le Zigh Band où se côtoyaient Médéric Collignon, Alban Darche, Olivier Py (tiens, il est l’invité admirable de Rugosités sur le disque de Quost, ce soir remplacé par un Rémy Fox plus expressionniste), Daniel Zimmermann, Jean-Philippe Morel, etc… Aujourd’hui, hors des locaux de l’institution, avec ainsi la possibilité de se confronter à une scène parisienne plus vaste, une autre génération d’étudiants du CNSM fréquente tous les jeudis au Théâtre de Verre les soirées Marabout du collectif Selflesness. Une réalité en deux mots dans la bouche de Thimotée Quost… Mais silence, le concert commence.


Et je ne regrette pas d’être là. L’écriture de Timothée Quost est dense. Pas de temps mort, mais une activité de tous les instants sur le terrain de l’orchestration, des distributions de rôles et de timbres, des scénarios et de leurs constructions, de l’écriture mélodique et de la polyphonie, de la déclinaison de tous ces ingrédients en terme d’harmonie, de rythme et de prise de parole individuelle. Contrairement au disque qui prend l’auditeur par les sentiments avec une introduction en douceur que l’on retrouvera en fin de concert (Welcome to the Abyss), le Quotest aborde son public de manière frontale, avec des clameurs et des hurlements. Mais que crient-ils ? Ils épellent l
e nom de John Cage auquel nous apprendrons qu’est dédié cet Amour en Cage : ample fanfare de cuivres sur une torrent de clarinette et de grandes ponctuations de batteries, puis égorgement de saxophone me ramenant à mes premiers concerts de free jazz au début des années 70… On ne s’en tiendra pas là. Si l’on retrouve ici une fraîcheur perdue d’une free music qui a trop souvent tourné au tic nerveux, la plume de Timothée Quost et le vocabulaire de ses comparses relèvent d’un art du développement et de la cohérence assimilant, sans sombrer dans le collage d’une série d’“a la manière de”, les techniques de composition du siècle passé en les associant à l’élan de l’improvisation. Et Timothée Quost ? Le comparerai-je toujours à Bix, Rex et Ruby ? Certes, non, et les noms qui me viennent désormais à l’esprit vont désormais de Shorty Rogers (mais plus pour l’analogie aux premiers essais sériels du trio Rogers-Jimmy Giuffre-Shelly Manne) à Dave Douglas en passant par Don Cherry, Bill Dixon ou Jimmy Owens. Mais avec un fond qu’aura mis en évidence son hommage décalé à Chet.


Mais l’heure tourne, les bureaux de Jazzmag m’attendent et il me faut dire quelques mots du concert de Tony Tixier pour lequel je quitte comme un voleur le Théâtre de Verre dont c’était la dernière soirée dans ce lieu.


Sunside, Paris (75), le 23 avril, 22h30.

 

Tony Tixier (piano), Joachim Govin (contrebasse), Fred Pasqua (batterie).

 

Je m’attarde dans l’entrée du Sunside avec le Philippe Soirat, omniprésent batteur de l’ombre, parce qu’il est de ceux  grandis dans la tradition des standards et des clubs, formé par des milliers de sets nocturnes, sur lesquel ont pu compter tant Lee Konitz (souvenir d’un miraculeux quoiqu’impromptu concert en trio avec Riccardo Del Fra au Petit Journal Montparnasse) que Samy Thiébault sur son récent “Feast of Friends”. Il m’annonce la sortie à la rentrée prochaine de son premier disque en leader, après 30 ans de carrière parisienne ! Rendez-vous en septembre sur le site du Paris Jazz Underground qui lui a ouvert son label. Tony Tixier nous rejoint, désolé de nous voir arriver alors qu’il a joué toutes ses compositions dans le premier set. Il faut dire que le trio qu’il présente n’a pas d’existence régulière depuis que le pianiste vit à New York où l’on peut l’entendre avec Burniss Earl Travis et Guilhem Flouzat, Joe Martin ou Harish Raghavan et Craig Weinrib, etc. Et si Joachim Govin est un vieux complice (autrefois en tandem avec Ghilhem Flouzat au sein du septette qui nous fit remarquer Tixier en 2009 sur “Parallel Worlds”), Fred Pasqua est un premier contact.

 

Il ne leur mène pas la vie facile en attaquant par Con Alma (dédicace impromptue à Xavier Feygerolles qui vient d’entrer dans le club, producteur de son trio “Dream Pursuit” avec Burniss Earl Travis et Justin Brown) pour enchaîner avec le premier titre (original) au programme. On n’y verra que du feu, sinon une certaine surprise de notre part à le voir tirer différents tiroirs à la suite de l’évocation de la composition de Dizzy, tiroirs dont Joachim Govin s’empare sans timidité. Qu’il se joigne aux longues lignes de basse obligées du pianiste, qu’il installe un groove, qu’il joue la walking ou des appuis épars et asymétriques, il est de ces bassistes qui ne courent pas le manche, tout au service de la quadruple profondeur timbrale, harmonique, mélodique et rythmique. La présence de Fred Pasqua n’est ni à la hauteur des batteurs que l’on a pu entendre avec Tixier ni de ses propres prestations entendues dans les contextes plus rodés où il est toujours très apprécié, mais il fait bonne figure, avec une grande liberté d’initiative. On entendra une reprise du peu joué Milestones de 1947, labyrinthe harmonique que Tony Tixier habite avec la fièvre d’une espèce de Bud Powell post-moderne, une composition (la première de sa plume) de Joachim Govin (à découvrir sur une prochaine publication Fresh Sound) et un All the Things You Are (brève mais sublime intro du piano seul) enchaîné à The Eye of the Hurricane d’Herbie Hancock. Le set est déjà fini qu’on n’a pas eu le temps de voir passer – rien d’inutile, beaucoup d’inédit, de la hauteur de vue jusque dans les fragilités de ce trio impromptu – et Tony invite à un troisième set, peut-être avec Logan Richadson, que je déserte lâchement pour tenter de rattraper quelques heures de sommeil. Franck Bergerot