Jazz live
Publié le 18 Juin 2014

Eloge de l’éclectisme, d’Annie Ebrel à Jean-Loup Longnon

Retour sur le chemin des clubs après un mois de désertion et même de trahison. Ce chemin hier passait par la passionnante causerie de Raphaël Imbert sur les relations historiques du jazz au sacré, et conduisait au concert du Paris-Calvi All Stars Orchestra conduit par Jean-Loup Longnon aux Petits Joueurs.

Digressions sur Samuel Beckett un jour de bouclage

 

Hier, me rendant aux bureau de Jazzmag pour boucler notre numéro de juillet (ça y est, il est chez l’imprimeur et bientôt dans vos boîtes aux lettres et dans vos kiosques), je m’autorisai une halte chez le libraire anglais Smith de la rue de Rivoli où je fis l’acquisition de Disjecta, Miscellaneous Writings and a Dramatic Fragment, recueil de textes épars du jeune Samuel Beckett, mémoires, lettres, essais, critiques journalistiques sur la littérature et la peinture, en français ou en anglais, hantés par la difficulté de dire l’innommable, où je lis en tête d’un article sur le peintre Henri Hayden : « On me demande des mots, à moi qui n’en ai plus, plus guère, sur une chose qui les récuse. Exécutons-nous, exécutons-la. »

 

Moi non plus, des mots je n’en ai plus guère à ma disposition, un soir de bouclage, après en avoir tant écrit, lu, relu, réécrit, usé tout mon petit vocabulaire à dire le plus innommable de tous les arts, la musique, cette chose « qui les récuse », les mots. Curieusement, coquetterie suprême, je prends la plume (ou ce qui aujourd’hui en tient lieu) sur ce blog alors que personne ne m’a rien demandé. Mais comme dit Beckett à la fin de L’Innommable : « Il faut continuer, je ne peux pas continuer, il faut continuer, je vais donc continuer, il faut dire des mots, tant qu’il y en a, il faut les dire, juqu’à ce qu’ils me trouvent, jusqu’à ce qu’ils me disent […], c’est peut-être déjà fait, ils m’ont peut-être déjà dit, ils m’ont peut-être porté jusqu’au seuil de mon histoire, devant la porte qui s’ouvre sur mon histoire, ça m’étonnerait, si elle s’ouvre, ça va être moi, ça va être le silence, là où je suis, je ne sais pas, je ne le saurai jamais, dans le silence on ne sait pas, il faut continuer, je vais continuer. » Ce qui me rappelle un reproche adressé par un musicien à un critique : « il ne parle que de lui. » Et toi pourquoi fais-tu de la musique ? Et toi pourquoi écoutes-tu de la musique ? Et toi pourquoi écris-tu sur la musique ? Quand bien même ce serait pour répondre à la frustration de ne pouvoir en jouer toi-même, ce vieux classique ?

 

Annie Ebrel, Le Chant des soupirs

 

Un mois durant, j’ai déserté le jazz vivant, histoire de récupérer un peu de sommeil et de vocabulaire. Je l’ai même trahi en allant écouter le spectacle de la chanteuse “traditionnelle” bretonne Annie Ebrel, Le Chant des soupirs, au Théâtre des Abbesses, le 6 juin dernier. Triple trahison puisque le même soir, le pianiste Bruno Ruder (Choc sous ma plume dans notre numéro de juillet) et le duo Marc Ducret-Benoît Delbecq se succédaient dans les deux salles du Triton aux Lilas. On se moquera de moi (sauf Bruno Ruder qui sait de qui je parle et Marc Ducret qui ne le sait peut-être pas, mais qui n’a pas ce genre de dédain). Annie Ebrel raconte sa vie de fille de la campagne, chante la gwerz, danse la gavotte et, soudain plongée dans le noir, les pieds éclairés par sa seule lampe de poche, donne un leçon de dañs plin, puis chante le kan a diskan (chant et déchant), le chant traditionnel à chanter en répons. Chanter seul en répons, c’est idiot, me direz-vous. Sauf, que c’est la guitare, et même la percussion qui lui donnent le répons, celles de Kevin Seddiki, aussi éloquent sur l’un et l’autre instrument et dont l’art devrai parler aux jazzfans. Car depuis sa rencontre avec Riccardo Del Fra – l’ancien contrebassiste de Chet Baker et Johnny Griffin, cette précision pour étayer cet éloge de l’éclectisme –, Annie Ebrel n’a cessé de dialoguer, d’une manière ou d’une autre, avec le jazz.

