Jazz live
Publié le 27 Mai 2017

Jazz à Coutances : 30 degrés au soleil comme à l’ombre

D’où l’on se penche sur quelques instantanés de cette 36ème édition de Jazz Sous Les Pommiers.

 

Les quatre membres du groupe Post K.

Les quatre membres du groupe Post K.

 

Jeudi 25 mai. On débarque du train. Aussitôt, direction le Magic Mirrors où le quartet Post K dévoile son répertoire : du jazz des années 20 et 30 complètement déconstruit à la faveur de salves exaltantes de free jazz et de plages d’improvisations plutôt barrées. Les frères Dousteyssier sont au premier plan : Jean le clarinettiste, et Benjamin, le saxophoniste. À la batterie, Élie Duris, et au piano, Matthieu Naulleau. Une formation, lauréate de Jazz Migration, dont on vous reparlera très prochainement dans les pages de Jazz Magazine. Désordres sur formats courts. De la Nouvelle-Orléans à New-York, des standards de Louis Armstrong, Willie “The Lion” Smith, Fats Waller, Red Nichols ou encore Jelly Roll Morton sont transfigurés. Les cliffhangers foisonnent. C’est une musique à suspense. On entend du swing ou du ragtime en slow motion. C’est inventif, inspiré. Insolite aussi. “Que de fantaisies”, souffle-t-on dans le public. C’est comme regarder de (très) vieux épisodes de Betty Boop ou des Looney Tunes en trois dimensions. C’est comme regarder un pantin qui se désarticule sans même que l’on saisisse comment. Il y a ces petites catastrophes, ces petites chutes qui font sourire. Ça déraille. Et pourtant, l’atmosphère, l’ambiance de l’époque plane au-dessus de cette musique. C’est là toute la subtilité de l’exercice. Et puis, ce procédé, cette manie de tout mettre à l’envers ou sens dessus-dessous, a quelque chose de chaleureux. Oui, ça rime avec la chaleur ambiante. C’est qu’il fait chaud à Coutances. Le thermomètre n’affiche pas moins de 29 degrés. Le lendemain, il explose. 10 heures. Rendez-vous devant le Magic Mirrors pour une promenade, nous dit-on. Le thermomètre flirte déjà avec les 26 degrés. Qu’en sera-t-il à 12h ?

Sur la route du David Patrois Trio

 

David Patrois (vibraphone, marimba), Luc Isenmann (batterie) et Jean-Charles Richard (saxophones).

David Patrois (vibraphone, marimba), Luc Isenmann (batterie) et Jean-Charles Richard (saxophones).

 

En moins de deux, nous voilà en route pour écouter le trio de David Patrois et son projet “Flux tendu”. La promenade est agréable. On emprunte une pente. Dans le sens de la descente, bien heureusement. Ce n’est pas encore le moment de penser au retour. De penser à remonter la pente. D’ailleurs, David Patrois, aux vibraphone et marimba, nous fait vite oublier la pénible remontée qui nous attend. C’est que sa musique à lui se joue sur un fil. Un fil tendu. Il est accompagné à la batterie par Luc Isenmann et au saxophones (soprano et baryton) par Jean-Charles Richard. Sa musique est concentrique, contenue dans une bulle submergée par la chaleur d’un soleil implacable. On n’y voit plus très clair mais on entend très distinctement. C’est sans doute le lot d’un trio sax-batterie-vibraphone. Cette bulle, c’est le cloître de l’hôpital de Coutances, une sorte de cour pittoresque qui donne sur une chapelle et les anciens réfectoires. Un domaine classé. Premier morceau : “Le cri de Rahan”. Ce cri nous envahit instantanément. Cette musique n’a pas vocation à s’échapper. Juste à se coller à nous. Parfois, quand au soprano, Jean-Charles Richard se montre véloce (il dessine les lignes de basse) les flux tendus sont un peu plus élastiques… Mais, en définitive, les morceaux, très rythmiques, sont resserrés. Et cela, encore plus quand David Patrois troque son vibraphone pour le marimba. À un moment, on entend comme un motif subsaharien. Nous sommes en plein désert mais il n’y a pas un souffle d’air. Pas de vent. Parfois, le trio groove. Là, la musique ondule un brin. Et puis l’urgence de la concentricité revient. Et soudain, un air cristallin. Très court. C’est une berceuse. Comme de la samba détricotée. Quelque chose de lunaire qui tranche avec le ciel bleu et ce soleil qui nous brûle plus qu’il nous réchauffe. Toujours pas un souffle de vent. La musique de trio continue de se heurter aux extrémités du cloître. C’est la preuve que les flux tendus impliquent une musique sans grandes prétentions. Quelques subtiles citations de “Caravan”, standard du Duke. Et en guise de rappel : “In Walked Bud” de Monk. On en a complètement oublié la pénible remontée qui nous attend tant ces morceaux résonnent encore à nos oreilles. C’est reparti pour un tour.

Luca Aquino, gardien de phare(s)

Luca Aquino et Carmine Ioanna.

Luca Aquino et Carmine Ioanna.

