Jazz live
Publié le 10 Nov 2022

D’Jazz Nevers, 5ème journée

Grosse journée hier 9 novembre, cinq concerts, avec une soirée “littéraire” en deux parties dont Xavier Prévost rendra compte de son côté, notre attention se portant ici sur deux trios (Sweet Dog et le trio d’Elise Dabrowski) et un sextette, celui de Christophe Girard.

« Et maintenant place à l’impro » C’est par ces mots – à peu près – qu’à 12h15, dans la Petite Salle de la Maison de la Culture (pour les habitués “La Maison”), Roger Fontanel, fondateur et patron de D’Jazz à Nevers, présentait hier le trio “Parking” d’Élise Dabrowski. Aussi lorsque sont entrés avec elle Fidel Fourneyron (trombone) et Olivier Lété (basse électrique) et qu’ils se sont mis à faire bourdonner leurs instruments respectifs, je m’étais installé dans l’état d’esprit de quelqu’un qui va écouter un concert d’improvisation libre, feuilletant mentalement le Manuel d’écoute consacré à l’improvisation libre par John Corbett que je mentionnais hier. Page 42 : « Alors que faire de l’absence de pulsation ? La première chose à faire est de se détendre. Ne pas se crisper. Respirer. » Jusque-là, tout va bien, le bourdon de trombone et l’usage presque rituel dont Lété procède d’une baguette sur sa guitare basse ont quelque chose de thibétain. Zen ! La voix ose quelques phonèmes, poussières de mots réduits en cendres, qui parfois tendent à se reconstituer dans la bouche d’Élise Dabrowski que l’on sait par ailleurs contrebassiste. Pause, on change l’accord de la basse… Ah, il y aurait donc un programme ? Et même des accords, des tonalités prévues… Bien plus, en dépit des détournements organologiques auxquels ils se livrent, on surprendra de nombreuses homophonies entre les deux instrumentistes trahissant ces préalables, des phrasés de trombone que l’on aurait pu entendre dans les enregistrements les plus classiques d’un Albert Mangelsdorff, et l’on surprendra même au fil de la coulisse la citation d’un blues monkien, inspirant aussitôt une couleur bluesy à la basse, à moins que tout ça n’ait été manigancé d’avance. Il semble même qu’il y ait un texte d’où proviendrait ces bribes de mots, bribes de phrases qui commencent à se faire plus longues, susurrées, grommelées, haletées, soupirées, grognées, exclamées… à travers de véritables sautes d’expression.

On pense au vieil antécédent de la Sequenza III de Luciano Berio et la performance de Cathy Berberian aujourd’hui doté d’une longue descendance chez les improvisateurs. Et l’on se dit en effet, comme l’avait confié Barre Phillips aux Allumés du jazz, [j’adapte de mémoire] « Pourquoi devrais-je faire appel à un compositeur avant de décider de faire se succéder un grincement de l’archet avec l’usage d’un fagot pour frapper les cordes. »  Un texte dont nous est même révélé l’auteur, Falk Richter, et dont un fragment plus long dans la bouche d’Élise Dabrowski explicitera le titre de ce programme Parking : « Avant je voulais changer le monde, mais maintenant je ne pense qu’à ma place de parking ». Et l’on aura droit à une Gavotte où les trois musicien.ne.s se repassent le relais du solo, ainsi qu’en rappel une petite Ballade. Une affaire ne date pas d’hier, comme en témoigne le disque du même titre enregistré en 2020 et cela s’entend.

À 15 heures, au Café Charbon, on a rendez-vous avec Sweet Dog – soit Julien Soro (sax ténor et clavier genre bass station), Paul Jarret (guitare électrique et électronique), Ariel Tessier (batterie) – et, cette fois-ci, c’est juré, impro totale. Relisons Corbett : « Je suis un puriste, du moins en ce qui concerne la nomenclature. Je n’utilise jamais de forme abrégée du terme “improvisation”. L’impro désigne l’improvisation théâtrale. […] Il y a un contrat de base dans le théâtre improvisé, quelque chose appelé la règle du “oui, et”. Cette règle stipule que lorsque vous improvisez avec d’autres personnes, vous ne devez jamais dire non. […] Je dirais que c’est un artefact des arts parlés, non de la musique ; dans la musique librement improvisée, il est possible, peut-être nécessaire, de dire parfois “non”. Sans “non”, il n’y a pas de friction, et sans friction, on a essentiellement de la musique new age. » Je ne sais pas ce qu’en dirait les spécialistes de l’improvisation théâtrale. Je ne sais pas si Corbett aurait considéré la musique de Sweet Dog comme de la musique new age, mais clairement, dans la suite de pêches batterie-guitare par laquelle, sans concertation apparente, a commencé le concert à travers une brume de friselis de cymbales, ces musiciens savent se dire oui, ce qu’a aussitôt confirmé l’entrée du saxophone de Julien Soro.