 

Raphaël Imbert, le jazz et le sacré

 

Mais ce soir, 17 juin, notre numéro de juillet bouclé, je reprend mon babil et le chemin du jazz, vers les Petits Joueurs, rue de la Mouzaïa (voir plus bas), en faisant un crochet par l’excellente librairie L’Atelier, rue du Jourdain où Raphaël Imbert présentait son livre Jazz Suprême, initiés, mystiques et prophètes (Editions de l’éclat). Admirable travail de recherche, d’enquête, d’analyse et de réflexion sur cette relation du jazz au sacré dont la critique a toujours fait fi (par simple défaut aux Etats-Unis, par défiance ou franche hostilité en Europe). Interrogé par Arnaud Merlin, Raphaël est porté par son sujet, la passion qu’il lui voue et une faconde qui lui est naturelle. À la question que je lui pose sur la mise en acte du sacré dans la musique d’Ellington (dont il nous apprend qu’il est parmi les nombreux francs maçons de la jazz-galaxy) comparée à Steve Coleman et John Coltrane qui me paraissent les seuls à mettre leur mysticisme en acte musical, Imbert répond saxophone en main pour une brève étude comparative de Come Sunday de la suite Black, Brown & Beige, et Heaven tiré du deuxième des Sacred Concerts, puis termine sa prestation par l’enchaînement du vieux traditionnel néo-orléanais Flee as a Bird au Psalm de Coltrane.

 

Il nous donne rendez-vous, jeudi 19 juin à 20h, au Caveau de la Huchette pour une conférence sur Botul et le jazz, Jean-Baptiste Botul, philosophe fictif inventé par Frédéric Pagès du Canard Enchaîné qui publia sous ce pseudonyme La Vie sexuelle d’Emmanuel Kant et dont notre bienheureux Bernard-Henri Lévy ne manqua pas de prendre l’existence pour argent comptant. Ça promet !

 

Je quitte précipitamment les lieux, non sans avoir réglé le livre, non pas d’Imbert que je possède déjà, mais Le Club des suicidaires de Robert Louis Stevenson qui me faisait de l’œil du haut de son étagère pendant la causerie. La citation au dos du livre achève de me convaincre : « Comme vous, nous sommes las de la vie, et déterminés à mourir. Tôt ou tard, dans la solitude ou ensemble, nous avons l’intention de débusquer la mort au fond de son antre. Puisque nous vous avons rencontré, et que votre situation est plus pressante encore, faisons-le ce soir… » Le désespoir narquois de Lester vient se superposer à la gravité de Coltrane et de son amour suprême et je prends gaiement le chemin des Petits Joueurs.

 

Jean-Loup Longnon et le Paris-Calvi All Stars Orchestra

 

Jean-Loup Longnon y présente le Paris-Calvi All Stars Orchestra

qu’il a mis sur pied en quatre efficaces répétitions, pour perpétuer l’esprit que René Caumer (disparu l’été dernier) avait insufflé au festival de Calvi. Le René aurait aimé cette bruissante assemblée massée entre les tables des dîneurs et fendue par la blitzkrieg des serveuses. Entre les têtes du public, j’aperçois celles des saxophonistes Sammy Thiebault, Alexis Avakian, Jean-Philippe Scali, Pierrick Pédron, Olivier Témime, du tromboniste Bastien Ballaz, des trompettistes Brice Moscardini et Julien Alour, des pianistes Zool Fleischer et Pierre de Bethmann qui se relaient au Fender-Rhodes, du contrebassiste Jean-Philippe Viret, du batteur Andrea Michelutti, les autres m’étant cachés. Thad Jones, Rob McConnel et Count Basie sont au répertoire, mais aussi Stan Laferrière et je croise Andy Emler qui a apporté sa partition de West in Peace. La brise ou la tempête des saxophones, la gifle des cuivres, l’upercut de la grosse caisse, le polychromie des pupitres, le feu d’artifice polyrythmique des différentes voix, le big band est une expérience à vivre en direct, sans sono, et je me souviens de mes premières expériences de ce type au tournant des années 70-80 : Clark Terry à Campagne Première ou au premier rang de l’Espace Cardin, les stages de big band de l’AFDAS au Cim et… le big band de Jean-Loup Longnon au Cardinal Paf dont l’installation progressive et le coup d’envoi m’avait inspiré un texte métaphorique, aujourd’hui égaré, sur le départ d’un grand prix. Il faut dire que le Cardinal Paf appartenait, si mes souvenirs sont bons, à la sœur de Jean-Pierre Beltoise et que l’on pouvait y croiser les stars du sport automobile français.

 

Demain 18 juin, les yeux tirés par une longue nuit qui ne fait que commencer, tout ce petit monde prendra l’avion pour Calvi où l’attend le public du festival, transhumance rituelle, mais qui, avec ce big band donne un sérieux coup de reins à cette chaleureuse manifestation en ouverture de sa 27ème édition.

 

Je quitte les lieux à la pause, m’enfonce dans les abîmes de la station Saint-Gervais et me retrouve sur un quai désert, comme englouti dans un silence éternel et assourdissant (« Passé minuit. Jamais entendu pareil silence. Le Monde pourrait être inhabité » Samuel Beckett, La Dernière Bande). Il est merveilleux qu’à cette heure tardive, dans ces profondeurs, il arrive pour moi seul une rame vide, venue m’emporter vers ma banlieue. Allez, tout n’est pas fichu.