 

Luca-Aquino-©-DR

 

On remonte la pente. Et ce qui va se jouer dans cet espace vert apaisant est frappant (sans exagération). Le trompettiste Luca Aquino et l’accordéoniste Carmine Ioanna. Duo magique. Son nom : “aQustico”. Comment vous décrire cet instant sans passer pour une illuminée ? En 2013, le duo publiait un premier disque. Le prochain paraîtra en juin. Un must have, on vous le garantit. C’est l’histoire d’une balade à vélo, nous raconte Luca Aquino. Le voilà qui siffle avant de souffler. Quelques effets… Rien d’exubérant. Et puis, il souffle. Ce son grave, limpide, enveloppant. On l’imagine du haut d’un phare alors que ce son s’étend, grave et tragique, sur une mer mystérieusement calme. C’est nocturne, marin. À l’accordéon, Carmine Ioanna accentue ces dimensions. Et pourtant, la température n’a pas baissé. L’évidence de ce duo, la simplicité de leur échange nous pousse à fermer les yeux. On passe d’un rivage à l’autre. Quand on les rouvre, le panorama est éblouissant. Luca Aquino porte cette chemise bleue, couleur toute méditerranéenne. À ses côtés, Carmine Ioanna semble effleurer son instrument, songeur. Derrière eux, des arbres dont les feuilles dansent au gré du vent. Quelques airs de valse trépidante. Quelques airs de blues. Quelques distorsions. La trompette rit, la trompette chuchote. Les motifs défilent donc les rivages défilent encore. Mais on retourne toujours au sommet du phare, en pleine nuit. C’est le timbre du trompettiste, qui parfois passe au cornet, qui éclaire. Il transcende et nous donne envie de nous lancer dans une traversée en solitaire. La température reste la même. Les cloches de la cathédrale sonnent midi. 30 degrés au soleil, comme à l’ombre…

Samy Thiébaut, classe transfrontalière

IMG_5048

 

Peu après, retour au Magic Mirrors. L’occasion d’entendre quelques-unes des compositions du dernier album du saxophoniste Samy Thiébaut : l’envoutant “Rebirth”. Accompagné par ses musiciens Adrien Chicot (p), Sylvain Romano (b) et Philippe Soirat (dm), le musicien fait preuve d’une énergie foisonnante pour sa toute première participation à Jazz Sous Les Pommiers. Il s’en va jouer avec “les racines inventées et les racines qui lui sont chères”. Le public est conquis dès le premier morceau. Les fulgurances y sont divines. S’enchaînent Raqsat Fes, Laideronette, impératrices des pagodes – sur lequel il embouche sa flûte et où Adrien Chicot se montre détonnant, ou alors sa relecture du Amor Bonito d’Enrique Hidalgo. Ce dernier marque l’occasion de rendre un hommage pour le Venezuela, pays en pleine tourmente actuellement, dans lequel il a moult fois tourné. La musicalité est profonde, les formes classieuses. On retiendra notamment la fougue du pianiste Adrien Chicot.

L’alegria d’un tentette

17h30. Direction la Salle Marcel Hélie pour la mise à l’honneur d’un trait d’union entre jazz et flamenco orchestré par le saxophoniste Pierre Bertrand, très bien entouré. Il explore le répertoire de son dernier disque, “Joy“, accompagné de quatre chanteurs de flamenco (Paloma Pradal, Sabrina Romero, Alberto Garcia et Melchior Campos) mais aussi de musiciens hors pairs. Comment ne pas esquisser un sourire quand ce beau monde prend place sur scène : le guitariste Louis Winsberg, le contrebassiste Jérôme Regard, le cajoniste Xavier Sanchez, le pianiste Alfio Origlio mais aussi le percussionniste-batteur Minino Garay. Chacun de ces protagonistes, qui forment l’ensemble Caja Negra, semble obnubilé par le rythme. Un rigoureux jeu d’équilibriste se met en place entre chaque instrumentiste tandis que les chanteurs s’emploient à dévoiler l’âme du flamenco : les “palmas”, claquements de main significatifs du genre sont systématiques. Mais s’invitent aussi les pieds. Pierre Bertrand, dont la dextérité déconcerte, semble s’attacher à rappeler que le flamenco n’est pas seulement un genre musical mais aussi une danse. D’ailleurs, l’une des chanteuses, Sabrina Romero, nous fait très vite une démonstration. Sur le devant de la scène, la voilà qui danse avec énergie, ferveur et grâce. Les morceaux défilent et mettent en exergue une musique chaleureuse, riche et conceptuelle. Peut-être trop dense ?

Chet Baker version trip hop

Hommage-a-Chet-©-Franco-P-Tettamenti-Marc-Obin

 

Enfin, toujours à Marcel Hélie, on s’en va découvrir en live cet hommage à Chet Baker, “Autour de Chet”, enregistré sous la direction de Clément Ducol, et paru en avril 2016 chez Verve. Et là, on réalise. Les musiciens et chanteurs qui ont participé à ce disque n’ont pas seulement repris Chet Baker, ils se sont totalement réappropriés ses chansons au point que ce live a supplanté le disque dans notre esprit. Nous voilà face à un show au concept chiadé, mis sur pied avec minutie et inventivité. La chanteuse Sandra Nkaké, voix grave et profonde, ouvre le bal, pieds nus, avec des effets de voix qui laissent présager d’une version pop de Let’s Get Lost. À la batterie et aux percussions, Cyril Atef, pieds nus également, s’éclate. Tout comme Christophe Minck (b) et Pierre-François Dufour (dm, cello). Benjamin Moussay est au piano et au Rhodes. Christophe Minck joue aussi de la harpe. Aux côtés de Sandra Nkaké, ce sont les chanteurs Hugh Coltman et Camelia Jordana qui ont fait le déplacement. Quant aux trompettistes, on retrouve Airelle Besson et Erik Truffaz. Quant à Luca Aquino, c’est au moment du rappel qu’il rejoint l’équipée des trompettistes. Notons quelques moments forts. En duo avec Cyril Atef à la sanza, sans doute arrangée, (ou marimba selon votre plaisir), Hugh Coltman interprète Nature Boy avec l’exubérance qui le caractérise. Moon and Sand est repris par Sandra Nkaké et Camelia Jordana, en duo, dans une version trip-hop des plus exquises (on la préfère de loin à celle proposée par Benjamin Biolay et le duo Ibeyi sur le disque). Airelle Besson se montre exaltée aux côtés d’un Hugh Coltman qui nous entraîne à la Nouvelle-Orléans à la fin de son interprétation de It Could Happened To You. De quoi définitivement combler le public. Malgré la sobriété lyrique naturellement associé à Chet Baker, la fine équipe a réussi à mettre le feu. Définitivement 30 degrés à l’ombre.. voire plus.