On pourrait décliner la métaphore pour trouver ici et là du non, de l’opposition, de la résistance, du mnoui, du « ptêt ben qu’oui ptêt ben qu’non », tout improvisée qu’elle soit, toute tonitruante, toute abstraite, toute tendue, parfois toute “punk” qu’elle puisse se montrer ici et là, voici des musiciens habitués les uns et les autres à se dire oui, dans la grande tradition du jazz interactif. On est pourtant, et c’est la guitare de Jarret qui veut ça, son coup de médiator et ses arpèges, ses accords et ses lignes mélodiques, ses sonorités, plus le drumming de Tessier, dans un contexte méchamment rock, plus une coloration folk pour les côtés souriants de cette musique. Est-ce le “oui” souriant de cette musique, malgré ses aspects sombres qui font partie du jeu / genre, qui a rendu l’exercice de l’impro libre un peu trop long hier après-midi ? On se disait tout à la fois très positif et convaincu qu’un seul morceau aurait suffi et que le rappel obligé après le second était de trop. Peut-être y aurait-il fallu un peu de “non”.

À 18h30, au Théâtre, retour de l’écriture… mais pas que, avec le Christophe Girard Sextet. Et je referme mon Corbett. Intro d’accordéon solo avec d’emblée la remarque que tous les clichés – du balkanique au piazzollique – attaché à l’instrument sont balayés au profit d’un discours parfaitement original. Et Christophe Girard compose dans ce même esprit d’indépendance, avec une façon admirable de déployer une partition orchestrale sur la durée (deux pièces de 20 à 45 minutes sans une ombre d’ennui), sans redite ni cliché, de redistribuer constamment les pupitres, tout en ménageant de larges plages d’improvisation. À commencer par la violoniste Amaryllis Billet avec un vocabulaire totalement atypique, iconoclaste, jusqu’à l’irruption d’une chanson traditionnelle (À Nevers jolie ville / Il y a de jolies filles) passée à la moulinette d’une voix quasi punk.

Mais on admirera tout autant l’étendue des propos d’Anthony Caillet (euphonium). On connaît déjà Claude Tchamitchian (contrebasse) hier handicapé par un problème qui restreignait son usage de l’index à main gauche. Moins sollicitée dans les parties improvisations, la désormais incontournable Élodie Pasquier (clarinette) a tout donné dans une intervention “a capella” passionnée qui a tourné au duo avec un François Merville (batterie) époustouflant d’invention, de précision instrumentale et conceptuelle, de fantaisie voire de drôlerie. Un accordéoniste, un compositeur et un orchestre à entendre et à réentendre.

Je n’en dis pas plus et je laisse le soin à Xavier Prévost de nous parler des deux concerts de soirée : Erik Truffaz et Sandrine Bonnaire sur des extraits de La Clameur des lucioles de Joël Bastard, “Les Noces Translucides” de François Corneloup et son quartette sur une photo de Guy Le Querrec et son commentaire par Jean Rochard lu par Anne Alvaro.

En effet, je déserte mon ordinateur car Suzanne “m’attends” à 12h15 à la Maison de la culture (soit Maëlle Desbrosses au violon alto, Hélène Duret à la clarinette, Pierre Tereygeol voix et guitare). À 18h30 au Théâtre: le septette Fragments d’Yves Rousseau. À 20h30 double affiche à la Maison de la Culture: L’octette le GRIO (Grand Impérial Orchestra) et le Supersonic de Thomas de Pourquery. Franck Bergerot (photos © X.Deher)