 

Franck Bergerot|Retour sur le chemin des clubs après un mois de désertion et même de trahison. Ce chemin hier passait par la passionnante causerie de Raphaël Imbert sur les relations historiques du jazz au sacré, et conduisait au concert du Paris-Calvi All Stars Orchestra conduit par Jean-Loup Longnon aux Petits Joueurs.

Digressions sur Samuel Beckett un jour de bouclage

 

Hier, me rendant aux bureau de Jazzmag pour boucler notre numéro de juillet (ça y est, il est chez l’imprimeur et bientôt dans vos boîtes aux lettres et dans vos kiosques), je m’autorisai une halte chez le libraire anglais Smith de la rue de Rivoli où je fis l’acquisition de Disjecta, Miscellaneous Writings and a Dramatic Fragment, recueil de textes épars du jeune Samuel Beckett, mémoires, lettres, essais, critiques journalistiques sur la littérature et la peinture, en français ou en anglais, hantés par la difficulté de dire l’innommable, où je lis en tête d’un article sur le peintre Henri Hayden : « On me demande des mots, à moi qui n’en ai plus, plus guère, sur une chose qui les récuse. Exécutons-nous, exécutons-la. »

 

Moi non plus, des mots je n’en ai plus guère à ma disposition, un soir de bouclage, après en avoir tant écrit, lu, relu, réécrit, usé tout mon petit vocabulaire à dire le plus innommable de tous les arts, la musique, cette chose « qui les récuse », les mots. Curieusement, coquetterie suprême, je prends la plume (ou ce qui aujourd’hui en tient lieu) sur ce blog alors que personne ne m’a rien demandé. Mais comme dit Beckett à la fin de L’Innommable : « Il faut continuer, je ne peux pas continuer, il faut continuer, je vais donc continuer, il faut dire des mots, tant qu’il y en a, il faut les dire, juqu’à ce qu’ils me trouvent, jusqu’à ce qu’ils me disent […], c’est peut-être déjà fait, ils m’ont peut-être déjà dit, ils m’ont peut-être porté jusqu’au seuil de mon histoire, devant la porte qui s’ouvre sur mon histoire, ça m’étonnerait, si elle s’ouvre, ça va être moi, ça va être le silence, là où je suis, je ne sais pas, je ne le saurai jamais, dans le silence on ne sait pas, il faut continuer, je vais continuer. » Ce qui me rappelle un reproche adressé par un musicien à un critique : « il ne parle que de lui. » Et toi pourquoi fais-tu de la musique ? Et toi pourquoi écoutes-tu de la musique ? Et toi pourquoi écris-tu sur la musique ? Quand bien même ce serait pour répondre à la frustration de ne pouvoir en jouer toi-même, ce vieux classique ?

 

Annie Ebrel, Le Chant des soupirs

 

Un mois durant, j’ai déserté le jazz vivant, histoire de récupérer un peu de sommeil et de vocabulaire. Je l’ai même trahi en allant écouter le spectacle de la chanteuse “traditionnelle” bretonne Annie Ebrel, Le Chant des soupirs, au Théâtre des Abbesses, le 6 juin dernier. Triple trahison puisque le même soir, le pianiste Bruno Ruder (Choc sous ma plume dans notre numéro de juillet) et le duo Marc Ducret-Benoît Delbecq se succédaient dans les deux salles du Triton aux Lilas. On se moquera de moi (sauf Bruno Ruder qui sait de qui je parle et Marc Ducret qui ne le sait peut-être pas, mais qui n’a pas ce genre de dédain). Annie Ebrel raconte sa vie de fille de la campagne, chante la gwerz, danse la gavotte et, soudain plongée dans le noir, les pieds éclairés par sa seule lampe de poche, donne un leçon de dañs plin, puis chante le kan a diskan (chant et déchant), le chant traditionnel à chanter en répons. Chanter seul en répons, c’est idiot, me direz-vous. Sauf, que c’est la guitare, et même la percussion qui lui donnent le répons, celles de Kevin Seddiki, aussi éloquent sur l’un et l’autre instrument et dont l’art devrai parler aux jazzfans. Car depuis sa rencontre avec Riccardo Del Fra – l’ancien contrebassiste de Chet Baker et Johnny Griffin, cette précision pour étayer cet éloge de l’éclectisme –, Annie Ebrel n’a cessé de dialoguer, d’une manière ou d’une autre, avec le jazz.