Katia Touré  |D’où l’on se penche sur quelques instantanés de cette 36ème édition de Jazz Sous Les Pommiers.

 

Les quatre membres du groupe Post K.

Les quatre membres du groupe Post K.

 

Jeudi 25 mai. On débarque du train. Aussitôt, direction le Magic Mirrors où le quartet Post K dévoile son répertoire : du jazz des années 20 et 30 complètement déconstruit à la faveur de salves exaltantes de free jazz et de plages d’improvisations plutôt barrées. Les frères Dousteyssier sont au premier plan : Jean le clarinettiste, et Benjamin, le saxophoniste. À la batterie, Élie Duris, et au piano, Matthieu Naulleau. Une formation, lauréate de Jazz Migration, dont on vous reparlera très prochainement dans les pages de Jazz Magazine. Désordres sur formats courts. De la Nouvelle-Orléans à New-York, des standards de Louis Armstrong, Willie “The Lion” Smith, Fats Waller, Red Nichols ou encore Jelly Roll Morton sont transfigurés. Les cliffhangers foisonnent. C’est une musique à suspense. On entend du swing ou du ragtime en slow motion. C’est inventif, inspiré. Insolite aussi. “Que de fantaisies”, souffle-t-on dans le public. C’est comme regarder de (très) vieux épisodes de Betty Boop ou des Looney Tunes en trois dimensions. C’est comme regarder un pantin qui se désarticule sans même que l’on saisisse comment. Il y a ces petites catastrophes, ces petites chutes qui font sourire. Ça déraille. Et pourtant, l’atmosphère, l’ambiance de l’époque plane au-dessus de cette musique. C’est là toute la subtilité de l’exercice. Et puis, ce procédé, cette manie de tout mettre à l’envers ou sens dessus-dessous, a quelque chose de chaleureux. Oui, ça rime avec la chaleur ambiante. C’est qu’il fait chaud à Coutances. Le thermomètre n’affiche pas moins de 29 degrés. Le lendemain, il explose. 10 heures. Rendez-vous devant le Magic Mirrors pour une promenade, nous dit-on. Le thermomètre flirte déjà avec les 26 degrés. Qu’en sera-t-il à 12h ?

Sur la route du David Patrois Trio

 

David Patrois (vibraphone, marimba), Luc Isenmann (batterie) et Jean-Charles Richard (saxophones).

David Patrois (vibraphone, marimba), Luc Isenmann (batterie) et Jean-Charles Richard (saxophones).

 

En moins de deux, nous voilà en route pour écouter le trio de David Patrois et son projet “Flux tendu”. La promenade est agréable. On emprunte une pente. Dans le sens de la descente, bien heureusement. Ce n’est pas encore le moment de penser au retour. De penser à remonter la pente. D’ailleurs, David Patrois, aux vibraphone et marimba, nous fait vite oublier la pénible remontée qui nous attend. C’est que sa musique à lui se joue sur un fil. Un fil tendu. Il est accompagné à la batterie par Luc Isenmann et au saxophones (soprano et baryton) par Jean-Charles Richard. Sa musique est concentrique, contenue dans une bulle submergée par la chaleur d’un soleil implacable. On n’y voit plus très clair mais on entend très distinctement. C’est sans doute le lot d’un trio sax-batterie-vibraphone. Cette bulle, c’est le cloître de l’hôpital de Coutances, une sorte de cour pittoresque qui donne sur une chapelle et les anciens réfectoires. Un domaine classé. Premier morceau : “Le cri de Rahan”. Ce cri nous envahit instantanément. Cette musique n’a pas vocation à s’échapper. Juste à se coller à nous. Parfois, quand au soprano, Jean-Charles Richard se montre véloce (il dessine les lignes de basse) les flux tendus sont un peu plus élastiques… Mais, en définitive, les morceaux, très rythmiques, sont resserrés. Et cela, encore plus quand David Patrois troque son vibraphone pour le marimba. À un moment, on entend comme un motif subsaharien. Nous sommes en plein désert mais il n’y a pas un souffle d’air. Pas de vent. Parfois, le trio groove. Là, la musique ondule un brin. Et puis l’urgence de la concentricité revient. Et soudain, un air cristallin. Très court. C’est une berceuse. Comme de la samba détricotée. Quelque chose de lunaire qui tranche avec le ciel bleu et ce soleil qui nous brûle plus qu’il nous réchauffe. Toujours pas un souffle de vent. La musique de trio continue de se heurter aux extrémités du cloître. C’est la preuve que les flux tendus impliquent une musique sans grandes prétentions. Quelques subtiles citations de “Caravan”, standard du Duke. Et en guise de rappel : “In Walked Bud” de Monk. On en a complètement oublié la pénible remontée qui nous attend tant ces morceaux résonnent encore à nos oreilles. C’est reparti pour un tour.

Luca Aquino, gardien de phare(s)

Luca Aquino et Carmine Ioanna.

Luca Aquino et Carmine Ioanna.