 

Raphaël Imbert, le jazz et le sacré

 

Mais ce soir, 17 juin, notre numéro de juillet bouclé, je reprend mon babil et le chemin du jazz, vers les Petits Joueurs, rue de la Mouzaïa (voir plus bas), en faisant un crochet par l’excellente librairie L’Atelier, rue du Jourdain où Raphaël Imbert présentait son livre Jazz Suprême, initiés, mystiques et prophètes (Editions de l’éclat). Admirable travail de recherche, d’enquête, d’analyse et de réflexion sur cette relation du jazz au sacré dont la critique a toujours fait fi (par simple défaut aux Etats-Unis, par défiance ou franche hostilité en Europe). Interrogé par Arnaud Merlin, Raphaël est porté par son sujet, la passion qu’il lui voue et une faconde qui lui est naturelle. À la question que je lui pose sur la mise en acte du sacré dans la musique d’Ellington (dont il nous apprend qu’il est parmi les nombreux francs maçons de la jazz-galaxy) comparée à Steve Coleman et John Coltrane qui me paraissent les seuls à mettre leur mysticisme en acte musical, Imbert répond saxophone en main pour une brève étude comparative de Come Sunday de la suite Black, Brown & Beige, et Heaven tiré du deuxième des Sacred Concerts, puis termine sa prestation par l’enchaînement du vieux traditionnel néo-orléanais Flee as a Bird au Psalm de Coltrane.

 

Il nous donne rendez-vous, jeudi 19 juin à 20h, au Caveau de la Huchette pour une conférence sur Botul et le jazz, Jean-Baptiste Botul, philosophe fictif inventé par Frédéric Pagès du Canard Enchaîné qui publia sous ce pseudonyme La Vie sexuelle d’Emmanuel Kant et dont notre bienheureux Bernard-Henri Lévy ne manqua pas de prendre l’existence pour argent comptant. Ça promet !

 

Je quitte précipitamment les lieux, non sans avoir réglé le livre, non pas d’Imbert que je possède déjà, mais Le Club des suicidaires de Robert Louis Stevenson qui me faisait de l’œil du haut de son étagère pendant la causerie. La citation au dos du livre achève de me convaincre : « Comme vous, nous sommes las de la vie, et déterminés à mourir. Tôt ou tard, dans la solitude ou ensemble, nous avons l’intention de débusquer la mort au fond de son antre. Puisque nous vous avons rencontré, et que votre situation est plus pressante encore, faisons-le ce soir… » Le désespoir narquois de Lester vient se superposer à la gravité de Coltrane et de son amour suprême et je prends gaiement le chemin des Petits Joueurs.

 

Jean-Loup Longnon et le Paris-Calvi All Stars Orchestra

 

Jean-Loup Longnon y présente le Paris-Calvi All Stars Orchestra

qu’il a mis sur pied en quatre efficaces répétitions, pour perpétuer l’esprit que René Caumer (disparu l’été dernier) avait insufflé au festival de Calvi. Le René aurait aimé cette bruissante assemblée massée entre les tables des dîneurs et fendue par la blitzkrieg des serveuses. Entre les têtes du public, j’aperçois celles des saxophonistes Sammy Thiebault, Alexis Avakian, Jean-Philippe Scali, Pierrick Pédron, Olivier Témime, du tromboniste Bastien Ballaz, des trompettistes Brice Moscardini et Julien Alour, des pianistes Zool Fleischer et Pierre de Bethmann qui se relaient au Fender-Rhodes, du contrebassiste Jean-Philippe Viret, du batteur Andrea Michelutti, les autres m’étant cachés. Thad Jones, Rob McConnel et Count Basie sont au répertoire, mais aussi Stan Laferrière et je croise Andy Emler qui a apporté sa partition de West in Peace. La brise ou la tempête des saxophones, la gifle des cuivres, l’upercut de la grosse caisse, le polychromie des pupitres, le feu d’artifice polyrythmique des différentes voix, le big band est une expérience à vivre en direct, sans sono, et je me souviens de mes premières expériences de ce type au tournant des années 70-80 : Clark Terry à Campagne Première ou au premier rang de l’Espace Cardin, les stages de big band de l’AFDAS au Cim et… le big band de Jean-Loup Longnon au Cardinal Paf dont l’installation progressive et le coup d’envoi m’avait inspiré un texte métaphorique, aujourd’hui égaré, sur le départ d’un grand prix. Il faut dire que le Cardinal Paf appartenait, si mes souvenirs sont bons, à la sœur de Jean-Pierre Beltoise et que l’on pouvait y croiser les stars du sport automobile français.

 

Demain 18 juin, les yeux tirés par une longue nuit qui ne fait que commencer, tout ce petit monde prendra l’avion pour Calvi où l’attend le public du festival, transhumance rituelle, mais qui, avec ce big band donne un sérieux coup de reins à cette chaleureuse manifestation en ouverture de sa 27ème édition.

 

Je quitte les lieux à la pause, m’enfonce dans les abîmes de la station Saint-Gervais et me retrouve sur un quai désert, comme englouti dans un silence éternel et assourdissant (« Passé minuit. Jamais entendu pareil silence. Le Monde pourrait être inhabité » Samuel Beckett, La Dernière Bande). Il est merveilleux qu’à cette heure tardive, dans ces profondeurs, il arrive pour moi seul une rame vide, venue m’emporter vers ma banlieue. Allez, tout n’est pas fichu.

 

Franck Bergerot|Retour sur le chemin des clubs après un mois de désertion et même de trahison. Ce chemin hier passait par la passionnante causerie de Raphaël Imbert sur les relations historiques du jazz au sacré, et conduisait au concert du Paris-Calvi All Stars Orchestra conduit par Jean-Loup Longnon aux Petits Joueurs.

Digressions sur Samuel Beckett un jour de bouclage

 

Hier, me rendant aux bureau de Jazzmag pour boucler notre numéro de juillet (ça y est, il est chez l’imprimeur et bientôt dans vos boîtes aux lettres et dans vos kiosques), je m’autorisai une halte chez le libraire anglais Smith de la rue de Rivoli où je fis l’acquisition de Disjecta, Miscellaneous Writings and a Dramatic Fragment, recueil de textes épars du jeune Samuel Beckett, mémoires, lettres, essais, critiques journalistiques sur la littérature et la peinture, en français ou en anglais, hantés par la difficulté de dire l’innommable, où je lis en tête d’un article sur le peintre Henri Hayden : « On me demande des mots, à moi qui n’en ai plus, plus guère, sur une chose qui les récuse. Exécutons-nous, exécutons-la. »

 

Moi non plus, des mots je n’en ai plus guère à ma disposition, un soir de bouclage, après en avoir tant écrit, lu, relu, réécrit, usé tout mon petit vocabulaire à dire le plus innommable de tous les arts, la musique, cette chose « qui les récuse », les mots. Curieusement, coquetterie suprême, je prends la plume (ou ce qui aujourd’hui en tient lieu) sur ce blog alors que personne ne m’a rien demandé. Mais comme dit Beckett à la fin de L’Innommable : « Il faut continuer, je ne peux pas continuer, il faut continuer, je vais donc continuer, il faut dire des mots, tant qu’il y en a, il faut les dire, juqu’à ce qu’ils me trouvent, jusqu’à ce qu’ils me disent […], c’est peut-être déjà fait, ils m’ont peut-être déjà dit, ils m’ont peut-être porté jusqu’au seuil de mon histoire, devant la porte qui s’ouvre sur mon histoire, ça m’étonnerait, si elle s’ouvre, ça va être moi, ça va être le silence, là où je suis, je ne sais pas, je ne le saurai jamais, dans le silence on ne sait pas, il faut continuer, je vais continuer. » Ce qui me rappelle un reproche adressé par un musicien à un critique : « il ne parle que de lui. » Et toi pourquoi fais-tu de la musique ? Et toi pourquoi écoutes-tu de la musique ? Et toi pourquoi écris-tu sur la musique ? Quand bien même ce serait pour répondre à la frustration de ne pouvoir en jouer toi-même, ce vieux classique ?

 

Annie Ebrel, Le Chant des soupirs

 

Un mois durant, j’ai déserté le jazz vivant, histoire de récupérer un peu de sommeil et de vocabulaire. Je l’ai même trahi en allant écouter le spectacle de la chanteuse “traditionnelle” bretonne Annie Ebrel, Le Chant des soupirs, au Théâtre des Abbesses, le 6 juin dernier. Triple trahison puisque le même soir, le pianiste Bruno Ruder (Choc sous ma plume dans notre numéro de juillet) et le duo Marc Ducret-Benoît Delbecq se succédaient dans les deux salles du Triton aux Lilas. On se moquera de moi (sauf Bruno Ruder qui sait de qui je parle et Marc Ducret qui ne le sait peut-être pas, mais qui n’a pas ce genre de dédain). Annie Ebrel raconte sa vie de fille de la campagne, chante la gwerz, danse la gavotte et, soudain plongée dans le noir, les pieds éclairés par sa seule lampe de poche, donne un leçon de dañs plin, puis chante le kan a diskan (chant et déchant), le chant traditionnel à chanter en répons. Chanter seul en répons, c’est idiot, me direz-vous. Sauf, que c’est la guitare, et même la percussion qui lui donnent le répons, celles de Kevin Seddiki, aussi éloquent sur l’un et l’autre instrument et dont l’art devrai parler aux jazzfans. Car depuis sa rencontre avec Riccardo Del Fra – l’ancien contrebassiste de Chet Baker et Johnny Griffin, cette précision pour étayer cet éloge de l’éclectisme –, Annie Ebrel n’a cessé de dialoguer, d’une manière ou d’une autre, avec le jazz.