 

Luca-Aquino-©-DR

 

On remonte la pente. Et ce qui va se jouer dans cet espace vert apaisant est frappant (sans exagération). Le trompettiste Luca Aquino et l’accordéoniste Carmine Ioanna. Duo magique. Son nom : “aQustico”. Comment vous décrire cet instant sans passer pour une illuminée ? En 2013, le duo publiait un premier disque. Le prochain paraîtra en juin. Un must have, on vous le garantit. C’est l’histoire d’une balade à vélo, nous raconte Luca Aquino. Le voilà qui siffle avant de souffler. Quelques effets… Rien d’exubérant. Et puis, il souffle. Ce son grave, limpide, enveloppant. On l’imagine du haut d’un phare alors que ce son s’étend, grave et tragique, sur une mer mystérieusement calme. C’est nocturne, marin. À l’accordéon, Carmine Ioanna accentue ces dimensions. Et pourtant, la température n’a pas baissé. L’évidence de ce duo, la simplicité de leur échange nous pousse à fermer les yeux. On passe d’un rivage à l’autre. Quand on les rouvre, le panorama est éblouissant. Luca Aquino porte cette chemise bleue, couleur toute méditerranéenne. À ses côtés, Carmine Ioanna semble effleurer son instrument, songeur. Derrière eux, des arbres dont les feuilles dansent au gré du vent. Quelques airs de valse trépidante. Quelques airs de blues. Quelques distorsions. La trompette rit, la trompette chuchote. Les motifs défilent donc les rivages défilent encore. Mais on retourne toujours au sommet du phare, en pleine nuit. C’est le timbre du trompettiste, qui parfois passe au cornet, qui éclaire. Il transcende et nous donne envie de nous lancer dans une traversée en solitaire. La température reste la même. Les cloches de la cathédrale sonnent midi. 30 degrés au soleil, comme à l’ombre…

Samy Thiébaut, classe transfrontalière

IMG_5048

 

Peu après, retour au Magic Mirrors. L’occasion d’entendre quelques-unes des compositions du dernier album du saxophoniste Samy Thiébaut : l’envoutant “Rebirth”. Accompagné par ses musiciens Adrien Chicot (p), Sylvain Romano (b) et Philippe Soirat (dm), le musicien fait preuve d’une énergie foisonnante pour sa toute première participation à Jazz Sous Les Pommiers. Il s’en va jouer avec “les racines inventées et les racines qui lui sont chères”. Le public est conquis dès le premier morceau. Les fulgurances y sont divines. S’enchaînent Raqsat Fes, Laideronette, impératrices des pagodes – sur lequel il embouche sa flûte et où Adrien Chicot se montre détonnant, ou alors sa relecture du Amor Bonito d’Enrique Hidalgo. Ce dernier marque l’occasion de rendre un hommage pour le Venezuela, pays en pleine tourmente actuellement, dans lequel il a moult fois tourné. La musicalité est profonde, les formes classieuses. On retiendra notamment la fougue du pianiste Adrien Chicot.

L’alegria d’un tentette

17h30. Direction la Salle Marcel Hélie pour la mise à l’honneur d’un trait d’union entre jazz et flamenco orchestré par le saxophoniste Pierre Bertrand, très bien entouré. Il explore le répertoire de son dernier disque, “Joy“, accompagné de quatre chanteurs de flamenco (Paloma Pradal, Sabrina Romero, Alberto Garcia et Melchior Campos) mais aussi de musiciens hors pairs. Comment ne pas esquisser un sourire quand ce beau monde prend place sur scène : le guitariste Louis Winsberg, le contrebassiste Jérôme Regard, le cajoniste Xavier Sanchez, le pianiste Alfio Origlio mais aussi le percussionniste-batteur Minino Garay. Chacun de ces protagonistes, qui forment l’ensemble Caja Negra, semble obnubilé par le rythme. Un rigoureux jeu d’équilibriste se met en place entre chaque instrumentiste tandis que les chanteurs s’emploient à dévoiler l’âme du flamenco : les “palmas”, claquements de main significatifs du genre sont systématiques. Mais s’invitent aussi les pieds. Pierre Bertrand, dont la dextérité déconcerte, semble s’attacher à rappeler que le flamenco n’est pas seulement un genre musical mais aussi une danse. D’ailleurs, l’une des chanteuses, Sabrina Romero, nous fait très vite une démonstration. Sur le devant de la scène, la voilà qui danse avec énergie, ferveur et grâce. Les morceaux défilent et mettent en exergue une musique chaleureuse, riche et conceptuelle. Peut-être trop dense ?

Chet Baker version trip hop

Hommage-a-Chet-©-Franco-P-Tettamenti-Marc-Obin

 

Enfin, toujours à Marcel Hélie, on s’en va découvrir en live cet hommage à Chet Baker, “Autour de Chet”, enregistré sous la direction de Clément Ducol, et paru en avril 2016 chez Verve. Et là, on réalise. Les musiciens et chanteurs qui ont participé à ce disque n’ont pas seulement repris Chet Baker, ils se sont totalement réappropriés ses chansons au point que ce live a supplanté le disque dans notre esprit. Nous voilà face à un show au concept chiadé, mis sur pied avec minutie et inventivité. La chanteuse Sandra Nkaké, voix grave et profonde, ouvre le bal, pieds nus, avec des effets de voix qui laissent présager d’une version pop de Let’s Get Lost. À la batterie et aux percussions, Cyril Atef, pieds nus également, s’éclate. Tout comme Christophe Minck (b) et Pierre-François Dufour (dm, cello). Benjamin Moussay est au piano et au Rhodes. Christophe Minck joue aussi de la harpe. Aux côtés de Sandra Nkaké, ce sont les chanteurs Hugh Coltman et Camelia Jordana qui ont fait le déplacement. Quant aux trompettistes, on retrouve Airelle Besson et Erik Truffaz. Quant à Luca Aquino, c’est au moment du rappel qu’il rejoint l’équipée des trompettistes. Notons quelques moments forts. En duo avec Cyril Atef à la sanza, sans doute arrangée, (ou marimba selon votre plaisir), Hugh Coltman interprète Nature Boy avec l’exubérance qui le caractérise. Moon and Sand est repris par Sandra Nkaké et Camelia Jordana, en duo, dans une version trip-hop des plus exquises (on la préfère de loin à celle proposée par Benjamin Biolay et le duo Ibeyi sur le disque). Airelle Besson se montre exaltée aux côtés d’un Hugh Coltman qui nous entraîne à la Nouvelle-Orléans à la fin de son interprétation de It Could Happened To You. De quoi définitivement combler le public. Malgré la sobriété lyrique naturellement associé à Chet Baker, la fine équipe a réussi à mettre le feu. Définitivement 30 degrés à l’ombre.. voire plus.