 

Raphaël Imbert, le jazz et le sacré

 

Mais ce soir, 17 juin, notre numéro de juillet bouclé, je reprend mon babil et le chemin du jazz, vers les Petits Joueurs, rue de la Mouzaïa (voir plus bas), en faisant un crochet par l’excellente librairie L’Atelier, rue du Jourdain où Raphaël Imbert présentait son livre Jazz Suprême, initiés, mystiques et prophètes (Editions de l’éclat). Admirable travail de recherche, d’enquête, d’analyse et de réflexion sur cette relation du jazz au sacré dont la critique a toujours fait fi (par simple défaut aux Etats-Unis, par défiance ou franche hostilité en Europe). Interrogé par Arnaud Merlin, Raphaël est porté par son sujet, la passion qu’il lui voue et une faconde qui lui est naturelle. À la question que je lui pose sur la mise en acte du sacré dans la musique d’Ellington (dont il nous apprend qu’il est parmi les nombreux francs maçons de la jazz-galaxy) comparée à Steve Coleman et John Coltrane qui me paraissent les seuls à mettre leur mysticisme en acte musical, Imbert répond saxophone en main pour une brève étude comparative de Come Sunday de la suite Black, Brown & Beige, et Heaven tiré du deuxième des Sacred Concerts, puis termine sa prestation par l’enchaînement du vieux traditionnel néo-orléanais Flee as a Bird au Psalm de Coltrane.

 

Il nous donne rendez-vous, jeudi 19 juin à 20h, au Caveau de la Huchette pour une conférence sur Botul et le jazz, Jean-Baptiste Botul, philosophe fictif inventé par Frédéric Pagès du Canard Enchaîné qui publia sous ce pseudonyme La Vie sexuelle d’Emmanuel Kant et dont notre bienheureux Bernard-Henri Lévy ne manqua pas de prendre l’existence pour argent comptant. Ça promet !

 

Je quitte précipitamment les lieux, non sans avoir réglé le livre, non pas d’Imbert que je possède déjà, mais Le Club des suicidaires de Robert Louis Stevenson qui me faisait de l’œil du haut de son étagère pendant la causerie. La citation au dos du livre achève de me convaincre : « Comme vous, nous sommes las de la vie, et déterminés à mourir. Tôt ou tard, dans la solitude ou ensemble, nous avons l’intention de débusquer la mort au fond de son antre. Puisque nous vous avons rencontré, et que votre situation est plus pressante encore, faisons-le ce soir… » Le désespoir narquois de Lester vient se superposer à la gravité de Coltrane et de son amour suprême et je prends gaiement le chemin des Petits Joueurs.

 

Jean-Loup Longnon et le Paris-Calvi All Stars Orchestra

 

Jean-Loup Longnon y présente le Paris-Calvi All Stars Orchestra

qu’il a mis sur pied en quatre efficaces répétitions, pour perpétuer l’esprit que René Caumer (disparu l’été dernier) avait insufflé au festival de Calvi. Le René aurait aimé cette bruissante assemblée massée entre les tables des dîneurs et fendue par la blitzkrieg des serveuses. Entre les têtes du public, j’aperçois celles des saxophonistes Sammy Thiebault, Alexis Avakian, Jean-Philippe Scali, Pierrick Pédron, Olivier Témime, du tromboniste Bastien Ballaz, des trompettistes Brice Moscardini et Julien Alour, des pianistes Zool Fleischer et Pierre de Bethmann qui se relaient au Fender-Rhodes, du contrebassiste Jean-Philippe Viret, du batteur Andrea Michelutti, les autres m’étant cachés. Thad Jones, Rob McConnel et Count Basie sont au répertoire, mais aussi Stan Laferrière et je croise Andy Emler qui a apporté sa partition de West in Peace. La brise ou la tempête des saxophones, la gifle des cuivres, l’upercut de la grosse caisse, le polychromie des pupitres, le feu d’artifice polyrythmique des différentes voix, le big band est une expérience à vivre en direct, sans sono, et je me souviens de mes premières expériences de ce type au tournant des années 70-80 : Clark Terry à Campagne Première ou au premier rang de l’Espace Cardin, les stages de big band de l’AFDAS au Cim et… le big band de Jean-Loup Longnon au Cardinal Paf dont l’installation progressive et le coup d’envoi m’avait inspiré un texte métaphorique, aujourd’hui égaré, sur le départ d’un grand prix. Il faut dire que le Cardinal Paf appartenait, si mes souvenirs sont bons, à la sœur de Jean-Pierre Beltoise et que l’on pouvait y croiser les stars du sport automobile français.

 

Demain 18 juin, les yeux tirés par une longue nuit qui ne fait que commencer, tout ce petit monde prendra l’avion pour Calvi où l’attend le public du festival, transhumance rituelle, mais qui, avec ce big band donne un sérieux coup de reins à cette chaleureuse manifestation en ouverture de sa 27ème édition.

 

Je quitte les lieux à la pause, m’enfonce dans les abîmes de la station Saint-Gervais et me retrouve sur un quai désert, comme englouti dans un silence éternel et assourdissant (« Passé minuit. Jamais entendu pareil silence. Le Monde pourrait être inhabité » Samuel Beckett, La Dernière Bande). Il est merveilleux qu’à cette heure tardive, dans ces profondeurs, il arrive pour moi seul une rame vide, venue m’emporter vers ma banlieue. Allez, tout n’est pas fichu.