Katia Touré  |D’où l’on se penche sur quelques instantanés de cette 36ème édition de Jazz Sous Les Pommiers.

 

Les quatre membres du groupe Post K.

Les quatre membres du groupe Post K.

 

Jeudi 25 mai. On débarque du train. Aussitôt, direction le Magic Mirrors où le quartet Post K dévoile son répertoire : du jazz des années 20 et 30 complètement déconstruit à la faveur de salves exaltantes de free jazz et de plages d’improvisations plutôt barrées. Les frères Dousteyssier sont au premier plan : Jean le clarinettiste, et Benjamin, le saxophoniste. À la batterie, Élie Duris, et au piano, Matthieu Naulleau. Une formation, lauréate de Jazz Migration, dont on vous reparlera très prochainement dans les pages de Jazz Magazine. Désordres sur formats courts. De la Nouvelle-Orléans à New-York, des standards de Louis Armstrong, Willie “The Lion” Smith, Fats Waller, Red Nichols ou encore Jelly Roll Morton sont transfigurés. Les cliffhangers foisonnent. C’est une musique à suspense. On entend du swing ou du ragtime en slow motion. C’est inventif, inspiré. Insolite aussi. “Que de fantaisies”, souffle-t-on dans le public. C’est comme regarder de (très) vieux épisodes de Betty Boop ou des Looney Tunes en trois dimensions. C’est comme regarder un pantin qui se désarticule sans même que l’on saisisse comment. Il y a ces petites catastrophes, ces petites chutes qui font sourire. Ça déraille. Et pourtant, l’atmosphère, l’ambiance de l’époque plane au-dessus de cette musique. C’est là toute la subtilité de l’exercice. Et puis, ce procédé, cette manie de tout mettre à l’envers ou sens dessus-dessous, a quelque chose de chaleureux. Oui, ça rime avec la chaleur ambiante. C’est qu’il fait chaud à Coutances. Le thermomètre n’affiche pas moins de 29 degrés. Le lendemain, il explose. 10 heures. Rendez-vous devant le Magic Mirrors pour une promenade, nous dit-on. Le thermomètre flirte déjà avec les 26 degrés. Qu’en sera-t-il à 12h ?

Sur la route du David Patrois Trio

 

David Patrois (vibraphone, marimba), Luc Isenmann (batterie) et Jean-Charles Richard (saxophones).

David Patrois (vibraphone, marimba), Luc Isenmann (batterie) et Jean-Charles Richard (saxophones).

 

En moins de deux, nous voilà en route pour écouter le trio de David Patrois et son projet “Flux tendu”. La promenade est agréable. On emprunte une pente. Dans le sens de la descente, bien heureusement. Ce n’est pas encore le moment de penser au retour. De penser à remonter la pente. D’ailleurs, David Patrois, aux vibraphone et marimba, nous fait vite oublier la pénible remontée qui nous attend. C’est que sa musique à lui se joue sur un fil. Un fil tendu. Il est accompagné à la batterie par Luc Isenmann et au saxophones (soprano et baryton) par Jean-Charles Richard. Sa musique est concentrique, contenue dans une bulle submergée par la chaleur d’un soleil implacable. On n’y voit plus très clair mais on entend très distinctement. C’est sans doute le lot d’un trio sax-batterie-vibraphone. Cette bulle, c’est le cloître de l’hôpital de Coutances, une sorte de cour pittoresque qui donne sur une chapelle et les anciens réfectoires. Un domaine classé. Premier morceau : “Le cri de Rahan”. Ce cri nous envahit instantanément. Cette musique n’a pas vocation à s’échapper. Juste à se coller à nous. Parfois, quand au soprano, Jean-Charles Richard se montre véloce (il dessine les lignes de basse) les flux tendus sont un peu plus élastiques… Mais, en définitive, les morceaux, très rythmiques, sont resserrés. Et cela, encore plus quand David Patrois troque son vibraphone pour le marimba. À un moment, on entend comme un motif subsaharien. Nous sommes en plein désert mais il n’y a pas un souffle d’air. Pas de vent. Parfois, le trio groove. Là, la musique ondule un brin. Et puis l’urgence de la concentricité revient. Et soudain, un air cristallin. Très court. C’est une berceuse. Comme de la samba détricotée. Quelque chose de lunaire qui tranche avec le ciel bleu et ce soleil qui nous brûle plus qu’il nous réchauffe. Toujours pas un souffle de vent. La musique de trio continue de se heurter aux extrémités du cloître. C’est la preuve que les flux tendus impliquent une musique sans grandes prétentions. Quelques subtiles citations de “Caravan”, standard du Duke. Et en guise de rappel : “In Walked Bud” de Monk. On en a complètement oublié la pénible remontée qui nous attend tant ces morceaux résonnent encore à nos oreilles. C’est reparti pour un tour.

Luca Aquino, gardien de phare(s)

Luca Aquino et Carmine Ioanna.

Luca Aquino et Carmine Ioanna.

 

Luca-Aquino-©-DR

 

On remonte la pente. Et ce qui va se jouer dans cet espace vert apaisant est frappant (sans exagération). Le trompettiste Luca Aquino et l’accordéoniste Carmine Ioanna. Duo magique. Son nom : “aQustico”. Comment vous décrire cet instant sans passer pour une illuminée ? En 2013, le duo publiait un premier disque. Le prochain paraîtra en juin. Un must have, on vous le garantit. C’est l’histoire d’une balade à vélo, nous raconte Luca Aquino. Le voilà qui siffle avant de souffler. Quelques effets… Rien d’exubérant. Et puis, il souffle. Ce son grave, limpide, enveloppant. On l’imagine du haut d’un phare alors que ce son s’étend, grave et tragique, sur une mer mystérieusement calme. C’est nocturne, marin. À l’accordéon, Carmine Ioanna accentue ces dimensions. Et pourtant, la température n’a pas baissé. L’évidence de ce duo, la simplicité de leur échange nous pousse à fermer les yeux. On passe d’un rivage à l’autre. Quand on les rouvre, le panorama est éblouissant. Luca Aquino porte cette chemise bleue, couleur toute méditerranéenne. À ses côtés, Carmine Ioanna semble effleurer son instrument, songeur. Derrière eux, des arbres dont les feuilles dansent au gré du vent. Quelques airs de valse trépidante. Quelques airs de blues. Quelques distorsions. La trompette rit, la trompette chuchote. Les motifs défilent donc les rivages défilent encore. Mais on retourne toujours au sommet du phare, en pleine nuit. C’est le timbre du trompettiste, qui parfois passe au cornet, qui éclaire. Il transcende et nous donne envie de nous lancer dans une traversée en solitaire. La température reste la même. Les cloches de la cathédrale sonnent midi. 30 degrés au soleil, comme à l’ombre…

Samy Thiébaut, classe transfrontalière

IMG_5048

 

Peu après, retour au Magic Mirrors. L’occasion d’entendre quelques-unes des compositions du dernier album du saxophoniste Samy Thiébaut : l’envoutant “Rebirth”. Accompagné par ses musiciens Adrien Chicot (p), Sylvain Romano (b) et Philippe Soirat (dm), le musicien fait preuve d’une énergie foisonnante pour sa toute première participation à Jazz Sous Les Pommiers. Il s’en va jouer avec “les racines inventées et les racines qui lui sont chères”. Le public est conquis dès le premier morceau. Les fulgurances y sont divines. S’enchaînent Raqsat Fes, Laideronette, impératrices des pagodes – sur lequel il embouche sa flûte et où Adrien Chicot se montre détonnant, ou alors sa relecture du Amor Bonito d’Enrique Hidalgo. Ce dernier marque l’occasion de rendre un hommage pour le Venezuela, pays en pleine tourmente actuellement, dans lequel il a moult fois tourné. La musicalité est profonde, les formes classieuses. On retiendra notamment la fougue du pianiste Adrien Chicot.

L’alegria d’un tentette

17h30. Direction la Salle Marcel Hélie pour la mise à l’honneur d’un trait d’union entre jazz et flamenco orchestré par le saxophoniste Pierre Bertrand, très bien entouré. Il explore le répertoire de son dernier disque, “Joy“, accompagné de quatre chanteurs de flamenco (Paloma Pradal, Sabrina Romero, Alberto Garcia et Melchior Campos) mais aussi de musiciens hors pairs. Comment ne pas esquisser un sourire quand ce beau monde prend place sur scène : le guitariste Louis Winsberg, le contrebassiste Jérôme Regard, le cajoniste Xavier Sanchez, le pianiste Alfio Origlio mais aussi le percussionniste-batteur Minino Garay. Chacun de ces protagonistes, qui forment l’ensemble Caja Negra, semble obnubilé par le rythme. Un rigoureux jeu d’équilibriste se met en place entre chaque instrumentiste tandis que les chanteurs s’emploient à dévoiler l’âme du flamenco : les “palmas”, claquements de main significatifs du genre sont systématiques. Mais s’invitent aussi les pieds. Pierre Bertrand, dont la dextérité déconcerte, semble s’attacher à rappeler que le flamenco n’est pas seulement un genre musical mais aussi une danse. D’ailleurs, l’une des chanteuses, Sabrina Romero, nous fait très vite une démonstration. Sur le devant de la scène, la voilà qui danse avec énergie, ferveur et grâce. Les morceaux défilent et mettent en exergue une musique chaleureuse, riche et conceptuelle. Peut-être trop dense ?

Chet Baker version trip hop

Hommage-a-Chet-©-Franco-P-Tettamenti-Marc-Obin

 

Enfin, toujours à Marcel Hélie, on s’en va découvrir en live cet hommage à Chet Baker, “Autour de Chet”, enregistré sous la direction de Clément Ducol, et paru en avril 2016 chez Verve. Et là, on réalise. Les musiciens et chanteurs qui ont participé à ce disque n’ont pas seulement repris Chet Baker, ils se sont totalement réappropriés ses chansons au point que ce live a supplanté le disque dans notre esprit. Nous voilà face à un show au concept chiadé, mis sur pied avec minutie et inventivité. La chanteuse Sandra Nkaké, voix grave et profonde, ouvre le bal, pieds nus, avec des effets de voix qui laissent présager d’une version pop de Let’s Get Lost. À la batterie et aux percussions, Cyril Atef, pieds nus également, s’éclate. Tout comme Christophe Minck (b) et Pierre-François Dufour (dm, cello). Benjamin Moussay est au piano et au Rhodes. Christophe Minck joue aussi de la harpe. Aux côtés de Sandra Nkaké, ce sont les chanteurs Hugh Coltman et Camelia Jordana qui ont fait le déplacement. Quant aux trompettistes, on retrouve Airelle Besson et Erik Truffaz. Quant à Luca Aquino, c’est au moment du rappel qu’il rejoint l’équipée des trompettistes. Notons quelques moments forts. En duo avec Cyril Atef à la sanza, sans doute arrangée, (ou marimba selon votre plaisir), Hugh Coltman interprète Nature Boy avec l’exubérance qui le caractérise. Moon and Sand est repris par Sandra Nkaké et Camelia Jordana, en duo, dans une version trip-hop des plus exquises (on la préfère de loin à celle proposée par Benjamin Biolay et le duo Ibeyi sur le disque). Airelle Besson se montre exaltée aux côtés d’un Hugh Coltman qui nous entraîne à la Nouvelle-Orléans à la fin de son interprétation de It Could Happened To You. De quoi définitivement combler le public. Malgré la sobriété lyrique naturellement associé à Chet Baker, la fine équipe a réussi à mettre le feu. Définitivement 30 degrés à l’ombre.. voire plus.