 

Franck Bergerot|Retour sur le chemin des clubs après un mois de désertion et même de trahison. Ce chemin hier passait par la passionnante causerie de Raphaël Imbert sur les relations historiques du jazz au sacré, et conduisait au concert du Paris-Calvi All Stars Orchestra conduit par Jean-Loup Longnon aux Petits Joueurs.

Digressions sur Samuel Beckett un jour de bouclage

 

Hier, me rendant aux bureau de Jazzmag pour boucler notre numéro de juillet (ça y est, il est chez l’imprimeur et bientôt dans vos boîtes aux lettres et dans vos kiosques), je m’autorisai une halte chez le libraire anglais Smith de la rue de Rivoli où je fis l’acquisition de Disjecta, Miscellaneous Writings and a Dramatic Fragment, recueil de textes épars du jeune Samuel Beckett, mémoires, lettres, essais, critiques journalistiques sur la littérature et la peinture, en français ou en anglais, hantés par la difficulté de dire l’innommable, où je lis en tête d’un article sur le peintre Henri Hayden : « On me demande des mots, à moi qui n’en ai plus, plus guère, sur une chose qui les récuse. Exécutons-nous, exécutons-la. »

 

Moi non plus, des mots je n’en ai plus guère à ma disposition, un soir de bouclage, après en avoir tant écrit, lu, relu, réécrit, usé tout mon petit vocabulaire à dire le plus innommable de tous les arts, la musique, cette chose « qui les récuse », les mots. Curieusement, coquetterie suprême, je prends la plume (ou ce qui aujourd’hui en tient lieu) sur ce blog alors que personne ne m’a rien demandé. Mais comme dit Beckett à la fin de L’Innommable : « Il faut continuer, je ne peux pas continuer, il faut continuer, je vais donc continuer, il faut dire des mots, tant qu’il y en a, il faut les dire, juqu’à ce qu’ils me trouvent, jusqu’à ce qu’ils me disent […], c’est peut-être déjà fait, ils m’ont peut-être déjà dit, ils m’ont peut-être porté jusqu’au seuil de mon histoire, devant la porte qui s’ouvre sur mon histoire, ça m’étonnerait, si elle s’ouvre, ça va être moi, ça va être le silence, là où je suis, je ne sais pas, je ne le saurai jamais, dans le silence on ne sait pas, il faut continuer, je vais continuer. » Ce qui me rappelle un reproche adressé par un musicien à un critique : « il ne parle que de lui. » Et toi pourquoi fais-tu de la musique ? Et toi pourquoi écoutes-tu de la musique ? Et toi pourquoi écris-tu sur la musique ? Quand bien même ce serait pour répondre à la frustration de ne pouvoir en jouer toi-même, ce vieux classique ?

 

Annie Ebrel, Le Chant des soupirs

 

Un mois durant, j’ai déserté le jazz vivant, histoire de récupérer un peu de sommeil et de vocabulaire. Je l’ai même trahi en allant écouter le spectacle de la chanteuse “traditionnelle” bretonne Annie Ebrel, Le Chant des soupirs, au Théâtre des Abbesses, le 6 juin dernier. Triple trahison puisque le même soir, le pianiste Bruno Ruder (Choc sous ma plume dans notre numéro de juillet) et le duo Marc Ducret-Benoît Delbecq se succédaient dans les deux salles du Triton aux Lilas. On se moquera de moi (sauf Bruno Ruder qui sait de qui je parle et Marc Ducret qui ne le sait peut-être pas, mais qui n’a pas ce genre de dédain). Annie Ebrel raconte sa vie de fille de la campagne, chante la gwerz, danse la gavotte et, soudain plongée dans le noir, les pieds éclairés par sa seule lampe de poche, donne un leçon de dañs plin, puis chante le kan a diskan (chant et déchant), le chant traditionnel à chanter en répons. Chanter seul en répons, c’est idiot, me direz-vous. Sauf, que c’est la guitare, et même la percussion qui lui donnent le répons, celles de Kevin Seddiki, aussi éloquent sur l’un et l’autre instrument et dont l’art devrai parler aux jazzfans. Car depuis sa rencontre avec Riccardo Del Fra – l’ancien contrebassiste de Chet Baker et Johnny Griffin, cette précision pour étayer cet éloge de l’éclectisme –, Annie Ebrel n’a cessé de dialoguer, d’une manière ou d’une autre, avec le jazz.