Katia Touré  |D’où l’on se penche sur quelques instantanés de cette 36ème édition de Jazz Sous Les Pommiers.

 

Les quatre membres du groupe Post K.

Les quatre membres du groupe Post K.

 

Jeudi 25 mai. On débarque du train. Aussitôt, direction le Magic Mirrors où le quartet Post K dévoile son répertoire : du jazz des années 20 et 30 complètement déconstruit à la faveur de salves exaltantes de free jazz et de plages d’improvisations plutôt barrées. Les frères Dousteyssier sont au premier plan : Jean le clarinettiste, et Benjamin, le saxophoniste. À la batterie, Élie Duris, et au piano, Matthieu Naulleau. Une formation, lauréate de Jazz Migration, dont on vous reparlera très prochainement dans les pages de Jazz Magazine. Désordres sur formats courts. De la Nouvelle-Orléans à New-York, des standards de Louis Armstrong, Willie “The Lion” Smith, Fats Waller, Red Nichols ou encore Jelly Roll Morton sont transfigurés. Les cliffhangers foisonnent. C’est une musique à suspense. On entend du swing ou du ragtime en slow motion. C’est inventif, inspiré. Insolite aussi. “Que de fantaisies”, souffle-t-on dans le public. C’est comme regarder de (très) vieux épisodes de Betty Boop ou des Looney Tunes en trois dimensions. C’est comme regarder un pantin qui se désarticule sans même que l’on saisisse comment. Il y a ces petites catastrophes, ces petites chutes qui font sourire. Ça déraille. Et pourtant, l’atmosphère, l’ambiance de l’époque plane au-dessus de cette musique. C’est là toute la subtilité de l’exercice. Et puis, ce procédé, cette manie de tout mettre à l’envers ou sens dessus-dessous, a quelque chose de chaleureux. Oui, ça rime avec la chaleur ambiante. C’est qu’il fait chaud à Coutances. Le thermomètre n’affiche pas moins de 29 degrés. Le lendemain, il explose. 10 heures. Rendez-vous devant le Magic Mirrors pour une promenade, nous dit-on. Le thermomètre flirte déjà avec les 26 degrés. Qu’en sera-t-il à 12h ?

Sur la route du David Patrois Trio

 

David Patrois (vibraphone, marimba), Luc Isenmann (batterie) et Jean-Charles Richard (saxophones).

David Patrois (vibraphone, marimba), Luc Isenmann (batterie) et Jean-Charles Richard (saxophones).

 

En moins de deux, nous voilà en route pour écouter le trio de David Patrois et son projet “Flux tendu”. La promenade est agréable. On emprunte une pente. Dans le sens de la descente, bien heureusement. Ce n’est pas encore le moment de penser au retour. De penser à remonter la pente. D’ailleurs, David Patrois, aux vibraphone et marimba, nous fait vite oublier la pénible remontée qui nous attend. C’est que sa musique à lui se joue sur un fil. Un fil tendu. Il est accompagné à la batterie par Luc Isenmann et au saxophones (soprano et baryton) par Jean-Charles Richard. Sa musique est concentrique, contenue dans une bulle submergée par la chaleur d’un soleil implacable. On n’y voit plus très clair mais on entend très distinctement. C’est sans doute le lot d’un trio sax-batterie-vibraphone. Cette bulle, c’est le cloître de l’hôpital de Coutances, une sorte de cour pittoresque qui donne sur une chapelle et les anciens réfectoires. Un domaine classé. Premier morceau : “Le cri de Rahan”. Ce cri nous envahit instantanément. Cette musique n’a pas vocation à s’échapper. Juste à se coller à nous. Parfois, quand au soprano, Jean-Charles Richard se montre véloce (il dessine les lignes de basse) les flux tendus sont un peu plus élastiques… Mais, en définitive, les morceaux, très rythmiques, sont resserrés. Et cela, encore plus quand David Patrois troque son vibraphone pour le marimba. À un moment, on entend comme un motif subsaharien. Nous sommes en plein désert mais il n’y a pas un souffle d’air. Pas de vent. Parfois, le trio groove. Là, la musique ondule un brin. Et puis l’urgence de la concentricité revient. Et soudain, un air cristallin. Très court. C’est une berceuse. Comme de la samba détricotée. Quelque chose de lunaire qui tranche avec le ciel bleu et ce soleil qui nous brûle plus qu’il nous réchauffe. Toujours pas un souffle de vent. La musique de trio continue de se heurter aux extrémités du cloître. C’est la preuve que les flux tendus impliquent une musique sans grandes prétentions. Quelques subtiles citations de “Caravan”, standard du Duke. Et en guise de rappel : “In Walked Bud” de Monk. On en a complètement oublié la pénible remontée qui nous attend tant ces morceaux résonnent encore à nos oreilles. C’est reparti pour un tour.

Luca Aquino, gardien de phare(s)

Luca Aquino et Carmine Ioanna.

Luca Aquino et Carmine Ioanna.

 

Luca-Aquino-©-DR

 

On remonte la pente. Et ce qui va se jouer dans cet espace vert apaisant est frappant (sans exagération). Le trompettiste Luca Aquino et l’accordéoniste Carmine Ioanna. Duo magique. Son nom : “aQustico”. Comment vous décrire cet instant sans passer pour une illuminée ? En 2013, le duo publiait un premier disque. Le prochain paraîtra en juin. Un must have, on vous le garantit. C’est l’histoire d’une balade à vélo, nous raconte Luca Aquino. Le voilà qui siffle avant de souffler. Quelques effets… Rien d’exubérant. Et puis, il souffle. Ce son grave, limpide, enveloppant. On l’imagine du haut d’un phare alors que ce son s’étend, grave et tragique, sur une mer mystérieusement calme. C’est nocturne, marin. À l’accordéon, Carmine Ioanna accentue ces dimensions. Et pourtant, la température n’a pas baissé. L’évidence de ce duo, la simplicité de leur échange nous pousse à fermer les yeux. On passe d’un rivage à l’autre. Quand on les rouvre, le panorama est éblouissant. Luca Aquino porte cette chemise bleue, couleur toute méditerranéenne. À ses côtés, Carmine Ioanna semble effleurer son instrument, songeur. Derrière eux, des arbres dont les feuilles dansent au gré du vent. Quelques airs de valse trépidante. Quelques airs de blues. Quelques distorsions. La trompette rit, la trompette chuchote. Les motifs défilent donc les rivages défilent encore. Mais on retourne toujours au sommet du phare, en pleine nuit. C’est le timbre du trompettiste, qui parfois passe au cornet, qui éclaire. Il transcende et nous donne envie de nous lancer dans une traversée en solitaire. La température reste la même. Les cloches de la cathédrale sonnent midi. 30 degrés au soleil, comme à l’ombre…

Samy Thiébaut, classe transfrontalière

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Peu après, retour au Magic Mirrors. L’occasion d’entendre quelques-unes des compositions du dernier album du saxophoniste Samy Thiébaut : l’envoutant “Rebirth”. Accompagné par ses musiciens Adrien Chicot (p), Sylvain Romano (b) et Philippe Soirat (dm), le musicien fait preuve d’une énergie foisonnante pour sa toute première participation à Jazz Sous Les Pommiers. Il s’en va jouer avec “les racines inventées et les racines qui lui sont chères”. Le public est conquis dès le premier morceau. Les fulgurances y sont divines. S’enchaînent Raqsat Fes, Laideronette, impératrices des pagodes – sur lequel il embouche sa flûte et où Adrien Chicot se montre détonnant, ou alors sa relecture du Amor Bonito d’Enrique Hidalgo. Ce dernier marque l’occasion de rendre un hommage pour le Venezuela, pays en pleine tourmente actuellement, dans lequel il a moult fois tourné. La musicalité est profonde, les formes classieuses. On retiendra notamment la fougue du pianiste Adrien Chicot.

L’alegria d’un tentette

17h30. Direction la Salle Marcel Hélie pour la mise à l’honneur d’un trait d’union entre jazz et flamenco orchestré par le saxophoniste Pierre Bertrand, très bien entouré. Il explore le répertoire de son dernier disque, “Joy“, accompagné de quatre chanteurs de flamenco (Paloma Pradal, Sabrina Romero, Alberto Garcia et Melchior Campos) mais aussi de musiciens hors pairs. Comment ne pas esquisser un sourire quand ce beau monde prend place sur scène : le guitariste Louis Winsberg, le contrebassiste Jérôme Regard, le cajoniste Xavier Sanchez, le pianiste Alfio Origlio mais aussi le percussionniste-batteur Minino Garay. Chacun de ces protagonistes, qui forment l’ensemble Caja Negra, semble obnubilé par le rythme. Un rigoureux jeu d’équilibriste se met en place entre chaque instrumentiste tandis que les chanteurs s’emploient à dévoiler l’âme du flamenco : les “palmas”, claquements de main significatifs du genre sont systématiques. Mais s’invitent aussi les pieds. Pierre Bertrand, dont la dextérité déconcerte, semble s’attacher à rappeler que le flamenco n’est pas seulement un genre musical mais aussi une danse. D’ailleurs, l’une des chanteuses, Sabrina Romero, nous fait très vite une démonstration. Sur le devant de la scène, la voilà qui danse avec énergie, ferveur et grâce. Les morceaux défilent et mettent en exergue une musique chaleureuse, riche et conceptuelle. Peut-être trop dense ?

Chet Baker version trip hop

Hommage-a-Chet-©-Franco-P-Tettamenti-Marc-Obin

 

Enfin, toujours à Marcel Hélie, on s’en va découvrir en live cet hommage à Chet Baker, “Autour de Chet”, enregistré sous la direction de Clément Ducol, et paru en avril 2016 chez Verve. Et là, on réalise. Les musiciens et chanteurs qui ont participé à ce disque n’ont pas seulement repris Chet Baker, ils se sont totalement réappropriés ses chansons au point que ce live a supplanté le disque dans notre esprit. Nous voilà face à un show au concept chiadé, mis sur pied avec minutie et inventivité. La chanteuse Sandra Nkaké, voix grave et profonde, ouvre le bal, pieds nus, avec des effets de voix qui laissent présager d’une version pop de Let’s Get Lost. À la batterie et aux percussions, Cyril Atef, pieds nus également, s’éclate. Tout comme Christophe Minck (b) et Pierre-François Dufour (dm, cello). Benjamin Moussay est au piano et au Rhodes. Christophe Minck joue aussi de la harpe. Aux côtés de Sandra Nkaké, ce sont les chanteurs Hugh Coltman et Camelia Jordana qui ont fait le déplacement. Quant aux trompettistes, on retrouve Airelle Besson et Erik Truffaz. Quant à Luca Aquino, c’est au moment du rappel qu’il rejoint l’équipée des trompettistes. Notons quelques moments forts. En duo avec Cyril Atef à la sanza, sans doute arrangée, (ou marimba selon votre plaisir), Hugh Coltman interprète Nature Boy avec l’exubérance qui le caractérise. Moon and Sand est repris par Sandra Nkaké et Camelia Jordana, en duo, dans une version trip-hop des plus exquises (on la préfère de loin à celle proposée par Benjamin Biolay et le duo Ibeyi sur le disque). Airelle Besson se montre exaltée aux côtés d’un Hugh Coltman qui nous entraîne à la Nouvelle-Orléans à la fin de son interprétation de It Could Happened To You. De quoi définitivement combler le public. Malgré la sobriété lyrique naturellement associé à Chet Baker, la fine équipe a réussi à mettre le feu. Définitivement 30 degrés à l’ombre.. voire plus.

Katia Touré