 

Raphaël Imbert, le jazz et le sacré

 

Mais ce soir, 17 juin, notre numéro de juillet bouclé, je reprend mon babil et le chemin du jazz, vers les Petits Joueurs, rue de la Mouzaïa (voir plus bas), en faisant un crochet par l’excellente librairie L’Atelier, rue du Jourdain où Raphaël Imbert présentait son livre Jazz Suprême, initiés, mystiques et prophètes (Editions de l’éclat). Admirable travail de recherche, d’enquête, d’analyse et de réflexion sur cette relation du jazz au sacré dont la critique a toujours fait fi (par simple défaut aux Etats-Unis, par défiance ou franche hostilité en Europe). Interrogé par Arnaud Merlin, Raphaël est porté par son sujet, la passion qu’il lui voue et une faconde qui lui est naturelle. À la question que je lui pose sur la mise en acte du sacré dans la musique d’Ellington (dont il nous apprend qu’il est parmi les nombreux francs maçons de la jazz-galaxy) comparée à Steve Coleman et John Coltrane qui me paraissent les seuls à mettre leur mysticisme en acte musical, Imbert répond saxophone en main pour une brève étude comparative de Come Sunday de la suite Black, Brown & Beige, et Heaven tiré du deuxième des Sacred Concerts, puis termine sa prestation par l’enchaînement du vieux traditionnel néo-orléanais Flee as a Bird au Psalm de Coltrane.

 

Il nous donne rendez-vous, jeudi 19 juin à 20h, au Caveau de la Huchette pour une conférence sur Botul et le jazz, Jean-Baptiste Botul, philosophe fictif inventé par Frédéric Pagès du Canard Enchaîné qui publia sous ce pseudonyme La Vie sexuelle d’Emmanuel Kant et dont notre bienheureux Bernard-Henri Lévy ne manqua pas de prendre l’existence pour argent comptant. Ça promet !

 

Je quitte précipitamment les lieux, non sans avoir réglé le livre, non pas d’Imbert que je possède déjà, mais Le Club des suicidaires de Robert Louis Stevenson qui me faisait de l’œil du haut de son étagère pendant la causerie. La citation au dos du livre achève de me convaincre : « Comme vous, nous sommes las de la vie, et déterminés à mourir. Tôt ou tard, dans la solitude ou ensemble, nous avons l’intention de débusquer la mort au fond de son antre. Puisque nous vous avons rencontré, et que votre situation est plus pressante encore, faisons-le ce soir… » Le désespoir narquois de Lester vient se superposer à la gravité de Coltrane et de son amour suprême et je prends gaiement le chemin des Petits Joueurs.

 

Jean-Loup Longnon et le Paris-Calvi All Stars Orchestra

 

Jean-Loup Longnon y présente le Paris-Calvi All Stars Orchestra

qu’il a mis sur pied en quatre efficaces répétitions, pour perpétuer l’esprit que René Caumer (disparu l’été dernier) avait insufflé au festival de Calvi. Le René aurait aimé cette bruissante assemblée massée entre les tables des dîneurs et fendue par la blitzkrieg des serveuses. Entre les têtes du public, j’aperçois celles des saxophonistes Sammy Thiebault, Alexis Avakian, Jean-Philippe Scali, Pierrick Pédron, Olivier Témime, du tromboniste Bastien Ballaz, des trompettistes Brice Moscardini et Julien Alour, des pianistes Zool Fleischer et Pierre de Bethmann qui se relaient au Fender-Rhodes, du contrebassiste Jean-Philippe Viret, du batteur Andrea Michelutti, les autres m’étant cachés. Thad Jones, Rob McConnel et Count Basie sont au répertoire, mais aussi Stan Laferrière et je croise Andy Emler qui a apporté sa partition de West in Peace. La brise ou la tempête des saxophones, la gifle des cuivres, l’upercut de la grosse caisse, le polychromie des pupitres, le feu d’artifice polyrythmique des différentes voix, le big band est une expérience à vivre en direct, sans sono, et je me souviens de mes premières expériences de ce type au tournant des années 70-80 : Clark Terry à Campagne Première ou au premier rang de l’Espace Cardin, les stages de big band de l’AFDAS au Cim et… le big band de Jean-Loup Longnon au Cardinal Paf dont l’installation progressive et le coup d’envoi m’avait inspiré un texte métaphorique, aujourd’hui égaré, sur le départ d’un grand prix. Il faut dire que le Cardinal Paf appartenait, si mes souvenirs sont bons, à la sœur de Jean-Pierre Beltoise et que l’on pouvait y croiser les stars du sport automobile français.

 

Demain 18 juin, les yeux tirés par une longue nuit qui ne fait que commencer, tout ce petit monde prendra l’avion pour Calvi où l’attend le public du festival, transhumance rituelle, mais qui, avec ce big band donne un sérieux coup de reins à cette chaleureuse manifestation en ouverture de sa 27ème édition.

 

Je quitte les lieux à la pause, m’enfonce dans les abîmes de la station Saint-Gervais et me retrouve sur un quai désert, comme englouti dans un silence éternel et assourdissant (« Passé minuit. Jamais entendu pareil silence. Le Monde pourrait être inhabité » Samuel Beckett, La Dernière Bande). Il est merveilleux qu’à cette heure tardive, dans ces profondeurs, il arrive pour moi seul une rame vide, venue m’emporter vers ma banlieue. Allez, tout n’est pas fichu.

 

Franck Bergerot